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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/253/2018

ATA/183/2018 du 27.02.2018 ( FPUBL ) , IRRECEVABLE

En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/253/2018-FPUBL ATA/183/2018

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 27 février 2018

 

dans la cause

 

M. A______
représenté par Me Robert Assael, avocat

contre

PRISON DE CHAMP-DOLLON

 



EN FAIT

1) Par lettre du 7 décembre 2017 notifiée le 9 décembre suivant, le directeur de la prison de Champ-Dollon (ci-après : la prison) s’est adressé au conseil de M. A______, agent de détention auprès de celle-ci depuis 2009, faisant suite à un entretien de service qui s’était déroulé le 14 juin 2017 ainsi qu’aux déterminations formulées par l’intéressé au cours dudit entretien et par courrier du 11 juillet 2017.

Il avait décidé de classer la procédure disciplinaire ouverte à son encontre, par gain de paix et afin de tenir compte du contexte particulier dans lequel les faits qui lui avaient été reprochés s’étaient déroulés.

L’attention de M. A______ était toutefois attirée sur le fait que la liberté d’expression syndicale n’était pas illimitée et que celui-ci devait, en tout temps, respecter ses devoirs de service (notamment ceux de réserve et de confidentialité) et s’abstenir de prendre position publiquement sur des situations particulières dont il avait eu connaissance dans le cadre de l’exercice de ses fonctions. De même, l’intéressé était invité, à l’avenir, à respecter la directive départementale concernant les interactions entre les collaborateurs du département de la sécurité et de l’économie (ci-après : DSE ou département) et les médias.

2) Par acte expédié le 22 janvier 2018 au greffe de la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative), M. A______ a formé recours contre cet écrit qu’il considérait comme une décision, concluant à ce qu’il soit annulé, à ce qu’il soit enjoint à la prison de continuer la procédure disciplinaire et à ce qu’une indemnité de procédure lui soit allouée.

3) Par lettre du 8 février 2018, la chambre administrative a transmis à la prison, pour information, cet acte de recours et le chargé de pièces annexé.

4) Pour le reste, les arguments du recourant ainsi que certains faits seront repris, en tant que de besoin, dans la partie en droit ci-après.

EN DROIT

1) a. Aux termes de l’art. 57 de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 (LPA-GE - E 5 10), sont susceptibles d’un recours : a) les décisions finales ; b) les décisions par lesquelles l’autorité admet ou décline sa compétence ; c) les décisions incidentes, si elles peuvent causer un préjudice irréparable ou si l'admission du recours peut conduire immédiatement à une décision finale qui permet d'éviter une procédure probatoire longue et coûteuse.

Sont considérées comme des décisions au sens de l’art. 4 al. 1 LPA les mesures individuelles et concrètes prises par l’autorité dans les cas d’espèce fondées sur le droit public fédéral, cantonal ou communal et ayant pour objet de créer, de modifier ou d’annuler des droits ou des obligations (let. a), de constater l’existence, l’inexistence ou l’étendue de droits, d’obligations ou de faits (let. b), de rejeter ou de déclarer irrecevables des demandes tendant à créer, modifier, annuler ou constater des droits ou obligations (let. c). Quant aux décisions fondées sur l’art. 4A LPA, elles portent sur des actes illicites de l’autorité compétente, qui sont fondés sur le droit fédéral, cantonal ou communal et qui touchent les droits ou obligations d’une personne ayant un intérêt digne de protection (art. 4A al. 1 LPA). Selon l’art. 4 al. 4 LPA, lorsqu’une autorité mise en demeure refuse sans droit de statuer ou tarde à se prononcer, son silence est assimilé à une décision.

En droit genevois, la notion de décision est calquée sur le droit fédéral (art. 5 de la loi fédérale sur la procédure administrative du 20 décembre 1968 -
PA - RS 172.021), ce qui est également valable pour les cas limites, ou plus exactement pour les actes dont l’adoption n’ouvre pas de voie de recours. Ainsi, de manière générale, les communications, opinions, recommandations et renseignements ne déploient aucun effet juridique et ne sont pas assimilables à des décisions, de même que les avertissements ou certaines mises en demeure (arrêts du Tribunal fédéral
8C_220/2011 du 2 mars 2012 ; 8C_191/2010 du 12 octobre 2010 consid. 6.1 ; 1C_408/2008 du 16 juillet 2009 consid. 2 ; ATA/48/2017 du 24 janvier 2017 consid. 2 ; Pierre MOOR/Étienne POLTIER, Droit administratif, vol. 2, 2011, pp. 179 ss n. 2.1.2.1 ss et 245 n. 2.2.3.3 ; Thierry TANQUEREL, Manuel de droit administratif, 2011, n. 783 ss). Ces dernières peuvent constituer des cas limites et revêtir la qualité de décisions susceptibles de recours, lorsqu’elles apparaissent comme des sanctions conditionnant ultérieurement l’adoption d’une mesure plus restrictive à l’égard du destinataire. Lorsque la mise en demeure ou l’avertissement ne possède pas un tel caractère, il n’est pas sujet à recours (Pierre MOOR/Étienne POLTIER, op. cit., p. 180, n. 2.1. 2.1 ; Alfred KÖLZ/Isabelle HÄNER/Martin BERTSCHI, Verwaltungsverfahren und Verwaltungsrechtspflege des Bundes, 3ème éd., 2013, p. 310 ; ATA/353/2017 du 28 mars 2017 consid. 3a ; ATA/715/2014 du 9 septembre 2014 consid. 3).

b. Un recours est dirigé contre le dispositif de la décision. Toutefois, les éléments des considérants auxquels le dispositif renvoie peuvent aussi faire l’objet du recours. Par contre, le recourant qui n’attaque que la motivation d’une décision n’aura pas la qualité pour agir faute d’intérêt à la modification du dispositif de celle-ci (ATF 115 V 416 ; ATA/547/2014 du 17 juillet 2014 consid. 2a ; Thierry TANQUEREL, op. cit., n. 1264).

2) a. S’appliquent aux agents de détention la loi sur l’organisation des établissements et le statut du personnel pénitentiaires du 3 novembre 2016 (LOPP - F 1 50), le règlement sur l'organisation des établissements et le statut du personnel pénitentiaires du 22 février 2017 (ROPP - F 1 50.01), ainsi que la loi générale relative au personnel de l’administration cantonale, du pouvoir judiciaire et des établissements publics médicaux du 4 décembre 1997 (LPAC - B 5 05), vu l’art. 1 al. 1 let. c LPAC, et le règlement d’application de la loi générale relative au personnel de l’administration cantonale, du pouvoir judiciaire et des établissements publics médicaux du 24 février 1999 (RPAC - B 5 05.01).

En vertu de l’art. 25 al. 1 LOPP, repris par l’art. 60 ROPP, l’agent de détention qui enfreint ses devoirs de service, soit intentionnellement, soit par négligence, peut faire l’objet, selon la gravité de la faute, des sanctions disciplinaires suivantes : a) le blâme ; b) les services supplémentaires ; c) la réduction du traitement pour une durée déterminée ; d) la dégradation pour une durée déterminée ; e) la révocation. À teneur de l’art. 26 LOPP, le directeur est compétent pour prononcer, après validation par la direction générale, le blâme et les services supplémentaires. Conformément à l’art. 27 al. 1 LOPP, avant le prononcé du blâme, des services supplémentaires ou de la réduction du traitement pour une durée déterminée, le membre du personnel pénitentiaire concerné est entendu par l’autorité compétente au sens de l’art. 26 LOPP et est invité à se déterminer sur les faits qui lui sont reprochés ; il peut se faire assister du conseil de son choix.

Les sanctions disciplinaires prévues par la LPAC, en son art. 16, sont le blâme, la suspension d'augmentation du traitement pendant une durée déterminée, la réduction de traitement à l'intérieur de la classe, le retour au statut d'employé en période probatoire pour une durée maximale de trois ans, la révocation. L’art. 30 LPAC prévoit que le membre du personnel qui fait l’objet d’un blâme peut porter l’affaire, dans un délai de dix jours, devant la conseillère ou le conseiller d’État chargé du département ou la direction générale de l’établissement (al. 1) et que le membre du personnel qui fait l’objet d’une sanction disciplinaire peut recourir à la chambre administrative (al. 2).

b. Aucune disposition légale ou réglementaire, pas même l’art. 44 RPAC qui traite de l’entretien de service, n’exclut le classement d’une procédure disciplinaire ou le simple choix du supérieur hiérarchique de ne pas aller plus avant dans une telle procédure, voire dans une procédure de licenciement.

3) a. En l’espèce, dans la convocation à l’entretien de service signée le 23 mai 2017 par le directeur de la prison, il était indiqué que, s’ils étaient avérés, les faits sur lesquels porterait l’entretien de service constituaient une violation des devoirs du recourant et étaient susceptibles de conduire au prononcé d’une sanction disciplinaire au sens de l’art. 25 LOPP.

À l’issue de l’entretien de service du 14 juin 2017, l’employeur a annoncé qu’il allait procéder à une appréciation de l’ensemble des éléments exposés lors de l’entretien et d’éventuelles observations complémentaires afin de se prononcer au sujet du prononcé d’une sanction disciplinaire au sens de l’art. 16 LPAC ; l’objectif fixé à l’intéressé était d’adopter, en tout temps et en tout lieu, et hors service, un comportement digne, respectueux d’autrui et exemplaire en matière de représentativité de la fonction publique en général.

Par courrier du 8 août 2017 concernant un des points qui avait fait l’objet de l’entretien de service du recourant du 14 juin 2017, le directeur de la prison a informé un autre gardien qu’un terme était mis à la procédure administrative en cours visant ce dernier.

b. Or, la lettre adressée le 7 décembre 2017 par le directeur de la prison au recourant et lui faisant part du classement de la procédure disciplinaire, non seulement ne lui infligeait aucune des sanctions disciplinaires prévues par les lois et règlement précités, mais également ne constatait pas une violation par l’intéressé de ses devoirs de service. L’expression « par gain de paix » et l’invitation qui lui était faite, à l’avenir, de respecter la directive départementale concernant les interactions entre les collaborateurs du DSE et les médias ne sauraient signifier que l’employeur retenait une violation de ladite directive ou d’autres devoirs de service.

Ce courrier n’excluait certes pas que le recourant ait pu commettre une violation de ses devoirs de service, mais ne reflétait, en tout état de cause et en analogie avec le droit pénal, pas le sentiment que celui-ci était coupable, ce qui, si l’on se plaçait sous l’angle du droit pénal, aurait violé la présomption d’innocence garantie par l’art. 6 § 2 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 (CEDH - RS 0.101) selon l’arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme du 28 octobre 2014 (requête n° 60101/09) invoqué par l’intéressé. À teneur dudit arrêt (consid. 32), il y a en effet une différence fondamentale entre le fait de dire que quelqu’un est simplement soupçonné d’avoir commis une infraction pénale – ce qui est conforme à l’esprit de l’art. 6 CEDH – et une déclaration judiciaire sans équivoque avançant, en l’absence de condamnation définitive, que l’intéressé a commis l’infraction en question.

C’est en vain que le recourant cite l’art. 319 du code de procédure pénale suisse du 5 octobre 2007 (CPP - RS 312.0) relatif aux motifs de classement. En effet, le CPP n’est pas applicable aux procédures disciplinaires du droit de la fonction publique, même si les sanctions disciplinaires sont régies par les principes généraux du droit pénal de sorte qu’elles ne sauraient être prononcées en l’absence de faute du fonctionnaire (ATA/1194/2017 du 22 août 2017 consid. 5b). Un classement en procédure pénale diffère de celui en procédure administrative notamment en ce qu’en vertu de l’art. 320 al. 4 CPP, une ordonnance de classement entrée en force équivaut à un acquittement. Au demeurant, en procédure pénale, le prévenu peut recourir contre un jugement se limitant à prononcer une déclaration de culpabilité tout en renonçant au prononcé d’une sanction (ATF 101 IV 324 consid. 1), mais non contre un jugement qui l’acquitterait, fût-ce au bénéfice du doute et alors même qu’il s’estimerait lésé dans les considérants (ATF 101 IV 327 consid. 2d ; arrêt du Tribunal fédéral 6P.195/2006, 6S.433/2006 du 9 décembre 2006 consid. 1), faute de l’intérêt pour recourir requis par l’art. 382 al. 1 CPP (Richard CALAME, in Commentaire romand, CPP, 2011, n. 7 ad art. 382 CPP).

c. Le recourant se prévaut de l’arrêt du Tribunal fédéral 8C_897/2012 du 2 avril 2013, à teneur duquel la révocation revêt l'aspect d'une peine et a un caractère plus ou moins infamant et peut avoir une influence sur la carrière professionnelle de la personne concernée, en particulier dans l'éventualité d'une nouvelle postulation pour un emploi dans la fonction publique, de sorte que
celle-ci, bien qu’ayant démissionné, conservait un intérêt digne de protection à l'annulation de la révocation litigieuse (consid. 3.4). Cet arrêt est toutefois sans rapport avec la présente cause, dans laquelle aucune sanction disciplinaire n’a été prononcée et l’intéressé est toujours en poste.

d. En définitive, la lettre du 7 décembre 2017 du directeur de la prison ne prononce aucune sanction disciplinaire ou toute autre mesure atteignant des droits ou obligations du recourant.

Elle ne conditionne pas non plus le prononcé ultérieur d’une telle sanction ou mesure. Elle ne lie en effet nullement l’employeur quant à la reconnaissance d’une violation par l’intéressé de ses devoirs de service. Le fait qu’elle contient des rappels quant à ses obligations professionnelles et une invitation à respecter une directive ne constitue aucunement une telle reconnaissance, ni ne saurait faire l’objet d’un contrôle par une autorité judiciaire.

La question de savoir si cette lettre constitue une décision souffrira de rester indécise compte tenu de ce qui suit.

e. Aux termes de l’art. 60 al. 1 LPA, ont qualité pour recourir les parties à la procédure qui a abouti à la décision attaquée (let. a) et toute personne qui est touchée directement par une décision et qui a un intérêt personnel digne de protection à ce qu’elle soit annulée ou modifiée (let. b). Le recourant doit avoir un intérêt pratique à l’admission du recours, qui doit être propre à lui procurer un avantage, de nature économique, matérielle ou idéale (ATF 138 II 162 consid. 2.1.2). Un intérêt digne de protection suppose un intérêt actuel à obtenir l’annulation de la décision attaquée, exigence qui s’apprécie non seulement au moment du dépôt du recours, mais aussi lors du prononcé de la décision sur recours (ATF 138 II 42 consid. 1).

Dans le cas présent, même si la lettre litigieuse avait été une décision, le recourant n’aurait pas eu un intérêt digne de protection pour la contester par un recours, dans la mesure où le classement de la procédure disciplinaire lui était favorable et où ledit courrier ne constatait pas une violation de ses devoirs de service.

4) Vu ce qui précède, l’acte de recours ne peut qu’être déclaré manifestement irrecevable, sans nécessité ou utilité d’une instruction préalable (art. 72 LPA).

5) Vu l’issue du litige, un émolument de CHF 1’000.- sera mis à la charge du recourant, qui succombe (art. 87 al. 1 LPA). Aucune indemnité de procédure ne sera allouée (art. 87 al. 2 LPA).

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

déclare irrecevable le recours interjeté le 22 janvier 2018 par M. A______ contre la lettre du directeur de la prison de Champ-Dollon du 7 décembre 2017 ;

met à la charge de M. A______ un émolument de CHF 1’000.- ;

dit qu’il n’est pas alloué d’indemnité de procédure ;

dit que, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral ;

- par la voie du recours en matière de droit public, s’il porte sur les rapports de travail entre les parties et que la valeur litigieuse n’est pas inférieure à CHF 15'000.- ;

- par la voie du recours en matière de droit public, si la valeur litigieuse est inférieure à CHF 15'000.- et que la contestation porte sur une question juridique de principe ;

- par la voie du recours constitutionnel subsidiaire, aux conditions posées par les art. 113 ss LTF, si la valeur litigieuse est inférieure à CHF 15'000.- ;

le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, Schweizerhofquai 6, 6004 Lucerne, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;

communique le présent arrêt à Me Robert Assael, avocat du recourant, ainsi qu'à la prison de Champ-Dollon.

Siégeant : Mme Payot Zen-Ruffinen, présidente, M. Thélin, Mme Krauskopf, MM. Pagan et Verniory, juges.

Au nom de la chambre administrative :

la greffière-juriste :

 

 

S. Hüsler Enz

 

 

la présidente siégeant :

 

 

F. Payot Zen-Ruffinen

 

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

la greffière :