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Décisions | Chambre des baux et loyers

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C/27988/2010

ACJC/419/2014 du 07.04.2014 sur JTBL/326/2013 ( OBL ) , CONFIRME

Descripteurs : BAIL À LOYER; RÉNOVATION D'IMMEUBLE; RÉSILIATION ABUSIVE; NULLITÉ; ILLICÉITÉ
Normes : CO.271.1
En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

C/27988/2010 ACJC/419/2014

ARRÊT

DE LA COUR DE JUSTICE

Chambre des baux et loyers

DU LUNDI 7 AVRIL 2014

Entre

A.______ SA, ayant son siège ______ (GE), appelante d'un jugement rendu par le Tribunal des baux et loyers le 21 mars 2013, comparant par Me Pascal Marti, avocat, place des Philosophes 8, 1205 Genève, en l'étude duquel elle fait élection de domicile,

 

et

 

Monsieur B.______, domicilié ______ (GE), intimé, représenté par l'ASLOCA, rue du Lac 12, case postale 6150, 1211 Genève 6, en les bureaux de laquelle il fait élection de domicile.

 

 


EN FAIT

A. Par jugement du 21 mars 2013, expédié pour notification aux parties le 28 mars 2013, le Tribunal des baux et loyers a annulé le congé notifié le 20 septembre 2010 à B.______ pour l'appartement de 5,5 pièces au 6ème étage de l'immeuble sis ______ (GE) (ch. 1 du dispositif), a débouté les parties de toutes autres conclusions (ch. 2), a dit que la procédure était gratuite (ch. 3) et a indiqué les voies de droit (ch. 4).

En substance, les premiers juges ont retenu que le congé devait être annulé en vertu de l'art. 271 CO, au motif que les travaux envisagés, invoqués pour justifier le congé, n'étaient pas suffisamment importants pour empêcher que le locataire ne demeure dans l'appartement pendant leur exécution. Ils ont également considéré que la bailleresse avait volontairement négligé d'entretenir la chose louée et que, dès lors, il était contraire à la bonne foi de résilier le bail en vue d'effectuer les travaux de rénovation. Ils ont également retenu que le congé était contraire aux règles de la bonne foi en raison d'une disproportion manifeste des intérêts en présence.

Les premiers juges ont enfin considéré que le congé était illicite dès lors que la bailleresse, dans le cadre de la procédure d'autorisation de construire relative aux travaux de rénovation, n'avait pas respecté un certain nombre de dispositions de la loi sur les démolitions, transformations et rénovations de maisons d'habitation (LDTR - RS/GE L5 20) protégeant les locataires.

B. a. Par acte déposé le 7 mai 2013 au greffe de la Cour de justice, A.______ SA (ci-après : la bailleresse ou l'appelante) forme appel contre ce jugement. Elle conclut, principalement, à l'annulation du jugement du Tribunal des baux et loyers du 21 mars 2013 et à ce que la validité de la résiliation du contrat de bail notifié le 20 septembre 2010 à B.______ (ci-après : le locataire ou l'intimé) soit constatée.

b. Dans sa réponse du 14 juin 2013, le locataire conclut, principalement, au déboutement de l'appelante de toutes ses conclusions et à la confirmation du jugement entrepris et, subsidiairement, à ce qu'une pleine et entière prolongation de bail d'une durée de quatre ans lui soit accordée.

c. Les parties ont été avisées le 8 août 2013 de la mise en délibération de la cause.

La bailleresse n'a pas fait usage de son droit de réplique.

C. Les éléments suivants résultent de la procédure :

a. La mère de B.______, C.______, était locataire depuis 1971 d'un appartement de 5,5 pièces au 6ème étage de l'immeuble sis ______ (GE).

Les locaux étaient destinés à l'usage d'habitation.

Le loyer a été fixé en dernier lieu à 1'460 fr. par mois, charges comprises.

b. C.______ est décédée mi-janvier 2010. Le locataire a expliqué qu'il s'était installé avec sa mère dans l'appartement de celle-ci quelques temps avant son décès.

c. En date du 28 janvier 2010, l'intimé a informé la bailleresse qu'il était le seul descendant de feue C.______ et qu'il occupait l'appartement avec sa fille D.______. Par ce même courrier, il sollicitait un rafraîchissement des murs et plafonds de l'ensemble de l'appartement, lequel, selon lui, n'avait fait l'objet d'aucune réfection depuis de nombreuses années.

d. Dans sa réponse du 4 février 2010, la régie en charge de la gestion de l'immeuble a admis que l'appartement était vétuste et qu'il n’avait jamais été rénové depuis l'entrée dans les lieux de la mère de l'intimé, soit le 15 décembre 1971. Elle indiquait pour le surplus souhaiter entrer en négociation avec l'intimé "afin de prévoir des travaux d'entretien que nous estimons nécessaires une remise à jour du loyer qui ne reflète pas la réalité du marché" (sic).

e. Une visite de l'appartement par des représentants de la bailleresse a eu lieu le 27 avril 2010. Selon ceux-ci, l'appartement était vétuste. Il n'avait jamais été refait depuis le début du bail et ne correspondait plus aux standards actuels, si bien que, toujours selon les représentants de la bailleresse, une rénovation complète apparaissait indispensable.

f. Le 6 août 2010, la bailleresse a déposé une demande d'autorisation de construire en procédure accélérée pour la rénovation complète de l'appartement en cause. Cette demande d'autorisation comportait le descriptif et le coût des travaux envisagés, soit la mise aux normes de l'installation électrique, la rénovation des sanitaires et de l'agencement de cuisine, la pose de paille d'avoine et peinture, l'arrachage des linos et la pose d'un parquet collé, pour un coût total de 89'400 fr.

g. Par courrier du 25 août 2010, le Département des constructions et des technologies de l'information, devenu dans l'intervalle le Département de l'aménagement, du logement et de l'énergie (DAEL, actuel DU) a demandé à la régie de lui transmettre copie de l'information au locataire prévue par l'art. 43 LDTR.

h. Par avis de résiliation du 20 septembre 2010, la bailleresse a résilié le bail de l'intimé pour le 31 décembre 2010. Le courrier qui accompagnait cet avis de résiliation avait la teneur suivante : "Suite au décès de votre mère, vous occupez l'appartement susmentionné. Vous avez demandé des travaux portant sur l'ensemble des locaux. Une collaboratrice de la régie G.______ s'est donc rendue sur place et a constaté le caractère très vétuste de l'appartement. Après examen, il est impératif de procéder à une rénovation complète de l'appartement. Au vu de l'ampleur et de la durée des travaux, la société propriétaire doit se résoudre à résilier votre contrat de bail pour le 31 décembre 2010, de manière à pouvoir effectuer les travaux en question".

i. Par lettre du 5 octobre 2010, la régie a informé l'intimé que suite à sa demande de travaux et compte tenu de la vétusté de l'appartement, la société propriétaire avait pris la décision de le rénover et que cela allait entraîner des travaux de grande ampleur pendant plusieurs mois. La régie poursuivait dans les termes suivants : "Nous tenons également à vous signaler que, même si cette information ne vous concernera pas, puisque le bail a été résilié, les travaux en question n'auront aucun impact sur le loyer, dès lors que la société propriétaire a décidé de maintenir le même loyer que le vôtre après travaux".

j. Une copie du courrier précité du 5 octobre 2010 a été adressée au DCTI par la régie le jour même, avec une copie de l'avis de résiliation du bail.

Le 22 mars 2011, le DCTI a délivré l'autorisation de rénover l'appartement.

k. Saisi d'une requête en contestation du congé du locataire, la Commission de conciliation a rendu une décision le 26 janvier 2012 par laquelle elle déclarait le congé valable et accordait au locataire une première prolongation de bail au 30 juin 2013.

l. Par acte du 29 février 2012, le locataire a saisi le Tribunal des baux et loyers, et a conclu, principalement, à l'annulation du congé.

m. Lors de l'audience de comparution personnelle des parties du 24 mai 2012 devant le Tribunal, le représentant de la société propriétaire a indiqué que cette dernière avait l'intention de refaire petit à petit l'ensemble des appartements. L'appartement en cause était le premier pour lequel les travaux étaient envisagés, compte tenu de son état. La locataire étant décédée et son fils n'ayant intégré l'appartement que récemment, la société propriétaire avait choisi de commencer par ce logement pour les travaux. Ceux-ci, qui consistaient en une rénovation complète, ne pouvaient s'effectuer en présence du locataire. Un appartement de remplacement à la Servette avait été proposé au locataire. Celui-ci n'était même pas allé le visiter.

L'intimé a indiqué qu'il était disposé à quitter l'appartement le temps nécessaire pour permettre l'exécution des travaux. Il a admis avoir refusé la proposition d'appartement à la Servette, le loyer de cet appartement (2'200 fr. par mois sans les charges) étant trop élevé pour lui.

n. Le Tribunal a procédé à des enquêtes. Il a notamment entendu comme témoin E.______, cheffe de service au DU, et signataire de l'autorisation de construire délivrée le 22 mars 2011. Ce témoin a indiqué qu'en dehors des deux courriers adressés au locataire par la bailleresse les 20 septembre et 5 octobre 2010, son dossier ne comportait aucun autre courrier d'information au locataire. Le témoin a par ailleurs indiqué que lorsque le Département considérait que les travaux nécessitaient le départ du locataire, cette condition figurait dans l'autorisation de construire, ce qui n'était pas le cas en l'espèce.

o. Le témoin F.______, gérante d'immeuble auprès de la régie G.______, a déclaré que selon la bailleresse, et bien que l'autorisation de construire ne le spécifie pas, les travaux ne pouvaient s'effectuer en présence du locataire. En effet, il s'agissait de travaux de réfection complets des installations sanitaires et de la cuisine, ainsi que des sols et des peintures.

p. Le témoin H.______, assistante technique auprès de la régie G.______ jusqu'à fin 2010, a précisé que la durée des travaux prévus était de l'ordre de deux mois. Il s'agissait selon elle de gros travaux qui pouvaient difficilement être effectués en présence du locataire. A la connaissance du témoin, il n'y avait pas eu d'autres appartements dans cet immeuble qui avaient fait l'objet de tels travaux de rénovation globale.

q. Dans le courant de la procédure devant le Tribunal des baux et loyers, la bailleresse a déposé une demande d'autorisation de construire pour rénover un autre appartement de l'immeuble. L'autorisation de construire en question a été délivrée le 14 décembre 2012.

r. La cause a été remise pour plaider au 23 février 2013 et gardée à juger à cette date.

D. L'argumentation juridique des parties sera examinée dans la mesure utile à la solution du litige.

EN DROIT

1. 1.1. L'appel est recevable contre les décisions finales et les décisions incidentes de première instance (art. 308 al. 1 let. a CPC). Dans les affaires patrimoniales, l'appel est recevable si la valeur litigieuse au dernier état des conclusions est de 10'000 fr. au moins (art. 308 al. 2 CPC).

Selon la jurisprudence constante du Tribunal fédéral, les contestations portant sur l'usage d'une chose louée sont de nature pécuniaire (arrêt du Tribunal fédéral 4C.310/1996 du 16 avril 1997, in SJ 1997 p. 493 consid. 1).

Lorsque l'action ne porte pas sur le paiement d'une somme d'argent déterminée, le Tribunal détermine la valeur litigieuse si les parties n'arrivent pas à s'entendre sur ce point ou si la valeur qu'elles avancent est manifestement erronée (art. 91 al. 2 CPC). La détermination de la valeur litigieuse suit les mêmes règles que pour la procédure devant le Tribunal fédéral (RETORNAZ, in Procédure civile suisse, Les grands thèmes pour les praticiens, Neuchâtel, 2010, p. 363; SPÜHLER, in Basler Kommentar, Schweizerische Zivilprozessordnung, SPÜHLER/TENCHIO/ INFANGER [ed], 2010, n° 8 ad art. 308 CPC).

L'art. 51 al. 2 LTF dispose que si les conclusions ne tendent pas au paiement d'une somme d'argent déterminée, le Tribunal fédéral fixe la valeur litigieuse selon son appréciation.

Dans une contestation portant sur la validité d'une résiliation de bail, la valeur litigieuse est égale au loyer de la période minimum pendant laquelle le contrat subsiste nécessairement si la résiliation n'est pas valable, période qui s'étend jusqu'à la date pour laquelle un nouveau congé peut être donné ou l'a effectivement été. Lorsque le bail bénéficie de la protection contre les congés des art. 271 ss CO, il convient, sauf exceptions, de prendre en considération la période de protection de trois ans dès la fin de la procédure judiciaire qui est prévue par l'art. 271a al. 1 let. e CO (arrêts du Tribunal fédéral 4A_189/2011 du 4 juillet 2011 = ATF 137 III 389; 4A_367/2010 du 4 octobre 2010 consid. 1.1; 4A_127/2008 du 2 juin 2008 consid. 1.1; 4A_516/2007 du 6 mars 2008 consid. 1.1; ATF 136 III 196 consid. 1.1). Quant au dies a quo, il court dès la fin de la procédure judiciaire. Dès lors que la valeur litigieuse doit être déterminable lors du dépôt du recours, il convient de se référer à la date de la décision cantonale (arrêts du Tribunal fédéral 4A_187/2011 du 9 juin 2011 et 4A_189/2011 du 4 juillet 2011).

En l'espèce, le loyer annuel, charges comprises, s'élève à 17'520 fr. La procédure cantonale s'achèvera avec l'arrêt que prononcera la Chambre de céans. En prenant en compte la période de trois ans après cet arrêt, la valeur litigieuse est largement supérieure à 10'000 fr.

La voie de l'appel est ainsi ouverte.

1.2. Selon l'art. 311 CPC, l'appel, écrit et motivé, est introduit auprès de l'instance d'appel dans les 30 jours à compter de la notification de la décision, laquelle doit être jointe au dossier d'appel.

Le délai d'appel est réduit à 10 jours si la décision a été rendue en procédure sommaire (art. 314 al. 1 CPC).

Le jugement du Tribunal des baux et loyers du jeudi 21 mars 2013 a été communiqué aux parties le 28 mars 2013. Il a ainsi été reçu par les parties pendant la suspension des délais prévus par l’art. 145 al. 1 lit. a CPC selon lequel les délais légaux et les délais fixés judiciairement ne courent pas du 7ème jour avant Pâques au 7ème jour qui suit Pâques inclus.

Le délai de trente jours pour former appel a commencé à courir à compter du jour qui a suivi la fin de la suspension (art. 146 al. 1 CPC) soit le 8 avril 2013. L'appel du 7 mai 2013 a ainsi été interjeté dans le délai et suivant la forme prescrite par la loi (art. 130, 131, 311 al. 1 CPC). Il est ainsi recevable.

1.3. La Cour revoit la cause avec un plein pouvoir d'examen (art. 310 CPC; HOHL, Procédure civile, tome II, 2010, n. 2314 et 2416; RETORNAZ, op. cit., p. 349 ss, n. 121).

2. Le Tribunal des baux et loyers a annulé le congé notifié à l'intimé sur la base de deux motifs. En premier lieu, il a considéré qu'à trois égards, le congé était contraire aux règles de la bonne foi. Il a par ailleurs retenu que le congé était illicite en raison de la violation de la LDTR par le bailleur dans le cadre de la procédure d'autorisation de rénover l'appartement.

La Cour examinera successivement les griefs de l'appelante relatifs aux motifs à l'origine de l'annulation du congé litigieux par le Tribunal.

3. 3.1. Aux termes de l'art. 271 CO, le congé est annulable lorsqu'il contrevient aux règles de la bonne foi.

La protection accordée par l'art. 271 al. 1 CO procède à la fois du principe de la bonne foi (art. 2 al. 1 CC) et de l'interdiction de l'abus de droit (art. 2 al. 2 CC), tant il est vrai qu'une distinction rigoureuse ne se justifie pas en cette matière (ATF 120 II 31; arrêt du Tribunal fédéral 4C.170/2004 du 27 août 2004 consid. 2.1). Les cas typiques d'abus de droit (absence d'intérêt à l'exercice d'un droit, utilisation d'une institution juridique contrairement à son but, disproportion grossière des intérêts en présence, exercice d'un droit sans ménagement, attitude contradictoire) justifient l'annulation du congé; à cet égard, il n'est toutefois pas nécessaire que l'attitude de l'auteur du congé puisse être qualifiée d'abus de droit "manifeste" au sens de l'art. 2 al. 2 CC (ATF 120 II 105; arrêt du Tribunal fédéral 4C.170/2004 du 27 août 2004 consid. 2.1; LACHAT, Le bail à loyer, Lausanne 2008, p. 733).

Le but de la réglementation des art. 271 et 271a CO est uniquement de protéger le locataire contre des résiliations abusives et n'exclut pas un congé même si l'intérêt du locataire au maintien du bail paraît plus important que celui du bailleur à ce qu'il prenne fin; seule une disproportion manifeste des intérêts en jeu, due au défaut d'intérêt digne de protection du bailleur, peut rendre une résiliation abusive (ATF 136 III 190 consid. 2; 132 III 737 consid. 3.4.2; arrêts du Tribunal fédéral 4A_414/2009 du 9 décembre 2009 consid. 3.1 et 4A_322/2007 du 12 novembre 2007 consid. 6; ACJC/1292/2008 du 3 novembre 2008; LACHAT, in Commentaire Romand du Code des obligations I, n. 6 ad art. 271).

Le congé doit être considéré comme abusif s'il ne répond à aucun intérêt objectif, sérieux et digne de protection. Est abusif le congé purement chicanier dont le motif n'est manifestement qu'un prétexte (ATF 135 III 112 consid. 4.1; 120 II 31 consid. 4a; arrêts du Tribunal fédéral 4A_735/2011 du 16 janvier 2012 consid. 2.2 et 4C.411/2006 du 9 février 2007 consid. 2.1).

3.2. Dans un premier grief, l'appelante reproche au Tribunal des baux et loyers d'avoir retenu que le motif du congé, soit d'avoir à libérer l'appartement de l'intimé pour pouvoir y effectuer les travaux de rénovation prévus, est contraire aux règles de la bonne foi. Le Tribunal a considéré que l'ampleur des travaux n'est pas telle qu'elle nécessite le départ du locataire. L'appelante soutient au contraire que cette mesure est indispensable pour pouvoir réaliser les travaux, du moins sans complications importantes.

3.3. La doctrine a des opinions divergentes sur la question. La grande majorité des auteurs est d'avis qu'un congé donné en vue de l'assainissement d'un bâtiment ne contrevient pas aux règles de la bonne foi.

Ainsi, d'après les auteurs du SVIT Kommentar, les congés sont à cet égard valables lorsque le bailleur veut démolir, transformer ou entreprendre de vastes rénovations; le fait que ces travaux soient possibles même si les locataires restent dans l'objet loué est sans pertinence; il y aurait cependant lieu de faire une exception lorsque le séjour du locataire dans les locaux loués ne rend en aucune manière plus difficile la poursuite des travaux, par exemple en cas de peinture de la façade (SVIT-Kommentar Mietrecht, 3e éd. 2008, n. 32 ad art. 271 CO).

Selon l'opinion de BARBEY également, un congé donné en vue de transformations ou de rénovations est admissible indépendamment du fait que ces travaux soient aussi possibles si les locataires demeurent dans l'objet loué; selon cet auteur, il suffit pour motiver le congé que le maintien du locataire dans l'objet loué perturbe l'exécution des travaux, même de manière peu importante (BARBEY, Commentaire du droit du bail, Protection contre les congés concernant les baux d'habitation et de locaux commerciaux, 1991, n. 216 ad art. 271-271a CO; du même avis : CALAMO, Die missbräuchliche Kündigung der Miete von Wohnräumen, thèse St-Gall 1993, p. 283 ss).

FUTTERLIEB est pour sa part d'avis que la validité d'un congé donné en vue de réaliser une vaste remise à neuf ne doit être examinée qu'à la lumière des art. 271 et 271a CO sur l'annulabilité. Si l'intérêt du bailleur à une exécution des travaux rapide et à un coût avantageux n'est pas dans une disproportion crasse avec l'intérêt du locataire à la poursuite des rapports de bail, le congé est légitime et, par conséquent, n'est pas annulable. Ne pourraient être contraires à la bonne foi que les congés donnés en vue de travaux de rénovation dont le déroulement ne serait pas du tout retardé ou compliqué, ou ne le serait que marginalement, par le maintien du locataire et de ses meubles (FUTTERLIEB, Kündigung bei umfassender Ueberholung, MRA 1/2008, p. 28 ss; voir aussi RIZZOLIO, Les travaux de rénovation et de modification de la chose louée entrepris par le bailleur; analyse de l'art. 260 CO, 1997, p. 200).

HIGI estime qu'un congé motivé par l'assainissement d'un immeuble constitue l'exercice d'un droit sans ménagement quand le type d'assainissement permet un usage de la chose seulement limité, autrement dit quand la rénovation ne peut objectivement pas, ou ne le peut que d'une manière limitée, être raisonnablement imposée au locataire; à titre d'exemple, cet auteur cite la rénovation simultanée de toutes les conduites, du système de chauffage, des pièces d'eau et de la cage d'escalier, mais pas une simple rénovation de l'extérieur ou des balcons. Il considère à cet égard que l'établissement du programme des travaux est l'affaire exclusive du bailleur; celui-ci, plutôt que d'entreprendre une phase de rénovation des locataires, peut préférer donner un congé afin de déterminer les travaux plus rapidement et à moindre coût. Sous l'angle de la bonne foi, un tel choix ne saurait lui être reproché (HIGI, Zürcher Kommentar, 4e éd. 1996, n. 87 ad art. 271 CO).

Quand à WEBER, il considère que les interventions sur les immeubles qui remettent en cause de manière fondamentale la structure du contrat (comme les modernisations qui impliquent d'énormes inconvénients à cause de travaux, de modifications fondamentales ou de mesures architecturales luxueuses), que ce soit par des limitations massives du droit d'usage ou par l'imposition de coûteux travaux à plus-values, représentent un motif valable pour signifier un congé ordinaire. A l'inverse, il estime cependant qu'un congé qui a été donné en raison de travaux qui peuvent être raisonnablement imposés au locataire est inutile et, partant, annulable (WEBER, in : Basler Kommentar, Obligationenrecht, 4e éd. 2007, n. 2 ad art. 260 CO).

Pour LACHAT/STOLL/BRUNNER également, le congé motivé uniquement par le fait que le bailleur veut assainir l'immeuble est annulable au sens des art. 271 et 271a CO. L'art. 260 CO tient compte de l'intérêt de la partie bailleresse en ce sens qu'à certaines conditions, des travaux de transformation sont possibles aussi durant le rapport de bail. A l'inverse, cette disposition signifie que la partie bailleresse doit renoncer à mettre fin au rapport de bail tant qu'il est possible du point de vue technologique que la partie locataire demeure dans les locaux loués durant les travaux (LACHAT/STOLL/BRUNNER, Mietrecht für die Praxis, 6e éd. 2005, p. 179 n° 2.6; cf. aussi LACHAT, in : Commentaire romand, Code des obligations, 2003, n. 5 ad art. 260 CO).

3.4. Le Tribunal fédéral a jugé que la résiliation donnée par un bailleur qui envisageait d'entreprendre, selon des critères de construction techniques et économiques appropriés, de vastes travaux d'assainissement limitant considérablement la possibilité d'utiliser les locaux loués ne contrevenait en principe pas aux règles de la bonne foi (ATF 135 III 112 = JdT 2009 I 491). En revanche, le congé que le bailleur donnerait pour des travaux de modernisation ne reposerait pas sur un motif digne de protection lorsque, pendant leur exécution, le maintien du locataire dans l'objet loué ne serait pas rendu plus difficile ou empêché, ou ce pas dans une mesure importante; tel pourrait être le cas, par exemple, lors de peinture des murs, de simples rénovations extérieures ou de travaux sur les balcons (ATF 135 précité).

On ne peut pas partir du principe que le congé est dépourvu de motifs objectifs pour le bailleur lorsque le locataire, en cas de vastes travaux d'assainissement, déclare s'accommoder des inconvénients qui en résultent et être prêt à rester dans la chose louée. Le type d'assainissement et l'ampleur que celui-ci prendra est une question qui relève de l'appréciation du bailleur. Celui-ci peut donc avoir un intérêt légitime à résilier les contrats de bail afin d’exécuter les travaux rapidement et à moindre coût, plutôt que d'accepter une phase de rénovation durant plus longtemps avec des réductions de loyer en faveur du locataire. Sous l'angle de la bonne foi, un tel comportement ne saurait lui être reproché (ATF 135 précité; HIGI, op. cit., n° 87 et ss ad art. 271 CO avec renvoi à ATF 120 II 105 et ss; ATF 135 précité).

3.5. En l'espèce, les travaux envisagés sont importants. Ils consistent dans la réfection complète de la cuisine et de la salle de bains, la remise à neuf de toute l'installation électrique, de la réfection de toutes les peintures et du remplacement des sols en lino par des parquets.

Il s'agit toutefois de travaux moins importants que ceux qui font l'objet de l'arrêt du Tribunal fédéral précité. Ils ne sont pas suffisamment importants pour que la bailleresse puisse exiger que l'appartement soit libre de tout occupant pour les effectuer. Elle n'a de plus pas établi que cela lui permettrait de les réaliser plus rapidement et à moindre coût, ce d'autant moins que la vacance du logement pendant les travaux et jusqu'à sa relocation lui occasionnerait un manque à gagner.

Ainsi, pour ce motif, c'est à juste titre que le Tribunal a annulé le congé litigieux.

3.6. Dans un autre grief, la recourante reproche ensuite au Tribunal des baux et loyers d'avoir retenu qu'elle se serait volontairement abstenue d'effectuer des travaux d'entretien dans l'appartement de l'intimé et d'en avoir déduit qu'elle avait agi de manière contraire aux règles de la bonne foi en résiliant le bail au prétexte d'avoir besoin de procéder à d'importantes rénovations.

Or, en l'espèce, l'on ne saurait reprocher à la bailleresse de n'avoir pas effectué plus tôt les travaux qu'elle envisage de réaliser. L'on ne se trouve pas ici uniquement en présence de travaux d'entretien différés, mais en présence de travaux de transformation et de modernisation qu'un propriétaire n'effectue dans son immeuble qu'après plusieurs dizaines d'années, indépendamment du niveau d'entretien courant assuré pendant le bail.

Par conséquent, le grief de l'appelante est fondé, mais il est sans portée, le jugement entrepris devant être confirmé à tout le moins pour motif examiné au considérant précédent.

3.7. Toujours sous l'angle de l'art. 271 CO, le Tribunal des baux et loyers a ensuite retenu que le congé consacrait une disproportion grossière des intérêts en jeux, dès lors que le locataire occupe l'appartement avec sa fille de 19 ans et aurait manifestement des difficultés à se reloger compte tenu de ses revenus modestes.

Selon LACHAT (Le bail à loyer, 2008, p. 705), sont des congés consacrant une disproportion manifeste des intérêts en présence le congé donné parce que le locataire a émis quelques critiques sur le logement et s’est plaint de quelques défauts, le congé donné en vue d’une rénovation légère, alors que le maintien du locataire dans les locaux est possible, le congé donné suite à des bagatelles (le locataire a laissé son linge dans la machine à laver, il y a trois chats au lieu des deux admis), le congé donné parce que le locataire a (une fois) mal parqué sa voiture ou le congé donné par le bailleur de locaux commerciaux qui apprend que le mobilier garnissant les locaux loués n’appartient pas au locataire, alors que le loyer est très régulièrement payé et que, partant, ses intérêts économiques ne sont en rien menacés.

Un congé n'est par ailleurs pas contraire aux règles de la bonne foi du simple fait que l'intérêt du locataire au maintien du bail paraît plus important que celui du bailleur à ce qu'il prenne fin. Seule une disproportion manifeste des intérêts en présence, due au défaut d'intérêt digne de protection du bailleur peut rendre une résiliation abusive (arrêt du Tribunal fédéral 4A_414/2009 du 2 décembre 2009 consid. 3.1; ACJC/1120/2012 du 8 août 2012).

3.8. En l'espèce, il n'est pas contestable que le locataire aura de la difficulté à retrouver un logement, vu ses faibles moyens et le marché du logement à Genève. Sa situation ne diffère toutefois pas fondamentalement de celle de nombreuses personnes souhaitant se loger à Genève.

Par ailleurs, on a vu ci-dessus que l'intérêt du bailleur à réaliser les travaux envisagés est à première vue digne de protection.

Toutefois, pour les raisons exposées ci-après, la Cour de céans admettra que le congé litigieux consacre une manifeste disproportion des intérêts en présence.

C'est en effet suite à la demande de l'intimé que son appartement, qui n'avait pas fait l'objet de travaux de réfection depuis le début du bail, soit en 1971, bénéficie de tels travaux que la bailleresse a décidé d'entreprendre des travaux plus importants. Ce n'est de plus qu'en raison de la décision de la bailleresse d'exécuter des travaux plus importants que ceux réclamés par l’intimé que celle-ci a décidé de résilier le bail, considérant qu’il serait plus aisé de les réaliser en l’absence de tout occupant.

Si le locataire s'était abstenu de demander de tels travaux, son bail n'aurait pas été résilié. Certes, les conditions d’un congé de représailles au sens de l'art. 271a al. 1 lit. a CO ne sont pas réunies, ainsi que le Tribunal des baux et loyers l'a admis. Toutefois, il est contraire aux règles de la bonne foi d'attendre que le locataire demande l'exécution de travaux d'entretien de son logement près de quarante ans après le début du bail pour décider d'entreprendre des travaux plus importants que ceux qu'il a revendiqués, puis de résilier le bail au motif que lesdits travaux impliquent son départ du logement.

Ce qui est en cause, ce n'est pas le droit de la bailleresse de réaliser d'importants travaux. C'est bien de saisir l'opportunité d'une demande du locataire d'effectuer de simples travaux d'entretien pour résilier le bail au prétexte que de plus importants travaux que ceux que le locataire a demandés vont être exécutés.

Le congé donné par la bailleresse étant pour ce motif contraire aux règles de la bonne foi, c'est à bon droit que les premiers juges l'ont annulé, pour ce motif également.

4. 4.1. Dans son jugement entrepris, le Tribunal des baux et loyers a également retenu que le congé était illicite au motif que la bailleresse n'avait pas respecté l'art. 43 al. 1 LDTR, qui prévoit l'obligation du propriétaire d'informer au préalable et par écrit les locataires et de les consulter en dehors de toute résiliation de bail lorsqu'il a l'intention de réaliser les travaux. Il en a déduit que le congé était, de ce fait, annulable.

La recourante conteste que la violation de l'art. 43 al. 1 LDTR entraîne l'illicéité du congé. De son côté, le locataire soutient que le congé contrevient à l'art. 43 al. 1 LDTR et qu'il doit ainsi être considéré comme nul, en application de l'art. 20 CO. L'art. 43 LDTR a la teneur suivante :

1. Le propriétaire a l'obligation d'informer au préalable et par écrit les locataires et de les consulter en dehors de toute résiliation de bail, lorsqu'il a l'intention d'exécuter des travaux au sens de la présente loi. Il leur expose son projet et les informe de la modification de loyer qui en résulte. Il leur impartit un délai de 30 jour au moins pour présenter leurs observations et suggestions éventuelles.

2. Le Département veille que le propriétaire informe par écrit, individuellement, les locataires de la liste des travaux autorisés et du programme d'exécution de ces travaux.

3. En cas de non-respect de l'obligation d'information et de consultation prévues à l'alinéa 1 du présent article, le Département peut refuser la délivrance de l'autorisation requise. L'art. 44 de la présente loi (Sanctions et mesures) est réservé.

Il découle par ailleurs de l'art. 6 du règlement d'application de la LDTR (RLDTR - L5 20.01) que l'information au locataire doit avoir lieu avant le dépôt de la demande d'autorisation de construire.

Le but poursuivi par ce régime est de permettre aux locataires qui vivent dans les lieux d'apporter leurs observations sur ledit projet et d'exposer dans la procédure les conséquences qu'il entraîne sur leur situation personnelle (ATA/605/2008 du 2 décembre 2008).

La conséquence du non-respect de cette obligation est que le Département peut refuser la délivrance de l'autorisation requise (art. 43 al. 3 LDTR). La LDTR ne prévoit nullement que le congé donné par le bailleur dans ce contexte serait affecté d’un vice. Un tel congé n'est toutefois pas sans conséquence. Il peut amener le Département à refuser l'autorisation de construire.

4.2. Ainsi, dans le cas d'espèce, le non-respect de l'art. 43 LDTR n'a pas d'effets de droit privé et ne rend pas le congé donné à l'intimé illicite. Il aurait en revanche pu permettre au Département de refuser l'autorisation sollicitée. Le Département n'a pas souhaité appliquer cette sanction, considérant que le but poursuivi, soit de permettre à l'intimé de se prononcer sur le programme des travaux, avait été atteint.

Par conséquent c'est à tort que le Tribunal des baux et loyers admis que le congé devait être annulé au motif de la violation de l'art. 43 al. 1 LDTR.

5. Au vu des considérants qui précèdent, le jugement entrepris sera confirmé.

6. A teneur de l'art. 22 al. 1 LaCC, il n'est pas prélevé de frais dans les causes soumises à la juridiction des baux et loyers, étant rappelé que l'art. 116 al. 1 CPC autorise les cantons à prévoir des dispenses de frais dans d'autres litiges que ceux visés à l'art. 114 CPC (arrêt du Tribunal fédéral 4A_607/2012 du 21 février 2013 consid. 2.6).

* * * * *


 

PAR CES MOTIFS,

La Chambre des baux et loyers :

A la forme :

Déclare recevable l'appel interjeté le 7 mai 2013 par A.______ SA contre le jugement JTBL/326/2013 rendu le 21 mars 2013 par le Tribunal des baux et loyers dans la cause C/27988/2010-4-B.

Au fond :

Confirme ce jugement.

Dit que la procédure est gratuite.

Déboute les parties de toutes autres conclusions.

Siégeant :

Madame Nathalie LANDRY-BARTHE, présidente; Madame Daniela CHIABUDINI et Madame Alix FRANCOTTE CONUS juges; Monsieur Mark MULLER et Monsieur Thierry STICHER, juges assesseurs; Madame Maïté VALENTE, greffière.

 

La présidente :

Nathalie LANDRY-BARTHE

 

La greffière :

Maïté VALENTE

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Indication des voies de recours :

 

Conformément aux art. 72 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification avec expédition complète (art. 100 al. 1 LTF) par devant le Tribunal fédéral par la voie du recours en matière civile.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14.

 

Valeur litigieuse des conclusions pécuniaires au sens de la LTF supérieure ou égale à 15'000 fr. (cf. consid. 1.1).