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Décisions | Chambre Constitutionnelle

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A/2955/2018

ACST/20/2018 du 20.09.2018 ( ABST ) , REFUSE

RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

A/2955/2018-ABST ACST/20/2018

COUR DE JUSTICE

Chambre constitutionnelle

Décision du 20 septembre 2018

Sur effet suspensif

dans la cause

 

Monsieur A______

contre

GRAND CONSEIL

 


 

Attendu, en fait, que :

1. Le 7 novembre 2017, un groupe de députés a déposé un projet de loi (ci-après : PL) modifiant la loi sur l'organisation des institutions de droit public, du 22 septembre 2017 (LOIDP - A 2 24), projet qui a été enregistré sous numéro de PL 12214.

Selon la nouvelle teneur proposée de l'art. 17 al. 1 let. b LOIDP – seul objet du PL –, la qualité de membre du conseil d'une institution de droit public était incompatible avec celle de député au Grand Conseil.

2. Le PL 12214 a été adopté le 24 mai 2018. La nouvelle teneur de l'art. 17 al. 1 let. b LOIDP était la suivante :

Art. 17, al. 1, lettre b (nouvelle, les lettres b et c anciennes devenant les lettres c et d)

1 La qualité de membre d'un conseil est incompatible avec celles :

b) de député au Grand Conseil. Cette restriction s'applique uniquement aux établissements de droit public principaux définis à l'article 3, alinéa 1 de la présente loi.

3. En l'absence de référendum, la loi 12214 a été promulguée par arrêté du Conseil d'État du 25 juillet 2018, publié dans la Feuille d'avis officielle de la République et canton de Genève (ci-après : FAO) du 27 juillet 2018, et est entrée en vigueur, conformément à son art. 2 souligné, le 28 juillet 2018.

4. Par acte déposé le 30 août 2018, Monsieur A______ a interjeté recours auprès de la chambre constitutionnelle de la Cour de justice (ci-après : la chambre constitutionnelle) contre la loi 12214, concluant principalement à son annulation, sans prendre de conclusions préalables.

La loi attaquée pouvait être contraire à l'art. 83 de la Constitution de la République et canton de Genève du 14 octobre 2012 (Cst-GE - A 2 00), seule une interprétation extensive de cette disposition permettant de donner une assise constitutionnelle à l'incompatibilité litigieuse.

La loi 12214 violait en outre l'égalité de traitement, l'incompatibilité introduite ne visant que les conseils d'administration des établissements publics autonomes importants, alors que des problèmes identiques de conflits d'intérêt existaient chez les administrateurs d'autres entités publiques décentralisées, ou encore pour les fonctionnaires admis à siéger comme députés, ou encore pour les membres de certaines professions tels qu'avocats ou entrepreneurs qui pouvaient siéger dans des commissions les concernant directement, soit respectivement la commission législative et celle des travaux. Il y avait même dans la composition actuelle du Grand Conseil un député membre du conseil d'administration de la Banque cantonale de Genève, dont le Conseil d'État était pourtant l'autorité de contrôle.

La loi attaquée soulevait plus de problèmes qu'elle n'en résolvait, ce qui apparaissait clairement à la lecture des deux rapports de minorité.

5. Par courrier du 3 septembre 2018, M. A______ s'est derechef adressé à la chambre constitutionnelle et a formulé une demande de restitution (recte : d'octroi) de l'effet suspensif à son recours.

Il n'existait aucune urgence imposant la mise en application immédiate de la loi 12214 avant que sa conformité au droit n'ait été, le cas échéant, confirmée.

Lui-même était titulaire d'un mandat d'administrateur d’un établissement public autonome, sur la base combinée de son appartenance politique et de sa longue expérience ainsi que de sa connaissance approfondie des institutions – critère essentiel que la loi querellée « mettait en pièces ».

6. Le 17 septembre 2018, le Grand Conseil s'en est rapporté à justice sur la demande d'effet suspensif. Il relevait néanmoins que les élections pour les conseils en cause étaient prévues lors de la session des 20 et 21 septembre 2018, pour une entrée en fonction le 1er décembre 2018 ; afin de garantir au mieux l'organisation de ces élections et le renouvellement des conseils, une décision la plus rapide possible serait idéale.

7. Sur ce, la cause a été gardée à juger sur la question de l'effet suspensif.

Considérant, en droit, que :

1. L’examen de la recevabilité du recours est reporté à l'arrêt au fond, étant précisé qu’il n’apparaît pas prima facie que les conditions de recevabilité ne seraient pas remplies.

2. a. Selon l’art. 66 de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 (LPA - E 5 10), en cas de recours contre une loi constitutionnelle, une loi ou un règlement du Conseil d’État, le recours n’a pas d'effet suspensif (al. 2) ; toutefois, lorsqu'aucun intérêt public ou privé prépondérant ne s’y oppose, la juridiction de recours peut, sur la demande de la partie dont les intérêts sont gravement menacés, restituer l’effet suspensif (al. 3). D’après l'exposé des motifs du projet de loi portant mise en œuvre de la chambre constitutionnelle, en matière de recours abstrait, l’absence d’effet suspensif automatique se justifie afin d’éviter que le dépôt d’un recours bloque le processus législatif ou réglementaire, la chambre constitutionnelle conservant toute latitude pour octroyer, totalement ou partiellement, l'effet suspensif lorsque les conditions légales en sont données (PL 11311, p. 15).

b. Lorsque l'effet suspensif a été retiré ou n'est pas prévu par la loi, l'autorité de recours doit examiner si les raisons pour exécuter immédiatement la décision entreprise sont plus importantes que celles justifiant le report de son exécution. Elle dispose d'un large pouvoir d'appréciation, qui varie selon la nature de l'affaire. La restitution de l'effet suspensif est subordonnée à l'existence de justes motifs, qui résident dans un intérêt public ou privé prépondérant à l’absence d’exécution immédiate de la décision ou de la norme (arrêt du Tribunal fédéral 2C_1161/2013 du 27 février 2014 consid. 5.5.1). Pour effectuer la pesée des intérêts en présence (arrêt du Tribunal fédéral 8C_239/2014 du 14 mai 2014 consid. 4.1), l'autorité de recours n'est pas tenue de procéder à des investigations supplémentaires, mais peut statuer sur la base des pièces en sa possession (ATF 117 V 185 consid. 2b ; arrêt du Tribunal fédéral 1C_435/2008 du 6 février 2009 consid. 2.3 et les arrêts cités).

L'octroi de mesures provisionnelles – au nombre desquelles figure l'effet suspensif (Philippe WEISSENBERGER / Astrid HIRZEL, Der Suspensiveffekt und andere vorsorgliche Massnahmen, in Isabelle HÄNER / Bernhard WALDMANN [éd.], Brennpunkte im Verwaltungsprozess, 2013, 61-85, p. 63) – présuppose l'urgence, à savoir que le refus de les ordonner crée pour l'intéressé la menace d'un dommage difficile à réparer (ATF 130 II 149 consid. 2.2 ; 127 II 132 consid. 3 = RDAF 2002 I 405). En matière de contrôle abstrait des normes, l’octroi de l’effet suspensif suppose en outre notamment que les chances de succès du recours apparaissent manifestes (Stéphane GRODECKI / Romain JORDAN, Code annoté de procédure administrative genevoise, 2017, n. 835 ss ; Claude-Emmanuel DUBEY, La procédure de recours devant le Tribunal fédéral, in François BELLANGER / Thierry TANQUEREL [éd.], Le contentieux administratif, 2013, 137-178, p. 167).

3. a. En l’espèce, la loi 12214 est entrée en vigueur le 28 juillet 2018. Si le recourant n'a certes pas attendu le dernier jour du délai de recours, prolongé en l'espèce au vendredi 14 septembre 2018 par le biais des suspensions de délais prévues par l'art. 63 al. 1 let. b LPA, il a déposé son acte de recours le 30 août 2018, soit plus d'un mois après la publication de l'arrêté de promulgation, ceci sans conclure à ce moment à l'octroi de l'effet suspensif. Celui-ci a été demandé quelques jours plus tard, soit le 3 septembre 2018, sans que le recourant précise que le Grand Conseil était appelé à élire les membres des conseils des institutions de droit public les 20 et 21 septembre 2018, ni sans indiquer si lui-même ou d'autres députés avaient déposé leur candidature. Il apparaît dans ces conditions difficile de retenir une urgence à ce que la loi attaquée, qui est déjà entrée en vigueur, soit suspendue dans ses effets jusqu'à droit jugé, étant rappelé que le principe posé par le législateur en matière de contrôle abstrait des normes est l'absence d'effet suspensif.

b. S'agissant par ailleurs des chances de succès du recours, la question de la conformité à l'art. 83 Cst-GE a été examinée lors des débats en commission parlementaire, et les différents experts entendus, qu'il s'agisse du président de la Cour des comptes ou des deux spécialistes du droit constitutionnel, ont tous considéré que la disposition considérée ne faisait pas obstacle à l'adoption de la loi 12214.

En outre, de jurisprudence constante, un arrêté de portée générale viole le principe de l'égalité lorsqu'il établit des distinctions juridiques qui ne se justifient par aucun motif raisonnable au regard de la situation de fait à réglementer ou lorsqu'il omet de faire des distinctions qui s'imposent au vu des circonstances, le législateur disposant toutefois d'un large pouvoir d'appréciation dans le cadre de ces principes et de l'interdiction de l'arbitraire (ATF 143 V 139 consid. 6.2.3 ; 143 I 367 consid. 5.1 ; 139 I 242 consid. 5.1 ; 136 I 1 consid. 4.1 et les arrêts cités). En fonction de ce large pouvoir d'appréciation, et dans la mesure où le recourant donne dans son recours plus d'arguments en faveur d'un élargissement des incompatibilités qu'en faveur d'une suppression de celle retenue par le Grand Conseil dans la loi attaquée, on doit admettre, dans le cadre de l'examen prima facie qui prévaut à ce stade, que les chances de succès du recours ne sont pas suffisamment manifestes pour permettre l'octroi de l'effet suspensif.

4. La demande d'octroi de l'effet suspensif sera dès lors refusée, et le sort des frais réservé jusqu'à droit jugé au fond.

Vu le recours interjeté le 30 août 2018 par Monsieur A______ contre la loi 12214 du 24 mai 2018 ;

Vu l’art. 66 al. 2 et 3 de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 (LPA - E 5 10).

LA CHAMBRE CONSTITUTIONNELLE

refuse d'octroyer l’effet suspensif au recours ;

réserve le sort des frais de la procédure jusqu’à droit jugé au fond ;

dit que conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), la présente décision peut être portée dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. La présente décision et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;

communique la présente décision, en copie, à Monsieur A______ ainsi qu'au Grand Conseil.

Le président :

 

Jean-Marc Verniory

Copie conforme de cette décision a été communiquée aux parties.

Genève, le la greffière :