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Décisions | Chambre pénale de recours

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P/21583/2014

ACPR/827/2023 du 23.10.2023 sur OMP/13631/2023 ( MP ) , ADMIS/PARTIEL

Recours TF déposé le 29.11.2023, rendu le 23.04.2024, REJETE, 6B_1319/2023
Descripteurs : HONORAIRES;AVOCAT D'OFFICE;PRESCRIPTION
Normes : CPP.135; CO.128

république et

canton de Genève

POUVOIR JUDICIAIRE

P/21583/2014 ACPR/827/2023

COUR DE JUSTICE

Chambre pénale de recours

Arrêt du lundi 23 octobre 2023

 

Entre

A______, avocat, p.a. B______, ______ [GE], agissant en personne,

recourant,

contre l'ordonnance rendue le 21 juillet 2023 par le Ministère public,

et

LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B, 1213 Petit-Lancy - case postale 3565, 1211 Genève 3,

intimé.


EN FAIT :

A. Par lettre expédiée le 3 août 2023 au Ministère public, qui l'a transmise à la Chambre de céans le 5 septembre 2023, Me A______ recourt contre l'ordonnance du 21 juillet 2023, communiquée par pli simple, par laquelle le Ministère public a constaté la prescription de sa créance d'honoraires d'avocat d'office dans la procédure P/21583/2014.

Le recourant conclut à l'annulation de cette décision et à l'octroi de l'indemnité requise, sous suite de frais et dépens.

B. Les faits pertinents suivants ressortent du dossier :

a. Par décision du 10 novembre 2014, Me A______ a été désigné défenseur d'office de C______ dans le cadre de la procédure P/21583/2014. Il l'a notamment assisté, par le truchement d'une stagiaire, lors d'une audience devant le Ministère public le 4 décembre 2014.

b. Par "ordonnance pénale et de non-entrée en matière partielle" du même jour, le Ministère public a, d'une part, reconnu C______ coupable de vol par métier et en bande (art. 139 ch. 1, 2 et 3 CP) ainsi que d'infraction à l'art. 115 al. 1 let. a LEtr (désormais LEI), et, d'autre part, décidé de ne pas entrer en matière sur le vol d'une somme d'argent de CHF 80.-.

Cette décision n'a fait l'objet d'aucune contestation.

c. Par lettre du 9 juin 2023 adressée au Service de l'assistance juridique, qui l'a transmise au Ministère public, Me A______ a remis son état de frais couvrant l'ensemble de l'activité déployée dans le cadre de la procédure précitée. Il a également produit une facture d'interprète de CHF 80.- relative à une visite à la prison de D______ le 19 novembre 2014. Il indiquait avoir "valablement interrompu" la prescription, précisant que "les pièces utiles" étaient "à disposition".

C. Se référant à l'art. 135 al. 2 CPP et à un arrêt rendu par la Chambre de céans le 13 septembre 2017 (ACPR/618/2017), le Ministère public, constatant que la créance d'honoraires de Me A______ était prescrite, a refusé de procéder à la taxation demandée.

D. a. Dans son courrier du 3 août 2023, Me A______ a prié le Ministère public de reconsidérer sa décision. Tout d'abord, la prescription avait été interrompue en 2017, 2018 et 2019, "notamment" par un "acte de poursuite". Il "offrait de le prouver" par "différentes pièces" et l'audition de son ancienne assistante, laquelle avait eu "de nombreux contacts" avec le Greffe de l'assistance juridique "dans ce but". Ensuite, ses frais d'interprète, qui constituaient des débours, devaient lui être remboursés.

b. Le Ministère public a persisté dans sa décision et transmis le courrier précité à la Chambre de céans – comme valant recours –, le 5 septembre 2023.

EN DROIT :

1.             Traitée comme un recours, la lettre du 3 août 2023 est recevable pour avoir été déposée selon la forme et – les formalités de notification (art. 85 al. 2 CPP) n'ayant pas été observées – dans le délai prescrits (art. 385 al. 1 et 396 al. 1 CPP), concerner une décision sujette à recours auprès de la Chambre de céans (art. 135 al. 3 let. a CPP) et émaner du défenseur d'office, qui a qualité pour recourir (art. 382 al. 1 CPP).

2.             Le recourant critique le refus du Ministère public de lui octroyer l'indemnité sollicitée pour son activité de défenseur d'office dans la procédure P/21583/2014.

2.1.  Selon l'art. 135 al. 5 CPP, la prétention de la Confédération ou du canton se prescrit par dix ans à compter du jour où la décision est entrée en force. Comme ceci ressort du texte légal, la prétention considérée est celle qui est ouverte (contre le prévenu) à la Confédération ou au canton qui a conduit la procédure, au sens de l'art. 135 al. 4 CPP. La créance du défenseur d'office se prescrit, elle, par cinq ans, conformément à l'art. 128 ch. 3 CO. Le délai de prescription commence à courir dès la fin du mandat du défenseur d’office, soit dès l’entrée en force de la décision finale (arrêts du Tribunal fédéral 6B_546/2018 du 16 août 2018 consid. 7 et 6B_1198/2017 du 18 juillet 2018 consid. 6 ; Y. JEANNERET / A. KUHN / C. PERRIER DEPEURSINGE (éds), Commentaire romand : Code de procédure pénale suisse, 2ème éd., Bâle 2019, n. 33 ad art. 135). En effet, l'art. 135 al. 5 CPP ne mentionne pas le défenseur d'office en raison d'un silence qualifié du législateur (M. NIGGLI / M. HEER / H. WIPRÄCHTIGER, Schweizerische Strafprozessordnung /Schweizerische Jugendstrafprozessordnung, Basler Kommentar StPO/JStPO, 3ème éd., Bâle 2023, n. 30 ad art. 135), car il n'y a pas de raison que cette créance-là se prescrive différemment d'une créance ordinaire d'avocat (ibid.).

2.2.1. Selon l'art. 128 ch. 3 CO, se prescrivent par cinq ans, notamment, les actions des avocats pour leurs services professionnels. La prescription court dès que la créance est exigible (art. 130 al. 1 CO).

2.2.2. Si le créancier est rattaché à une catégorie professionnelle mentionnée par cette dernière disposition, toutes les créances issues de services spécifiques à celle-ci sont soumises au délai quinquennal. L'art. 128 ch. 3 CO ne s’applique donc pas à toutes les créances d’une catégorie professionnelle, mais uniquement à celle dont l’activité ayant donné lieu à la créance entre dans le cadre spécifique défini par la loi. Il faut dès lors que deux conditions soient remplies: premièrement, offrir au client, pour le moins de manière prépondérante, des connaissances juridiques spécifiques destinées à la mise en œuvre immédiate du droit (à l’exclusion des simples prestations de bureau,) et, deuxièmement, pouvoir être rattaché à l’une des catégories explicitement mentionnées à l'article susmentionné. Ainsi, les prétentions d’un avocat en remboursement des dépenses qu’il a avancées pour son client ne sont pas soumises au délai de l'art. 128 ch. 3 CO mais au délai ordinaire de dix ans de l'art. 127 CO (L. THEVENOZ / F. WERRO (éds), Commentaire romand : Code des obligations I, 3ème éd., Bâle 2021, n. 25 ad art. 128 et la référence citée).

L’art. 128 ch. 3 CO consacre une exception à la règle des dix ans et doit dès lors être interprété restrictivement (ATF 147 III 78 consid. 6.7).

2.3.1. À la lumière de ce qui précède, le mandat d'office du recourant a pris fin avec le prononcé de l'ordonnance pénale et de non-entrée en matière partielle du 4 décembre 2014 qui, faute d'avoir été contestée, est entrée en force. Partant, le délai quinquennal prévu à l'art. 128 ch. 3 CO, qui court depuis cette date (art. 437 al. 2 CPP), est arrivé à échéance le 4 décembre 2019.

Or, le recourant a fait parvenir au Ministère public son état de frais le 9 juin 2023. Par conséquent, à cette date, sa créance était prescrite depuis plus de trois ans et demi et on ne voit pas quel acte interruptif de prescription, au sens de l'art. 135 CO, serait intervenu dans l'intervalle. En effet, le recourant, qui allègue avoir interrompu la prescription à plusieurs reprises, en particulier par "un acte de poursuite", ne fournit aucune précision ni ne produit le moindre document à ce sujet. S'il évoque des pièces qu'il détiendrait, il n'explique pas pourquoi il ne les a pas produites devant le Ministère public ou, au plus tard, à l'appui de son recours, étant précisé qu'il est, selon ses propres dires, en possession de ces documents depuis, à tout le moins, le jour du dépôt de sa demande d'indemnisation. Pour le surplus, il ne donne aucune information sur la teneur des échanges que son ancienne assistante aurait eus avec le Service de l'assistance juridique. En tout état, il ne prétend ni ne démontre que ledit Service aurait renoncé à se prévaloir de la prescription pour l'état de frais litigieux, étant précisé qu'il est douteux que celui-ci soit compétent pour statuer sur ce point.

Il s'ensuit que le Ministère public était fondé à constater que la prescription faisait obstacle à l'indemnisation du recourant.

Le recours sera donc rejeté sur ce point.

2.3.2. En revanche, le Ministère public n'a pas retenu de débours, alors que le recourant a produit une facture d'interprète datée du 19 novembre 2014, d'un montant de CHF 80.-, qu'il y a lieu de lui rembourser (art. 422 al. 2 let. b CPP). En effet, au vu des principes sus-rappelés, les prétentions d'un avocat en remboursement des dépenses qu'il a avancées pour son client ne sont pas soumises au délai de l'art. 128 ch. 3 CO – disposition qui doit être interprétée restrictivement – mais au délai ordinaire de dix ans de l'art. 127 CO. Dans ces circonstances, cette prétention n'était pas prescrite.

3.             Le recours sera donc admis sur ce seul point et l'ordonnance querellée réformée dans ce sens, ce que la Chambre de céans pouvait, par souci d'économie de procédure, décider sans échanges d'écritures ni débats (art. 390 al. 2 et 5 a contrario CPP), le Ministère public ayant persisté dans sa décision à la lumière du courrier du recourant du 3 août 2023 valant recours contre celle-ci.

4.             Le recourant, qui succombe dans une large mesure, supportera les trois quarts des frais de la procédure de recours, fixés en totalité à CHF 900.-, soit CHF 675.- (art. 428 al. 1 CPP et 13 al. 1 du Règlement fixant le tarif des frais en matière pénale, RTFMP ; E 4 10.03), le solde étant laissé à la charge de l'État.

5.             Le recourant sollicite l'octroi d'une indemnité pour la procédure de recours, qu'il n'a pas chiffrée.

5.1.  Le défenseur d'office a droit à des dépens lorsqu'il conteste avec succès une décision d'indemnisation (ATF 125 II 518 consid. 5; arrêts du Tribunal fédéral 6B_1251/2016 du 19 juillet 2017 consid. 4 et 6B_439/2012 du 2 octobre 2012 consid. 2).

5.2.  En l'espèce, compte tenu de l'admission très partielle de son recours et de la brièveté de son écriture (une page), il se justifie de lui allouer, à titre d'indemnité, un montant de CHF 107.70, correspondant à 30 minutes d'activité au tarif horaire de CHF 200.-, TVA à 7.7 % incluse.

6.             Conformément à l'art. 442 al. 4 CPP, la créance de l'État fondée sur les frais de procédure sera compensée à due concurrence avec le montant alloué au recourant à titre d'indemnité.

* * * * *


 

PAR CES MOTIFS,
LA COUR :


Admet très partiellement le recours.

Annule l'ordonnance querellée en tant qu'elle n'a pas retenu de débours et fixe à CHF 80.- le montant dû à Me A______ à titre de remboursement des frais d'interprète.

Rejette le recours pour le surplus.

Condamne Me A______ aux trois quarts des frais de la procédure de recours, fixés en totalité à CHF 900.-, soit CHF 675.-, le solde étant laissé à la charge de l'État.

Alloue à Me A______, à la charge de l'État, une indemnité de CHF 107.70, (TVA à 7.7 % incluse) pour la procédure de recours.

Dit que le montant des frais mis à la charge de Me A______ sera compensé à due concurrence avec l'indemnité qui lui est allouée.

Notifie le présent arrêt, en copie, au recourant et au Ministère public.

Siégeant :

Monsieur Christian COQUOZ, président; Mesdames Corinne CHAPPUIS BUGNON et Alix FRANCOTTE CONUS, juges; Madame Oriana BRICENO LOPEZ, greffière.

 

La greffière :

Oriana BRICENO LOPEZ

 

Le président :

Christian COQUOZ

 

 

 

 

 

 

Voie de recours :

 

Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière pénale au sens de l'art. 78 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110); la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 78 à 81 et 90 ss LTF. Le recours doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14. Les mémoires doivent être remis au plus tard le dernier jour du délai, soit au Tribunal fédéral soit, à l'attention de ce dernier, à La Poste Suisse ou à une représentation diplomatique ou consulaire suisse (art. 48 al. 1 LTF).

P/21583/2014

ÉTAT DE FRAIS

 

 

 

 


COUR DE JUSTICE

 

 

 

Selon le règlement du 22 décembre 2010 fixant le tarif des frais en matière pénale (E 4 10.03).

 

Débours (art. 2)

 

 

- frais postaux

CHF

10.00

Émoluments généraux (art. 4)

 

 

- délivrance de copies (let. a)

CHF

- délivrance de copies (let. b)

CHF

- état de frais (let. h)

CHF

75.00

Émoluments de la Chambre pénale de recours (art. 13)

 

 

- décision sur recours (let. c)

CHF

815.00

Total

CHF

900.00