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Décisions | Chambre des baux et loyers

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C/17435/2020

ACJC/581/2023 du 08.05.2023 sur JTBL/351/2022 ( OBL ) , CONFIRME

Recours TF déposé le 12.06.2023, rendu le 18.07.2023, DROIT CIVIL, 4A_306/23
Normes : CO.271; CO.272
En fait
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

C/17435/2020 ACJC/581/2023

ARRÊT

DE LA COUR DE JUSTICE

Chambre des baux et loyers

DU LUNDI 8 MAI 2023

 

Entre

Monsieur et Madame A______ et B______, domiciliés ______, appelants d'un jugement rendu par le Tribunal des baux et loyers le 12 mai 2022, comparant par Me Mark MULLER, avocat, rue Ferdinand-Hodler 13, 1207 Genève, en l'étude duquel ils font élection de domicile,

 

et

Monsieur E______, p.a. C______, ______, intimé, comparant en personne.

 

 

 

 


EN FAIT

A. Par jugement JTBL/351/2022 du 12 mai 2022, notifié aux parties le 13 mai 2022, le Tribunal des baux et loyers a déclaré valable le congé notifié le 28 juillet 2020 à A______ et B______ pour le 31 octobre 2020 concernant l'appartement de 4 pièces en duplex avec mezzanine et cheminée d'environ 120 m2 situé au 1er étage de l'immeuble sis chemin 1______ no. ______ à D______ [GE] (chiffre 1 du dispositif), déclaré valable le congé notifié le 28 juillet 2020 à A______ et B______ pour le 31 octobre 2020 concernant l'emplacement de parking intérieur n° 6 situé dans le même immeuble (ch. 2), accordé à A______ et B______ une unique prolongation de leurs baux d'une année et sept mois, échéant au 31 mai 2022 (ch. 3), débouté les parties de toutes autres conclusions (ch. 4) et dit que la procédure était gratuite (ch. 5).

B. a. Par acte expédié le 16 juin 2022 à la Cour de justice, A______ et B______ ont formé appel contre ce jugement, dont ils sollicitent l'annulation. Ils ont conclu, principalement, à l'annulation des résiliations de bail et, subsidiairement, à ce qu'une prolongation de bail de quatre ans leur soit accordée.

Ils ont fait valoir être revenus en Suisse le 13 mai 2022 et produisent, pour en attester, des certificats de test COVID établis la veille au Mali.

b. Dans sa réponse du 27 juin 2022, déposée à la Cour de justice le même jour, E______ a conclu au déboutement de A______ et B______ de l'entier de leurs conclusions et à l'évacuation immédiate de ces derniers de l'appartement et de l'emplacement de parking.

Il a allégué avoir adressé au Tribunal le 15 juin 2022 une requête en évacuation à l'encontre de A______ et B______ et produit un document en attestant. Il a également allégué avoir adressé à A______ et B______ des propositions de relogement le 23 mai 2022 et produit des documents en attestant. Il a finalement produit un arrêté du 11 janvier 2021 établi par l'Office cantonal du logement et de la planification foncière, aux termes duquel l'aliénation de l'appartement concerné était autorisée.

c. Dans leur réplique du 5 septembre 2022, A______ et B______ ont conclu à l'irrecevabilité des faits et moyens de preuve nouveaux. Sur le fond, ils ont persisté dans leurs conclusions.

d. Dans sa duplique du 13 septembre 2022, E______ a offert de produire la confirmation écrite de son agent immobilier et du nouveau propriétaire du logement et du parking confirmant que ce dernier avait décidé de l'achat du bien immobilier après avoir reçu la confirmation de A______ et B______ que l'appartement et le parking seraient libérés avec effet au 1er novembre 2020.

Une telle confirmation a été déposée à la Cour de justice le 19 septembre 2022.

e. Les parties ont été avisées le 10 octobre 2022 par le greffe de la Cour de ce que la cause était gardée à juger.

C. Les faits pertinents suivants résultent de la procédure :

a. Le 5 octobre 2016, E______, en tant que bailleur, et A______ et B______, en tant que locataires, nés respectivement les ______ 1933 et ______ 1942, ont conclu un contrat de bail à loyer portant sur la location d'un appartement de 4 pièces en duplex avec mezzanine et cheminée d'environ 120 m2 situé au 1er étage de l'immeuble sis chemin 1______ no. ______ à D______.

Le bail a débuté le 15 octobre 2016 et son échéance a été fixée au 15 octobre 2017.

Le loyer annuel, hors charges, a été fixé à 34'800 fr.

b. Le 17 novembre 2016, les parties ont également conclu un contrat de bail à loyer portant sur la location d'un emplacement de parking intérieur n° 6 situé dans le même immeuble.

Le contrat a débuté le 1er décembre 2016 et son échéance a été fixée au 15 octobre 2017.

Le loyer annuel a été fixé à 2'100 fr.

c. De nouveaux baux de durée indéterminée ont été conclus le 22 août 2017.

Ils ont débuté le 15 octobre 2017 et leur première échéance a été fixée au 31 octobre 2018.

Ils se sont ensuite renouvelés tacitement d'année en année.

Les loyers étaient identiques.

d. Le 9 septembre 2019, E______ et C______ [agence immobilière] ont conclu un contrat au terme duquel l'agence immobilière s'engageait à vendre l'appartement.

e. Dès 2018, F______, domicilié officiellement à G______ [GE], a apporté son aide à A______, qui avait été victime d'un AVC et duquel il avait été employé jusqu'en 2007. A ce titre, il se rendait notamment trois ou quatre fois par semaine dans l'appartement pour relever le courrier, vérifier si des paiements étaient à effectuer ou encore aérer le logement. Il utilisait occasionnellement la place de parc devant l'appartement mais n'avait jamais dormi dans le logement.

f. Par courriel du 30 septembre 2019, C______ a transmis à F______ le dossier de vente de l'appartement pour éventuel intérêt de A______.

Entre les 14 octobre 2019 et 22 juin 2020, C______ a informé F______ de visites de l'appartement.

g. Par courrier et avis du 28 juillet 2020, E______ a résilié les baux, avec effet au 31 octobre 2020, au motif de la mise en vente de l'appartement et du parking.

h. Durant le mois de septembre 2020, E______ a transmis à A______ et B______ des annonces d'appartements de remplacement offerts à la location.

i. Le 22 décembre 2020, E______ a conclu un contrat de vente à terme avec H______ portant sur l'appartement et le parking litigieux.

La vente était notamment soumise aux conditions de l'obtention, par E______, d'un jugement du Tribunal confirmant "les effets de la date de résiliation du bail, avec effet au 20 décembre 2022 au plus tard", et de la libération des lieux d'ici au 20 décembre 2022.

j. Par demande introduite par-devant la Commission de conciliation le 31 août 2020, déclarée non conciliée le 12 novembre 2020 et portée devant le Tribunal le 11 décembre 2020, A______ et B______ ont conclu, principalement, à l'annulation des congés, et, subsidiairement, à l'octroi d'une prolongation de bail de quatre ans.

k. Dans sa réponse du 9 février 2021, E______ a conclu à la validité des résiliations, avec libération des locaux le 30 avril 2021, mais au plus tard et si possible le 31 octobre 2021.

l. Par courrier du 15 avril 2021, le Dr I______ a attesté que A______ et B______ étaient au Mali, n'étaient pas médicalement aptes à voyager en Suisse et ne pourraient pas se présenter en audience le 4 mai 2021, étant immobilisés au Mali à cause du COVID et de leur âge avancé.

m. Des audiences de débats ont eu lieu les 4 mai et 19 novembre 2021. Lors de l'audience du 4 mai 2021, A______ et B______, représentés par leur conseil, ont allégué faire face à des dettes importantes et produit, à l'appui de cette allégation, un rappel de paiement de l'Administration fiscale cantonale faisant état d'actes de défaut de bien pour un montant de 120'000 fr.

n. Par courrier du 1er mars 2022, le Dr I______ a derechef attesté que A______ et B______ étaient au Mali, n'étaient pas médicalement aptes à pouvoir voyager en Suisse et ne pourraient pas se présenter en audience le 8 mars suivant, étant immobilisés au Mali à cause du COVID et de leur âge avancé.

o. Lors de l'audience de débats du 8 mars 2022, les parties ont plaidé et persisté dans leurs conclusions, à la suite de quoi la cause a été gardée à juger.

EN DROIT

1. 1.1 L'appel est recevable contre les décisions finales et les décisions incidentes de première instance (art. 308 al. 1 let. a CPC). Dans les affaires patrimoniales, l'appel est recevable si la valeur litigieuse au dernier état des conclusions est de 10'000 fr. au moins (art. 308 al. 2 CPC).

Selon la jurisprudence constante du Tribunal fédéral, les contestations portant sur l'usage d'une chose louée sont de nature pécuniaire (arrêt du Tribunal fédéral 4A_388/2016 du 15 mars 2017 consid. 1).

Lorsque l'action ne porte pas sur le paiement d'une somme d'argent déterminée, le Tribunal détermine la valeur litigieuse si les parties n'arrivent pas à s'entendre sur ce point ou si la valeur qu'elles avancent est manifestement erronée (art. 91 al. 2 CPC). La détermination de la valeur litigieuse suit les mêmes règles que pour la procédure devant le Tribunal fédéral (Rétornaz in : Procédure civile suisse, Les grands thèmes pour les praticiens, Neuchâtel, 2010, p. 363; Spühler, Basler Kommentar, Schweizeriche Zivilprozessordnung, 3ème édition, 2017, n. 9 ad art. 308 CPC).

Dans une contestation portant sur la validité d'une résiliation de bail, la valeur litigieuse est égale au loyer de la période minimum pendant laquelle le contrat subsiste nécessairement si la résiliation n'est pas valable, période qui s'étend jusqu'à la date pour laquelle un nouveau congé peut être donné ou l'a effectivement été. Lorsque le bail bénéficie de la protection contre les congés des art. 271 ss CO, il convient, sauf exceptions, de prendre en considération la période de protection de trois ans dès la fin de la procédure judiciaire qui est prévue par l'art. 271a al. 1 let. e CO (ATF 137 III 389 consid. 1.1; 136 III 196 consid. 1.1; arrêt du Tribunal fédéral 4A_388/2016 du 15 mars 2017 consid. 1).

1.2 En l'espèce, le loyer annuel du logement, charges non comprises, s'élève à 34'800 fr.

La valeur litigieuse est ainsi largement supérieure à 10'000 fr.

1.3 L'appel a été interjeté dans le délai et suivant la forme prescrits par la loi (art. 130, 131, 311 al. 1 CPC). Il est ainsi recevable.

1.4 L'appel peut être formé pour violation du droit (art. 310 let. a CPC) et constatation inexacte des faits (art. 310 let. b CPC). L'instance d'appel dispose ainsi d'un plein pouvoir d'examen de la cause en fait et en droit; en particulier, le juge d'appel contrôle librement l'appréciation des preuves effectuée par le juge de première instance (art. 157 CPC en relation avec l'art. 310 let. b CPC) et vérifie si celui-ci pouvait admettre les faits qu'il a retenus (ATF 138 III 374 consid. 4.3.1).

2. Les parties ont produit de nouvelles pièces et fait valoir de nouveaux faits. L'intimé a également conclu, pour la première fois en appel, à l'évacuation des appelants.

2.1 Selon l'art. 317 al. 1 CPC, les faits et les moyens de preuve nouveaux ne sont pris en considération en appel que s'ils sont invoqués ou produits sans retard (let. a) et s'ils ne pouvaient pas être invoqués ou produits devant la première instance bien que la partie qui s'en prévaut ait fait preuve de la diligence requise (let. b). Les deux conditions sont cumulatives (Jeandin, Commentaire Romand, Code de procédure civile 2ème éd., 2019, n. 6 ad art. 317 CPC).

Selon l'art. 317 al. 2 CPC, la demande ne peut être modifiée en appel que si la modification repose sur des faits ou des moyens de preuve nouveaux et si les conditions fixées à l'art. 227 al. 1 CPC sont remplies. Cette dernière disposition prévoit que la demande peut être modifiée si la prétention nouvelle ou modifiée relève de la même procédure; il faut en outre qu'elle présente un lien de connexité avec la dernière prétention ou que la partie adverse consente à la modification de la demande.

2.2 En l'espèce, l'arrêté établi le 11 janvier 2021 par l'Office cantonal du logement et de la planification foncière et les allégués en découlant sont antérieurs au 8 mars 2022, date à laquelle l'affaire a été gardée à juger. L'intimé n'expliquant pas pour quelle raison il n'aurait pas été en mesure de le transmettre au Tribunal auparavant, ce moyen de preuve et les faits qu'il comporte seront déclarés irrecevables. Dès lors qu'ils sont postérieurs au 8 mars 2022, les autres pièces nouvelles et faits nouveaux s'y rapportant sont recevables.

La conclusion tendant à l'évacuation des appelants sera déclarée irrecevable dès lors qu'elle ne repose sur aucuns faits ou moyens de preuve nouveaux.

3. Les appelants font grief aux premiers juges d'avoir retenu que les congés étaient valables alors que l'aliénation de l'appartement et de la place de parking n'aurait aucun impact sur les baux et qu'aucune autorisation d'aliénation n'avait été délivrée précédemment.

3.1 La résiliation ordinaire du bail ne suppose pas l'existence d'un motif de résiliation particulier (art. 266a al. 1 CO; ATF 140 III 496 consid. 4.1; 138 III 59 consid. 2.1). Le bailleur peut ainsi congédier le locataire pour exploiter son bien de la façon la plus conforme à ses intérêts (ATF 136 III 190 consid. 3), pour effectuer des travaux de transformation ou de rénovation importants qui entravent considérablement l'usage de la chose louée (ATF 142 III 91 consid. 3.2.1; 140 III 496 consid. 4.1), pour optimiser son rendement dans les limites fixées par la loi (ATF 136 III 190 consid. 2), ou pour utiliser les locaux lui-même ou les céder à ses proches (arrêts du Tribunal fédéral 4A_388/2016 du 15 mars 2017 consid. 3.1; 4A_198/2016 du 7 octobre 2016 consid. 4.3 et 4.5; 4A_18/2016 du 26 août 2016 consid. 3.3 et 4).

La seule limite à la liberté contractuelle des parties découle des règles de la bonne foi; lorsque le bail porte sur une habitation ou un local commercial, le congé est annulable lorsqu'il contrevient aux règles de la bonne foi (art. 271 al. 1 CO; cf. également art. 271a CO). Dans ce cadre, le motif de résiliation revêt une importance décisive : le congé doit être motivé si l'autre partie le demande (art. 271 al. 2 CO); une motivation lacunaire ou fausse peut être l'indice d'une absence d'intérêt digne de protection à la résiliation (ATF 138 III 59 consid. 2.1; arrêt du Tribunal fédéral 4A_388/2016 du 15 mars 2017 consid. 3.3).

Le congé est ainsi annulable lorsqu'il contrevient aux règles de la bonne foi (art. 271 CO). Un congé doit être considéré comme abusif s'il ne répond à aucun intérêt objectif, sérieux et digne de protection. Est abusif le congé purement chicanier dont le motif n'est manifestement qu'un prétexte (ATF 138 III 59 consid. 2.1; arrêt du Tribunal fédéral 4A_388/2016 du 15 mars 2017 consid. 3.3). Le juge doit notamment examiner s'il existe une disproportion évidente entre les intérêts en présence, soit ceux purement financiers du bailleur et le problème particulièrement pénible sur le plan humain causé au locataire par la résiliation, puisqu'il s'agit là d'un cas d'abus de droit pouvant entrer en ligne de compte (arrêt du Tribunal fédéral 4A_475/2015 du 19 mai 2016 consid. 4.4).

Dans un arrêt rendu le 2 septembre 2010 dans la cause 4A_300/2010, le Tribunal fédéral a admis l'existence d'une disproportion manifeste des intérêts en présence dans la situation de deux locataires âgés de 77 ans. Ceux-ci vivaient depuis 36 ans dans l'appartement avec leur fils handicapé, né en 1961, qui souffrait d'importants problèmes neurologiques. De plus, un des locataires connaissait de graves problèmes de santé, étant atteint tout à la fois d'un cancer du foie et d'un cancer du côlon. De son côté, le bailleur avait motivé le congé par sa volonté de vendre un appartement libre de tout occupant, tout en reconnaissant que la vente de l'appartement loué lui permettrait d'obtenir un bénéfice atteignant environ deux fois le prix d'acquisition. Selon notre Haute Cour, la notification du congé répondait à un but purement spéculatif, le bailleur n'ayant pas allégué devoir faire face à des difficultés financières. L'intéressé n'avait pas davantage prétendu se trouver dans l'incapacité de vendre, avec bénéfice, l'appartement avec les locataires en place. Dans cette cause, les juges fédéraux ont considéré que les locataires se trouvaient dans une situation particulièrement difficile, ce qui les a conduits à confirmer l'annulation du congé.

Dans un arrêt du 6 octobre 2010, rendu dans la cause 4A_297/2010, le Tribunal fédéral a également reconnu une disproportion manifeste entre les intérêts en présence. Il s'agissait d'une résiliation notifiée à une locataire de 54 ans, sans emploi, en mauvaise santé et occupant son logement depuis plus de 23 ans. Elle connaissait des problèmes cardiaques et subissait un état dépressif récurrent, ainsi qu'une mobilité entravée. Ayant épuisé ses indemnités de chômage, elle percevait un revenu minimum cantonal d'aides sociales d'environ 2'400 fr. par mois. Très isolée socialement, et dans une situation économique précaire, son logement et le jardin attenant représentaient son presque unique cadre de vie. De son côté, la bailleresse avait invoqué le besoin du fils de son actionnaire unique, lequel partageait son temps entre Nyon, où son père est propriétaire d'une maison avec jardin de plus de 300 m2, et Thonon, domicile des parents de son amie. Etudiant à l'Université de Genève et désirant s'installer dans cette cité, l'intéressé avait affirmé qu'il lui fallait un appartement avec jardin pour le confort de son chien de berger, animal relativement imposant. Alors que deux logements appartenant à la bailleresse s'étaient libérés dans le même immeuble, durant la procédure, le fils de l'actionnaire unique de la société propriétaire n'avait pas voulu y emménager, au seul motif qu'ils ne disposaient pas d'un jardin dans lequel son chien de race pourrait s'ébattre. Les juges fédéraux ont considéré que l'on se trouvait en présence d'un déséquilibre patent, si l'on comparait les intérêts de la locataire à la continuation de son bail, à ceux de la bailleresse à résilier le contrat. Au regard de la situation personnelle précaire de l'intéressée, les intérêts qu'avait fait valoir la société propriétaire apparaissaient manifestement secondaires. Compte tenu de cette disproportion évidente, le congé incriminé avait été donné en violation des règles de la bonne foi et devait être annulé en application de l'art. 271 al. 1 CO (consid. 2.3).

Dans un arrêt rendu le 28 février 2013 (cause 4A_484/2012), les juges fédéraux ont considéré qu'il n'existait pas de disproportion manifeste et choquante entre les intérêts en présence, dans le cas d'une locataire exerçant la profession de médecin hospitalier, disposant d'un revenu confortable et vivant dans l'appartement avec sa mère, étant observé que celle-ci ne souffrait pas d'un quelconque handicap, même si elle était relativement âgée. De plus, la mère de la locataire avait elle-même certains revenus et une fortune non négligeable. Ainsi, la locataire n'avait pas de difficultés financières particulières, ne se trouvait pas confrontée à un problème de santé et n'avait aucun besoin impérieux de se loger à proximité de l'endroit où elle se trouvait. Selon ce même arrêt, la bailleresse était une société active dans le domaine de l'achat et de la vente de biens immobiliers et avait, compte tenu de sa structure, besoin de vendre un ou deux objets par année pour fonctionner normalement. L'appartement litigieux étant destiné à être vendu à une personne souhaitant l'habiter elle-même, il pouvait être considéré que la vente serait plus facile si l'appartement était libre de tout occupant. Dès lors, le Tribunal fédéral a reconnu à la bailleresse un intérêt économique certain à voir partir la locataire pour vendre l'appartement dans de meilleures conditions (consid. 2.3.3).

Dans sa jurisprudence, le Tribunal fédéral n'a pas établi de règle abstraite pour le cas où la résiliation est donnée en vue de tirer de la chose louée un meilleur profit par une vente. Il n'a pas retenu que tout appartement sans occupant se vendrait plus cher, mais a recherché dans chaque cas particulier, si, au vu des faits constatés par l'instance cantonale, un abus de droit était réalisé ou non. Il est précisé que, dans le cadre de cet examen, il n'y a en principe pas lieu de procéder à la pesée des intérêts du bailleur et du locataire. Le juge peut toutefois examiner s'il existe une disproportion évidente entre les intérêts en présence, soit ceux purement financier du bailleur et le problème particulièrement pénible sur le plan humain causé au locataire par la résiliation, puisqu'il s'agit là d'un cas d'abus de droit (arrêt du Tribunal fédéral 4A_475/2015 du 19 mai 2016 consid. 4.4).

3.2 En l'espèce, l'intimé souhaite récupérer l'appartement pour le vendre libre de tout occupant. Aucun élément ne permet de douter de cette volonté, qui est étayée par le fait que l'intimé a mandaté un courtier avant de résilier les baux et signé ensuite un contrat de vente soumis à la condition que l'appartement soit libéré. Les appelants n'ont pas démontré la thèse selon laquelle la vente serait impossible en raison du défaut d'autorisation d'aliéner. En effet, le simple fait qu'aucune autorisation d'aliéner n'a été produite à la procédure ne signifie pas qu'une telle autorisation n'a pas été ou ne pourrait être octroyée ou que la vente serait impossible.

La situation des locataires ne permet en outre pas d'admettre une disproportion manifeste des intérêts en présence. En effet, s'ils font état et produisent des documents attestant d'un âge avancé, d'une dette envers l'Administration fiscale cantonale et d'une situation médicale ne leur ayant pas permis de se déplacer en cours de procédure, ils n'ont pas démontré souffrir de problèmes de santé importants et/ou disposer de revenus particulièrement restreints. Ils ne démontrent par ailleurs pas être de retour dans l'appartement, les pièces nouvellement produites en appel n'en attestant pas.

Dans ce contexte, il convient de retenir, à l'instar des premiers juges, que les congés sont valables.

4. Les appelants sollicitent subsidiairement une prolongation de leur bail de quatre ans.

4.1 Selon l'art. 272 al. 1 CO, le locataire peut demander la prolongation du bail lorsque la fin du contrat aurait pour lui ou sa famille des conséquences pénibles sans que les intérêts du bailleur le justifient. Pour trancher la question, le juge doit procéder à une pesée des intérêts en présence, en prenant en considération notamment les critères énumérés à l'al. 2 de cette disposition, à savoir les circonstances de la conclusion du bail et le contenu du contrat (let. a), la durée du bail (let. b), la situation personnelle, familiale et financière des parties ainsi que leur comportement (let. c), le besoin que le bailleur ou ses proches parents ou alliés peuvent avoir d'utiliser eux-mêmes les locaux ainsi que l'urgence de ce besoin (let. d) et la situation sur le marché local du logement et des locaux commerciaux (let. e).

Lorsqu'il doit se prononcer sur une prolongation de bail, le juge apprécie librement, selon les règles du droit et de l'équité (art. 4 CC), s'il y a lieu de prolonger le bail et, dans l'affirmative, pour quelle durée. Il doit procéder à la pesée des intérêts en présence et tenir compte du but de la prolongation, consistant à donner du temps au locataire pour trouver des locaux de remplacement (ATF 125 III 226 consid. 4b) ou à tout le moins pour adoucir les conséquences pénibles résultant d'une extinction du contrat (ATF 116 II 446 consid. 3b; arrêt du Tribunal fédéral 4C.139/2000 précité consid. 2a). Il lui incombe de prendre en considération tous les éléments du cas particulier, tels que la durée du bail, la situation personnelle et financière de chaque partie, leur comportement, de même que la situation sur le marché locatif local (ATF 125 III 226 consid. 4b; 136 III 190 consid. 6 et les arrêts cités). Il peut tenir compte du délai qui s'est écoulé entre le moment de la résiliation et celui où elle devait prendre effet, ainsi que du fait que le locataire n'a pas entrepris de démarches sérieuses pour trouver une solution de remplacement (ATF 125 III 226 consid. 4c p. 230; arrêt du Tribunal fédéral 4C.425/2004 du 9 mars 2005 consid. 3.4, SJ 2005 I p. 397).

4.2 En l'espèce, l'unique prolongation de bail de dix-neuf mois, échéant au 31 mai 2022, n'apparaît pas critiquable. En effet, s'il ressort du dossier que les appelants sont relativement âgés et souffrent de problèmes médicaux ne leur ayant pas permis de voyager pendant la procédure, ils n'ont ni démontré être de retour à Genève dans leur appartement ni avoir entrepris de sérieuses recherches pour trouver une solution de relogement, à distance directement ou sur place avec l'aide de F______, par exemple.

Le jugement entrepris sera par conséquent confirmé.

5. A teneur de l'art. 22 al. 1 LaCC, il n'est pas prélevé de frais dans les causes soumises à la juridiction des baux et loyers (ATF 139 III 182 consid. 2.6).

* * * * *


PAR CES MOTIFS,
La Chambre des baux et loyers :

A la forme :

Déclare recevable l'appel interjeté par A______ et B______ le 16 juin 2022 contre le jugement JTBL/351/2022 rendu le 12 mai 2022 par le Tribunal des baux et loyers dans la cause C/17435/2020-4-OSB.

Déclare irrecevable la conclusion de E______ tendant à l'évacuation de A______ et B______.

Au fond :

Confirme le jugement.

Dit que la procédure est gratuite.

Déboute les parties de toutes autres conclusions.

Siégeant :

Madame Nathalie LANDRY-BARTHE, présidente; Madame Sylvie DROIN et Monsieur Laurent RIEBEN, juges; Madame Laurence MIZRAHI et Monsieur Jean-Philippe FERRERO, juges assesseurs; Madame Maïté VALENTE, greffière.

 

La présidente :

Nathalie LANDRY-BARTHE

 

La greffière :

Maïté VALENTE

 

 

 

 

 

 

 

Indication des voies de recours :

 

Conformément aux art. 72 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF ; RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification avec expédition complète (art. 100 al. 1 LTF) par devant le Tribunal fédéral par la voie du recours en matière civile.

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14.

Valeur litigieuse des conclusions pécuniaires au sens de la LTF supérieure ou égale à 15'000 fr.