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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/1986/2016

ATA/584/2016 du 08.07.2016 sur JTAPI/649/2016 ( MC ) , REJETE

En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/1986/2016-MC ATA/584/2016

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 8 juillet 2016

2ème section

 

dans la cause

 

M. A______
représenté par Me Aude Baer, avocate

contre

OFFICE CANTONAL DE LA POPULATION ET DES MIGRATIONS

_________


Recours contre le jugement du Tribunal administratif de première instance du 21 juin 2016 (JTAPI/649/2016)


EN FAIT

1. Par décision du 5 juin 2014, entrée en force sans recours, le secrétariat d’État aux migrations (ci-après : SEM) a rejeté la demande d’asile déposée à son entrée en Suisse le 10 décembre 2012 par le soi-disant A______, déclarant être né le ______ 1989 et originaire du Mali, mais dépourvu de tout document d’identité. Sa nationalité n’avait pu être établie, les experts ayant conclu à sa socialisation au Sénégal ou en Gambie, à l’exclusion du Mali. Le SEM a prononcé son renvoi de Suisse et lui a imparti une échéance au 31 juillet 2014 pour quitter le territoire helvétique.

Dans la cadre de la procédure, l’intéressé avait déclaré, en novembre 2013, être venu en Suisse pour des raisons économiques et ne pas vouloir retourner dans son pays.

2. Bien que dûment convoqué en temps utile, M. A______ ne s’est pas présenté à l’audition centralisée organisée le 15 octobre 2014 par les autorités maliennes.

3. Le 30 octobre 2014, M. A______ a disparu du foyer de l’Hospice général où il était hébergé, pour réapparaître le 24 février 2015 et demander, avec succès, sa réintégration.

4. Lors d’une audition centralisée organisée le 18 février 2016 par les autorités maliennes, ces dernières n’ont pas reconnu M. A______ comme ressortissant du Mali et ont suggéré qu’il pourrait être originaire du Sénégal ou de Guinée.

5. Lors d’une audition centralisée organisée le 24 mai 2016 par les autorités sénégalaises, ces dernières n’ont pas reconnu M. A______ comme ressortissant de leur pays.

6. Le 24 mai 2016, le commissaire de police a ordonné la mise en détention administrative de M. A______ pour une durée d’un mois, en vue d’exécuter son renvoi.

Il ressort de cette décision que l’intéressé avait fait l’objet, entre juin 2013 et septembre 2015, de six ordonnances pénales totalisant trente jours-amende et douze mois de peine privative de liberté pour infractions à la loi fédérale sur les stupéfiants et les substances psychotropes du 3 octobre 1951 (LStup -
RS 812.121) et à la loi fédérale sur les étrangers du 16 décembre 2005 (LEtr -
RS 142.20) et, lors d’auditions par la police, avait persisté à se dire malien, fait des déclarations contradictoires au sujet de l’existence d’un passeport dont il serait titulaire et réitéré son refus de retourner dans son pays comme de coopérer à l’exécution de son renvoi.

7. Par jugement du 27 mai 2016 (JTAPI/536/2016) non contesté, le Tribunal administratif de première instance a confirmé, dans son principe et dans sa durée, l’ordre de mise de détention administrative susmentionné.

8. Lors d’une audition centralisée organisée le 1er juin 2016 par les autorités gambiennes, ces dernières n’ont pas reconnu M. A______ comme originaire de Gambie.

9. En date du 14 juin 2016, l’office cantonal de la population et des migrations (ci-après : OCPM) a sollicité la prolongation de la détention administrative de
M. A______ pour une durée de trois mois afin de mener à terme le rapatriement de ce dernier dans son pays d’origine. L’intéressé devait être présenté à une audition centralisée des autorités guinéennes prévue le 27 juin 2016.

10. Par jugement du 21 juin 2016 (JTAPI/649/2016), remis en mains propres aux parties le même jour, le TAPI a prolongé la détention administrative de
M. A______ pour une durée de trois mois, soit jusqu’au 24 septembre 2016.

Les circonstances ayant conduit le TAPI à admettre le bien-fondé de la détention administrative dans son principe ne s’étaient pas modifiées depuis le
27 mai 2016. Les démarches visant à établir l’identité exacte de l’intéressé étaient en cours. La durée de la détention respectait le principe de la proportionnalité. Rien n’indiquait que le renvoi serait impossible.

11. Lors de l’audition centralisée organisée le 27 juin 2016 par les autorités guinéennes, ces dernières n’ont pas reconnu M. A______ comme ressortissant guinéen.

12. Par acte du 1er juillet 2016, M. A______ a recouru auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) contre le jugement du TAPI du 21 juin 2016, concluant à l’annulation de celui-ci et à ce que sa mise en liberté immédiate soit ordonnée.

Son renvoi, à supposer qu’il soit un jour possible, ne pourrait intervenir dans un délai déterminable puisqu’aucune des délégations africaines auxquelles il avait été présenté ne l’avait reconnu comme originaire de l’État concerné, pas même celle de son propre pays, le Mali. Son maintien en détention dans une telle incertitude n’était pas conforme au droit. Enfin, il ne pourrait être renvoyé au Mali en raison des conditions d’insécurité qui prévalaient dans ce pays.

13. Le 6 juillet 2016, l’OCPM a conclu au rejet du recours.

Il se référait au jugement querellé et précisait pour le surplus que le SEM avait relevé que l’intéressé adaptait son comportement et sa langue d’expression – peul, mandingue ou créole – en fonction de la délégation qui le recevait, de manière à ne pas pouvoir être identifié. Il serait présenté à une prochaine délégation gambienne ainsi qu’à une délégation de Guinée-Bissau, qui devait se déplacer au cours du deuxième semestre 2016, en raison de sa pratique du créole.

14. Le 7 juillet 2016, le TAPI a transmis son dossier, sans formuler d’observations.

15. Sur quoi, la cause a été gardée à juger.

EN DROIT

1. Interjeté en temps utile – c'est-à-dire dans le délai de dix jours dès la notification du jugement querellé – devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 10 al. 1 LaLEtr ; art. 17 al. 3 de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10).

2. Selon l’art. 10 al. 2 1ère phr. LaLEtr, la chambre administrative doit statuer dans les dix jours qui suivent sa saisine. Ayant reçu le recours le 1er juillet 2016 et statuant ce jour, elle respecte ce délai.

La chambre administrative est en outre compétente pour apprécier l'opportunité des décisions portées devant elle (art. 10 al. 2 2ème phr. LaLEtr).

3. La détention administrative porte une atteinte grave à la liberté personnelle et ne peut être ordonnée que dans le respect de l'art. 5 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 (CEDH - RS 0.101 ; ATF 135 II 105 consid. 2.2.1 ; arrêts du Tribunal fédéral 2C_256/2013 du 10 avril 2013 consid. 4.1 ; 2C_1017/2012 du 30 octobre 2012 consid. 3 et les jurisprudences citées) et de l'art. 31 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101), ce qui suppose en premier lieu qu'elle repose sur une base légale. Le respect de la légalité implique ainsi que la mise en détention administrative ne soit prononcée que si les motifs prévus dans la loi sont concrètement réalisés (arrêts du Tribunal fédéral 2C_256/2013 précité consid. 4.1 ; 2C_478/2012 du 14 juin 2012 consid. 2.1).

4. a. En vertu de l'art. 76 al. 1 let. b LEtr, lorsqu’une décision de renvoi ou d’expulsion de première instance a été notifiée, l’autorité compétente peut, afin d’en assurer l’exécution, mettre en détention la personne concernée si des éléments concrets font craindre qu'elle entende se soustraire au renvoi ou à l’expulsion, en particulier parce qu’elle ne se soumet pas à son obligation de collaborer en vertu de l’art. 90 LEtr ou de l’art. 8 al. 1 let. a ou al. 4 de la loi sur l'asile du 26 juin 1998 (LAsi - RS 142.31 ; ch. 3), ou si son comportement permet de conclure qu’elle se refuse à obtempérer aux instructions des autorités (ch. 4).

b. Ces chiffres 3 et 4 décrivent tous deux les comportements permettant de conclure à l'existence d'un risque de fuite ou de disparition ; ils doivent donc être envisagés ensemble (arrêt du Tribunal fédéral 2C_128/2009 du 30 mars 2009 consid. 3.1).

L'obligation de collaborer est définie à l'art. 90 let. a et c LEtr. À teneur de cette disposition, l'étranger doit collaborer à la constatation des faits déterminants pour l'application de cette loi, et en particulier fournir des indications exactes et complètes sur les éléments déterminants pour la réglementation du séjour, ainsi que se procurer une pièce de légitimation ou collaborer avec les autorités pour en obtenir une.

Selon la jurisprudence, un risque de fuite – c’est-à-dire la réalisation de l’un de ces deux motifs – existe notamment lorsque l'étranger a déjà disparu une première fois dans la clandestinité, qu'il tente d'entraver les démarches en vue de l'exécution du renvoi en donnant des indications manifestement inexactes ou contradictoires ou encore s'il laisse clairement apparaître, par ses déclarations ou son comportement, qu'il n'est pas disposé à retourner dans son pays d'origine. Comme le prévoit expressément l'art. 76 al. 1 let. b ch. 3 LEtr, il faut qu'il existe des éléments concrets en ce sens (ATF 140 II 1 consid. 5.3 ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_658/2014 du 7 août 2014 consid. 1.2). Si le fait d'être entré en Suisse illégalement, d'être démuni de papiers ou de ne pas quitter le pays dans le délai imparti à cet effet ne saurait, pris individuellement, suffire à admettre un motif de détention au sens de l'art. 76 al. 1 let. b ch. 3 (voire ch. 4) LEtr, ces éléments peuvent constituer des indices parmi d'autres en vue d'établir un risque de fuite (arrêt du Tribunal fédéral 2C_142/2013 du 1er mars 2013 consid. 4.2 ; voir aussi ATF 140 II 1 consid. 5.3).

Lorsqu’il examine le risque de fuite, le juge de la détention doit établir un pronostic, en déterminant s’il existe des garanties que l’étranger prêtera son concours à l’exécution du renvoi le moment venu, c’est-à-dire lorsque les conditions en seront réunies. Il dispose pour ce faire d’une certaine marge d’appréciation (arrêts du Tribunal fédéral 2C_935/2011 du 7 décembre 2011 consid. 3.3 ; 2C_128/2009 précité consid. 3.1).

5. Selon le recourant, les conditions d’applications de l’art. 76 al. 1 let. b ch. 3 et 4 LEtr ne sont pas remplies, car le renvoi n’est absolument pas exécutable, les autorités suisses n’ayant pas réussi à déterminer sa nationalité.

Ce faisant, dans une argumentation téméraire, l’intéressé se prévaut de la violation de son obligation de quitter la Suisse par ses propres moyens, les difficultés liées au renvoi étant dues à son opposition permanente. Il reste tenu de prendre lui-même les mesures nécessaires pour quitter la Suisse, ce qui pourrait se faire dans un délai relativement court s’il entreprenait de solliciter de son consulat les documents de voyage idoines et de réserver le vol de retour, le cas échéant avec l’aide de la Croix-Rouge. Au demeurant, sa détention administrative ne l’empêche pas d’entreprendre des démarches en vue de son retour, ni de prendre contact avec la Croix-Rouge à cette fin, voire même d’effectuer des démarches en vue d’être autorisé à se rendre dans un autre pays.

Ces circonstances excluent une impossibilité de l’exécution du renvoi pour des raisons juridiques ou matérielles au sens de l’art. 80 al. 6 let. a LEtr, invoquée par le recourant, mais en tout état prématurée puisque son identité n’est pas établie et donc que son pays d’accueil n’est pas connu, une telle impossibilité supposant en tout état de cause notamment que l'étranger ne puisse pas sur une base volontaire quitter la Suisse et rejoindre son État d'origine, de provenance ou un État tiers (arrêt du Tribunal administratif fédéral E-6668/2012 du 22 août 2013 consid.6.7.1 relativement à l’art. 83 al. 2 LEtr, a fortiori).

Pour le reste, les conditions d’applications de l’art. 76 al. 1 let. b ch. 3
et 4 LEtr sont sans conteste réunies. En effet, ayant reçu la décision de refus d’asile et de renvoi le 5 juin 2014, le recourant – qui n’a aucune source licite de revenu identifiée – a disparu dans un premier temps, puis a constamment fait montre de son refus de collaborer, tant en parole que par son comportement, ayant déclaré à réitérées reprises ne pas vouloir retourner dans son pays, et utilisant ses connaissances linguistiques pour empêcher son identification et n’ayant pas démontré avoir entrepris la moindre démarche pour faciliter l’exécution de son renvoi. Le risque de fuite, tel que précisé par la jurisprudence, est donc clairement établi.

Il n’est dès lors pas nécessaire d’examiner l’éventuelle application du ch. 1 de l’art. 76 al. 1 let. b LEtr.

6. La détention administrative doit respecter le principe de la proportionnalité, garanti par l'art. 36 Cst., qui se compose des règles d'aptitude – exigeant que le moyen choisi soit propre à atteindre le but fixé –, de nécessité – qui impose qu'entre plusieurs moyens adaptés, on choisisse celui qui porte l'atteinte la moins grave aux intérêts privés – et de proportionnalité au sens étroit – qui met en balance les effets de la mesure choisie sur la situation de l'administré et le résultat escompté du point de vue de l'intérêt public (ATF 125 I 474 consid. 3 et les arrêts cités ; arrêt du Tribunal fédéral 1P.269/2001 du 7 juin 2001 consid. 2c ; ATA/189/2015 du 18 février 2015 consid. 7a).

À teneur de l’art. 76 al. 4 LEtr, les démarches nécessaires à l'exécution du renvoi ou de l'expulsion doivent être entreprises sans tarder.

Aux termes de l’art. 79 LEtr, la détention en phase préparatoire et la détention en vue du renvoi ou de l’expulsion visées aux art. 75 à 77 ainsi que la détention pour insoumission visée à l’art. 78 ne peuvent excéder six mois au total (al. 1) ; la durée maximale de la détention peut, avec l’accord de l’autorité judiciaire cantonale, être prolongée de douze mois au plus et, pour les mineurs âgés de 15 à 18 ans, de six mois au plus, dans les cas suivants : a. la personne concernée ne coopère pas avec l’autorité compétente ; b. l’obtention des documents nécessaires au départ auprès d’un État qui ne fait pas partie des États Schengen prend du retard (al. 2).

7. Dans le cas présent, vu l’opposition déterminée du recourant à son renvoi, le risque de fuite et le fait qu’en raison de son absence de collaboration, les autorités suisses sont contraintes de multiplier les démarches en vue d’établir son identité complète, on ne voit pas quelle solution moins incisive que la détention administrative pourrait être ordonnée.

L’intéressé ne saurait de bonne foi se plaindre de la trop longue durée de la détention administrative tout en continuant à se prévaloir de sa volonté de s’opposer à son renvoi alors que les difficultés causant la durée de sa détention sont la conséquence de la violation de son obligation de quitter la Suisse.

De leur côté, les autorités suisses ont toujours agi avec célérité, effectuant toutes les démarches utiles en vue d’exécuter le renvoi.

À l’échéance de la durée de trois mois confirmée par le TAPI, la durée maximale de six mois de détention administrative selon l’art. 79 al. 1 LEtr n’aura pas été atteinte, de sorte que l’on est encore loin de la durée maximale de dix-huit mois qui peut être atteinte si les conditions prévues par l’al. 2 let. a sont remplies.

Dans ces circonstances, la prolongation de la détention administrative pour une durée de trois mois est proportionnée.

8. Vu ce qui précède, le recours, infondé, sera rejeté.

9. Vu la nature du litige, il ne sera pas perçu d’émolument (art. 12 du règlement sur les frais, émoluments et indemnités en procédure administrative du 30 juillet 1986 - RFPA - E 5 10.03). Vu l’issue du litige, aucune indemnité de procédure ne sera allouée au recourant (art. 87 al. 2 LPA).

 

* * * * *

 

 

 

 

 

 

 

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 1er juillet 2016 par M. A______ contre le jugement du Tribunal administratif de première instance du 21 juin 2016 ;

au fond :

le rejette ;

dit qu'il n'est pas perçu d'émolument, ni alloué d’indemnité de procédure ;

dit que, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;

communique le présent arrêt à Me Aude Baer, avocate du recourant, à l'office cantonal de la population et des migrations, au Tribunal administratif de première instance, au secrétariat d'État aux migrations, ainsi qu'au centre Frambois LMC, pour information.

Siégeants : M. Verniory, président, Mme Junod, M. Dumartheray, juges.

Au nom de la chambre administrative :

le greffier-juriste :

 

 

F. Scheffre

 

le président siégeant :

 

 

J.-M. Verniory

 

 

 

 

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :