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Décisions | Chambre des baux et loyers

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C/10353/2013

ACJC/1287/2015 du 26.10.2015 sur JTBL/721/2014 ( OBL ) , CONFIRME

Descripteurs : BAIL À LOYER; CONTESTATION DU CONGÉ; RÉSILIATION ABUSIVE; MOTIF; AFFECTATION
Normes : CO.271
En fait
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

C/10353/2013 ACJC/1287/2015

ARRÊT

DE LA COUR DE JUSTICE

Chambre des baux et loyers

du LUNDI 26 OCTOBRE 2015

 

Entre

A_______, p.a. et représentée par B_______, ______, (GE), appelante d'un jugement rendu par le Tribunal des baux et loyers le 27 juin 2014, comparant par Me Dominique Burger, avocate, avenue Léon-Gaud 5, 1206 Genève, en l'étude de laquelle elle fait élection de domicile,

et

Monsieur C______ et Madame D_______, domiciliés ______, (GE), intimés, représentés par l'ASLOCA, rue du Lac 12, case postale 6150, 1211 Genève 6, en les bureaux de laquelle ils font élection de domicile.

 


EN FAIT

A. Par jugement du 27 juin 2014, expédié pour notification aux parties le 25 juillet 2014, le Tribunal des baux et loyers a annulé le congé notifié le 8 avril 2013 à C_______ et D_______ concernant des locaux commerciaux de 153 m2 environ sis ______ (GE), a débouté les parties de toutes autres conclusions et a dit que la procédure était gratuite.

En substance, les premiers juges ont retenu que le congé devait être annulé en vertu de l'art. 271 CO, au motif que A_______ n'avait pas été en mesure de prouver qu'elle disposait d'un projet de modification de l'affectation des locaux suffisamment abouti pour justifier le congé et que, par conséquent, le congé notifié contrevenait aux règles de la bonne foi.

B. a. Par acte déposé le 10 septembre 2014 au greffe de la Cour de justice, A_______ (ci-après : la bailleresse ou l'appelante) forme appel contre ce jugement. Elle conclut, principalement, à l'annulation du jugement du Tribunal du 27 juin 2014, à ce que la validité de la résiliation du contrat de bail notifiée le 8 avril 2013 à C_______ et D_______ (ci-après : les locataires ou les intimés) soit constatée et à ce qu’il lui soit donné acte de ce qu'elle accepte d'accorder aux locataires une unique prolongation de dix-huit mois, soit jusqu'au 31 mars 2015. Subsidiairement, l'appelante conclut à ce que la validité de la résiliation soit constatée et au renvoi de la cause au Tribunal afin qu'il statue sur la question de la prolongation de bail.

b. Dans sa réponse du 15 octobre 2014, les intimés concluent, principalement, à la confirmation du jugement entrepris. Subsidiairement, ils requièrent l'octroi d'une prolongation de bail de six ans échéant au 31 octobre 2019.

c. Par courrier du 21 octobre 2014 à la Cour, l'appelante a répliqué et a produit une nouvelle pièce, soit une coupure de presse datée du 19 octobre 2014. Elle a persisté dans ses conclusions.

d. Par courrier du 12 novembre 2014 à la Cour, l'appelante a produit une nouvelle pièce, soit une plainte émanant de la Régie Foncière au sujet de nuisances alléguées occasionnées par les clients des intimés.

e. Par une écriture du 28 novembre 2014, les intimés ont transmis à la Cour une copie de leur courrier du 28 novembre 2014 à l’appelante.

f. Les parties ont été avisées le 18 novembre 2014 de ce que la cause était gardée à juger.

C. Les éléments suivants résultent de la procédure :

a. Les parties sont liées par un bail à loyer portant sur des locaux commerciaux de 153 m2 environ sis ______ (GE).

Les locaux sont destinés à l'usage d'un café restaurant avec bar et dépôt arrière attenant.

b. Ce contrat a été conclu à l'origine entre B______ (alors propriétaire) et E_______ pour une durée de dix ans, du 1er novembre 1998 au 30 octobre 2008, renouvelable ensuite tacitement d’année en année. Le préavis de résiliation était de six mois.

c. Par contrat du 18 décembre 2000, D______ et C_______ ont racheté le fonds de commerce pour 80'000 fr. avec effet au 1er janvier 2001.

d. Parallèlement, le bail a été transféré à ces derniers le 8 décembre 2000, avec effet au 1er janvier 2001.

Le loyer annuel, charges non comprises, a été fixé en dernier lieu à 41'124 fr.

e. Le 3 mai 2000, D______ et C_______ ont obtenu une autorisation pour une utilisation complémentaire à titre de salle de jeux.

f. A_______ est devenue propriétaire de l'immeuble en 2010.

g. Par avis de résiliation du 8 avril 2013, la bailleresse a résilié le bail des locataires pour le 30 octobre 2013, date d'échéance du bail, sans indication de motifs.

h. Le congé a été contesté en temps utile devant la Commission de conciliation en matière de baux et loyers. Les locataires ont fait notamment valoir que la résiliation intervenait après l'échec de négociations concernant le remboursement total ou partiel de ses investissements réalisés dans l'établissement lors de la reprise de celui-ci en 2010. Ces discussions auraient abouti à une proposition de participation partielle de la bailleresse à ces coûts moyennant une augmentation du loyer que les locataires auraient refusée. Subsidiairement, les locataires concluaient à ce que le Tribunal leur octroie une prolongation de bail de six ans.

i. Non conciliée le 4 juillet 2013, l’affaire a été portée devant le Tribunal le 31 juillet suivant.

j. Par courrier du 7 août 2013 adressé à l’avocate des intimés, le conseil de la bailleresse a précisé que le motif du congé résidait dans la volonté de A_______ de revaloriser ses locaux, en faisant de l’arcade et du dépôt une seule nouvelle surface qui serait affectée à une activité mieux compatible avec le caractère résidentiel du quartier.

k. Dans sa réponse du 10 octobre 2013, la bailleresse a conclu à la validation de la résiliation. Elle a expliqué qu'elle n'avait aucune raison de participer au coût de ces travaux qu'elle n'avait pas autorisés, mais qu'elle avait néanmoins, par le biais de son représentant, accepté d'avoir une discussion avec les locataires auxquels elle avait alors soumis l'idée de revoir totalement l'aménagement de l'arcade pour en faire un lieu correspondant davantage au standing de l'immeuble et au quartier. Cette idée n'ayant reçu aucun écho de la part des locataires, aucune discussion de détails n'était intervenue entre les parties. Elles n'avaient ainsi abordé concrètement ni la nature des travaux, ni leur coût, ni la question d'un futur loyer.

Concernant son projet de réaffectation des locaux loués, A_______ a précisé qu'au début de l'année 2013, elle avait décidé de revaloriser son bien, en ce sens qu'elle entendait réaménager la totalité de l'arcade souhaitant ne plus conserver de bar dans l'immeuble, le quartier étant devenu très résidentiel.

l. Par écriture complémentaire du 17 janvier 2014, en relation avec le chargé complémentaire produit le 28 novembre 2013, les locataires ont expliqué que le conseil administratif et le conseil municipal de _______ (GE) avaient été saisis d'une pétition intitulée "Non à la fermeture du Bar ______", dans laquelle les pétitionnaires relevaient que l'établissement géré par les locataires remplissait un rôle social dans la vie communale, ce d'autant plus que c'était le seul lieu du genre sur la commune. La pétition avait récolté 579 signatures dont 169 habitants de la commune. Elle avait été renvoyée par le conseil municipal au conseil administratif.

m. Dans sa duplique du 12 février 2014, la bailleresse a précisé que le conseil administratif de la commune de ______ lui avait envoyé la pétition sans autre commentaire. Pour le surplus, elle a souligné que le bar provoquait de nombreuses nuisances pour les voisins. Elle a précisé également que dans le cadre de sa décision de revaloriser son bien, l'un des projets envisagés, estimé 300'000 fr., consistait à réhabiliter le bar en restaurant villageois, puisqu'il disposait d'une cuisine actuelle. Elle n'avait, en l'état, élaboré aucun projet concret.

n. Lors de l'audience du 10 janvier 2014, les parties ont persisté dans leurs conclusions. L'administrateur de la bailleresse a réaffirmé que compte tenu du fait que le quartier devenait plus résidentiel, celle-ci souhaitait réaffecter ses locaux en un autre type d'activités et en profiter pour agrandir la surface commerciale au détriment de la partie dépôt. Il a confirmé que les projets n'étaient pas plus avancés dans la mesure où ils dépendaient de la date de libération des locaux par les locataires. Au surplus, les parties ont sollicité l'audition de témoins.

o. Des témoins ont été entendus lors de l'audience du 21 mars 2014, au terme de laquelle un délai a été fixé aux parties pour déposer des plaidoiries finales écrites, ensuite de quoi la cause serait gardée à juger.

a) F_______, comptable des locataires déjà avant la reprise des locaux objets de la présente procédure, a précisé que ses clients avaient investi un montant supérieur à 50'000 fr. pour agencer les locaux en fonction des activités qu'ils souhaitaient y déployer. Par la suite, il y avait eu des renouvellements ainsi que l'acquisition de matériel supplémentaire, notamment audiovisuel. Le témoin a indiqué que les locataires avaient eux-mêmes effectué certains travaux, et que pour sa part, il n'avait jamais rencontré les représentants de la propriétaire ni été informé de discussions entre ceux-ci et les époux C______ et D______ concernant d'éventuelles hausses de loyer.

b) G_______, client régulier du bar, conseiller municipal de la commune du ______ et auteur de la pétition adressée au conseil municipal ainsi qu'au conseil administratif du ______, a indiqué avoir pris cette initiative après avoir discuté avec les clients et compris que ceux-ci regretteraient la fermeture du bar. A sa connaissance, cet établissement n'engendrait que peu de nuisances. A cet égard, il se souvenait d'une seule plainte reçue par le conseil municipal il y avait environ 18 mois, signée par un voisin de l'établissement qui se plaignait d'une soirée plus bruyante qu'à l'accoutumée. Le Conseil municipal avait alors entendu le plaignant qui avait déclaré que dans l'intervalle, les choses s'étaient arrangées avec les époux C______ et D______.

Il a également expliqué que la commune était coupée en deux depuis la construction du nouveau quartier ______, que les commerces se déplaçaient désormais vers ce nouveau centre, et que le quartier où était situé l'établissement des demandeurs était ainsi devenu un lieu de transit qu'il qualifiait de zone de déshérence. Des projets étaient néanmoins en cours concernant le réaménagement de cette zone dans un horizon de dix ans.

Enfin, il a précisé qu'à sa connaissance, il y avait 7 ou 8 café-restaurants sur la Commune ______, et qu'il était possible d'y consommer des boissons sans prendre de repas dans une grande partie de ceux-ci, la journée comme le soir. Toutefois, l'établissement des locataires se différenciait par le fait qu'il proposait un billard ainsi que des jeux électroniques, qu'il organisait des soirées à thèmes et proposait la diffusion de matchs de football ou autres activités sportives sur grand écran.

c) H_______, architecte indépendant et mandataire de B_______, représentante de la bailleresse, a exposé qu'il avait lui-même dessiné le bâtiment qui abrite l'établissement des locataires puis, par la suite, procédé à des mises en valeur de celui-ci. En outre, dans les discussions avec la bailleresse concernant les locaux occupés actuellement par les époux C______ et D______, les nuisances liées à l'exploitation d'un bar avaient été examinées, ainsi que la qualification des locaux actuellement occupés à deux tiers par le bar et un tiers en dépôt. Aussi, il était désormais envisagé la création d'un restaurant plus chic, mais d'autres alternatives étaient à l’étude, notamment au niveau commercial des autres commerces environnants. En effet, le quartier où était situé le bar était concerné par la construction récente ou à venir de nouveaux immeubles d'habitations d'un standing supérieur avec vraisemblablement des commerces au rez-de-chaussée et il s'agissait de s'inscrire dans cette mouvance. Dans ce cadre, il avait lui-même participé à l'élaboration du plan produit en pièce 10 par la bailleresse, qui illustrait le type de valorisation des locaux envisagé (restaurant chic et non plus un bar) et intègrerait une utilisation des surfaces utilisées aujourd'hui en dépôt. La faisabilité de ce projet ne posait pas de problème particulier compte tenu des équipements déjà en place dans l'établissement des époux C______ et D______. Enfin, H_______ a confirmé être entré en discussions avec les époux C______ et D______ il y a 3 ou 4 ans concernant des demandes de prise en charge de travaux, voire d'une prise en charge financière de travaux déjà réalisés. A cette occasion, les propos avaient été élargis et ils avaient ensemble exploré des pistes concernant la réaffectation des locaux des locataires. Il était évident qu’une éventuelle réaffectation des locaux de dépôt en locaux destinés à la restauration aurait eu un impact sur le loyer, ce qui avait été évoqué sans autres précisions. Ces échanges n'avaient toutefois pas abouti. Il n'y avait par ailleurs jamais eu de menaces signifiées par le témoin ou une autre personne en vue de résilier le bail des époux C______ et D______ suite au non aboutissement des discussions précitées.

d) I_______, dont l'épouse est propriétaire par le biais de sa société immobilière J______ d'un local commercial à côté du bar ainsi que d'un appartement au-dessus de ce dernier au ______, a relevé qu'il se répandait dans l'air une forte odeur d'urine qui résultait de la clientèle sortant du bar pour uriner contre le mur arrière de la boutique de son épouse. Ces nuisances pouvaient avoir des effets sur lesdits locaux en termes d'infiltrations, tout en précisant que l'urine pouvait attaquer le crépis puis l'isolation du mur, ce qui l'avait contraint déjà par deux fois à des réfections très localisées et préventives. Il a par ailleurs confirmé qu'à part les nuisances olfactives précitées, il n'avait pas constaté d'autres nuisances (bruits, débris, etc.) en relation avec le bar, que ce soit tôt le matin, à 18h00 ou vers 2h00 du matin.

p. Par écritures du 6 juin 2014, les parties ont persisté dans leurs conclusions. La cause a été gardée à juger.

D. L'argumentation juridique des parties sera examinée dans la mesure utile à la solution du litige.

EN DROIT

1. 1.1. L'appel est recevable contre les décisions finales et les décisions incidentes de première instance (art. 308 al. 1 let. a CPC). Dans les affaires patrimoniales, l'appel est recevable si la valeur litigieuse au dernier état des conclusions est de 10'000 fr. au moins (art. 308 al. 2 CPC).

Selon la jurisprudence constante du Tribunal fédéral, les contestations portant sur l'usage d'une chose louée sont de nature pécuniaire (arrêts du Tribunal fédéral 4A_447/2013 du 20 novembre 2013 consid. 1 et 4C.310/1996 du 16 avril 1997, in SJ 1997 p. 493 consid. 1).

Lorsque l'action ne porte pas sur le paiement d'une somme d'argent déterminée, le Tribunal détermine la valeur litigieuse si les parties n'arrivent pas à s'entendre sur ce point ou si la valeur qu'elles avancent est manifestement erronée (art. 91
al. 2 CPC). La détermination de la valeur litigieuse suit les mêmes règles que pour la procédure devant le Tribunal fédéral (RETORNAZ, in Procédure civile suisse, Les grands thèmes pour les praticiens, Neuchâtel, 2010, p. 363; SPÜHLER, in Basler Kommentar, Schweizerische Zivilprozessordnung, SPÜHLER/TENCHIO/ INFANGER [2ème éd.], 2013, n. 9 ad art. 308 CPC).

L'art. 51 al. 2 LTF dispose que si les conclusions ne tendent pas au paiement d'une somme d'argent déterminée, le Tribunal fédéral fixe la valeur litigieuse selon son appréciation.

Dans une contestation portant sur la validité d'une résiliation de bail, la valeur litigieuse est égale au loyer de la période minimum pendant laquelle le contrat subsiste nécessairement si la résiliation n'est pas valable, période qui s'étend jusqu'à la date pour laquelle un nouveau congé peut être donné ou l'a effectivement été. Lorsque le bail bénéficie de la protection contre les congés des art. 271 ss CO, il convient, sauf exceptions, de prendre en considération la période de protection de trois ans dès la fin de la procédure judiciaire qui est prévue par l'art. 271a al. 1 let. e CO (ATF 137 III 389; 136 III 196 consid. 1.1; arrêts du Tribunal fédéral 4A_367/2010 du 4.10.2010 consid. 1.1; 4A_127/2008 du 2.6.2008 consid. 1.1; 4A_516/2007 du 6.3.2008 consid. 1.1).

En l'espèce, le loyer annuel, charges comprises, s'élève à 41’124 fr. La procédure cantonale s'achèvera avec l'arrêt que prononcera la Chambre de céans. En prenant en compte la période de trois ans après cet arrêt, la valeur litigieuse est largement supérieure à 10'000 fr.

La voie de l'appel est ainsi ouverte.

1.2. Selon l'art. 311 CPC, l'appel, écrit et motivé, est introduit auprès de l'instance d'appel dans les trente jours à compter de la notification de la décision, laquelle doit être jointe au dossier d'appel.

Le délai d'appel est réduit à dix jours si la décision a été rendue en procédure sommaire (art. 314 al. 1 CPC).

Le jugement du Tribunal du 27 juin 2014 a été communiqué aux parties le
27 juillet 2014. Il a ainsi été reçu par les parties pendant la suspension des délais prévue par l’art. 145 al. 1 lit. b CPC selon lequel les délais légaux et les délais fixés judiciairement ne courent pas du 15 juillet au 15 août inclus.

Le délai de trente jours pour former appel a commencé à courir à compter du jour qui a suivi la fin de la suspension (art. 146 al. 1 CPC) soit le 16 août 2014. L'appel du 10 septembre 2014 a ainsi été interjeté dans le délai et suivant la forme prescrite par la loi (art. 130, 131, 311 al. 1 CPC). Il est ainsi recevable.

1.3. La Cour revoit la cause avec un plein pouvoir d'examen (art. 310 CPC; HOHL, Procédure civile, tome II, 2010, n. 2314 et 2416; RETORNAZ, op. cit., p. 349 ss, n. 121).

1.4. La Cour examine, en principe, d'office la recevabilité des faits nouvellement allégués et des pièces produites en appel (REETZ/HILBER, Kommentar zur Schweizerischen Zivilprozessordnung, 2010, n. 26 ad art. 317 CPC).

Selon l'art. 317 al. 1 CPC, les faits et les moyens de preuves nouveaux ne sont pris en considération en appel que s'ils sont invoqués ou produits sans retard (let. a) et s'ils ne pouvaient pas être invoqués ou produits devant la première instance bien que la partie qui s'en prévaut ait fait preuve de diligence (let. b).

En l'espèce, l'appelant a produit deux nouvelles pièces, soit, en date du 21 octobre 2014, une coupure de presse datée du 14 octobre 2014 et, en date du 12 novembre 2014, copie d'un courrier de la Régie foncière du 6 novembre 2014.

De leur côté, les intimés ont produit, en date du 28 novembre 2014, une copie de leur courrier à l'appelante du même jour.

Ces pièces ayant été produites dans le respect des conditions posées par l'art. 317 al. 1 CPC rappelées ci-dessus, elles seront déclarées recevables, ainsi que les allégués de fait s'y rapportant.

2. Le Tribunal a considéré que l'appelante avait démontré la réalité du motif du congé, soit son intention de modifier l'affectation des locaux. Il a toutefois annulé le congé parce que le projet de modification de l'affectation des locaux n'était pas suffisamment abouti.

L'appelante soutient que le fait que son projet ne soit pas abouti ne lui retire pas son caractère tangible et ne rend pas le congé contraire aux règles de la bonne foi.

De leur côté, les intimés contestent que l'appelante ait réellement l'intention de modifier l'affectation des locaux et soutiennent que le motif du congé n'est qu'un prétexte.

2.1. Aux termes de l'art. 271 CO, le congé est annulable lorsqu'il contrevient aux règles de la bonne foi.

La protection accordée par l'art. 271 al. 1 CO procède à la fois du principe de la bonne foi (art. 2 al. 1 CC) et de l'interdiction de l'abus de droit (art. 2 al. 2 CC), tant il est vrai qu'une distinction rigoureuse ne se justifie pas en cette matière (ATF 120 II 31; arrêt du Tribunal fédéral 4C.170/2004 du 27 août 2004 consid. 2.1). Les cas typiques d'abus de droit (absence d'intérêt à l'exercice d'un droit, utilisation d'une institution juridique contrairement à son but, disproportion grossière des intérêts en présence, exercice d'un droit sans ménagement, attitude contradictoire) justifient l'annulation du congé; à cet égard, il n'est toutefois pas nécessaire que l'attitude de l'auteur du congé puisse être qualifiée d'abus de droit "manifeste" au sens de l'art. 2 al. 2 CC (ATF 120 II 105; arrêt du Tribunal fédéral 4C.170/2004 du 27 août 2004 consid. 2.1); LACHAT, Le bail à loyer, Lausanne 2008, p. 733).

Le but de la réglementation des art. 271 et 271a CO est uniquement de protéger le locataire contre des résiliations abusives et n'exclut pas un congé même si l'intérêt du locataire au maintien du bail paraît plus important que celui du bailleur à ce qu'il prenne fin; seule une disproportion manifeste des intérêts en jeu, due au défaut d'intérêt digne de protection du bailleur, peut rendre une résiliation abusive (ATF 136 III 190 consid. 2; 132 III 737 consid. 3.4.2; arrêts du Tribunal fédéral 4A_414/2009 du 9 décembre 2009 consid. 3.1 et 4A_322/2007 du 12 novembre 2007 consid. 6; ACJC/1292/2008 du 3 novembre 2008; LACHAT, in Commentaire Romand du Code des obligations I, no 6 ad art. 271).

Le congé doit être considéré comme abusif s'il ne répond à aucun intérêt objectif, sérieux et digne de protection. Est abusif le congé purement chicanier dont le motif n'est manifestement qu'un prétexte (ATF 135 III 112 consid. 4.1; 120 II 31 consid. 4a; arrêts du Tribunal fédéral 4A_735/2011 du 16 janvier 2012 consid. 2.2 et 4C.411/2006 du 9 février 2007 consid. 2.1).

En règle générale, l'art. 271 al. 1 CO n'interdit pas au bailleur de résilier le contrat dans le but d'adapter la manière d'exploiter son bien selon ce qu'il juge le plus conforme à ses intérêts. Dans un arrêt de 2010, le Tribunal fédéral s'est prononcé au sujet d'un restaurant qui était exploité dans 1e centre de Genève depuis près de cent ans. Il a jugé qu'en raison de l'évolution des activités intervenue dans le quartier concerné pendant cette très longue durée, et de l'indiscutable prestige acquis par ledit quartier, les inconvénients et nuisances résultant de l'exploitation d'un restaurant, mêmes modérés, étaient désormais plus difficilement tolérés, de sorte que le bailleur pouvait légitimement vouloir modifier la destination des locaux et, à cette fin, résilier le contrat (ATF 136 III 190 consid. 2 et 3 p. 192).

Le congé en vue de travaux de transformation ou de rénovation est abusif lorsque le projet du bailleur ne présente pas de réalité tangible ou qu'il apparaît objectivement impossible, notamment parce qu'il est de toute évidence incompatible avec les règles du droit public applicable et que le bailleur n'obtiendra ainsi pas les autorisations nécessaires; la preuve de l'impossibilité objective incombe au locataire. La validité du congé ne suppose pas que le bailleur ait déjà obtenu les autorisations nécessaires, ni même qu'il ait déposé les documents dont elles dépendent (ATF 140 III 496 consid. 4.1; arrêt du Tribunal fédéral 4A_210/2014 17 juillet 2014 consid. 3.1 et les arrêts cités; cf. également ATF 136 III 190 consid. 4 p. 194 ss).

Par ailleurs, dans un arrêt récent, le Tribunal fédéral a jugé que la simple volonté du bailleur de modifier l'image d'un établissement en relation avec l'implantation d'entreprises prestigieuses dans le quartier ne répondait pas à un intérêt suffisamment concret et sérieux pour résilier le bail lorsqu'il n'était ni notoire ni prouvé que le quartier ait subi une mutation très importante depuis la conclusion ni du bail, que le bailleur n'a pas l'intention de modifier la destination des locaux, qu'il n'est ni allégué ni vraisemblable qu'il puisse obtenir un loyer plus élevé d'un autre exploitant ou qu'un changement d'exploitant soit propre à accroître le potentiel des autres locaux du bâtiment (arrêt du Tribunal fédéral 4A_529/2014 du 23 janvier 2015 consid. 3).

2.2. Il appartient au locataire de prouver les faits dont il déduit le caractère abusif. Le bailleur doit collaborer à la manifestation de la vérité; il doit donc donner tous les éléments de preuves à l'appui de la motivation invoquée. S'il ne parvient pas à démontrer la réalité de celle-ci ni à la rendre vraisemblable, le juge peut, dans l'appréciation des preuves, en déduire que la résiliation était abusive. Il ne s'agit cependant pas d'un renversement du fardeau de la preuve (arrêt du Tribunal fédéral 4A_345/2007 du 8 janvier 2008 publié in JT 2009 I 22).

La motivation doit être donnée dans le respect des règles de la bonne foi. En particulier - cela va de soi - les motifs doivent être vrais (ATF non publié du 18.03.1992 in MP 1993 p. 28 consid. 4; HIGI, Commentaire zurichois, 4e éd. 1996, nos 114-121 ad art. 271 CO).

2.3. Dans le jugement entrepris, le Tribunal a retenu que l'appelante n'avait pas été en mesure de prouver qu'elle disposait d'un projet de modification de l'affectation des locaux suffisamment abouti pour justifier le congé.

L'appelante soutient que le fait que son projet ne soit pas défini dans toutes ses modalités ne saurait lui enlever son caractère tangible. Elle fonde son argumentation sur la jurisprudence citée ci-dessus selon laquelle la validité du congé ne suppose pas que le bailleur ait déjà obtenu les autorisations nécessaires, ni même ait déposé les documents dont elles dépendent.

Elle soutient que le propriétaire ne peut élaborer un projet définitif alors qu'il ne sait pas encore à quelle date il récupèrera les locaux et qu'il n'est donc pas en mesure de déterminer de manière précise le type d'activité qui correspondra le mieux au marché le moment venu.

Toutefois, vu les développements qui suivent, la question de savoir si le projet de l'appelante est suffisamment abouti peut demeurer ouverte.

2.4. En effet, l'appelante a motivé la résiliation par sa volonté de revoir l'aménagement des locaux pour en faire un lieu correspondant davantage au standing de l'immeuble et au quartier. Elle a expliqué qu'à la suite, notamment, de la réalisation du secteur du ______, le quartier était devenu très résidentiel.

Le témoin G______ a déclaré que la commune est coupée en deux depuis la construction du nouveau quartier du ______, que les commerces se déplaçaient désormais vers ce nouveau centre et que le quartier où est situé l'établissement litigieux était ainsi devenu un lieu de transit, qu'il qualifiait de zone de déshérence. Des projets seraient néanmoins en cours concernant le réaménagement de cette zone dans un horizon de dix ans.

Le témoin H______ a pour sa part indiqué que le quartier où est situé le bar était concerné par la construction récente ou à venir de nouveaux immeubles d'habitations d'un standing supérieur, avec vraisemblablement des commerces au rez-de-chaussée, et qu'il s'agissait de s'inscrire dans cette tendance.

S'il est notoire que le quartier a connu une certaine évolution depuis le développement du secteur du _______, les conséquences de cette évolution sur la situation de l'immeuble où se trouve l'arcade, objet de la présente procédure, ne sont pas clairement établies. Il n'est en particulier pas prouvé que le quartier ait subi de ce seul fait une mutation très importante.

Au contraire, les déclarations de l'appelante et des témoins cités ci-dessus sont contradictoires, les uns (l'appelante et le témoin H______) estimant que le quartier devait acquérir un standing supérieur, alors que le témoin G______ fait état de lieu de transit qualifié de zone de déshérence.

La Cour ne saurait ainsi retenir que le quartier a subi une mutation telle qu'elle lui aurait fait perdre le caractère qui était le sien lors de la conclusion du bail en 1998.

L'appelante ne prévoit d'ailleurs pas de modifier la destination des locaux, mais au contraire d'y maintenir un établissement public et de remplacer l'intimée par un autre exploitant. Elle n'a pas allégué, ni rendu vraisemblable qu'elle puisse obtenir d'un autre exploitant un loyer notablement plus élevé. On ne saurait présumer, non plus, qu'un changement d'exploitant soit propre à accroître le potentiel des autres locaux du bâtiment.

Dans ces conditions, le "changement d'image" souhaité par l'appelante, en relation avec l'évolution du quartier, ne répond pas à un intérêt suffisamment concret et sérieux pour justifier la résiliation du bail.

Il s'ensuit que c'est à bon droit que les premiers juges ont retenu que le congé était contraire aux règles de la bonne foi et l'ont annulé.

2.5. Au vu de ce qui précède, le jugement entrepris sera confirmé.

3. A teneur de l'art. 22 al. 1 LaCC, il n'est pas prélevé de frais dans les causes soumises à la juridiction des baux et loyers, étant rappelé que l'art. 116 al. 1 CPC autorise les cantons à prévoir des dispenses de frais dans d'autres litiges que ceux visés à l'art. 114 CPC (ATF 139 III 182 consid. 2.6).

* * * * *


PAR CES MOTIFS,
La Chambre des baux et loyers :

A la forme :

Déclare recevable l'appel interjeté le 10 septembre 2014 par A_______ contre le jugement JTBL/721/2014 rendu le 27 juin 2014 par le Tribunal des baux et loyers dans la cause C/10353/2013-1 OSB.

Au fond :

Confirme le jugement.

Dit que la procédure est gratuite.

Déboute les parties de toutes autres conclusions.

Siégeant :

Madame Nathalie LANDRY-BARTHE, présidente; Monsieur Laurent RIEBEN et Madame Fabienne GEISINGER-MARIÉTHOZ, juges; Monsieur Mark MULLER et Monsieur Thierry STICHER, juges assesseurs; Madame Maïté VALENTE, greffière.

 

La présidente :

Nathalie LANDRY-BARTHE

 

La greffière :

Maïté VALENTE

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Indication des voies de recours :

 

Conformément aux art. 72 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF;
RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification avec expédition complète (art. 100 al. 1 LTF) par-devant le Tribunal fédéral par la voie du recours en matière civile.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14.

 

Valeur litigieuse des conclusions pécuniaires au sens de la LTF supérieure ou égale à 15'000 fr.