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Décisions | Chambre civile

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C/19480/2020

ACJC/1846/2020 du 21.12.2020 ( IUS ) , REJETE

Normes : CO.956
En fait
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

C/19480/2020 ACJC/1846/2020

ARRÊT

DE LA COUR DE JUSTICE

Chambre civile

du LUNDI 21 DÉCEMBRE 2020

 

Entre

A______ SA, sise ______, requérante, comparant par Me Cyril Aellen, avocat, rue du Rhône 118, 1204 Genève, en l'étude duquel elle fait élection de domicile,

et

B______ SA, sise ______, citée, comparant par Me Marco Rossi, avocat, quai Gustave-Ador 2, 1207 Genève, en l'étude duquel elle fait élection de domicile.

 


EN FAIT

A. a. A______ SA est une société inscrite au Registre du commerce de Genève depuis le ______ 2003, qui poursuit comme but la rénovation de bâtiments au travers du système de l'entreprise générale. Elle a son siège au [no.] ______, avenue 1______ à C______ [GE]. Le logo de la société comprend les lettres 2______/3______/4______ en majuscules, auxquelles sont adjoints, dans une police plus petite, les termes "______" et la mention "______".

D______ SA, de siège à Genève également au [no.] ______, avenue 1______ à C______, poursuit le même but que A______ SA, et est inscrite au Registre du commerce de Genève depuis le ______ 2014. Ses organes sont les même que ceux de A______ SA.

b. B______ SA allègue que E______ travaille depuis plus de dix ans dans le domaine de la construction à Genève, et qu'il y a développé une clientèle stable, notamment auprès de la régie F______.

c. Le 30 août 2019 E______ a été engagé par D______ SA en qualité de Technicien-Maître, pour une durée indéterminée. Le salaire brut convenu était de 6'800 fr. par mois.

E______ a travaillé pour D______ SA du 1er septembre au 18 octobre 2019.

B______ SA soutient que E______ a présenté sa démission durant le temps d'essai, insatisfait des méthodes de travail de D______ SA, mais non dans la perspective d'autres projets professionnels comme allégué par A______ SA.

d. Il est allégué que A______ SA et D______ SA collaborent étroitement, les employés de la seconde intervenant sur les chantiers de la première.

Dans ce cadre, les 23 septembre et 16 octobre 2019, D______ SA a adressé à A______ SA des factures, concernant "participation au salaire de E______", pour "Salaire de 4'059 fr. 30 et de 3'697 fr. 38, part 13ème et congé compris". E______ a pour sa part établi plusieurs offres sur papier à en-tête de A______ SA, sur lesquelles il apparaît comme personne de contact.

E______ apparaît sur une photographie avec un badge au nom de A______ SA.

e. Du 21 octobre 2019 à fin février 2020, E______ a travaillé pour la société G______ SA, sise [no.] ______ avenue 5______ aux H______ [GE], et dont l'administrateur unique est I______. Le but de la société est "entreprises pour tous travaux, notamment pose, liés aux revêtements de sol, parquet, moquette, linoléum, carrelage et peinture, plâtrerie, ainsi que tous nettoyages de revêtement notamment le marbre".

f. Le 16 mars 2020, E______ est devenu l'associé gérant président, aux côtés de J______ (associé gérant) et K______ (gérant) de la société B______ SARL, de siège à Genève, dont la raison sociale était jusque-là L______ SARL. Le but social de la société est l'exploitation d'une entreprise de peinture.

Le 28 mai 2020, J______, actionnaire majoritaire de B______ SARL a cédé à E______ l'utilisation du nom commercial de "B______", après la liquidation de celle-ci. Celui-ci était autorisé à exploiter ce nom "dans l'exercice de sa nouvelle structure, en attendant la liquidation".

Le 12 juin 2020, E______ a cédé les parts qu'il détenait dans B______ SARL à J______. Le 18 juin 2020, la société a changé de raison sociale et est devenue M______ SARL.

g. Le 2 juillet 2020, N______ SA, société inscrite au Registre du commerce depuis le ______ 2010, dont le but est tous travaux de peinture, papiers peints, plâtrerie, ainsi que tous travaux de carrelage et tous travaux de nettoyage, et l'administrateur I______, a changé sa raison sociale en B______ SA.

Dès cette date, E______ en est devenu administrateur, aux côtés de I______, passé administrateur président, et travaille pour elle. Le siège de la société a été transféré du [no.] ______, chemin 6______ à O______ [GE], au [no.] ______ rue 5______ aux H______.

Le logo de la société comprend la raison sociale en entier, insérée dans une maison stylisée, à l'exclusion de toute autre mention.

h. Le 2 septembre 2020, [la régie immobilière] F______ a adressé à B______ SA un bon de travail, lui demandant de bien vouloir "effectuer la réfection du joint silicone baignoire" dans l'appartement d'un immeuble sis rue 7______ à Genève.

Le 16 septembre 2020, B______ SA a facturé 341 fr. 75 son intervention à la régie, les travaux ayant été exécutés.

i. Le 17 septembre 2020, fournisseurs@F______.ch a adressé à "info@2______/3______/4______-sa" le bon de travail susmentionné, avec le texte suivant : "Nous accusons bonne réception de votre facture et vous en remercions. Toutefois le document joint à ce mail est un bon de travail seul. Selon nos directives il n'est plus nécessaire de joindre le bon de travail à la facture." Sous la rubrique "Pièces jointes" il est mentionné "Facture 500.00 doit faire l'objet d'un devis.pdf".

C'est P______, de A______ SA, qui a pris connaissance de ce message.

j. Par courrier recommandé du 25 septembre 2020, A______ SA a mis B______ SA en demeure de cesser avec effet immédiat toute utilisation commerciale du nom "B______" [d'une partie de la raison sociale B______ qui est identique à une partie de la raison sociale A______] et d'ôter toute inscription y faisant référence sur son site internet, ses véhicules, ainsi que tous autres produits estampillés de la sorte et de modifier sa raison sociale au registre du commerce. Elle a fait valoir que la nouvelle raison sociale créait un risque de confusion auprès du public en suggérant l'existence de relations juridiques ou économiques entre les deux sociétés, actives dans le même domaine.

B. a. Par requête en mesures provisionnelles, action en cessation de trouble et en dommages-intérêts expédiée à la Cour de justice le 5 octobre 2020, et dirigée contre B______ SA, A______ SA a conclu, sur mesures provisionnelles, à ce qu'il soit interdit à B______ SA de faire usage de la dénomination "B______ SA" ou de toute autre dénomination portant confusion avec la société A______ SA dans sa raison sociale, sa publicité, ses papiers d'affaires, sur internet ou sous quelque forme que ce soit, sous la menace de la peine prévue à l'art. 292 CP.

La valeur litigieuse indiquée sur la requête est de 10'000 fr.

L'activité déployée par le mandataire de A______ SA du 1er septembre au 5 octobre 2020 a été facturée 3'814 fr. 25.

b. Par mémoire réponse expédié le 2 novembre 2020 à la Cour, B______ SA a conclu au rejet de la requête de mesures provisionnelles, sous suite de frais et dépens.

c. Le 19 novembre 2020, A______ SA a expédié des déterminations spontanées, persistant dans ses conclusions.

d. Les parties ont été informées par courrier du greffe de la Cour du 15 décembre 2020 de ce que la cause était gardée à juger.

EN DROIT

1. 1.1 Conformément à l'art. 5 al. 1 CPC, à Genève, la Chambre civile de la Cour de justice (art. 120 al. 1 let. a LOJ) connaît en instance unique des litiges portant sur l'usage d'une raison de commerce (let. c) ou relevant de la loi fédérale contre la concurrence déloyale (LCD) lorsque la valeur litigieuse dépasse 30'000 fr. (let. d). Cette compétence vaut également pour statuer sur les mesures provisionnelles requises avant litispendance (art. 5 al. 2 CPC).

En cas de concours d'actions (chacune des prétentions du demandeur repose sur plusieurs fondements juridiques dont chacun, s'il était retenu, suffirait à justifier ces prétentions), le principe de l'application d'office du droit fédéral (art. 57 CPC) entraîne une attraction de compétence, c'est-à-dire qu'un seul tribunal doit juger la prétention sous tous ses fondements (Bastons Bulletti, in Newsletter CPC Online du 11.05.16 ad art. 57 CPC).

En matière de compétence ratione materiae, il revient au droit cantonal de déterminer quel tribunal devra le faire et le choix devra être effectué en principe en fonction du fondement prépondérant de la prétention (p.ex. Bohnet, Cumul et concours d'actions en droit du travail in RSPC 2011, p. 363 ss, 373).

1.2 En l'espèce, la requérante fonde ses conclusions principalement sur la protection des raisons de commerce (art. 956 CO) et subsidiairement sur l'art. 3 lettre d LCD.

La compétence de la Cour, en qualité d'instance unique, est ainsi donnée pour le tout, quelle que soit la valeur litigieuse, ce qui n'est pas contesté.

2. 2.1.1 Aux termes de l'art. 261 al. 1 CPC, le juge ordonne les mesures provisionnelles nécessaires lorsque le requérant rend vraisemblable qu'une prétention dont il est titulaire est l'objet d'une atteinte ou risque de l'être (let. a) et que cette atteinte risque de lui causer un préjudice difficilement réparable (let. b).

En vertu de l'art. 262 let. a CPC, le juge peut ordonner toute mesure provisionnelle propre à prévenir ou à faire cesser le préjudice, notamment une interdiction.

Dans le cadre des mesures provisionnelles, le juge peut se limiter à la vraisemblance des faits et à l'examen sommaire du droit, en se fondant sur les moyens de preuve immédiatement disponibles (ATF 139 III 86 consid. 4.2;
139 III 86 consid. 4.2; 131 III 473 consid. 2.3). L'octroi de mesures provisionnelles suppose la vraisemblance du droit invoqué et des chances de succès du procès au fond, ainsi que la vraisemblance, sur la base d'éléments objectifs, qu'un danger imminent menace le droit du requérant, enfin la vraisemblance d'un préjudice difficilement réparable, ce qui implique une urgence (Message du Conseil fédéral du 28 juin 2006 relatif au code de procédure civile suisse, in FF 2006 p. 6841 ss, spéc. 6961; arrêts du Tribunal fédéral 5A_931/2014 du 1er mai 2015 consid. 4; 5A_791/2008 du 10 juin 2009 consid. 3.1; Bohnet, Commentaire romand, Code de procédure civile commenté, 2ème éd. 2019, n. 3 ss ad art. 261 CPC). La preuve est (simplement) vraisemblable lorsque le juge, en se fondant sur des éléments objectifs, a l'impression que les faits pertinents se sont produits, sans pour autant qu'il doive exclure la possibilité que les faits aient pu se dérouler autrement (ATF 139 III 86 consid. 4.2; 130 III 321 consid. 3.3 = JdT 2005 I 618).

La vraisemblance requise doit en outre porter sur un préjudice difficilement réparable, qui peut être patrimonial ou immatériel (Bohnet, op. cit., n. 11 ad art. 261 CPC; Huber, Kommentar zur Schweizerischen Zivilprozessordnung (ZPO), 3ème éd., 2017, n. 20 ad art. 261 CPC). Cette condition vise à protéger le requérant du dommage qu'il pourrait subir s'il devait attendre jusqu'à ce qu'une décision soit rendue au fond (ATF 139 III 86 consid. 5; 116 Ia 446 consid. 2). Le requérant doit rendre vraisemblable qu'il s'expose, en raison de la durée nécessaire pour rendre une décision définitive, à un préjudice qui ne pourrait pas être entièrement supprimé même si le jugement à intervenir devait lui donner gain de cause. En d'autres termes, il s'agit d'éviter d'être mis devant un fait accompli dont le jugement ne pourrait pas complètement supprimer les effets (arrêt du Tribunal fédéral 4A_611/2011 du 3 janvier 2012 consid. 4.1).

En droit des marques ou en matière de concurrence déloyale, il est admis qu'un risque de confusion est en règle générale de nature à engendrer une perturbation du marché ainsi que d'autres dommages de nature immatérielle; en pareil cas, la condition de menace d'un dommage difficile à réparer est en principe considérée comme remplie (Schlosser, Les conditions d'octroi des mesures provisionnelles en matière de propriété intellectuelle et de concurrence déloyale, in sic! 2005, p. 349; Bohnet, op. cit., n. 13 ad art. 261 CPC; ACJC/335/2015 du 26 mars 2015 consid. 4.1).

2.1.2 Selon l'art. 956 al. 1 CO, dès que la raison de commerce a été inscrite au Registre du commerce, l'ayant droit en a l'usage exclusif. Celui qui subit un préjudice du fait de l'usage indu d'une raison de commerce peut demander au juge d'y mettre fin (art. 956 al. 2 CO).

La raison de commerce d'une société commerciale doit se distinguer nettement de toute autre raison de commerce d'une société commerciale déjà inscrite en Suisse (art. 951 CO). Comme les sociétés anonymes et à responsabilité limitée peuvent choisir en principe librement leur raison de commerce, des exigences élevées quant à leur caractère distinctif sont posées (arrêt du Tribunal fédéral 4A_45/2012 du 12 juillet 2012 consid. 3.2.2).

Est donc prohibé non seulement l'usage d'une raison de commerce identique à celle dont le titulaire a le droit exclusif, mais aussi l'utilisation d'une raison semblable, qui ne se différencie pas suffisamment de celle inscrite au point de créer un risque de confusion (ATF 130 III 478; 131 III 572 consid. 3).

Sur la base de son droit d'exclusivité, le titulaire d'une raison de commerce antérieure peut donc agir contre le titulaire d'une raison postérieure et lui en interdire l'usage s'il existe un risque de confusion entre les deux raisons sociales (ATF 131 III 572 consid. 3; 122 III 369 consid. 1).

Le titulaire de la première raison sociale inscrite peut aussi agir sur la base de l'art. 3 let. d LCD, qui s'applique cumulativement si les parties sont dans un rapport de concurrence (ATF du 15 décembre 1992, consid. 4 in RSPI 1994 p. 53; 100 II 395 consid. 1; 100 II 224 consid. 5; Meier-Hayoz/Forstmoser, Schweizerisches Gesellschaftsrecht, 2007, § 7 n. 109).

A teneur de cette disposition est déloyal le comportement de celui qui prend des mesures qui sont de nature à faire naître une confusion avec les marchandises, les oeuvres, les prestations ou les affaires d'autrui. Est ainsi visé tout comportement au terme duquel le public est induit en erreur par la création d'un danger de confusion, en particulier lorsque celui-ci est mis en place pour exploiter, de façon parasitaire, la réputation d'un concurrent (arrêts du Tribunal fédéral 4A_168/2010 du 19 juillet 2010 consid. 5.1; 4A_253/2008 du 14 octobre 2008 consid. 5.2; ATF 127 III 33 = JdT 2001 I 340 consid. 2b).

2.1.3 Pour déterminer s'il existe un risque de confusion, notion qui est la même dans tout le droit relatif aux signes distinctifs, il faut, d'une part, examiner les signes à comparer dans leur ensemble et, d'autre part, se demander ce que le destinataire moyen conserve en mémoire (ATF 131 III 572 consid. 3; arrêt du Tribunal fédéral 4A_315/2009 du 8 octobre 2009 consid. 2.1, in SJ 2010 I 129). Les raisons ne doivent pas seulement se différencier par une comparaison attentive de leurs éléments, mais aussi par le souvenir qu'elles peuvent laisser. Il convient surtout de prendre en compte les éléments frappants que leur signification ou leur sonorité met particulièrement en évidence, si bien qu'ils ont une importance accrue pour l'appréciation du risque de confusion. Cela vaut en particulier pour les désignations de pure fantaisie, qui jouissent généralement d'une force distinctive importante, à l'inverse des désignations génériques appartenant au domaine public (ATF 131 III 572 consid. 3). Le critère de l'impression d'ensemble implique qu'il n'est en particulier pas admissible de disséquer les signes en présence en plusieurs éléments, à la manière d'une mosaïque pour les comparer (Schlosser/Maradan, CR-PI, 2013, n.29ss, 31 ad art. 3 LPM).

Celui qui emploie comme éléments de sa raison de commerce des désignations génériques identiques à celles d'une raison plus ancienne a le devoir de se distinguer avec une netteté suffisante de celle-ci en la complétant avec des éléments additionnels qui l'individualiseront (arrêt du Tribunal fédéral 4C_197/2003 du 5 mai 2004 consid. 5.3, non publié à l'ATF 130 III 478; ATF
122 III 369 consid. 1).

Les éléments descriptifs qui ont trait à la forme juridique ou au domaine d'activité de l'entreprise ne sont généralement pas suffisants (arrêt du Tribunal fédéral 4C_197/2003 du 5 mai 2004 consid. 5.3 non publié à l'ATF 130 III 478; ATF
100 II 224 consid. 3; arrêt du Tribunal fédéral 4C_206/1999 du 14 mars 2000 consid. 2a), comme il a été jugé au sujet de "Aussenhandels-Finanz AG" et "Aussenhandel AG" (ATF 100 II 224 consid. 3).

Il a également été considéré que le terme "Swiss", qui constitue une description géographique purement descriptive, n'a pas de force distinctive particulière (arrêt du Tribunal fédéral 4A_207/2010 du 9 juin 2011 consid. 5.3; arrêt du Tribunal administratif fédéral B-8028/2010 du 2 mai 2012 consid. 7.1.3, à propos des marques "View" et "Swissview"), tout comme un nom de commune dans le cas de "Merkur Liegenschaften AG Frauenfeld" et "Merkur Immobilien AG" (ATF
88 II 293 consid. 3). La jurisprudence a également admis l'existence d'un risque de confusion entre les raisons "Archplan Willisau AG" et "Archplan AG" (arrêt du Tribunal fédéral 4C_90/1993 du 9 juin 1993 publié in SMI 1994 III p. 279), ainsi qu'entre les raisons "Reis AG Russikon" et "Reiss AG" (arrêt du Tribunal fédéral 4C_202/1991 du 1er novembre 1991 publié in SMI 1993 II p. 259).

Lorsqu'une raison sociale est composée de termes génériques, un élément additionnel, même revêtu d'un caractère distinctif relativement faible, peut suffire à exclure la confusion (ATF 131 III 572 consid. 3; 122 III 369 = JdT 1997 I 239 consid. 1; arrêt du Tribunal fédéral 4A_315/2009 précité consid. 2.1). En effet, comme le public ne perçoit les désignations génériques que comme des indications sur le genre de l'entreprise et son activité, et qu'il ne lui prête dès lors qu'une attention limitée en ce qui concerne l'image de marque de l'entreprise, il accorde plus d'attention aux autres éléments de la raison sociale. Dans ce contexte, le Tribunal fédéral a nié tout risque de confusion entre les raisons sociales "SMP Management Programm St. Gallen AG" et "MZSG Management Zentrum St. Gallen" en particulier au motif qu'il y avait une nette distinction entre les acronymes "SMP" et "MZSG" (ATF 122 III 369 précité).

On se montrera plus strict s'il existe un rapport de concurrence entre les entreprises, si elles ont des buts statutaires identiques, ou si elles exercent leurs activités dans un périmètre géographique restreint, auquel cas les raisons de commerce doivent se distinguer nettement (ATF 131 III 572 consid. 4.4; arrêt du Tribunal fédéral 4A_315/2009 précité consid. 2.1). A cet égard, il a été jugé qu'il existait un risque de confusion entre les raisons sociales "Swiss Trustees SA" et "SwissIndependent Trustees SA", dans la mesure où elles comportaient les deux les termes "Swiss" et "Trustees", qui n'avaient pas de force distinctive, et où le seul terme "Independent", qui ne se retrouvait pas dans la première, avait également une faible force distinctive et ne semblait pas suffisante pour exclure le risque d'une confusion dans le souvenir des clients potentiels (arrêt du Tribunal fédéral 4A_315/2009 précité consid. 2.4). Le Tribunal fédéral a également retenu un risque de confusion entre les raisons "Ferosped AG" et "Fertrans AG" - composées de termes génériques impliquant des associations d'idées -, dont les entreprises étaient domiciliées à la même adresse et étaient actives dans la même branche, dès lors que les lettres "fer" éveillaient en français et en italien des associations d'idées avec les chemins de fer et que "trans" et "o-sped" connotaient, l'un les transports, l'autre l'expédition des marchandises. Les deux notions étaient en rapport étroit, quasiment synonymes (ATF 118 II 322 = JdT 1993 I 357).

La confusion peut également résider dans le fait que, dans le même cas de figure, les destinataires parviennent certes à distinguer les signes, par exemple des raisons sociales, mais sont fondés à croire qu'il y a des liens juridiques ou économiques entre l'utilisateur de la raison et le titulaire de la raison valablement enregistrée (confusion dite indirecte) (ATF 131 III 572 consid. 3; 128 III 146 consid. 2a;
127 III 160 consid. 2a; arrêt du Tribunal fédéral 4A_167/2019 du 8 août 2019 consid. 3.1.1).

En droit des raisons de commerce, tous les signes n'ont pas la même importance pour l'appréciation du risque de confusion. Selon la jurisprudence, il convient surtout de prendre en compte les éléments frappants que leur signification ou leur sonorité mettent particulièrement en évidence, si bien qu'ils ont une importance accrue pour l'appréciation du risque de confusion (ATF 131 III 572 consid. 3;
127 III 160 consid. 2b/cc; ATF 122 III 369 consid. 1).

2.2.1 En l'espèce, c'est à juste titre que la requérante invoque un risque de confusion entre sa raison de commerce, inscrite antérieurement, et celle de la citée.

En effet, les raisons sociales des parties commencent toute deux par "2______/3______". La différence d'orthographe de cette locution est sans portée, car inaudible. La seule différence réside dans les mots qui suivent soit respectivement "4______" et "8______", soit des termes utilisés très fréquemment et en conséquence dépourvus d'originalité, lesquels ne sont ainsi pas susceptibles de laisser un souvenir particulier et durable dans l'esprit des clients potentiels. Dès lors, ces éléments différents ne suffisent pas à exclure le risque d'une confusion dans l'esprit des clients potentiels. La requérante a d'ailleurs démontré qu'une telle confusion s'était produite, de la part d'une importante régie de la place, professionnelle de l'immobilier, dont on peut vraisemblablement attendre qu'elle porte une attention particulière à l'identité de ses clients.

Les deux parties travaillent dans le domaine du bâtiment au sens large et s'adressent donc potentiellement à la même clientèle. E______ a été employé de la requérante, certes pour une période limitée et comme sous-traitant de la société soeur D______ SA, et est depuis juillet 2020 administrateur de la citée. Ces circonstances justifient, selon la jurisprudence rappelée ci-avant, d'exiger une distinction nette entre les deux raisons sociales. Or, tel n'est pas le cas. Il est même surprenant que la citée, qui, selon son but, n'est pas spécialisée dans [les activités de] 3______, contrairement à la requérante, ait choisi d'insérer ce terme dans sa raison sociale, lequel ne permet pas une distinction nette entre les parties, mais est générateur de confusion comme retenu ci-dessus.

En tout état, il est vraisemblable que les clients potentiels des parties soient fondés à croire, au vu des raisons sociales si semblables, qu'il y ait des liens juridiques ou économiques entre elles, ce qui n'est pas le cas.

La citée fait valoir que les deux sociétés utilisent des logos complètement différents d'un point de vue visuel, ce qui exclurait tout risque de confusion. Or, le Tribunal fédéral a déjà relevé que l'utilisation complémentaire de logos en vertu de l'art. 954a al. 2 CO - logos qui peuvent d'ailleurs être modifiés à tout moment - a seulement pour effet d'atténuer la règle selon laquelle la raison sociale, telle qu'elle est inscrite au registre du commerce, doit figurer de manière complète et inchangée dans la correspondance, les bulletins de commande, les factures et les communications de la société (art. 954a al. 1 CO). La possibilité d'utiliser un logo à titre complémentaire n'affecte en rien la règle figurant à l'art. 951 al. 2 CO, selon laquelle une nouvelle raison de commerce doit se distinguer nettement de toute autre raison déjà inscrite (arrêt 5A_315/2009 déjà cité, consid. 2.3). Enfin, comme rappelé ci-dessus, l'élément prépondérant en matière de raison de commerce pour apprécier le risque de confusion est la sonorité. L'argument soulevé est donc dénué de pertinence.

Au vu des considérations qui précèdent, l'existence d'un risque de confusion entre les raisons sociales de la requérante et de la citée, prohibé par les dispositions protégeant les raisons de commerce, sera admis, sans qu'il soit nécessaire d'examiner la question sous l'angle de l'art. 3 let. d LCD.

La requérante rend ainsi vraisemblable le droit matériel dont elle sollicite la protection à titre provisoire, ainsi qu'une possible atteinte à ce droit.

2.2.2 S'agissant des autres conditions posées à l'art. 261 CPC, il apparaît que la citée est active, sous la raison sociale litigieuse, dans le domaine du bâtiment depuis juillet 2020 et que cette activité génère un risque de confusion entre ses prestations et celles de la requérante. Cette dernière est dès lors confrontée à une exploitation parasitaire de sa raison de commerce ce qui suffit à admettre l'existence d'un dommage difficilement réparable.

Quand bien même la requérante obtiendrait gain de cause à l'issue du procès au fond, ce résultat ne permettrait pas, au vu de la durée de la procédure - compte tenu notamment des mesures probatoires requises de part et d'autre -, de supprimer entièrement le préjudice subi. La condition de l'urgence est dès lors satisfaite.

De son côté, la citée n'a fait valoir aucun intérêt légitime à ce que la mesure sollicitée ne soit pas ordonnée. En particulier, celle-ci n'entraînera pas de préjudice disproportionné pour la citée, qui conservera la possibilité de déployer son activité sous une autre raison sociale, ce qu'elle a fait pendant plus de dix ans avant juillet 2020.

La mesure est en outre apte à supprimer le risque de confusion déploré, tandis que d'autres mesures, par hypothèse moins incisives, ne permettraient pas de faire cesser provisoirement l'atteinte aux droits de la requérante.

Les chances de succès de celle-ci dans la procédure au fond ont par ailleurs été rendues suffisamment vraisemblables.

2.2.3 En conséquence, il sera fait droit aux conclusions de la requérante, en ce sens qu'il sera fait interdiction à B______ SA de faire usage de la dénomination "B______ SA" dans sa raison sociale, sa publicité, ses papiers d'affaires, sur internet ou sous quelque forme que ce soit.

La requérante n'avançant aucun élément qui laisserait craindre que la citée ne se conformera pas à la présente décision, il ne se justifie pas de prononcer cette interdiction sous la menace de la peine prévue à l'art. 292 CP (art. 343 al. 1 let. a CPC; arrêt du Tribunal fédéral 5A_839/2010 du 9 août 2011 consid. 6.3).

Un délai de 60 jours à compter de la notification de la présente décision, sera par ailleurs imparti à la requérante pour valider les mesures provisionnelles par le dépôt d'une action au fond (art. 263 CPC).

3. Les frais judiciaires, arrêtés à 2'000 fr. (art. 17 et 26 RTFMC) seront mis à la charge de la citée, qui succombe (art. 106 al. 1 CPC) et compensés avec l'avance effectuée par la requérante, (art. 111 al. 1 CPC), acquise à l'Etat de Genève.

La citée sera en outre condamnée à verser à la citée la somme de 3'000 fr. à titre de dépens, débours et TVA compris, compte tenu de l'activité déployée et de la complexité de la cause (art. 84, 85 et 88 RTFMC; art 20 al. 1, 25 et 26 LaCC).

* * * * *


PAR CES MOTIFS,
La Chambre civile :

A la forme :

Déclare recevable la requête de mesures provisionnelles de A______ SA du 5 octobre 2020, dirigée contre B______ SA.

Au fond :

Fait interdiction à B______ SA de faire usage de la dénomination "B______ SA" dans sa raison sociale, sa publicité, ses papiers d'affaires, sur internet ou sous quelque forme que ce soit.

Rejette la requête pour le surplus.

Impartit à A______ SA un délai de 60 jours, à compter de la notification de la présente décision, pour valider les mesures provisionnelles par le dépôt d'une action au fond, sous peine de caducité.

Dit que, sous réserve de leur modification ou révocation, les présentes mesures provisionnelles demeureront en vigueur jusqu'à droit jugé sur l'action au fond ou accord entre les parties.

Déboute les parties de toutes autres conclusions.

Sur les frais :

Arrête les frais judiciaires à 2'000 fr., les met à la charge de B______ SA, et dit qu'ils sont partiellement compensés avec l'avance fournie par A______ SA, acquise à l'Etat de Genève.

Condamne en conséquence B______ SA à verser à A______ SA la somme de 1'200 fr. à titre de remboursement de l'avance de frais, et celle de 800 fr. à l'Etat de Genève, soit pour lui les Services financiers du Pouvoir judiciaire.

Condamne B______ SA à verser à A______ SA 3'000 fr. à titre de dépens.


 

Siégeant :

Monsieur Cédric-Laurent MICHEL, président; Madame Pauline ERARD et
Monsieur Patrick CHENAUX, juges; Madame Roxane DUCOMMUN, greffière.

Le président :

Cédric-Laurent MICHEL

 

La greffière :

Roxane DUCOMMUN

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Indication des voies de recours :

 

Conformément aux art. 113 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification avec expédition complète (art 100 al. 1 LTF) par-devant le Tribunal fédéral par la voie du recours constitutionnel subsidiaire.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14.

 

Valeur litigieuse des conclusions pécuniaires au sens de la LTF inférieure à 30'000 fr.