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Décisions | Chambre civile

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C/12877/2009

ACJC/264/2012 (3) du 24.02.2012 sur JTPI/9609/2011 ( OO ) , CONFIRME

Descripteurs : ; POUVOIR D'EXAMEN LIBRE ; LIBÉRATION JUDICIAIRE D'UNE SERVITUDE
Normes : CPC 310 CC.736
Résumé : 1. L'instance d'appel revoit la cause en fait et en droit avec un plein pouvoir d'examen. En vertu de la présomption de l'art. 150 al. 1 CPC, il est admissible dans le cadre de la maxime des débats d'admettre comme non contestés les faits retenus dans la décision attaquée s'ils ne sont pas critiqués par l'appelant (consid. 2). 2. Pour apprécier l'existence de l'utilité de la servitude pour le fond dominant au sens de l'art. 736 al. 1 CC, il faut examiner en si le propriétaire du fonds dominant a encore un intérêt à exercer la servitude selon son but initial et quel est le rapport entre cet intérêt et celui qui existait au moment de la constitution de la servitude (consid. 3.1). 3. Lorsque les motifs de la constitution de la servitude ne peuvent plus être déterminés objectivement, il convient de présumer qu'en constituant une servitude, les parties visaient le but qui découlait raisonnablement des besoins résultant de l'usage du fonds dominant, compte tenu des circonstances de l'époque. La nature de ce fonds est ainsi déterminante (consid. 3.1). 4. La libération selon l'art. 736 al. 2 CC suppose que les faits qui aggravent la charge pour le fonds servant soient postérieurs à la constitution de la servitude et que l'intérêt au maintien de la servitude soit devenu proportionnellement ténu, que ce soit en raison d'une diminution de l'intérêt du propriétaire du fonds dominant ou d'une aggravation de la charge pour le propriétaire du fonds servant (consid. 3.2). 5. Une servitude limitant le droit à bâtir, qui a été constituée à une époque où le fonds grevé se situait dans un périmètre à faible densité de construction ne peut être rachetée pour la seule raison que le fonds servant se trouve actuellement en périmètre urbain à forte densité de construction et que l'intérêt à la construction s'est par conséquent accru (consid. 3.2)
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

C/12877/2009 ACJC/264/2012

ARRÊT

DE LA COUR DE JUSTICE

Chambre civile

du vendredi 24 FEVRIER 2012

 

Entre

1. X______ SA(anciennement XbiS______ SA), ayant son siège ______,

2. Y______ SA, sise ______,

3. Z______ , domiciliée ______,

4. W______ , domicilié ______,

5. V______ , domicilié _______,

6. U______ , domicilié ______,

7. T______ , sise ______,

 

appelants d'un jugement rendu par la 16ème Chambre du Tribunal de première instance de ce canton le 23 juin 2011, comparant tous par Me François Bellanger, avocat, en l’étude duquel il fait élection de domicile,

 

et

 

S______ , domicilié ______, intimé, comparant en personne,

R______ , domicilié ______, autre intimé, comparant par Me Nicolas Peyrot, avocat, en l'étude duquel il fait élection de domicile,

Le présent arrêt est communiqué aux parties par plis recommandés du 29 février 2012.

 

 

 

 

 

 

 



EN FAIT

A. Par jugement du 23 juin 2011, notifié le lendemain à X______ SA (anciennement XbiS______ SA), Y______ SA, T______ , Z______ , W______ , V______ et U______ , le Tribunal de première instance a constaté que la servitude de restriction au droit de bâtir grevant les parcelles 1*** à 7***, ainsi que la dépendance 8*** de la commune de Genève, section A______, au profit de la parcelle 11*** de la même commune, avait perdu tout intérêt pour cette dernière (ch. 1), en a ordonné la radiation dans cette mesure (ch. 2), a condamné les parties susnommées solidairement aux dépens, y compris une indemnité de procédure de 6'000 fr. à titre de participation aux honoraires d'avocat de R______ (ch. 3), et a débouté les parties de toutes autres conclusions (ch. 4).

Par acte expédié au greffe de la Cour le 25 août 2011, X_______ SA, Y______ SA, T______ , Z______ , W______ , V______ et U______ appellent de ce jugement, sollicitant l'annulation des chiffres 3 et 4 de son dispositif. Ils concluent, avec suite de dépens, à la constatation que la servitude de restriction grevant les parcelles 1*** à 5*** de la commune de Genève, section A______, au profit, dans la même commune, de la parcelle 9*** ne conserve pour cette dernière qu'une utilité réduite, hors de proportion avec les charges imposées aux fonds servants, et que ladite servitude sera éteinte moyennant le versement d'une indemnité fixée à dires de justice après instruction sur ce point. Enfin, les appelants sollicitent la radiation de cette servitude.

R______ conclut à la confirmation du jugement entrepris, avec suite de dépens.

Invité à répondre à l'appel, S______ ne se détermine pas.

Par plis du 21 novembre 2011, la réponse de R______ a été transmise aux appelants et les parties ont été informées que la cause a été mise en délibération.

B. Les faits pertinents sont les suivants :

a. X______ SA est propriétaire des parcelles 1*** et 2*** de la commune de Genève, section A______; S______ est propriétaire de la parcelle 3*** de la même commune; Z______ , W______ et V______ y sont copropriétaires de la parcelle 4*** et avec Y______ SA, U______ et T______ , de la parcelle 5***.

Les parcelles 1***, 2***, 3***, 4*** et 5***, comportant chacune une villa, forment une surface carrée de 4'850 m2. La parcelle 8*** correspond au chemin d'accès aux villas.

b. Cette surface est bordée au sud par les parcelles 6*** et 7***, qui sont la propriété de la VILLE DE GENEVE et où se trouve une école.

La VILLE DE GENEVE est également propriétaire de la parcelle 10***. Plusieurs bâtiments y ont été construits, à la suite de l'adoption du plan localisé de quartier (PLQ) no 27985-255 le 22 février 1989, prévoyant la construction de deux immeubles de niveau Ri+Rs+6+S.

c. Propriété de R______ , la parcelle 9*** borde le nord des parcelles 1***, 2***, 3***, 4*** et 5***.

Présentant une surface de 5'132 m2, trois bâtiments contigus formant une unité y sont construits. R______ est également propriétaire de la parcelle 11***, qui consiste en une surface triangulaire de 374 m2.

d. Une servitude de restriction du droit de bâtir grevant les parcelles 1*** à 7*** en faveur des parcelles 9***, 10***, 11*** a été inscrite au Registre foncier le 6 juillet 1951.

Cette servitude prescrit que les constructions à élever sur les fonds servants ne pourront pas comporter plus d'un étage sur rez-de-chaussée et combles.

e. Par actes des 11 octobre 1982 et 10 mai 1983, R______ a acquis de B______ la parcelle 12*** dont la parcelle 9*** est issue après division.

Selon ces actes, R______ s'engageait à la première réquisition du vendeur ou de la C______ SA à renoncer à la servitude précitée.

f. Le plan directeur cantonal de 1948 plaçait le quartier des D______, où se situent les parcelles précitées, dans une zone à densifier à concurrence de 200 habitants par hectare, voire davantage.

Ce quartier s'est fortement densifié depuis 60 ans. Il s'agit d'un quartier urbain voué à de grands immeubles, la VILLE DE GENEVE considérant la construction de logements comme une priorité municipale.

Le PLQ no 27399-355, portant notamment sur les parcelles 9***, 1***, 2***, 3***, 4***, 5***, 6*** et 7***, a été adopté le 21 juillet 1982 et a prévu la réalisation de bâtiments d'un gabarit R+6+S à l'emplacement des villas.

Ce PLQ a été modifié pour partie par le PLQ no 27622-255 qui a été adopté le 10 août 1983 et prévoyait la réalisation d'un groupe d'immeubles d'un gabarit R+6+S sur la parcelle 9***.

Ces logements ont depuis lors été construits.

g. X_______ SA, Y______ SA, T______ , Z______ , W______ , V______ et U______ ont formé le projet de construire sur leurs parcelles les logements prévus par le PLQ no 27622-255, soit des bâtiments de six étages sur rez plus attique d'une hauteur de 21 mètres au maximum.

Par courrier du 20 février 2008, B______ a demandé, en vain, à R______ de procéder à la radiation de la servitude précitée.

Par convention du 22 avril 2009 passée avec X_______ SA, Y______ SA, T______ , Z______ , W______ , V______ et U______ , la VILLE DE GENEVE a accepté de radier la servitude précitée profitant à sa parcelle 10***.

h. Par acte déposé le 22 juin 2009, X_______ SA, Y______ SA, T______ , Z______ , W______ , V______ et U______ ont assigné R______ , la VILLE DE GENEVE et S______ devant le Tribunal de première instance. Ils ont conclu, à titre principal, à la constatation de l'extinction de la servitude précitée, pour défaut d'utilité, et à sa radiation. A titre subsidiaire, ils ont sollicité la constatation de l'extinction de la servitude et sa radiation, moyennant le versement d'une indemnité fixée à dires de justice, en raison de l'utilité réduite, disproportionnée avec la charge subie par les fonds servants.

R______ a conclu au déboutement des demandeurs de toutes leurs conclusions.

S______ ne s'est pas opposé à la radiation.

La demande dirigée contre la VILLE DE GENEVE a été retirée avec désistement d'instance.

Après les enquêtes, les parties ont persisté dans leurs conclusions.

i. Dans la décision entreprise, le Tribunal a retenu que l'intention des parties lors de l'acte constitutif de la servitude était de constituer une limite de droit à l'urbanisation prévue par le plan directeur de 1948 en ne permettant que la construction de petits bâtiments afin de préserver tant l'esthétique que l'atmosphère du quartier. Cette servitude n'avait en rien perdu de son utilité et R______ conservait, pour les mêmes raisons qu'à l'époque, un intérêt à bénéficier devant la parcelle 9*** d'une zone arborisée comportant des constructions de faibles hauteurs. En revanche, la servitude avait perdu tout intérêt pour la parcelle 11***, désormais entourée de hauts immeubles.

Il était indéniable que la charge était plus lourde pour les fonds servants qu'au moment de la constitution de la servitude. Cette charge résidait toutefois essentiellement dans le fait qu'elle contrecarrait les projets immobiliers des demandeurs. Or, c'était précisément dans ce but qu'elle avait été constituée. Ainsi, la servitude ne représentait pas une charge disproportionnée pour les fonds servants.

EN DROIT

1. 1.1 Dans les affaires patrimoniales, l'appel est recevable contre les décisions finales de première instance si la valeur litigieuse est de 10'000 fr. au moins (art. 308 al. 1 let. b et al. 2 CPC). Lorsque la valeur litigieuse est inférieure à 10'000 fr., seule la voie du recours est ouverte (art. 319 let. a CPC).

Une contestation relative à l'exercice d'une servitude foncière est une affaire patrimoniale (ATF 109 II 491 consid. 1c/cc; arrêt du Tribunal fédéral 5A_839/2010 consid. 1.1 et 1.2). Lorsque la contestation porte sur l'existence d'une servitude, on retiendra l'augmentation de valeur qu'elle procurerait au fond dominant ou si elle est plus élevée, la diminution de valeur du fonds servant (ATF 136 III 60 consid. 1.1.1).

Les parties ne s'entendant pas sur la valeur litigieuse, sa détermination appartient à la Cour (art. 91 al. 2 CPC) qui n'est pas liée par la valeur fixée par le Tribunal (TAPPY, Code de procédure commenté, 2011, n. 50 ad art. 91; REETZ/-THEILER, Kommentar zur schweizerischen Zivilprozessordnung, 2011, n. 39 zu art. 308). La valeur se calcule en fonction du dernier état des conclusions principales devant la première instance (art. 91 al. 1 et 308 al. 2 LPC).

1.2 En l'espèce, les dernières conclusions principales prises en première instance tendaient à la radiation de la servitude de restriction du droit de bâtir en faveur des parcelles 9***, 10*** et 11*** grevant les parcelles 1*** à 7***. Il est constant qu'une servitude de restriction du droit de bâtir diminue la valeur du fond qu'elle grève. Savoir si cette diminution est plus élevée que l'augmentation dont bénéficie le fonds dominant est une question qui peut rester indécise pour les motifs suivants.

La servitude litigieuse interdit les constructions de plus d'un étage et les combles alors que le PLQ comprenant les parcelles grevées permet l'édification de bâtiments comportant six étages et un attique. A surfaces au sol égales, des bâtiments comportant six étages et attique sur rez-de-chaussée présentent un potentiel de valorisation supérieur à celui d'édifices d'un étage et combles sur rez-de-chaussée puisque les surfaces locatives y sont plus importantes. La valeur litigeuse correspond ainsi à la différence entre les valeurs de rendement des deux types de constructions, qui ne peut être chiffrée avec précision, mais qui est certainement supérieure à 10'000 fr., voire 30'000 fr. Par conséquent, c'est la voie de l'appel qui est ouverte.

1.3 Formé par une partie à la procédure (JEANDIN, Code de procédure civile commenté, 2011, n. 12 ad Intro ad art. 308-334) au moyen d'un acte écrit et motivé dans un délai de 30 jours à compter de la notification du jugement (art. 311 al. 1CPC), l'appel est recevable.

2. L'instance d'appel revoit la cause en fait et en droit avec un plein pouvoir d'examen (art. 310 CPC; HOHL, Procédure civile, tome II, 2010, n. 2314 et 2416; RÉTORNAZ, L'appel et le recours, in Procédure civile suisse, 2010, p. 349 ss, n. 121). En vertu de la présomption de l'art. 150 al. 1 CPC, il est admissible dans le cadre de la maxime des débats d'admettre comme non contestés les faits retenus dans la décision attaquée s'ils ne sont pas critiqués par l'appelant (TAPPY, Les voies de droit du nouveau Code de procédure civile, in JdT 2010 III p. 115 ss, p. 137; REETZ/THEILER, Kommentar zur Schweizerischen Zivilprozess-ordnung, 2010, n. 38 zu art. 311). Les faits et les moyens de preuve nouveaux sont recevables aux conditions de l'art. 317 al. 1 CPC.

3. Les appelants soutiennent que la servitude litigieuse n'offrirait à l'intimé qu'une utilité réduite, disproportionnée en regard des charges imposées aux fonds servants.

3.1 Selon l'art. 736 CC, le propriétaire grevé peut exiger la radiation d'une servitude qui a perdu toute utilité pour le fonds dominant (al. 1). Il peut obtenir la libération totale ou partielle d'une servitude qui ne conserve qu'une utilité réduite, hors de proportion avec les charges imposées au fonds servant (al. 2).

L'utilité pour le fonds dominant se définit conformément au principe de l'identité de la servitude, selon lequel celle-ci ne peut être maintenue dans un autre but que celui pour lequel elle a été constituée. Il faut ainsi examiner en premier lieu si le propriétaire du fonds dominant a encore un intérêt à exercer la servitude selon son but initial et quel est le rapport entre cet intérêt et celui qui existait au moment de la constitution de la servitude (ATF 130 III 554 consid. 2 = JdT 2004 I p. 245; ATF 107 II 331 consid. 3 = JdT 1982 I p. 118; arrêt du Tribunal fédéral 5A_527/2011 consid. 4.1.1). L'intérêt du propriétaire du fonds dominant s'apprécie selon des critères objectifs (ATF 130 III 554 consid. 2 = JdT 2004 I p. 245; ATF 121 III 52 consid. 3a).

La marche à suivre pour déterminer l'intérêt originel d'une servitude est la même que celle pour déterminer son contenu (arrêt du Tribunal fédéral 5C.13/2007 consid. 5.2 = DC 2008 p. 72, no 141; ARGUL GROSSRIEDER, Les causes d'extinction des servitudes foncières, 2005, n. 750).

Pour déterminer le contenu et l'étendue d'une servitude, le juge se fondera en premier lieu sur l'inscription au Registre foncier (art. 738 al. 1 CC). Dans la mesure où les droits et les devoirs respectifs en ressortent clairement, elle est décisive pour fixer le contenu de la servitude. Si l'inscription n'est pas claire ou fait défaut, il faut remonter au fondement de l'acquisition, c'est-à-dire au contrat constitutif de la servitude. Si le titre d'acquisition n'est pas concluant, le contenu de la servitude peut être déterminé par la manière dont la servitude a été exercée pendant longtemps sans contestation et de bonne foi (art. 738 al. 2 CC) (ATF 137 III 145 consid. 3.1; ATF 132 III 651 consid. 8 = SJ 2007 I p. 165; ATF 131 III 345 consid. 1.1 = JdT 2005 I p. 567; ATF 130 III 554 consid. 3.1 = JdT 2004 I p. 245).

L'interprétation du contrat constitutif de la servitude s'effectue de la même manière que les déclarations de volonté (ATF 137 III 145 consid. 3.2.1 et ATF 130 III 554 consid. 3.1 = JdT 2004 I p. 245; arrêt du Tribunal fédéral 5C.51/2007 consid. 2.2.3).

Lorsque les motifs de la constitution de la servitude ne peuvent plus être déterminés objectivement, il convient de présumer qu'en constituant une servitude, les parties visaient le but qui découlait raisonnablement des besoins résultant de l'usage du fonds dominant, compte tenu des circonstances de l'époque. La nature de ce fonds est ainsi déterminante (ATF 107 II 331 consid. 3b = JdT 1982 I p. 118).

3.2 La libération selon l'art. 736 al. 2 CC suppose que les faits qui aggravent la charge pour le fonds servant soient postérieurs à la constitution de la servitude et que l'intérêt au maintien de la servitude soit devenu proportionnellement ténu, que ce soit en raison d'une diminution de l'intérêt du propriétaire du fonds dominant ou d'une aggravation de la charge pour le propriétaire du fonds servant (arrêts du Tribunal fédéral 5A_265/2009 consid. 6.3= DC 2010 p. 76, no 196 et S. c. B du 17 décembre 1998 consid. 6c = SJ 1999 I p. 102). Cela signifie que la libération intervient (contre indemnité) lorsque l'utilité de la servitude pour l'ayant droit est demeurée la même, mais qu'en raison de l'accroissement notable de la charge, il est devenu proportionnellement ténu (ATF 107 II 331 consid. 4 = JdT 1982 I p. 118).

Est sans importance pour l'aggravation des charges, le fait que le prix payé pour l'acquisition du fonds servant n'est justifié que pour un usage non restreint par la servitude (ATF 107 II 331 consid. 4 = JdT 1982 p. 118; arrêt du Tribunal fédéral 5C.213/2002 consid. 3.2 = RNRF 2004 p. 93). L'aggravation des charges ne peut pas non plus résulter du fait que la construction du terrain grevé est devenue rentable alors que cela ne représentait auparavant qu'une éventualité plus ou moins lointaine (ATF 107 II 331 consid. 5a = JdT 1982 p. 118).

Par ailleurs, un plan d'affectation ou des prescriptions de droit public sur les constructions ne privent pas les servitudes existantes de leur validité (ATF 134 III 341 consid. 2.2 = JdT 2008 I p. 216; ATF 107 II 331 consid. 4 = JdT 1982 p. 118; arrêt du Tribunal fédéral 5C.213/2002 consid. 3.2 = RNRF 2004 p. 93).

Une servitude limitant le droit à bâtir, telle une servitude de villa ou de limitation de hauteur de construction, qui a été constituée à une époque où le fonds grevé se situait dans un périmètre à faible densité de construction ne peut être rachetée pour la seule raison que le fonds servant se trouve actuellement en périmètre urbain à forte densité de construction et que l'intérêt à la construction s'est par conséquent accru (ATF 107 II 331 consid. 5b = JdT 1982 p. 118; arrêt du Tribunal fédéral S. c. B du 17 décembre 1998 consid. 6c = SJ 1999 I p. 102). En effet, c'est précisément au moment où l'intérêt à construire du fonds grevé devient actuel que les servitudes de limitation ou d'interdiction du droit à bâtir doivent remplir leur fonction. Celles-ci ont été constituées dans ce but, de sorte que l'accroissement de l'intérêt à bâtir du fond servant ne saurait constituer à lui seul un motif de libération. Celle-ci est admissible en revanche lorsqu'à cause de l'interdiction de bâtir le fonds servant ne peut plus être utilisé rationnellement (ATF 107 II 331 consid. 5b et 5c = JdT 1982 p. 118; ARGUL GROSSRIEDER, op. cit., n. 536).

3.3 En l'espèce, l'intérêt actuel de l'intimé à l'exercice de la servitude litigieuse est évident. Le périmètre formé par les parcelles des appelants et celle de S______ ne comportant que cinq villas individuelles entourées chacune d'un jardin, l'intérêt de l'intimé réside à conserver un dégagement devant sa parcelle, d'y maintenir un espace de verdure et de ne pas avoir à proximité immédiate de sa parcelle un bâtiment de six étages et attique.

S'agissant du but originel de la servitude, ni les inscriptions aux feuillets des fonds servants du Registre foncier, ni le libellé figurant dans le Registre des servitudes ne renseignent sur les motifs des constituants de la servitude litigieuse. L'acte constitutif n'étant pour le surplus pas produit, il convient de rechercher le but qui découle raisonnablement des besoins résultant de l'usage du fonds de l'intimé, compte tenu des circonstances au moment de la constitution.

La servitude a été inscrite le 6 juillet 1951. Selon les faits retenus par le Tribunal -non contestés par les parties -, le plan directeur cantonal en matière d'aménagement du territoire de 1948 prévoyait pour la zone concernée une densification jusqu'à 200 habitants par hectare, voire supérieure. Cet élément est toutefois sans portée puisque rien n'indique que les constituants aient créé la servitude en fonction de cet objectif du plan directeur, sa simple antériorité n'étant pas suffisante à cet égard. Il n'apparaît pas non plus qu'au moment de la constitution de la servitude, il existait des restrictions du droit à bâtir sur le fonds dominant de quelque nature que ce soit. Par conséquent, l'affirmation des appelants selon laquelle la servitude ne devait protéger la vue que depuis une construction comportant un étage au plus est sans fondement. Pour le surplus, la procédure ne révèle aucune information sur l'usage du fonds dominant à ce moment, ni sur la nature des éventuelles constructions qui y étaient érigées.

Dès lors que le fonds dominant n'était pas soumis à une limitation du droit à bâtir, l'intention du propriétaire de ce fonds était de pouvoir construire sans restriction sur son terrain tout en n'étant lui-même pas exposé aux désagréments que comporte la proximité immédiate au sud de sa parcelle d'immeubles aux dimensions mêmes moyennes. Par ailleurs, dans la mesure où l'assiette de la servitude forme une surface de forme carrée de l'ordre de 4'850 m2, le propriétaire du fonds dominant entendait profiter d'un dégagement important.

Au vu de ce qui précède, force est de constater que l'intérêt actuel de l'intimé correspond à celui qui a motivé la constitution de la servitude. La densification de la zone concernée durant les soixante dernières années n'a pas fait disparaître l'intérêt à l'exercice de la servitude, mais l'a, au contraire, accru.

Enfin, que l'intimé se soit engagé envers des tiers à renoncer au bénéfice de la servitude est sans pertinence. Indépendamment du principe de la relativité des conventions, l'intimé ne s'est pas obligé envers des propriétaires de fonds servants. Ainsi, on ne saurait interpréter les engagements de l'intimé comme l'expression d'une perte d'intérêt à l'exercice de la servitude, étant en outre rappelé que l'intérêt est déterminé par des éléments objectifs, et non subjectifs.

3.4 Reste encore à examiner si la charge des fonds servants a augmenté au point de devenir disproportionnée avec l'intérêt du propriétaire du fonds dominant.

Les appelants font valoir que compte tenu des objectifs actuels de la politique de l'aménagement du territoire pour le périmètre concerné, concrétisés par différents PLQ, la charge que représente pour eux la servitude litigieuse s'est accrue de façon notable. Ils soutiennent à cet égard que cette servitude consacre, de fait, une interdiction de bâtir, alléguant qu'en raison de la politique de densification des autorités, celles-ci n'accordent plus d'autorisation de construire à des projets ne correspondant pas à cette politique, ni de rénover les constructions existantes.

Non formulée devant le premier juge, cette circonstance constitue un nouvel allégué qui ne répond pas aux conditions de recevabilité de l'art. 317 al. 1 let. b CPC. De surcroît, il n'est pas établi. Ainsi, la servitude litigieuse n'empêche pas l'utilisation rationnelle des fonds grevés, étant précisé qu'ils comportent des villas qui peuvent être louées.

En tout état de cause, ainsi qu'il a été exposé ci-dessus (cf. supra consid. 3.2), le simple fait que les fonds grevés se trouvent aujourd'hui dans un périmètre à forte densité présentant un intérêt accru à la construction, en raison des PLQ édictés par les autorités, ne permet pas la radiation de la servitude contre indemnité, étant rappelé que les plans d'affectation du territoire n'ont aucune incidence sur une servitude de restriction du droit à bâtir.

Au vu de ce qui précède, la Cour retient qu'il n'y a pas de disproportion entre l'intérêt à l'exercice de la servitude et la charge que celle-ci représente pour les fonds servants.

L'appel sera ainsi rejeté.

4. Les frais de première instance sont confirmés (art. 318 al. 3 CPC).

Les frais d'appel seront mis solidairement à la charge des appelants, qui succombent (art. 106 al. 1 et 3 CPC).

Les frais judiciaires d'appel sont arrêtés à 1'200 fr. et sont entièrement compensés par l'avance effectuée (art. 105 al. 1 et 111 al. 1 CPC), qui reste acquise à l'Etat de Genève.

La valeur litigieuse n'étant pas chiffrée, les dépens seront arrêtés à 4'000 fr. compte tenu du faible degré de complexité de la cause s'agissant des faits et du degré moyen en ce qui concerne le droit. Ils comprennent le défraiement de l'avocat, les débours nécessaires ainsi que la taxe sur la valeur ajoutée (art. 95 al. 3 et 105 al. 2 CPC; art. 20 et 21 LaCC; art. 84, 85 al. 2 et 90 RTFMC).

5. Bien que non chiffrée, la valeur litigieuse est supérieure à 30'000 fr. (cf. supra consid. 1.2), ce qui ouvre la voie du recours en matière civile contre le présent arrêt.

* * * * *


PAR CES MOTIFS,
La Chambre civile :

A la forme :

Déclare recevable l'appel interjeté par X_______ SA, Y______ SA, T______ , Z______ , W______ , V______ et U______ contre le jugement JTPI/9609/2011 rendu le 23 juin 2011 par le Tribunal de première instance dans la cause C/12877/2009-16.

Au fond :

Confirme ce jugement.

Met les frais d'appel solidairement à la charge de X_______ SA, Y______ SA, T______ , Z______ , W______ , V______ et U______ .

Arrête les frais judiciaires d'appel à 1'200 fr. et les compense intégralement avec l'avance effectuée qui reste acquise à l'Etat de Genève.

Condamne X_______ SA, Y______ SA, T______ , Z______ , W______ , V______ et U______ à payer solidairement à R______ la somme de 4'000 fr. à titre de dépens.

Déboute les parties de toutes autres conclusions.

Siégeant :

Madame Florence KRAUSKOPF, présidente; Madame Sylvie DROIN, Monsieur Blaise PAGAN, juges; Madame Nathalie DESCHAMPS, greffière.

 

La présidente :

Florence KRAUSKOPF

 

La greffière :

Nathalie DESCHAMPS

 

 

 

Indication des voies de recours :

 

Conformément aux art. 72 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification avec expédition complète (art. 100 al. 1 LTF) par devant le Tribunal fédéral par la voie du recours en matière civile.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14.

 

Valeur litigieuse au sens de la LTF supérieure ou égale à 30'000 fr.