Aller au contenu principal

Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

1 resultats
A/4279/2015

ATA/4/2016 du 06.01.2016 ( MARPU ) , REFUSE

Parties : ENTREPRISE BELLONI SA / WELSON SA, VILLE DE GENEVE
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

A/4279/2015-MARPU ATA/4/2016

 

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Décision du 6 janvier 2016

sur effet suspensif

 

dans la cause

 

ENTREPRISE BELLONI SA
représentée par Me Bruno Mégevand, avocat

contre

VILLE DE GENÈVE

et

WELSON SA, appelée en cause

 



Attendu, en fait, que :

1. En date du 30 juin 2015, le département de l'aménagement et des constructions (ci-après : DAC) de la Ville de Genève (ci-après : la ville), a publié dans la Feuille d’avis officielle de la République et canton de Genève (ci-après : FAO) un appel d’offres, en procédure ouverte mais non soumise à l’accord GATT/OMC, respectivement aux accords internationaux, avec délai de dépôt au 28 juillet 2015, pour des travaux de peinture, plâtrerie et faux plafonds dans le cadre de la rénovation de l'immeuble sis 1-3 rue Lissignol, consacré à des logements et propriété de la ville.

Le prix estimé était de CHF 869'700.- hors taxes (ci-après : HT). Pour les critères d'aptitude et d'adjudication, l'appel d'offres renvoyait aux documents du dossier d'appel d'offres.

Selon ces derniers, les critères d’adjudication étaient les suivants : prix (pondéré à 30 %) ; références (35 %) ; organisation (30 %) ; et formation des apprentis (5 %). Un facteur de crédibilité pouvait être utilisé pour pondérer la note du prix.

2. Dans le délai de dépôt, la ville a reçu treize offres, dont les prix variaient entre CHF 515'160.- toutes taxes comprises (ci-après : TTC) et CHF 1'226'340.- TTC.

Welson SA (ci-après : Welson), sise à Meyrin, a déposé la première offre précitée, pour un montant de CHF 515'160.-.

L’Entreprise Belloni SA (ci-après : Belloni), sise à Carouge, a présenté une offre pour le montant total de CHF 904'338.20 TTC.

La deuxième offre la moins chère, après celle de Welson SA, s'élevait à CHF 688'258.95.

3. Par courrier du 27 août 2015, le mandataire de la ville – non mentionné dans l'appel d'offres – a écrit à Welson en lui demandant des renseignements complémentaires, soit notamment : préciser l'effectif réellement prévu pour le suivi de l'opération, en particulier le nombre de plâtriers ; fournir les indications sur les prix horaires de la main-d'œuvre ; préciser la part que prenaient dans les prix soumis le montant de la main-d'œuvre, des matériaux, des frais généraux et du transport ; et fournir diverses précisions sur certains postes de la soumission plâtrerie et faux plafonds, d'une part, et peinture, d'autre part.

4. Par courriels des 7 et 8 septembre 2015 au mandataire précité, Welson a apporté les précisions demandées, en particulier les prix horaires des ouvriers et techniciens qui seraient engagés sur le chantier.

5. À une date indéterminée, le mandataire de la ville a procédé à l'estimation de l'acceptabilité des prix indiqués par Welson. Tant pour la partie peinture que la partie plâtrerie et faux plafonds, elle a conclu qu'avec un coût horaire au tarif minimal moyen de la convention collective de travail (ci-après : CCT) augmenté des charges sociales, Welson pouvait effectuer les travaux, sans toutefois avoir aucune marge de risques et bénéfices.

6. Le 6 novembre 2015, le service chargé de l'adjudication a rencontré en ses locaux des représentants de Welson. Cette dernière a notamment confirmé ses prix et disponibilités et les précisions complémentaires apportées sur demande.

7. Aux termes du rapport d’adjudication pour les travaux de peinture établi le 6 novembre 2015 par le mandataire de la ville, Welson a reçu les notes de 5 pour le prix (qualité économique de l'offre), 3.39 pour les références, 2.5 pour l'organisation, et 3.25 pour la formation d'apprentis, son total cumulé s'élevant à 359.97 (première place des treize offres évaluées). Belloni a reçu les notes de 1.42 pour le prix (qualité économique de l'offre), 3.78 pour les références, 4.63 pour l'organisation, et 5 pour la formation d'apprentis, son total cumulé s'élevant à 339.00 (deuxième place des treize offres évaluées).

Pour les travaux de plâtrerie, Welson a obtenu les mêmes notes, pour un total de points identique, soit 359.97 ; tandis que Belloni a obtenu les mêmes notes sauf celle du prix (1.65 au lieu de 1.42), pour un total de 345.73 points. Les deux entreprises occupaient aussi, respectivement, la première et la deuxième place parmi les treize offres évaluées.

8. Par décision du 23 novembre 2015, la ville a informé Belloni que le marché avait été adjugé à Welson pour un montant de CHF 399'973.65 (plâtrerie et faux plafonds) et CHF 110'525.10 (peinture). Belloni était classée au deuxième rang.

Était joint un tableau d’analyse multicritères avec les notes des treize candidats, indiquant notamment que les notes étaient fixées de 0 à 5. Au bas dudit tableau figurait la mention qu'«en raison de son offre une analyse de prix a été demandée à l'entreprise Welson, qui s'est révélée acceptable ».

9. Par acte posté le 7 décembre 2015, Belloni a interjeté recours auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative), concluant préalablement à l’octroi de l’effet suspensif au recours, et principalement à l’annulation de la décision de refus d'adjudication et à l’attribution à elle-même du ou des marchés en cause.

Pour les deux marchés, les fournitures étaient des produits standard sur lesquels il n'était pas possible de faire des économies ; ces dernières avaient donc dû être opérées par Welson sur la main d'œuvre, et ne pouvaient que la conduire à pratiquer des salaires inférieurs aux minima fixés par la CCT. Welson aurait donc dû être écartée du marché.

Belloni avait un intérêt considérable à ce que l'effet suspensif soit restitué, tandis que la ville ne pouvait se prévaloir d'une quelconque urgence, une éventuelle entrée des locataires dans les locaux retardée de quelques mois ne pouvant constituer un préjudice significatif.

10. Par lettre du 10 décembre 2015, le juge délégué de la chambre administrative a interdit à la ville de conclure le contrat d’exécution de l’offre jusqu’à droit jugé sur la requête de restitution de l’effet suspensif, ordonné l’appel en cause de Welson, et imparti des délais à cette dernière et à la ville pour se déterminer sur effet suspensif et sur le fond.

11. Dans sa réponse du 21 décembre 2015 sur effet suspensif et sur le fond, la ville a conclu au rejet de la requête de restitution de l’effet suspensif, de même qu’au rejet du recours.

Le recours était manifestement mal fondé, les règles d'évaluation annoncées dans l'appel d'offres ayant été respectées. Les griefs de Belloni ne reposaient que sur sa propre évaluation, étant précisé que des renseignements complémentaires avaient été demandés à Welson, que ses coûts allégués avaient été analysés par le mandataire et qu'une rencontre avait eu lieu avec des représentants de l'entreprise. Les exigences réglementaires avaient donc été respectées.

Welson s'était vu adjuger récemment un autre marché public de la ville, et avait respecté les coûts et délais annoncés, les inspecteurs de la ville ayant veillé par ailleurs à ce que la CCT soit respectée.

Au surplus, la restitution de l'effet suspensif entraînerait le blocage de l'ensemble du chantier.

12. Le 21 décembre 2015 également, Welson s'est déterminée, sans prendre de conclusions formelles.

Elle avait répondu aux différentes demandes de renseignements des mandataires de la ville, et avait participé à un entretien avec le service adjudicataire le 6 novembre 2015.

Elle bénéficiait de prix très bas auprès de ses fournisseurs habituels, « jusqu'à 75 % », vu le volume considérable de ses commandes.

Elle n'avait pas prévu de bénéfice sur ce marché, mais ne travaillerait pas à perte.

Enfin, les prix qu'elle avait annoncés n'étaient pas sous-évalués et respectaient la répartition de 40 % de fournitures et de 60 % de main-d'œuvre et frais généraux.

13. Sur ce, la cause a été gardée à juger sur effet suspensif.

Considérant, en droit, que :

1. Le recours, interjeté en temps utile devant l'autorité compétente, est prima facie recevable de ces points de vue, en application des art. 15 al. 2 de l'Accord intercantonal sur les marchés publics du 25 novembre 1994 (AIMP - L 6 05), 3 al. 1 de la loi autorisant le Conseil d’État à adhérer à l’accord intercantonal sur les marchés publics du 12 juin 1997 (L-AIMP - L 6 05.0) et 56 al. 1 du règlement sur la passation des marchés publics du 17 décembre 2007 (RMP - L 6 05.01).

2. Aux termes des art. 17 al. 1 AIMP et 58 al. 1 RMP, le recours n’a pas d’effet suspensif. Toutefois, en vertu des art. 17 al. 2 AIMP et 58 al. 2 RMP, l’autorité de recours peut, d’office ou sur demande, restituer cet effet pour autant que le recours paraisse suffisamment fondé et qu’aucun intérêt public ou privé prépondérant ne s’y oppose.

L’examen de la requête suppose une appréciation prima facie du bien-fondé du recours ; le but est alors de refuser l’effet suspensif au recours manifestement dépourvu de chances de succès, dont le résultat ne fait aucun doute ; inversement, un diagnostic positif prépondérant ne suffit pas d’emblée à justifier l’octroi d’une mesure provisoire mais suppose de constater et de pondérer le risque de préjudice (ATA/793/2015 du 5 août 2015 consid. 2 ; ATA/701/2013 du 22 octobre 2013 consid. 2 ; ATA/683/2013 du 10 octobre 2013 consid. 2 ; Benoît BOVAY, Recours, effet suspensif et conclusion du contrat, in Jean-Baptiste ZUFFEREY/Hubert STÖCKLI, Marchés publics 2010, Zurich 2010, pp. 311-341, p. 317 n. 15).

La restitution de l’effet suspensif constitue cependant une exception en matière de marchés publics, et représente une mesure dont les conditions ne peuvent être admises qu’avec restriction (ATA/793/2015 précité consid. 2 ; ATA/60/2013 du 30 janvier 2013 consid. 5 ; ATA/85/2012 du 7 février 2012 consid. 2 ; ATA/752/2011 du 8 décembre 2011 ; ATA/214/2011 du 1er avril 2011 et la jurisprudence citée).

3. a. L’AIMP a pour objectif l’ouverture des marchés publics, notamment des communes (art. 1 al. 1 AIMP). Il poursuit plusieurs objectifs, soit assurer une concurrence efficace entre les soumissionnaires (art. 1 al. 3 let. a AIMP), garantir l’égalité de traitement entre ceux-ci et assurer l’impartialité de l’adjudication (art. 1 al. 3 let. b AIMP), assurer la transparence des procédures de passation des marchés (art. 1 al. 3 let. c AIMP) et permettre l’utilisation parcimonieuse des données publiques (art. 1 al. 3 let. d AIMP). Ces principes doivent être respectés, notamment dans la phase de passation des marchés (art. 11 AIMP, notamment let. a et b AIMP).

b. Aux termes de l’art. 24 RMP, l'autorité adjudicatrice choisit des critères objectifs, vérifiables et pertinents par rapport au marché ; elle doit les énoncer clairement et par ordre d'importance au moment de l'appel d'offres.

En vertu de l’art. 43 RMP, l'évaluation est faite selon les critères prédéfinis conformément à l'art. 24 RMP et énumérés dans l'avis d'appel d'offres et/ou les documents d'appel d'offres (al. 1) ; le résultat de l'évaluation des offres fait l'objet d'un tableau comparatif (al. 2) ; le marché est adjugé au soumissionnaire ayant déposé l'offre économiquement la plus avantageuse, c'est-à-dire celle qui présente le meilleur rapport qualité/prix ; outre le prix, les critères suivants peuvent notamment être pris en considération : la qualité, les délais, l'adéquation aux besoins, le service après-vente, l'esthétique, l'organisation, le respect de l'environnement (al. 3) ; l'adjudication de biens largement standardisés peut intervenir selon le critère du prix le plus bas (al. 4).

c. La jurisprudence reconnaît une grande liberté d’appréciation au pouvoir adjudicateur (ATF 125 II 86 consid. 6), l’appréciation de la chambre administrative ne pouvant donc se substituer à celle de ce dernier, seul l’abus ou l’excès de pouvoir d’appréciation devant être sanctionné (ATF 130 I 241 consid. 6.1 ; arrêts du Tribunal fédéral 2P.111/2003 du 21 janvier 2004 consid. 3.3 ; 2P.172/2002 du 10 mars 2003 consid. 3.2).

4. En l'état et selon une analyse prima facie de la situation, le grief principal de la recourante n'apparaît pas suffisamment fondé pour permettre la restitution de l'effet suspensif au recours.

En effet, ainsi que l'intimée et l'appelée en cause l'ont fait valoir dans leur réponse, la procédure prévue par l'art. 41 RMP en cas d'offre particulièrement basse a été suivie, puisque la ville, par le biais de son mandataire puis de ses services propres, a demandé des renseignements complémentaires à Welson, a analysé ses prix en aboutissant à la conclusion que la CCT pouvait être respectée, et a conduit un entretien avec l'intéressée.

Quant au second grief lié au critère de la formation d'apprentis, même s'il était intégralement admis, il ne permettrait en principe pas à la recourante d'accéder à la première place, l'appelée en cause ne pouvant se voir attribuer une note nulle sur ce point.

5. En définitive, rien ne permet de considérer, à ce stade et sur la base d’un examen sommaire, que la ville ait mésusé de son pouvoir d'appréciation en attribuant le marché à Welson.

Partant, la restitution de l’effet suspensif sera refusée, le sort des frais de la procédure étant réservé jusqu'à droit jugé au fond.

Vu le recours interjeté le 7 décembre 2015 par l’Entreprise Belloni SA contre la décision de la Ville de Genève du 23 novembre 2015 ;

vu l’art. 66 al. 3 de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 ;

vu l’art. 7 al. 1 du règlement de la chambre administrative du 21 décembre 2010 ;

 

LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

refuse de restituer l’effet suspensif au recours ;

réserve le sort des frais de la procédure jusqu’à droit jugé au fond ;

dit que conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), la présente décision peut être portée dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. La présente décision et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;

communique la présente décision, en copie, à Me Bruno Mégevand, avocat de la recourante, à la Ville de Genève ainsi qu'à Welson SA, appelée en cause.

 

 

Le président :

 

 

 

Ph. Thélin

 

 

 

 

 

Copie conforme de cette décision a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

la greffière :