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Décisions | Chambre des baux et loyers

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C/3071/2015

ACJC/456/2018 du 16.04.2018 sur JTBL/727/2017 ( OBL ) , CONFIRME

Recours TF déposé le 18.05.2018, rendu le 13.07.2018, CONFIRME, 4A_296/2018
Descripteurs : RÉSILIATION ANTICIPÉE ; EXÉCUTION DE L'OBLIGATION ; DILIGENCE ; CONTESTATION DU CONGÉ
Normes : CO.257f.al3
En fait
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

C/3071/2015 ACJC/456/2018

ARRÊT

DE LA COUR DE JUSTICE

Chambre des baux et loyers

DU LUNDI 16 AVRIL 2018

 

Entre

 

Monsieur A______, domicilié ______ Genève, appelant d'un jugement rendu par le Tribunal des baux et loyers le 11 août 2017, comparant par Me Manuel BOLIVAR, avocat, rue des Pâquis 35, 1201 Genève, en l'étude duquel il fait élection de domicile,

 

Et

 

1) B______ SA, p.a C______ SA, ______ Genève, intimée, comparant par Me Christian BUONOMO, avocat, quai Gustave-Ador 26, 1211 Genève 6, en l'étude duquel elle fait élection de domicile,

2) Madame D______, domiciliée ______ Genève, intimée, comparant en personne.

 

 


EN FAIT

A. Par jugement JTBL/727/2017 du 11 août 2017, expédié pour notification aux parties le 14 août 2017, le Tribunal des baux et loyers a validé le congé du 13 janvier 2015 pour le 28 février 2015 adressé à A______ et à D______ par B______ SA concernant l'appartement de quatre pièces au quatrième étage de l'immeuble sis ______ à Genève (ch. 1 du dispositif), a débouté A______ de ses conclusions (ch. 2), a débouté les parties de toutes autres conclusions (ch. 3) et a dit que la procédure était gratuite (ch. 4).

En substance, les premiers juges ont retenu que A______ utilisait l'appartement litigieux aux fins de prostitution, en violation des clauses contractuelles, et que les conditions du congé extraordinaire pour violation du devoir de diligence étaient ainsi réunies.

B. a. Par acte expédié le 11 septembre 2017 au greffe de la Cour de justice, A______ (ci-après : le locataire) forme appel contre ce jugement, dont il sollicite l'annulation. Il conclut, principalement, à ce que l'inefficacité du congé soit constatée.

b. Dans sa réponse du 13 octobre 2017, B______ SA (ci-après : la bailleresse ou la première intimée) conclut au déboutement de A______ de toutes ses conclusions et à la confirmation du jugement entrepris.

c. D______ (ci-après : la seconde intimée) n'a pas répondu dans le délai qui lui a été imparti par le greffe de la Cour de justice, ni ultérieurement.

d. A______ a répliqué par courrier expédié le 14 novembre 2017
(et daté par erreur du 12 janvier 2010), en produisant une pièce nouvelle, à savoir le dispositif du jugement du Tribunal de police du 8 septembre 2017 rendu dans la cause P/1______ l'opposant au Ministère public et au Service des contraventions, et en persistant dans ses conclusions.

e. La première intimée a dupliqué en date des 6 décembre 2017, en sollicitant, en tant que de besoin, que A______ soit invité à produire l'intégralité du jugement du Tribunal de police susmentionné, et en persistant dans ses conclusions.

f. Les parties ont été avisées le 7 décembre 2017 de ce que la cause était gardée à juger.

C. Les éléments suivants résultent du dossier :

a. La B______ SA est propriétaire de l'immeuble sis ______ à Genève.

b. Le 10 juillet 2014, A______ et D______ ont signé un contrat de bail, « conjointement et solidairement », portant sur un appartement de 4 pièces au 4ème étage de l'immeuble susmentionné, dès le 1er août 2014.

Le loyer a été fixé à 34'404 fr. par année, charges comprises.

Le contrat mentionne sous la rubrique relative à la destination des locaux : « habitation de Monsieur A______ exclusivement ».

c. Consécutivement à une information reçue du Ministère public le 4 décembre 2014, selon laquelle une procédure pénale était ouverte à l'encontre de A______, notamment pour usure et infraction à la loi sur la prostitution, la régie en charge de la gestion de l'immeuble a adressé le 16 décembre 2014 un courrier à A______ et D______, expliquant avoir été informée que des activités de prostitution se dérouleraient dans l'appartement et rappelant que les locaux étaient dévolus à l'habitation de A______, à l'exclusion de toute autre destination. Les locataires étaient ainsi mis en demeure de rétablir immédiatement une affectation des locaux conforme au bail, faute de quoi celui-ci serait résilié en vertu de l'art. 257f al. 3 CO.

d. Par courrier du 29 décembre 2014, A______ a contesté l'existence d'une activité de prostitution et indiqué à la régie qu'il habitait l'appartement litigieux.

e. Par avis officiel du 13 janvier 2015, adressés séparément à A______ et D______, la bailleresse a résilié le contrat pour le 28 février 2015.

f. A la demande de A______, la bailleresse a motivé le congé en date du 12 février 2015, en indiquant que des activités de prostitution n'étaient pas conformes à la destination des locaux, et que les locataires avaient enfreint leur devoir de diligence.

g. Par requête déposée le 13 février 2015 à la Commission de conciliation en matière de baux et loyers et dirigée contre la B______ SA, A______ a contesté le congé.

h. Par courriel du 15 février 2015 adressé à la régie, D______ a indiqué ce qui suit : « je ne suis pas non plus locataire de l'appartement désigné, je me suis portée garante uniquement concernant le paiement du loyer ».

i. L'affaire n'ayant pas pu être conciliée lors de l'audience du 31 mars 2015, la Commission de conciliation a délivré une autorisation de procéder à A______.

j. Le 12 mai 2015, A______ a saisi le Tribunal de sa requête en contestation de congé, agissant cette fois-ci non seulement contre la bailleresse, mais également contre D______.

Il a conclu à la constatation de l'inefficacité du congé du 13 janvier 2015, subsidiairement à son annulation.

k. Dans sa réponse du 25 juin 2015, la bailleresse a conclu, préalablement, à l'irrecevabilité de la demande, et, principalement, au déboutement de A______ et à la constatation de la validité du congé.

Elle a notamment fait valoir que A______ et D______ étaient colocataires conjoints et solidaires, et que seul A______ avait agi auprès de la Commission de conciliation, de sorte que le congé n'avait pas été valablement contesté.

l. Les parties ont été convoquées le 8 octobre 2015 pour plaider sur la question de la validité de la contestation de congé (défaut de légitimation active).

m. Par jugement JTBL/1104/2015 du 8 octobre 2015, le Tribunal a débouté A______ de ses conclusions, estimant que ce dernier n'avait pas la légitimation active pour contester seul la résiliation du bail devant la Commission de conciliation, et qu'il ne pouvait valablement assigner D______ devant le Tribunal, faute de disposer d'une autorisation de procéder à son encontre.

n. Par arrêt ACJC/1468/2016 du 7 novembre 2016, la Cour de justice a annulé le jugement précité et renvoyé l'affaire au Tribunal, considérant que ce dernier n'avait pas instruit la question de savoir si D______ apparaissait sur le contrat comme colocataire ou comme simple caution, et dès lors, de savoir s'il existait entre elle et A______ une consorité matérielle nécessaire.

o. Lors de l'audience du 2 mars 2017 du Tribunal, la bailleresse a indiqué qu'elle renonçait à faire valoir l'irrecevabilité de la demande et acceptait que la demande formée par A______ soit déclarée recevable.

p. Sur la base des faits admis par A______, des pièces produites, de l'audition des parties et des témoignages recueillis par les premiers juges, la Cour retient les faits pertinents suivants s'agissant de la question de l'activité de prostitution reprochée à A______ dans l'appartement litigieux :

1.      L'appartement était utilisé aux fins d'une activité de prostitution, en tous les cas dans les mois qui ont suivi la résiliation de bail litigieuse (A______ ne contestant pas ce fait, mais soutenant que cette activité était inexistante au moment du congé et avant celui-ci).

2.      Ni A______, ni sa mère n'ont été domiciliés à l'adresse de l'appartement litigieux jusqu'au moment de la résiliation et dans les mois qui ont suivi celle-ci.

3.      A______ et sa mère disposaient tous deux, à tout le moins à cette époque, d'un appartement, dont ils étaient chacun locataires, à l'adresse de leurs domiciles officiels respectifs.

4.      Une annonce publiée sur Internet le 13 novembre 2014 propose les services sexuels d'une jeune femme, « au salon E______».

5.      Le locataire n'a pas allégué qu'il y aurait eu un autre salon de massages érotiques à l'adresse de l'appartement litigieux à la fin de l'année 2014, ce qui ne ressort pas non plus des mesures d'instruction menées par les premiers juges.

6.      Une des témoins auditionnés a indiqué que l'utilisation de l'appartement aux fins de prostitution remontait selon elle au Nouvel-An 2014-2015.

7.      Lors de son audition du 2 mars 2017, A______ a affirmé au Tribunal qu'il habitait l'appartement litigieux, où il vivait seul, mais accueillait parfois sa compagne. Il a indiqué être effectivement titulaire d'un autre bail, à ______, où il habitait auparavant, utilisé depuis lors comme bureau pour sa société d'exploitation de distributeurs automatiques.

8.      Par jugement du Tribunal de police du 8 septembre 2017, A______ a été reconnu coupable de faux dans les certificats
(art. 252 CP), mais a été acquitté des autres chefs d'accusation pour lesquels il était poursuivi, soit notamment l'exercice illicite de la prostitution, sans que les pièces produites ne permettent de déterminer quels faits ont été instruit par les autorités pénales.

EN DROIT

1. 1.1 L'appel est recevable contre les décisions finales et les décisions incidentes de première instance (art. 308 al. 1 let. a CPC). Dans les affaires patrimoniales, l'appel est recevable si la valeur litigieuse au dernier état des conclusions est de 10'000 fr. au moins (art. 308 al. 2 CPC).

Selon la jurisprudence constante du Tribunal fédéral, les contestations portant sur l'usage d'une chose louée sont de nature pécuniaire (arrêt du Tribunal fédéral 4A_388/2016 du 15 mars 2013 consid. 1).

Dans une contestation portant sur la validité d'une résiliation de bail, la valeur litigieuse est égale au loyer de la période minimum pendant laquelle le contrat subsiste nécessairement si la résiliation n'est pas valable, période qui s'étend jusqu'à la date pour laquelle un nouveau congé peut être donné ou l'a effectivement été. Lorsque le bail bénéficie de la protection contre les congés des art. 271 ss CO, il convient, sauf exceptions, de prendre en considération la période de protection de trois ans dès la fin de la procédure judiciaire qui est prévue par l'art. 271a al. 1 let. e CO (137 III 389 consid. 1.1; 136 III 19 consid. 1.1; arrêts du Tribunal fédéral 4A_367/2010 du 4 octobre 2010 consid. 1.1; 4A_127/2008 du 2 juin 2008 consid. 1.1; 4A_516/2007 du 6 mars 2008 consid. 1.1).

1.2 En l'espèce, le loyer annuel des locaux, charges comprises, s'élève à 34'404 fr., de sorte que la valeur litigieuse est largement supérieure à 10'000 fr. La voie de l'appel est ainsi ouverte.

1.3 L'appel a été interjeté dans le délai et suivant la forme prescrits par la loi (art. 130, 131, 311 al. 1 CPC). Il est ainsi recevable.

1.4 La Cour revoit la cause avec un plein pouvoir d'examen (art. 310 CPC; Hohl, Procédure civile, tome II, 2010, n. 2314 et 2416 ; Rétornaz, op. cit., p. 349 ss, n. 121).

2. En vertu de l'art. 317 al. 1 CPC, les faits et moyens de preuve nouveaux ne sont pris en compte que s'ils sont invoqués ou produits sans retard et qu'ils ne pouvaient être invoqués ou produits devant la première instance bien que la partie qui s'en prévaut ait fait preuve de la diligence requise.

La pièce nouvelle produite par l'appelant dans le cadre de sa réplique est dès lors recevable, puisqu'elle est postérieure à la clôture des débats principaux devant les premiers juges. Elle a en outre été produite sans retard par l'appelant, ce que la première intimée ne conteste pas.

3. Au vu des déclarations de la bailleresse lors de l'audience du 2 mars 2017, il y a lieu d'admettre qu'il n'y a pas de bail commun entre l'appelant et la seconde intimée, mais reprise cumulative de dette, voire cautionnement. Il n'y a, en conséquence, pas de consorité matérielle nécessaire entre l'appelant et la seconde intimée, de sorte que le premier pouvait effectivement contester seul le congé, conformément à ce qui résulte de l'arrêt de renvoi de la Cour de justice ACJC/1468/2016 du 7 novembre 2016, ce que les parties ne contestent au demeurant pas.

4. 4.1 En vertu de l'art. 257f al. 3 CO, le bailleur peut résilier le bail de manière anticipée lorsque le maintien du contrat est devenu insupportable pour lui ou les personnes habitant la maison parce que le locataire, nonobstant une protestation écrite du bailleur, persiste à enfreindre son devoir de diligence ou à manquer d'égards envers les voisins.

Pour les baux d'habitation, le congé peut intervenir dans un délai minimum de trente jours pour la fin d'un mois (arrêt du Tribunal fédéral 4A_64/2017 du 27 juin 2017 consid. 3.1).

La résiliation fondée sur l'art. 257f al. 3 CO suppose, en tout cas, une violation du devoir de diligence incombant au locataire, un avertissement écrit préalable du bailleur, la persistance du locataire à méconnaître son obligation en relation avec le manquement évoqué dans la protestation et le respect d'un préavis de trente jours pour la fin d'un mois (arrêt du Tribunal fédéral 4A_347/2016 du 10 novembre 2016 consid. 3.1.1 et les arrêts cités). En cas de violation persistante de stipulations contractuelles concernant l'affectation des locaux loués, le Tribunal fédéral, reconsidérant sa position, a récemment jugé que le bailleur pouvait résilier le contrat sur la base de l'art. 257f al. 3 CO même si l'activité du locataire n'engendrait pas une situation insupportable selon cette disposition (ATF 132 III 109 consid. 5); dans le cas jugé, les locaux loués pour des bureaux étaient utilisés pour l'exploitation d'un salon de massages érotiques.

4.2 L'appelant fonde toute son argumentation sur le fait que les enquêtes menées par les premiers juges n'auraient pas permis d'établir que l'activité de prostitution reprochée avait débuté avant la notification du congé litigieux. Il admet à cet égard, à tout le moins implicitement, que dite activité se déroulait bien dans l'appartement litigieux, mais qu'elle n'aurait pas débuté avant le 13 janvier 2015.

Son argumentation à ce titre frise la témérité.

En premier lieu, les enquêtes ont permis de déterminer que l'activité de prostitution se déroulait dans l'appartement litigieux à tout le moins au Nouvel-An 2014-2015, soit entre l'avertissement écrit et le congé litigieux.

En deuxième lieu, il n'est pas ressorti des enquêtes des premiers juges, et il n'a pas même été allégué par l'appelant, qu'il y aurait eu un autre lieu de prostitution dans l'immeuble, alors qu'une annonce publiée en novembre 2014 sur Internet fait référence à des services sexuels proposés à cette adresse-là.

En troisième lieu, l'appelant n'a pas été en mesure de justifier quelle utilisation il aurait faite de cet appartement entre sa prise de location le 1er août 2014 et le début de l'activité de prostitution qu'il admet, les allégations selon lesquelles il aurait habité ce logement étant dénuées de toute crédibilité, puisqu'il disposait déjà d'un autre logement à Genève à cette époque, dont il était locataire et où il avait son domicile officiel, et qu'il n'a pas été en mesure de fournir un début de preuve étayant ses dires, alors même qu'une telle preuve aurait été relativement aisée à apporter. Ses allégations sont d'autant moins crédibles qu'il a prétendu, en audience, au mois de mars 2017, qu'il habitait toujours l'appartement litigieux, ce qui est en contradiction avec ses propres écritures.

La Cour ne peut ainsi que retenir, à l'instar des premiers juges, que l'appartement litigieux a été exploité comme salon de massages érotiques dès le début du bail.

Le fait que l'appelant ait été acquitté par le Tribunal de police du chef d'accusation d'exercice illicite de la prostitution ne modifie pas cette appréciation, au vu des éléments qui précèdent.

Le grief soulevé par l'appelant est ainsi mal fondé.

Dans la mesure où celui-ci n'en soulève pas d'autre et ne critique à juste titre pas le raisonnement juridique développé par le Tribunal, conforme à la jurisprudence sus-rappelée, le jugement entrepris sera confirmé.

5. A teneur de l'art. 22 al. 1 LaCC, il n'est pas prélevé de frais dans les causes soumises à la juridiction des baux et loyers, étant rappelé que l'art. 116 al. 1 CPC autorise les cantons à prévoir des dispenses de frais dans d'autres litiges que ceux visés à l'art. 114 CPC (ATF 139 III 182 consid. 2.6).

* * * * *


 

PAR CES MOTIFS,
La Chambre des baux et loyers :

A la forme :

Déclare recevable l'appel interjeté le 11 septembre 2017 par A______ contre le jugement JTBL/727/2017 rendu le 11 août 2017 par le Tribunal des baux et loyers dans la cause C/3071/2015-4-OSB.

Au fond :

Confirme ce jugement.

Dit que la procédure est gratuite.

Déboute les parties de toutes autres conclusions.

Siégeant :

Madame Nathalie LANDRY-BARTHE, présidente; Madame Sylvie DROIN et Monsieur Laurent RIEBEN, juges; Monsieur Pierre STASTNY et Monsieur Bertrand REICH, juges assesseurs; Madame Maïté VALENTE, greffière.

 

La présidente :

Nathalie LANDRY-BARTHE

 

La greffière :

Maïté VALENTE

 

 

 

 

 

 

 

 

Indication des voies de recours :

 

Conformément aux art. 72 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF ; RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification avec expédition complète (art. 100 al. 1 LTF) par devant le Tribunal fédéral par la voie du recours en matière civile.

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14.

Valeur litigieuse des conclusions pécuniaires au sens de la LTF supérieure à 15'000 fr.