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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/3929/2021

ATA/394/2022 du 12.04.2022 ( DIV ) , ADMIS

Descripteurs : ASSUREUR-MALADIE;ÉTABLISSEMENT HOSPITALIER;ASSURANCE OBLIGATOIRE;DÉCOMPTE(SENS GÉNÉRAL);ASSURANCE COMPLÉMENTAIRE EN CAS D'HOSPITALISATION;SUBROGATION LÉGALE;DROIT D'OBTENIR UNE DÉCISION
Normes : LPGA.52.al1; LPGA.56.al2; LAMaL.85; LAMaL.86; LOJ.132; LPA.4.al4; LPA.62.al6; Cst.5.al3; Cst.29.al1; LPA.69.al4; LaLAMal.2; RaLAMal.1.al2; LPGA.72.al1; LPGA.56; LAMaL.42; LAMaL.49a; LAMaL.39; OAMal.58b
Résumé : Dans la mesure où le canton de Genève prend une position similaire à celle des assureurs, ayant pris en charge une part des prestations hospitalières, les patients concernés, ainsi que la recourante éventuellement subrogée auxdits patients, apparaissent potentiellement être titulaires d'une créance à l'encontre du canton de Genève. La recourante dispose ainsi du droit à obtenir une décision sur ses prétentions financières qu'elle fait valoir à l'encontre du canton de Genève. Recours pour déni de justice admis.
En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/3929/2021-DIV ATA/394/2022

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 12 avril 2022

 

dans la cause

 

A______
représentée par Me Nicolas Gillard, avocat

contre

DÉPARTEMENT DE LA SÉCURITÉ, DE LA POPULATION ET DE LA SANTÉ



EN FAIT

1) A______ (ci-après : A______ ou la société) est une société anonyme inscrite au registre du commerce du canton de B______ depuis le 25 novembre 1996, ayant son siège à B______. Elle a pour but de fournir des prestations d'assurance, principalement dans le domaine de l'assurance-maladie et de l'assurance-accident.

Elle est active dans le canton de Genève, où des assurés ayant conclu une assurance complémentaire à l'assurance-maladie obligatoire lui sont affiliés.

2) Le 14 juin 2021, A______ a demandé au département de la sécurité, de la population et de la santé (ci-après : DSPS ou le département) de lui rembourser un montant de CHF 9'455'710.- correspondant à la part cantonale relative aux prestations hospitalières fournies aux assurés genevois disposant d'une couverture complémentaire de janvier 2016 à décembre 2020.

Au vu de l'arrêt du Tribunal administratif fédéral (ci-après : TAF) C-5017/2015 du 16 janvier 2019, la planification hospitalière du canton de Genève ainsi que les listes d'établissements fixées par le département étaient basées sur des éléments contraires à la législation fédérale. En conséquence, le canton de Genève devait couvrir la part cantonale pour les patients disposant d'une couverture complémentaire.

Durant la période considérée, A______ avait versé, en lieu et place du canton de Genève, au bénéfice de ses assurés disposant d'une couverture complémentaire, la part cantonale de leurs soins aux établissements sanitaires figurant sur la liste hospitalière genevoise, pour le montant total précité de CHF 9'455'710.-.

3) Le 1er juillet 2021, le département a accusé réception de ce courrier qui n'avait pas manqué de le surprendre. La demande de la société apparaissait sans fondement.

L'arrêt du TAF auquel il était fait référence ne concernait que l'une des cliniques genevoises, les autres établissements hospitaliers n'ayant pas contesté la planification sanitaire pour la période considérée. Au demeurant, les prétentions de la clinique avaient été réglées, de sorte que le litige était clos.

Par ailleurs, depuis le 1er janvier 2020, le canton de Genève avait modifié son modèle de planification hospitalière, sa liste hospitalière ainsi que les mandats de prestations y relatifs. Les modalités de prise en charge des patients selon la loi fédérale sur l'assurance-maladie du 18 mars 1994 (LAMal - RS 832.10) avec assurance complémentaire n'étaient donc plus les mêmes. Le département ne voyait dès lors pas quelles prétentions A______ aurait à ce titre.

4) Le 28 juillet 2021, A______ a persisté dans sa demande en paiement de CHF 9'455'710.-, dans un délai de trente jours.

S'il était vrai que l'arrêt du TAF ne concernait qu'une seule clinique, le TAF avait néanmoins qualifié la planification hospitalière du canton de Genève comme entièrement contraire au droit.

Le fait que les autres cliniques du canton de Genève n'aient pas déposé de recours contre la planification et la liste hospitalières, et que le canton de Genève ait adapté la planification hospitalière au 1er janvier 2020 ne jouait aucun rôle. En effet, la prétention de A______ concernait la période antérieure au 1er janvier 2020.

Si le département devait refuser de donner une suite favorable à sa demande en paiement, une décision formelle sujette à recours devait être rendue, la lettre du 1er juillet 2021 ne pouvant pas être considérée comme telle au sens de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 (LPA - E 5 10), faute notamment de rejeter clairement et sans équivoque la demande.

5) Le 19 août 2021, le département a réaffirmé que seule une clinique était partie à l'arrêt du TAF en question, ce qui n'impliquait aucunement que les prétentions d'autres établissements prodiguant des soins stationnaires dans le canton, et qui n'avaient pas recouru contre la décision les concernant, seraient fondées.

En outre, lorsqu'elle existait, ce qui n'était pas le cas en l'espèce, la créance correspondant à la part cantonale était détenue par le prestataire et non pas par l'assureur. La demande de A______ était donc sans fondement.

6) Le 8 septembre 2021, A______ a constaté que le département ne faisait que reprendre la position déjà exprimée dans son courrier du 1er juillet 2021. Il n'avait pas rendu une décision formelle sujette à recours, indiquant de manière circonstanciée les motifs de sa position.

En l'absence de réception d'une décision formelle dans un délai de trente jours, un recours pour déni de justice serait déposé.

7) Le 14 octobre 2021, le département a informé A______ qu'il réitérait la teneur de ses courriers des 1er juillet et 19 août 2021.

8) Par acte du 17 novembre 2021, A______ a saisi la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) d'un recours pour déni de justice formel, concluant principalement à ce que celui-ci soit constaté, au renvoi de la cause au département pour prise d’une décision formelle, selon laquelle ses prétentions financières soient admises dans leur principe. Subsidiairement, la cause devait être renvoyée au département pour prise d’une décision formelle au sens des considérants.

A______ disposait d'un intérêt digne de protection, dès lors que son recours portait sur des prétentions financières s'élevant à CHF 9'455'710.-, dont elle s'était acquittée en faveur de cinq établissements, alors que ces sommes étaient en réalité dues par le canton de Genève. En dépit de ses deux mises en demeure, le département n'avait pas rendu de décision susceptible de recours, ce qui la privait de tout accès au juge. Ainsi, le refus de statuer était illicite et constitutif d'un déni de justice formel.

Conformément au régime de financement hospitalier en vigueur depuis 2009, il incombait aux assureurs-maladie de prendre en charge la rémunération des traitements hospitaliers, selon leur part respective. Le canton était tenu de prendre en charge une part cantonale desdits traitements, à hauteur de 55 % au moins. Le canton devait établir une planification hospitalière cantonale conforme aux exigences légales fédérales. Or, le TAF dans son arrêt C-5017/2015 précité, avait considéré que la planification hospitalière à Genève ne respectait pas les critères fixés dans le droit cantonal, concernant tant la détermination des besoins que l'évaluation et le choix de l'offre qui devaient être garantis par la liste hospitalière.

Dans cet arrêt, il avait été retenu que le canton de Genève avait violé le droit fédéral en instaurant des limitations quantitatives de cas dans les mandats de prestations (limitations du nombre de traitements). Ces limitations violaient en particulier le principe de l'égalité de traitement entre les assurés LAMal et les assurés au bénéfice d'une assurance complémentaire selon la loi fédérale sur le contrat d'assurance du 2 avril 1908 (LCA - RS 221.229.1), en sus de violer le principe de l'égalité de traitement entre les établissements hospitaliers concurrents.

En raison de ces limitations, le canton de Genève n'avait pas pris en charge les coûts relatifs aux prestations hospitalières pour les patients/assurés au bénéfice d'une assurance complémentaire, alors que tel aurait dû être le cas si la planification hospitalière genevoise avait été établie de manière conforme au droit fédéral. A______ avait pris en charge ces coûts de janvier 2016 à décembre 2020, au bénéfice des établissements figurant sur la liste hospitalière genevoise, jugée illicite.

Ainsi, l'assuré au bénéfice d'une couverture complémentaire détenait une créance contre le canton de Genève équivalant à la somme prise en charge par A______. En prenant à sa charge la part cantonale des coûts liés aux prestations hospitalières, la société était subrogée à l'assuré, dans les droits et prétentions que ce dernier détenait à l'égard du canton de Genève. Dès lors que ce dernier assumait un rôle d'assureur social et que le litige portait sur la prise en charge des coûts correspondant à la part cantonale due, A______ pouvait exiger du canton qu'il statue par décision.

9) Le 20 janvier 2022, le département a conclu, principalement, à l'irrecevabilité du recours, subsidiairement à son rejet.

La législation sur l'assurance-maladie était claire, le détenteur de l'éventuelle créance correspondant à la part cantonale était le fournisseur de prestations et non l'assureur-maladie qui n'était pas partie au rapport de droit trouvant son fondement dans les décisions relatives à la liste hospitalière. Selon la législation sur l'assurance-maladie, la part de rémunération dont le canton était débiteur était donc due au fournisseur de prestations qui était seul titulaire de la créance correspondante. Les droits auxquels était subrogé l'assureur social étaient ceux de l'assuré et non ceux du fournisseur de prestations.

En exigeant du département qu'il rende une décision sur ses prétentions, voire uniquement sur la compétence de l'autorité, A______ essayait de se ménager une voie de droit que la législation sur l'assurance-maladie ne prévoyait pas. Le recours en déni de justice ne pouvait servir à contourner une absence de voie de droit, en forçant l'autorité à rendre une décision contestable, afin de s'immiscer dans une relation de droit à laquelle la société n'était pas partie.

Dans son arrêt, le TAF avait considéré que l'ensemble des décisions qui avaient constitué la liste hospitalière et qui n'avaient pas été contestées, étaient entrées en vigueur définitivement. C'était donc à bon droit que le département s'était refusé à rendre une décision, y compris sur sa compétence.

En sollicitant à réitérées reprises le département pour qu'il rende une décision susceptible de recours, la société cherchait à faire reconnaître implicitement son supposé statut de créancière de la part cantonale, ce qu'elle n'était pas. Le refus du département de statuer par un acte attaquable ne privait pas A______ de faire valoir sa prétendue créance en justice.

10) Dans sa réplique du 10 mars 2022, A______ a rappelé que la planification hospitalière genevoise ne concernait pas que la clinique recourante devant le TAF. Elle disposait d'un intérêt digne de protection à voir le département rendre une décision susceptible de recours. Compte tenu de la subrogation légale de l'assureur dans les droits de ses assurés, le fait qu'elle ne serait pas partie au rapport juridique entre les prestataires de soins et le canton de Genève était irrelevant.

Contrairement à ce que semblait soutenir le département, les modalités de versement entre les entités concernées n'affectaient pas le rapport de l'obligation de base. Le fait que la part cantonale soit versée directement au prestataire de soins ne changeait rien au fait que l'assuré restait le détenteur et bénéficiaire de la prétention correspondante, au même titre que ce qui valait dans sa relation avec l'assureur social.

Par conséquent, les patients concernés étaient effectivement titulaires d'une créance à l'encontre du canton de Genève. En payant la part qu'il incombait au canton de Genève de prendre en charge, A______ était devenue titulaire de la créance de ses clients, en vertu de la subrogation légale prévue par la loi.

En échappant à son obligation légale de prendre en charge une partie des frais réclamés, le département s'était enrichi de façon illégitime au détriment de A______.

De telles considérations constituaient une cause garantissant le droit d'accès au juge, si bien que le département ne pouvait pas refuser de statuer.

11) Sur ce, la cause a été gardée à juger, ce dont les parties ont été informées par courrier du 11 mars 2022.

EN DROIT

1) a. En matière d'assurance-maladie, la chambre des assurances sociales connaît en instance cantonale de recours unique des contestations prévues à l'art. 56 de la loi fédérale sur la partie générale du droit des assurances sociales du 6 octobre 2000 (LPGA - RS 830.1), et qui sont relatives à la LAMal, opposant des assureurs et des assurés, à l'issue d'une procédure d'opposition (art. 52 al. 1 et 56 al. 2 LPGA ; art. 85 et 86 LAMal).

b. Dans sa jurisprudence, la chambre administrative a considéré qu'elle conservait la compétence résiduelle pour les litiges surgissant entre les autorités et des prestataires de soins (ATA/143/2020 du 11 février 2020 consid. 1a ; ATA/1049/2017 du 4 juillet 2017 consid. 1 ; ATA/922/2014 du 25 novembre 2014 consid. 2) et notamment pour statuer sur les recours relatifs au financement résiduel des frais d'hospitalisations extra-cantonales (ATA/284/2019 du 19 mars 2019 consid. 1 ; ATA/1049/2017 précité consid. 1).

c. En l'occurrence, la recourante soutient être subrogée à l'assuré dans les droits et prétentions qu'il détient à l'égard du canton de Genève par rapport à la part cantonale des coûts liés aux prestations hospitalières. De son côté, l'autorité intimée considère que la supposée créance appartient non pas à l'assureur mais au fournisseur de prestations.

Dès lors que, quelle que soit la position soutenue par les parties, le litige a trait à la part cantonale des coûts liés aux prestations hospitalières, il se justifie de s'inspirer de la jurisprudence précitée relative au financement résiduel des frais d'hospitalisations extra-cantonales et de considérer que la chambre administrative conserve sa compétence résiduelle pour ce type de litige.

Interjeté devant la juridiction compétente et non soumis à un délai en raison de l'objet du litige, le recours est recevable (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05).

2) La recourante se plaint d'un déni de justice.

a. Une partie peut recourir en tout temps pour déni de justice ou retard non justifié si l’autorité concernée ne donne pas suite rapidement à la mise en demeure prévue à l’art. 4 al. 4 LPA (art. 62 al. 6 LPA). Toutefois, lorsque l’autorité compétente refuse expressément de rendre une décision, les règles de la bonne foi (art. 5 al. 3 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 - Cst. - RS 101) imposent que le recours soit interjeté dans le délai légal, sous réserve éventuelle d’une fausse indication quant audit délai (ATA/939/2021 du 14 septembre 2021 consid. 3a ; ATA/1722/2019 du 26 novembre 2019 consid. 2b et les références citées).

b. Pour pouvoir se plaindre de l’inaction de l’autorité, encore faut-il que l’administré ait effectué toutes les démarches adéquates en vue de l’obtention de la décision qu’il sollicite (ATA/699/2021 du 2 juillet 2021 consid. 9b ; ATA/386/2018 du 24 avril 2018 consid. 2d). Les conclusions en déni de justice sont irrecevables lorsque le recourant n’a pas procédé à la mise en demeure prévue à l’art. 4 al. 4 LPA (ATA/1210/2018 du 13 novembre 2018 consid. 5c et 6).

c. Une autorité qui n’applique pas ou applique d’une façon incorrecte une règle de procédure, de sorte qu’elle ferme l’accès à la justice au particulier qui, normalement, y aurait droit, commet un déni de justice formel. Il en va de même pour l’autorité qui refuse expressément de statuer, alors qu’elle en a l’obligation. Un tel déni constitue une violation de l’art. 29 al. 1 Cst. (ATF 135 I 6 consid. 2.1).

En cas de recours contre la seule absence de décision, les conclusions ne peuvent tendre qu’à contraindre l’autorité à statuer (ATA/939/2021 précité consid. 3c ; ATA/699/2021 précité consid. 9c ; ATA/595/2017 du 23 mai 2017 consid. 6c). En effet, conformément à l’art. 69 al. 4 LPA, si la juridiction administrative admet le recours pour déni de justice ou retard injustifié, elle renvoie l’affaire à l’autorité inférieure en lui donnant des instructions impératives (ATA/373/2020 du 16 avril 2020 consid. 6a).

d. La reconnaissance d’un refus de statuer ne peut être admise que si l’autorité mise en demeure avait le devoir de rendre une décision ou, vu sous un autre angle, si le recourant avait un droit à en obtenir une de sa part (ATF 135 II 60 consid. 3.1.2 ; ATA/939/2021 précité consid. 3d ; ATA/7/2020 du 7 janvier 2020 consid. 3b). Au stade de l'examen de la recevabilité, la chambre de céans doit examiner si la décision dont l'absence est déplorée pourrait faire l'objet d'un recours devant elle au cas où ladite décision avait été prise et si le recourant disposerait de la qualité pour recourir contre elle (ATA/1245/2020 du 8 décembre 2020 consid. 2d ; ATA/386/2018 du 24 avril 2018 consid. 2d).

3) L'art. 2 de la loi d’application de la loi fédérale sur l’assurance-maladie du 29 mai 1997 (LaLAMal - J 3 05) prévoit que sous réserve des compétences attribuées par la LaLAMal au Grand Conseil, son application est confiée, dans le canton de Genève, au Conseil d’État, qui peut déléguer ses compétences au département responsable, à savoir le DSPS (art. 1 al. 2 du règlement d’exécution de la loi d’application de la loi fédérale sur l’assurance-maladie du 15 décembre 1997 - RaLAMal - J 3 05.01).

4) a. L'art. 72 al. 1 LPGA prévoit que dès la survenance de l’événement dommageable, l’assureur est subrogé, jusqu’à concurrence des prestations légales, aux droits de l’assuré et de ses survivants contre tout tiers responsable.

b. À teneur de l'art. 56 LPGA, les décisions sur opposition et celles contre lesquelles la voie de l’opposition n’est pas ouverte sont sujettes à recours (al. 1). Le recours peut aussi être formé lorsque l’assureur, malgré la demande de l’intéressé, ne rend pas de décision ou de décision sur opposition (al. 2).

5) a. Selon l'art. 42 LAMal, sauf convention contraire entre les assureurs et les fournisseurs de prestations, l’assuré est le débiteur de la rémunération envers le fournisseur de prestations. L’assuré a, dans ce cas, le droit d’être remboursé par son assureur (système du tiers garant). En dérogation à l’art. 22 al. 1 LPGA, ce droit peut être cédé au fournisseur de prestations (al. 1). Assureurs et fournisseurs de prestations peuvent convenir que l’assureur est le débiteur de la rémunération (système du tiers payant). En cas de traitement hospitalier, l’assureur, en dérogation à l’al. 1, est le débiteur de sa part de rémunération (al. 2).

b. Aux termes de l'art. 49a LAMal, les rémunérations au sens de l’art. 49 al. 1 LAMal sont prises en charge par le canton et les assureurs, selon leur part respective (al. 1). Les cantons prennent en charge la part cantonale des assurés qui résident sur leur territoire (al. 2 let. a). Chaque canton fixe pour chaque année civile, au plus tard neuf mois avant le début de de celle-ci, la part cantonale qu’il prend en charge. Celle-ci doit s’élever à 55 % au moins (al. 2ter, en vigueur depuis le 1er janvier 2019). Le canton de résidence verse sa part de la rémunération directement à l’hôpital. Les modalités sont convenues entre l’hôpital et le canton. L’assureur et le canton peuvent convenir que le canton paie sa part à l’assureur, et que ce dernier verse les deux parts à l’hôpital. La facturation entre l’hôpital et l’assureur est réglée à l’art. 42 LAMal (al. 3).

c. Selon l'art. 39 LAMal, les établissements et leurs divisions qui servent au traitement hospitalier de maladies aiguës ou à l’exécution, en milieu hospitalier, de mesures médicales de réadaptation (hôpitaux) sont admis s’ils garantissent une assistance médicale suffisante (al. 1 let. a), disposent du personnel qualifié nécessaire (al. 1 let. b), d’équipements médicaux adéquats et garantissent la fourniture adéquate des médicaments (al. 1 let. c), correspondent à la planification établie par un canton ou, conjointement, par plusieurs cantons afin de couvrir les besoins en soins hospitaliers, les organismes privés devant être pris en considération de manière adéquate (al. 1 let. d), figurent sur la liste cantonale fixant les catégories d’hôpitaux en fonction de leurs mandats (al. 1 let. e), s’affilient à une communauté ou à une communauté de référence certifiées au sens de l’art. 11 let. a de la loi fédérale sur le dossier électronique du patient du 19 juin 2015 (LDEP - RS 816.1) (al. 1 let. f). Les cantons coordonnent leurs planifications (al. 2).

d. Conformément à l'art. 58b de l'ordonnance sur l’assurance-maladie du 27 juin 1995 (OAMal - RS 832.102) en vigueur jusqu'au 1er janvier 2022, les cantons déterminent les besoins selon une démarche vérifiable. Ils se fondent notamment sur des données statistiquement justifiées et sur des comparaisons (al. 1). Ils déterminent l’offre utilisée dans des établissements qui ne figurent pas sur la liste qu’ils ont arrêtée (al. 2). Ils déterminent l’offre qui doit être garantie par l’inscription d’établissements cantonaux et extra-cantonaux sur la liste visée à l’art. 58e afin que la couverture des besoins soit assurée. Cette offre correspond aux besoins déterminés conformément à l’al. 1, déduction faite de l’offre déterminée conformément à l’al. 2 (al. 3). Lors de l’évaluation et du choix de l’offre qui doit être garantie par la liste, les cantons prennent notamment en compte le caractère économique et la qualité de la fourniture de prestations (al. 4 let. a), l’accès des patients au traitement dans un délai utile (al. 4 let. b), la disponibilité et la capacité de l’établissement à remplir le mandat de prestation selon l’art. 58e (al. 4 let. c). Lors de l’examen du caractère économique et de la qualité, les cantons prennent notamment en considération l’efficience de la fourniture de prestations (al. 5 let. a), la justification de la qualité nécessaire (al. 5 let. b), dans le domaine hospitalier, le nombre minimum de cas et l’exploitation des synergies (al. 5 let. c).

e. Dans un arrêt opposant un établissement hospitalier au Conseil d’État, le TAF a considéré, en résumé, que la planification hospitalière du canton de Genève ne respectait pas les critères de planification fixés dans le droit fédéral, tant concernant la détermination des besoins (art. 58b al. 1-3 OAMal) que l'évaluation et le choix de l'offre qui devait être garantie par la liste (art. 58b al. 4-5 OAMal). L'arrêté du 24 juin 2015, qui fixait les établissements cantonaux et hors canton figurant sur la liste hospitalière cantonale, à savoir les établissements admis dans la(es) mission(s) pour la(es)quelle(s) ils étaient mandatés à fournir des prestations à charge de l'assurance obligatoire des soins, dès le 1er janvier 2015, devait être annulé et la cause renvoyée au Conseil d’État pour nouvelle décision en menant préalablement une planification hospitalière conforme à la LAMal et l'OAMal. Cette planification permettrait de définir quels pôles d'activités (« missions ») devaient être attribués à l'établissement en cause, puis aboutirait à son inscription sur la liste hospitalière pour ces pôles d'activités. En outre, les limitations quantitatives de cas fixées par le Conseil d’État dans le mandat de prestations de l'établissement étaient notamment contraires au sens et à l'esprit de la loi (nouveau financement hospitalier par prestations), le canton s'étant écarté de sa marge d'appréciation, et violaient de plus le principe de l'égalité de traitement entre concurrents. Par conséquent, après avoir mené une planification hospitalière dans les règles prescrites, le canton de Genève ne pourrait pas reprendre les limitations quantitatives telles qu'appliquées dans le cas jugé par le TAF. Enfin, il avait été constaté que le budget global était le simple résultat du calcul du nombre de traitements accordés multiplié par le prix. Une des composantes de cette multiplication était illicite (à savoir les limitations du nombre de traitements), de sorte que le résultat (le budget global) était également illicite. Il en découlait que le Conseil d’État ne pourrait également pas reproduire le budget global tel qu'il avait été planifié par le biais d'un rapport établi par un expert indépendant en 2014 (arrêt du TAF C-5017/2015 consid. 26).

6) En l'espèce, la recourante a demandé, le 14 juin 2021, au Conseiller d’État en charge du DSPS le paiement de CHF 9'455'710.-, montant qui correspondait au total des prestations hospitalières qu'elle avait payées à cinq établissements médicaux sis dans le canton de Genève. Sa demande s'appuyait notamment sur l'arrêt du TAF précité. Elle a relancé le département en l'invitant à rendre une décision formelle sur ses prétentions financières les 28 juillet et 8 septembre 2021.

Dans ses courriers de réponses des 1er juillet, 19 août et 14 octobre 2021, le département ne s'est pas explicitement prononcé sur la demande de décision formulée par la recourante, se limitant à indiquer que la demande de la recourante était sans fondement aux motifs que l'arrêt du TAF concernait uniquement un des établissements genevois avec lequel le litige en cause était clos. En outre, le canton de Genève avait modifié son modèle de planification hospitalière depuis le 1er janvier 2020. Selon le département encore, s'il existait une créance correspondant à la part cantonale, celle-ci était détenue par le prestataire et non pas par l'assureur.

À première vue, l'arrêt du TAF précité n'est pas si clair quant à sa portée par rapport aux autres établissements médicaux qui figuraient sur la liste des hôpitaux admis par le canton de Genève mandatés à fournir des prestations à charge de l'assurance obligatoire des soins.

S'il est vrai qu'il est indiqué au consid. 4 de l'ATAF C-5017/2015 précité que les autres décisions de la liste hospitalière, qui n'ont pas été contestées, sont entrées en vigueur, l'illicéité de la planification hospitalière genevoise a malgré tout été constatée par le TAF aux consid. 8 à 15 de son arrêt, tant concernant la détermination des besoins (art. 58b al. 1-3 OAMal) que l'évaluation et le choix de l'offre qui devait être garantie par la liste (art. 58b al. 4-5 OAMal).

En outre, les prétentions de la recourante portent sur une période comprise entre janvier 2016 et décembre 2020, de sorte que la modification du modèle de planification hospitalière mise en place dès le 1er janvier 2020 a une portée limitée sur la demande financière en cause.

La question de l'application de la LPGA, en l'espèce, peut souffrir de rester indécise. En effet, le canton de Genève, en prenant en charge une part des prestations hospitalières en vertu de l'art. 49a LAMal, prend une position similaire à celle des assureurs (Philipp EGLI/Michael WALDNER in Basler Kommentar, Krankenversicherungsgesetz [KVG]/ Krankenversicherungs-aufsichtsgesetz [KVAG], 2020, n. 29 ad art. 49a LAMal), de sorte que la recourante apparaît potentiellement être titulaire d'une créance à l'encontre du canton si elle s'est effectivement acquittée auprès des prestataires de la part du canton (art. 42 al. 2 LAMal ; 49a al. 3 LAMal) et qu'elle dispose d'un droit à obtenir une décision sur ses prétentions fondées sur l'art. 49a al. 1 et al. 2 let. a LAMal.

Dans la mesure où les courriers de réponse du département ne sauraient être qualifiés de décision au sens de l'art. 4 LPA, ce que ne prétend d’ailleurs pas l’autorité intimée, et que comme analysé ci-dessus, la recourante dispose d'un droit à en obtenir une de sa part, le département doit rendre une décision formelle sujette à recours, à la suite de la demande explicite formée par celle-ci portant sur ses prétentions financières.

Compte tenu de ce qui précède, le recours sera admis.

7) Vu l’issue du litige, aucun émolument ne sera perçu (art. 87 al. 1 LPA), et aucune indemnité de procédure ne sera allouée à la recourante, celle-ci n’y ayant pas conclu (art. 87 al. 2 LPA).

 

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 17 novembre 2021 par A______ pour déni de justice à l’encontre du département de la sécurité, de la population et de la santé ;

au fond :

l'admet ;

renvoie le dossier au département de la sécurité, de la population et de la santé afin qu’il rende une décision dans le sens des considérants ;

dit qu'il n'est pas perçu d'émolument, ni alloué d’indemnité de procédure ;

dit que conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, Schweizerhofquai 6, 6004 Lucerne, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l'envoi ;

communique le présent arrêt à Me Nicolas Gillard, avocat de la recourante, ainsi qu'au département de la sécurité, de la population et de la santé.

Siégeant : Mme Payot Zen-Ruffinen, présidente, M. Verniory, Mmes Lauber et McGregor, M. Mascotto, juges.

Au nom de la chambre administrative :

le greffier-juriste :

 

 

F. Scheffre

 

 

la présidente siégeant :

 

 

F. Payot Zen-Ruffinen

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :