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Décisions | Chambre des baux et loyers

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C/25405/2010

ACJC/74/2015 du 26.01.2015 sur JTBL/698/2014 ( OBL ) , JUGE

Descripteurs : COMPÉTENCE RATIONE MATERIAE
Normes : CPC.321.1; aLJP.1.a; aLOJ.56M
En fait
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

C/25405/2010 ACJC/74/2015

ARRÊT

DE LA COUR DE JUSTICE

Chambre des baux et loyers

du LUNDI 26 JANVIER 2015

 

Entre

B______ et A______, domiciliés ______, recourants contre un jugement rendu par le Tribunal des baux et loyers le 20 juin 2014, représentés par l'ASLOCA, rue du Lac 12, case postale 6150, 1211 Genève 6, en les bureaux de laquelle ils font élection de domicile,

et

C______, ayant son siège ______, comparant par Me Raphaël Cristiano, avocat, rue de la Coulouvrenière 29, case postale 5710, 1211 Genève 11, en l'étude duquel elle fait élection de domicile.


EN FAIT

A. Par jugement du 20 juin 2014, expédié pour notification aux parties le même jour, le Tribunal des baux et loyers (ci-après : le Tribunal) a condamné A______ et B______ à évacuer immédiatement de leur personne, de leurs biens et de tout tiers dont ils sont responsables, l'appartement de trois pièces situé au 5ème étage de l'immeuble sis place ______ à Genève (ch. 1 du dispositif), débouté les parties de toutes autres conclusions (ch. 2) et dit que la procédure était gratuite (ch. 3).

B. a. Par acte déposé le 21 juillet 2014 au greffe de la Cour de justice, B______ et A______ recourent contre ce jugement, dont ils sollicitent l'annulation. Ils concluent à ce que l'incompétence du Tribunal soit constatée, à ce que l'intimée soit invitée à mieux agir et déboutée de toutes autres conclusions.

b. Dans sa réponse du 15 septembre 2014, C______ conclut au rejet du recours, à ce que B______ et A______ soient déboutés de toutes leurs conclusions et à la confirmation du jugement entrepris.

c. Les parties ont été avisées le 17 octobre 2014 par le greffe de la Cour de ce que la cause était gardée à juger, B______ et A______ n'ayant pas fait usage de leur droit de réplique.

C. Les éléments suivants résultent de la procédure :

a. Le 7 octobre 2002, A______ (ci-après : la concierge) a été engagée en qualité de concierge par le propriétaire des immeubles sis place ______ et rue des ______ à Genève. Son engagement a fait l'objet de deux contrats de conciergerie distincts.

Selon lesdits contrats, la concierge était engagée dès le 1er octobre 2002 pour une durée indéterminée, moyennant paiement d'un salaire brut mensuel fixé à 800 fr. Sous l'intitulé "logement de service", l'art. 9 stipule que "la jouissance du logement mis à disposition du concierge, en raison même de la nature particulière du service de conciergerie, ne peut être dissociée du contrat de travail. Le concierge s'engage donc à le restituer en parfait état d'entretien à l'expiration du présent contrat et à le rendre disponible dès cette date". Le loyer mensuel de l'appartement était fixé à 640 fr.

En octobre 2009, C______ est devenue propriétaire des immeubles sis place ______ et rue des ______ à Genève.

b. Par courrier du 12 avril 2010, C______ (ci-après : la propriétaire) a résilié le contrat de conciergerie pour le 31 juillet 2010. Elle expliquait que cette résiliation concernait tant l'activité de concierge dans les immeubles susmentionnés que la mise à disposition de l'appartement de service de trois pièces situé au 5ème étage de l'immeuble sis place ______ à Genève. Copie de ce courrier a également été adressée à B______, conjoint de la concierge.

Par deux avis du même jour adressés tant à la concierge qu'à son époux, la propriétaire a résilié "à toutes fins utiles et en tant que de besoin uniquement" le bail de l'appartement pour ce même 31 juillet 2010.

c. Par acte du 12 mai 2010 adressé à la Commission de conciliation en matière de baux et loyers, la concierge et son époux ont contesté le congé (cause C/______).

ci. Par décision du 2 mars 2011, la Commission de conciliation a déclaré la requête recevable et a annulé le congé.

cii. La propriétaire a saisi le Tribunal le 1er avril 2011, concluant notamment à l'irrecevabilité de la requête en contestation du congé, en raison de l'incompétence ratione materiae de cette juridiction.

Par jugement du 13 mars 2012, le Tribunal s'est déclaré compétent à raison de la matière - estimant que les éléments relevant du contrat de bail étaient prédominants par rapport à ceux du contrat de travail - et a annulé le congé notifié le 12 avril 2010.

ciii. Par arrêt du 21 janvier 2013, la Chambre des baux et loyers de la Cour de justice a confirmé ce jugement (ACJC/______).

civ. Saisi d'un recours en matière civile, le Tribunal fédéral a considéré, par arrêt ______ du 17 octobre 2013, que l'aspect du contrat de travail constituait la prestation prépondérante du contrat de conciergerie liant les parties et que, partant, la résiliation dudit contrat de conciergerie obéissait aux règles applicables en matière de droit du travail. Dès l'instant où le droit de la concierge de faire usage de l'appartement de service s'éteignait automatiquement avec la fin du rapport de travail, tout litige à ce sujet dépendait de l'application des règles sur le contrat de travail. Le Tribunal fédéral a ainsi admis le recours, annulé l'arrêt attaqué et prononcé l'irrecevabilité de la requête en contestation du congé déposée devant la juridiction des baux et loyers, en raison de l'incompétence de cette dernière pour statuer sur un litige relevant du droit du travail.

d. En parallèle à la procédure précitée, la propriétaire a introduit, le 7 octobre 2010, une requête en évacuation (objet de la présente procédure) devant la Commission de conciliation en matière de baux et loyers, concluant à ce que la concierge et son mari soient condamnés à évacuer de leur personne et de leurs biens l'appartement de trois pièces situé au 5ème étage de l'immeuble sis ______ à Genève.

D'entente entre les parties, la cause a été suspendue, par jugement du 21 juin 2011, jusqu'à droit jugé dans la cause C/______ au sujet de la question de la compétence ratione materiae du Tribunal des baux et loyers.

Par jugement du 17 janvier 2014, le Tribunal a ordonné la reprise de l'instruction de la cause et ordonné la comparution des mandataires.

Lors de l'audience de comparution des mandataires du 11 mars 2014, la propriétaire a persisté dans ses conclusions en évacuation, la concierge et son mari ayant requis un délai pour répondre à la demande.

Dans leur réponse du 8 avril 2014, ces derniers ont conclu à l'irrecevabilité de la requête en raison de l'incompétence ratione materiae du Tribunal.

Le Tribunal a gardé la cause à juger à l'issue de l'audience du 29 avril 2014.

e. Dans le jugement entrepris, le Tribunal a retenu que même si les rapports contractuels entre les parties revêtaient un aspect prépondérant de travail, ce qui avait été confirmé par le Tribunal fédéral dans l'arrêt susmentionné, il était néanmoins compétent pour connaître de la demande en évacuation formée par la propriétaire de l'immeuble. En effet, il convenait d'appliquer pour chaque prestation les règles relatives au contrat la régissant. C'était uniquement pour la résiliation du contrat que le régime contractuel applicable dépendait de la prestation prépondérante.

EN DROIT

1. En vertu de l'art. 405 CPC, les recours au sens large - incluant tant le recours (art. 319 ss CPC) que l'appel (art. 308 CPC) - contre un jugement communiqué après l'entrée en vigueur du CPC sont soumis au nouveau droit de procédure.

En revanche, dès lors qu'en application de l'art. 404 CPC, le Tribunal des baux et loyers a continué à appliquer l'ancien droit de procédure, c'est la bonne application de cet ancien droit par les juges de première instance qu'il convient de contrôler (arrêt du Tribunal fédéral 4A_608/2011 du 23 janvier 2012 consid. 3.3.2).

2. 2.1. L'appel est recevable contre les décisions finales et les décisions incidentes de première instance (art. 308 al. 1 let. a CPC), sous réserve des exceptions prévues à l'art. 309 CPC. Dans les affaires patrimoniales, l'appel est recevable si la valeur litigieuse au dernier état des conclusions est de 10'000 fr. au moins (art. 308 al. 2 CPC).

En vertu de l'art. 319 let. a CPC, le recours est recevable contre les décisions finales, incidentes et provisionnelles de première instance qui ne peuvent faire l'objet d'un appel.

2.1.1. Selon la jurisprudence, les contestations portant sur l'usage d'une chose louée sont de nature pécuniaire (arrêts du Tribunal fédéral 4A_447/2013 du 20 novembre 2013 consid. 1; 4A_656/2010 du 14 février 2011 consid. 1.1, non publié aux ATF 137 III 208; 4A_412/2009 du 15 décembre 2009 consid. 1.1, non publié aux ATF 136 III 74).

La détermination de la valeur litigieuse suit les mêmes règles que pour la procédure devant le Tribunal fédéral (Retornaz, in Procédure civile suisse, Les grands thèmes pour les praticiens, 2010, p. 363; Spühler, Basler Kommentar, Schweizerische Zivilprozessordnung, 2ème éd., 2013, n. 9 ad art. 308 CPC).

La jurisprudence prévoit, s'agissant d'une procédure relative à une évacuation, dans laquelle la question de l'annulation, respectivement de la prolongation du bail ne se pose pas, que l'intérêt économique du bailleur peut être assimilé à la valeur que représente l'usage des locaux pendant la période où le déguerpissement du locataire ne peut pas être exécuté par la force publique (arrêts du Tribunal fédéral 4A_178/2012 du 11 avril 2012 consid. 2; 4A_574/2011 du 24 novembre 2011 consid. 1.1; 4A_72/2007 du 22 août 2007 consid. 2.2). Le Tribunal fédéral a également précisé que la valeur litigieuse correspond à la valeur que représente l'usage de la chose louée pendant la période durant laquelle le locataire pourrait encore l'occuper s'il obtient gain de cause (arrêt du Tribunal fédéral 4A_549/2008 du 19 janvier 2009 consid. 1).

2.1.2. En l'espèce, la présente procédure a trait à une demande d'évacuation. La valeur litigieuse correspond dès lors à la somme des loyers entre le moment du dépôt du recours par les recourants et le moment où leur déguerpissement pourra vraisemblablement être exécuté par la force publique, soit 7'040 fr. (640 fr. x 11). La période de onze mois correspond à l'estimation suivante : cinq mois de procédure devant la Cour de justice, trente jours pour recourir au Tribunal fédéral, quatre mois de procédure devant le Tribunal fédéral et trente jours pour la force publique pour procéder à l'évacuation.

Compte tenu de la valeur litigieuse inférieure à 10'000 fr., seule la voie du recours est ouverte.

2.2. Le recours, écrit et motivé, doit être introduit auprès de l'instance de recours dans les trente jours à compter de la notification de la décision motivée (art. 321 al. 1 CPC).

Déposé dans les délai et forme prescrits par la loi, le recours est recevable.

2.3. Dans le cadre d'un recours, le pouvoir d'examen de la Cour est limité à la violation du droit et à la constatation manifestement inexacte des faits (art. 320 CPC).

3. Les recourants font grief au Tribunal d'avoir admis sa compétence ratione materiae pour connaître de la requête en évacuation déposée par l'intimée.

3.1. Le Tribunal des baux à loyers a déterminé sa compétence ratione materiae au regard de l'art. 56M let. a de la Loi sur l'organisation judiciaire (aLOJ) en vigueur jusqu'au 31 décembre 2010 et alors applicable (art. 143 al. 1 LOJ et 404 CPC), le droit fédéral n'imposant pas aux cantons d'instituer des tribunaux spéciaux dans le domaine du contrat de bail (cf. art. 274 aCO).

En vertu de cette disposition, ledit tribunal est notamment compétent pour statuer sur tout litige relatif au contrat de bail à loyer ou au contrat de bail à ferme non agricole au sens des titres VIIIe et VIIIe bis du Code des obligations, portant sur une chose immobilière.

Selon l'art. 1 let. a Loi sur la juridiction des prud'hommes (juridiction du travail; aLJP) en vigueur jusqu'au 31 décembre 2010, les contestations entre employeurs et salariés pour tout ce qui concerne leurs rapports découlant d'un contrat de travail, au sens du titre dixième du Code des obligations, sont jugées par la juridiction des prud'hommes.

Lorsque le juge constate son incompétence, il rend une décision d'irrecevabilité. L'instance est ainsi invalidée. Il appartient alors au demandeur de prendre l'initiative de porter sa prétention devant l'autorité qui désormais lui apparaîtra compétente (Bertossa/Gaillard/Guyet/Schmidt, Commentaire de la loi de procédure civile genevoise, n. 8 ad art. 98 aLPC).

3.2. Le contrat de conciergerie est considéré comme un contrat mixte combinant des prestations du contrat individuel de travail et du contrat de bail à loyer, en sorte qu'il est régi par le droit du contrat de travail pour ce qui a trait à l'activité de conciergerie et par le droit du bail pour la cession de l'usage du logement mis à disposition du concierge. C'est seulement pour la résiliation que le régime contractuel applicable dépendra de la prestation prépondérante (ATF 131 III 566 consid. 3.1).

La prestation prépondérante se détermine, entre autres critères, suivant qu'il incombe au propriétaire ou au concierge de verser une soulte. En d'autres termes, la résiliation du contrat de conciergerie ressortit à la réglementation du contrat de travail si le salaire est plus élevé que le loyer (arrêt du Tribunal fédéral 4A_102/2013 du 17 octobre 2013 consid. 2.2 et les références citées).

Si les caractéristiques du contrat de travail se révèlent prépondérantes, le contrat mixte est traité comme un contrat de travail et l'évacuation du concierge est dès lors la conséquence logique de la fin des rapports de travail. Le litige est alors du ressort de la juridiction du travail et le salarié ne peut donc intenter l'action en prolongation de bail devant la juridiction des baux et loyers (Galley, Les juridictions du travail en Suisse, in Arbeitsrecht in der Praxis (ARP) Band/Nr. 23, 2003, p. 175; dans le même sens, cf. Aubert, La compétence des tribunaux genevois de prud'hommes à la lumière de la jurisprudence récente, in SJ 1982 p. 211).

Dans un arrêt CAPH/15/2013 du 8 mars 2013 (consid. 2.3), la Chambre des prud'hommes de la Cour de justice a admis la compétence des juridictions prud'homales pour prononcer l'évacuation d'un concierge lorsque l'aspect du droit du travail était prédominant par rapport à celui du droit du bail dans la relation contractuelle.

3.3. En l'espèce, le Tribunal fédéral a considéré que la concierge et la propriétaire étaient liées par un contrat de conciergerie dont les caractéristiques du contrat de travail étaient prépondérantes. En outre, il a retenu que dans la mesure où le droit de la concierge de faire usage de l'appartement de service s'éteignait automatiquement avec la fin du rapport de travail, tout litige à ce sujet dépendait de l'application des règles sur le contrat de travail.

Il découle de cet arrêt du Tribunal fédéral et des principes rappelés ci-dessus que le devoir de la concierge de restituer les locaux faisant l'objet du présent litige est régi par les règles sur le contrat de travail. Dès lors, le litige est du ressort de la juridiction des prud'hommes, à tout le moins en tant que la requête en évacuation est dirigée contre la concierge. La propriétaire et le conjoint de la concierge n'ayant jamais été liés par un contrat de bail, le Tribunal n'était pas non plus compétent pour prononcer l'évacuation de celui-ci.

Compte tenu de ce qui précède, le Tribunal des baux et loyers aurait dû se déclarer incompétent ratione materiae pour connaître de la présente cause et déclarer irrecevable la requête en évacuation formée par l'intimée.

Il s'ensuit que le recours sera admis et que le jugement entrepris sera annulé.

4. A teneur de l'art. 22 al. 1 LaCC, il n'est pas prélevé de frais dans les causes soumises à la juridiction des baux et loyers, étant rappelé que l'art. 116 al. 1 CPC autorise les cantons à prévoir des dispenses de frais dans d'autres litiges que ceux visés à l'art. 114 CPC (ATF 139 III 182 consid. 2.6).

* * * * *


PAR CES MOTIFS,
La Chambre des baux et loyers :

A la forme :

Déclare recevable le recours interjeté le 21 juillet 2014 par B______ et A______ contre le jugement JTBL/698/2014 rendu le 20 juin 2014 par le Tribunal des baux et loyers dans la cause C/25405/2010-9-D.

Au fond :

Annule ce jugement.

Cela fait et statuant à nouveau :

Déclare irrecevable la requête en évacuation formée le 7 octobre 2010 par C______ contre B______ et A______.

Dit que la procédure est gratuite.

Déboute les parties de toutes autres conclusions.

Siégeant :

Madame Nathalie LANDRY-BARTHE, présidente; Monsieur Laurent RIEBEN et Madame Fabienne GEISINGER-MARIÉTHOZ, juges; Monsieur Mark MULLER et Monsieur Thierry STICHER, juges assesseurs; Madame Maïté VALENTE, greffière.

 

La présidente :

Nathalie LANDRY-BARTHE

 

La greffière :

Maïté VALENTE

 

 

 

Indication des voies de recours :

 

Conformément aux art. 113 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF;
RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification avec expédition complète (art 100 al. 1 LTF) par-devant le Tribunal fédéral par la voie du recours constitutionnel subsidiaire.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14.

 

Valeur litigieuse des conclusions pécuniaires au sens de la LTF inférieure à 15'000 fr.