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Décisions | Chambre des baux et loyers

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C/2790/2020

ACJC/565/2021 du 06.05.2021 ( SBL )

Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

C/2790/2020 ACJC/565/2021

ARRÊT

DE LA COUR DE JUSTICE

Chambre des baux et loyers

DU JEUDI 6 MAI 2021

 

Entre

Monsieur A______, domicilié ______ (GE), recourant contre une ordonnance rendue par le Tribunal des baux et loyers le 6 avril 2021, comparant par Me Antoine E. BÖHLER, avocat, rue des Battoirs 7, case postale 284, 1211 Genève 4, en l'étude duquel il fait élection de domicile,

et

Monsieur B______ et Madame C______, domiciliés _______ Genève, intimés, comparant par Me Andreas FABJAN, avocat, rue Ferdinand-Hodler 13, 1207 Genève, en l'étude duquel ils font élection de domicile.

 


Attendu, EN FAIT, que par requête expédiée le 22 juillet 2020, C______ et B______, locataires, ont saisi le Tribunal des baux et loyers d'une demande en fixation judiciaire du loyer initial et en restitution du trop-perçu (procédure C/2790/2020);

Que les parties sont également en litige concernant des arriérés de loyers, objet de la procédure C/1______/2020, également pendante devant le Tribunal;

Que les parties ont toutes deux, par courriers des 21 et 22 septembre 2020, requis du Tribunal la jonction des causes C/2790/2020 et C/1______/2020;

Que par ordonnance OTBL/103/2020 du 13 octobre 2020, le Tribunal a considéré qu'il n'y avait pas lieu de joindre les deux causes suscitées, dès lors qu'elles n'étaient pas soumises à la même procédure;

Qu'il a en revanche limité la procédure à la question de la validité du loyer convenu entre les parties;

Que A______, bailleur, a répondu à la demande le 16 novembre 2020;

Qu'à l'audience de débats principaux du Tribunal du 18 décembre 2020, les locataires ont déposé des déterminations sur les allégués de la réponse et ont formé de nouveaux allégués, accompagnés d'une nouvelle pièce;

Que le bailleur a pris position sur les allégués nouveaux des locataires et a produit un bordereau de preuves;

Que les parties ont déclaré ne pas souhaiter compléter davantage leurs allégations et leurs offres de preuve;

Qu'après ces débats d'instruction, le Tribunal a ordonné l'ouverture des débats principaux et les premières plaidoiries;

Que les parties ont persisté dans leurs conclusions respectives;

Que le Tribunal a procédé à l'interrogatoire des parties;

Qu'à l'issue de l'audience, le Tribunal a informé les parties de ce qu'il rendrait une ordonnance de preuves;

Qu'il ne résulte pas du dossier qu'une telle ordonnance ait été rendue;

Que par citation du 22 décembre 2020, le Tribunal a ordonné une inspection locale dans le logement en cause;

Que dite inspection locale a eu lieu le 19 janvier 2021, à l'issue de laquelle le Tribunal a informé les parties de ce que la suite de la procédure était réservée;

Que le procès-verbal de cette inspection a été adressé aux parties le 23 février 2021;

Que par ordonnance du 6 avril 2021, reçue par A______ le même jour, le Tribunal a dit qu'il incombait à ce dernier de mettre à disposition des locataires toute pièce justificative afférente aux charges de l'immeuble (ch. 1), lui a imparti un délai au 14 mai 2021 pour produire le calcul de rendement ainsi que pour déposer toutes les pièces requises (ch. 2) et a réservé l'admission éventuelle d'autres moyens de preuves à un stade ultérieur de la procédure (ch. 3);

Que le Tribunal a considéré que lors de l'inspection locale, il avait pu constater l'absence de caractère luxueux du logement; qu'il a dès lors invité le bailleur à produire les pièces nécessaires au calcul de rendement net de l'immeuble, pièces qu'il a détaillées; que l'attention du bailleur a été attirée sur les conséquences pouvant être tirées de son refus de produire lesdites pièces;

Attendu que par acte expédié le 19 avril 2021 au greffe de la Cour de justice, A______ a formé appel, subsidiairement recours contre l'ordonnance susmentionnée; qu'il a conclu à ce que la Cour annule l'ordonnance entreprise et renvoie la cause au Tribunal pour instruction "exhaustive de la question du loyer convenu entre les parties et plaidoiries", les locataires devant en tout état être déboutés de toute autre conclusion;

Qu'il a fait valoir qu'en tant que l'ordonnance tranchait, dans sa motivation, mais non dans son dispositif, la question de l'absence de luxe du logement, il s'agissait d'une décision incidente, sujette à appel, la valeur litigieuse étant supérieure à 10'000 fr.; qu'en revanche, seule la voie du recours était ouverte contre cette même décision en tant qu'elle ordonne la production de pièces;

Que A______ a reproché au Tribunal une violation de l'art. 125 let. a CPC, une violation de son droit d'être entendu, un déni de justice formel, ainsi que l'absence de fixation de plaidoiries finales avant que l'ordonnance soit rendue; qu'il a notamment fait valoir que le Tribunal n'a pas motivé sa décision quant à l'absence de caractère luxueux de l'appartement, les parties n'ayant au demeurant pas pu plaider sur cette question, avant qu'une décision soit prise à cet égard; que le Tribunal n'a par ailleurs pas examiné, avant d'entrer en matière sur la requête en fixation judiciaire du loyer, l'abus de droit invoqué par lui; qu'il a, de plus, fait valoir que le Tribunal avait limité, avant fixation du délai de réponse, la procédure à la question de la validité du loyer, de sorte qu'il ne s'était déterminé, dans sa réponse, que sur cette question;

Vu la requête tendant à la suspension de l'effet exécutoire attaché à l'ordonnance querellée dont le recours est assorti, le bailleur faisant en substance valoir, si la décision querellée devait être qualifiée d'ordonnance d'instruction, subir un préjudice difficilement réparable, dès lors que si les pièces devaient être versées à la procédure, il n'aurait ensuite plus aucun intérêt à faire valoir qu'il n'avait pas l'obligation de les produire; que, par ailleurs, l'absence d'effet suspensif viderait de son objet le recours interjeté;

Que dans leur réponse à l'appel, subsidiairement au recours formé par A______, les locataires se sont rapportés à justice concernant la requête d'effet suspensif; qu'ils ont pour le surplus conclu au rejet de l'appel, respectivement du recours;

Considérant, EN DROIT, que l'appel est recevable contre les décisions finales ou incidentes de première instance, dans les causes non patrimoniales ou dont la valeur litigieuse, au dernier état des conclusions devant l'autorité inférieure, est supérieure à 10'000 fr. (art. 308 al. 1 let. a et al. 2 CPC);

Que la décision finale est celle qui met un terme à l'instance, qu'il s'agisse d'un prononcé sur le fond ou d'une décision reposant sur le droit de procédure;

Que la décision partielle est celle qui, sans terminer l'instance, règle définitivement le sort de certaines des prétentions en cause (art. 90 let. a LTF), ou termine l'instance seulement à l'égard de certaines des parties à la cause (art. 91 let. b LTF);

Que les décisions qui ne sont ni finales ni partielles d'après ces critères sont des décisions incidentes (ATF 141 III 395 consid. 2.2); qu'il s'agit notamment des prononcés par lesquels l'autorité règle préalablement et séparément une question juridique qui sera déterminante pour l'issue de la cause (ATF 142 III 653 consid. 1.4; 142 II 20 consid. 1.2);

Que le juge rend une décision incidente lorsque l'instance de recours pourrait prendre une décision contraire qui mettrait fin au procès et permettrait de réaliser une économie de temps ou de frais appréciable (art. 237 al. 1 CPC); que la décision incidente est sujette à recours immédiat; qu'elle ne peut être attaquée ultérieurement dans le recours contre la décision finale (art. 237 al. 2 CPC);

Qu'une décision incidente selon l'art. 237 CPC ne déploie pas de façon générale d'effet de chose jugée, qui n'appartiendra qu'à la décision finale encore à intervenir dans le procès concerné; que cependant, le tribunal lui-même est lié par sa propre décision incidente et ne saurait la remettre en cause en rendant la décision finale (arrêt du Tribunal fédéral 4A_545/2014 du 10 avril 2015 consid. 2.1, in SJ 2015 I 381; Tappy, Commentaire Romand, Code de procédure civile, 2ème éd. 2019, n. 12 ad art. 237 CPC); Staehelin, Kommentar ZPO, n. 14 ad art. 237 CPC);

Que pour l'appel contre une décision incidente, la valeur litigieuse est déterminée par les conclusions qui sont litigieuses devant l'instance cantonale inférieure auprès de laquelle la cause principale est pendante (art. 51 al. 1 lit. c LTF par analogie; Reetz/Theiler, Kommentar ZPO, n. 4 ad art. 308 CPC);

Qu'en l'espèce, dans la décision querellée, le Tribunal a, d'une part, considéré, dans sa motivation, que le logement ne présentait pas de caractère de luxe, et, d'autre part, dans sa motivation et son dispositif, ordonné la production de pièces permettant d'effectuer un calcul de rendement;

Qu'en tant qu'elle règle définitivement la question de l'absence de caractère de luxe du logement en cause, l'ordonnance est une décision incidente, contre laquelle un appel immédiat est ouvert, la valeur litigieuse en première instance étant supérieure à 10'000 fr.;

Que l'appel suspend la force de chose jugée et le caractère exécutoire de la décision dans la mesure des conclusions prises en appel (art. 315 al. 1 CPC);

Qu'en revanche, en tant que la décision querellée ordonne la production de pièces, il 'agit d'une ordonnance d'instruction (art. 124 CPC), susceptible du seul recours, recours dont la recevabilité est subordonnée à l'existence d'un préjudice difficilement réparable (art. 319 let. b ch. 2 CPC), la cognition de la Cour étant limitée à l'appréciation manifestement inexacte des faits et à la violation de la loi (art. 321 al. 2 CPC);

Que le recours ne suspend pas la force de chose jugée et le caractère exécutoire de la décision entreprise, l'autorité de recours (soit la Cour de céans) pouvant suspendre le caractère exécutoire en ordonnant au besoin des mesures conservatoires ou le dépôt de sûretés (art. 325 CPC);

Que, saisie d'une demande de suspension de l'effet exécutoire, l'autorité de recours doit faire preuve de retenue et ne modifier la décision de première instance que dans des cas exceptionnels; qu'elle dispose cependant d'un large pouvoir d'appréciation permettant de tenir compte des circonstances concrètes du cas d'espèce (ATF 137 III 475 consid. 4.1);

Qu'en la matière, l'instance d'appel dispose d'un large pouvoir d'appréciation
(ATF 137 III 475 consid. 4.1; arrêts du Tribunal fédéral 5A_403/2015 du 28 août 2015 consid. 5; 5A_419/2014 du 9 octobre 2014 consid. 7.1.2);

Que, selon les principes généraux, l'autorité procède à une pesée des intérêts en présence et doit se demander, en particulier, si la décision est de nature à provoquer une situation irréversible; qu'elle prend également en considération les chances de succès du recours (arrêts du Tribunal fédéral 4A_337/2014 du 14 juillet 2014 consid. 3.1; 4D_30/2010 du 25 mars 2010 consid. 2.3);

Que la notion de "préjudice difficilement réparable" est plus large que celle de préjudice irréparable au sens de l'art. 93 al. 1 let. a LTF relatif aux recours dirigés contre des décisions préjudicielles ou incidentes, dès lors qu'elle ne vise pas seulement un inconvénient de nature juridique, mais toute incidence dommageable (y compris financière ou temporelle), pourvu qu'elle soit difficilement réparable. L'instance supérieure doit se montrer exigeante, voire restrictive, avant d'admettre l'accomplissement de cette dernière condition, sous peine d'ouvrir le recours à toute décision ou ordonnance d'instruction, ce que le législateur a clairement exclu
(cf. ATF 138 III 378 consid. 6.3; 137 III 380 consid. 2, SJ 2012 I 73; Jeandin, Commentaire Romand, Code de procédure civile, 2ème éd., 2019, n. 22 ad art. 319 CPC; Hohl, Procédure civile, Tome II, 2010, n. 2485);

Que cela suppose que la partie recourante soit exposée à un préjudice de nature juridique, qui ne puisse pas être ultérieurement réparé ou entièrement réparé par une décision finale qui lui serait favorable; un dommage économique ou de pur fait n'est pas considéré comme un dommage irréparable de ce point de vue (ATF 138 III 333 consid. 1.3.1; 134 III 188 consid. 2.1 et 2.2); qu'ainsi, une simple prolongation de la procédure ou un accroissement des frais de celle-ci ne constitue pas un préjudice difficilement réparable (Spühler, Basler Kommentar, Schweizerische Zivilprozessordnung, 3ème éd., 2017, n. 7 ad art. 319 CPC; Hoffmann-Nowotny, ZPO-Rechtsmittel, Berufung und Beschwerde, 2013, n. 25 ad art. 319 CPC);

Que de même, le seul fait que la partie ne puisse se plaindre d'une administration des preuves contraire à la loi qu'à l'occasion d'un recours sur le fond n'est pas suffisant pour retenir que la décision attaquée est susceptible de causer un préjudice difficilement réparable (Spühler, op. cit., n. 8 ad art. 319 CPC; Colombini, Condensé de la jurisprudence fédérale et vaudoise relative à l'appel et au recours en matière civile, in JdT 2013 III p. 131 ss, p. 155); que la décision refusant ou admettant des moyens de preuves ne cause en effet pas de préjudice difficilement réparable, puisqu'il est normalement possible, en recourant contre la décision finale, d'obtenir l'administration de la preuve refusée à tort ou d'obtenir que la preuve administrée à tort soit écartée du dossier (arrêts du Tribunal fédéral 4A_248/2014 du 27 juin 2014, 4A_339/2013 du 8 octobre 2013 consid. 2 et 5A_315/2012 du 28 août 2012 consid. 1.2.1; Colombini, Code de procédure civile, Lausanne 2018, p. 1024);

Que dans un arrêt où l'obligation pour la bailleresse de produire les pièces nécessaires à un calcul du rendement net était en jeu, le Tribunal fédéral a considéré que si la bailleresse devait être contrainte de fournir immédiatement lesdites pièces, cela entraînerait pour elle un inconvénient qui ne pourrait pas être réparé à l'issue de la procédure d'appel, puisque, une fois qu'elle aurait produit ces pièces, les parties adverses en auraient pris connaissance et la bailleresse n'aurait alors plus aucun intérêt à faire valoir qu'elle n'avait pas l'obligation de les produire; que le Tribunal fédéral a alors admis que l'existence d'un préjudice irréparable au sens de l'art. 93 al. 1 let. a LTF était réalisée (arrêt du Tribunal fédéral 4A_400/2017 du 13 septembre 2018 consid. 1.1 non publié aux ATF 144 III 514);

Qu'en l'espèce, la décision entreprise ordonne à la bailleresse recourante de produire les documents nécessaires pour effectuer un calcul de rendement; que dans la dernière jurisprudence rappelée ci-dessus, le Tribunal fédéral a considéré que la bailleresse subirait alors un inconvénient qui ne pourrait pas être réparé à l'issue de la procédure d'appel, même en cas de décision favorable, puisqu'elle n'aurait plus d'intérêt à contester qu'elle fût indûment obligée de produire les éléments de calcul litigieux;

Que l'existence d'un préjudice difficilement réparable doit dès lors être, prima facie et sans préjudice de l'examen au fond, réalisée;

Que la requête d'effet suspensif sera en conséquence admise.

* * * * *

 

PAR CES MOTIFS,
La Présidente de la Chambre des baux et loyers :

Statuant sur la suspension de l'effet exécutoire :

Suspend l'effet exécutoire attaché à l'ordonnance rendue le 6 avril 2021 par le Tribunal des baux et loyers dans la cause C/2790/2020-2 ALA OSL.

Déboute les parties de toutes autres conclusions.

Siégeant :

Madame Nathalie LANDRY-BARTHE, présidente; Madame Maïté VALENTE, greffière.

 

La présidente :

Nathalie LANDRY-BARTHE

 

La greffière :

Maïté VALENTE











Indication des voies de recours
:

 

La présente décision, incidente et de nature provisionnelle (137 III 475 consid. 1) est susceptible d'un recours en matière civile, les griefs pouvant être invoqués étant toutefois limités (art. 98 LTF), respectivement d'un recours constitutionnel subsidiaire (art. 113 à 119 et 90 ss LTF). Dans les deux cas, le recours motivé doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14.