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Décisions | Chambre de surveillance en matière de poursuite et faillites

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A/3353/2021

DCSO/40/2022 du 03.02.2022 ( PLAINT ) , ADMIS

Normes : LP.22.al1; CC.2.al2
En fait
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

A/3353/2021-CS DCSO/40/22

DECISION

DE LA COUR DE JUSTICE

Chambre de surveillance
des Offices des poursuites et faillites

DU JEUDI 3 FEVRIER 2022

 

Plainte 17 LP (A/3353/2021-CS) formée en date du 1er octobre 2021 par A______, élisant domicile en l'étude de Me Claudio FEDELE, avocat.

 

* * * * *

 

Décision communiquée par courrier A à l'Office concerné et par plis recommandés du greffier du 3 février 2022
à :

-       A______

c/o Me Claudio FEDELE

Rue de Saint-Léger 6

Case postale 444

1211 Genève 4.

- B______ SA

c/o Me Olivier FAIVRE

Rue de la Rôtisserie 2

CP 3809

1211 Genève 3.

- Office cantonal des poursuites.

 

 


EN FAIT

A. a. A______ a travaillé pour la société B______ SA en qualité de technicien informatique, pour un salaire mensuel brut s'élevant en dernier lieu à 6'600 fr. bruts. Il a démissionné courant avril 2021, avec effet au 31 juillet 2021.

a.a Durant la période où il était employé par B______ SA, A______ a suivi une formation en vue d'obtenir le brevet fédéral d'informaticien, le coût de celle-ci (13'444 fr. 70) ayant été pris en charge par l'employeur.

L'employeur soutient que le financement de ladite formation était subordonné à la poursuite des relations de travail durant deux ans après l'achèvement de celle-ci, ce que le travailleur conteste.

a.b Par courriel du 12 mai 2021, B______ SA a prié A______ de lui rembourser les frais de la formation précitée, au vu de la résiliation des rapports de travail prenant effet à fin juillet 2021, qui avait pour conséquence que la société ne pouvait pas bénéficier de la formation en cause; l'employeur proposait dès lors de déduire 4'000 fr. par mois des salaires dus pour les mois de mai à juillet 2021.

Par courriel du 18 mai 2021, A______ a contesté devoir rembourser un quelconque montant à son employeur, faute d'accord oral ou écrit sur ce point.

L'employeur a néanmoins déduit les sommes de 1'500 fr., 1'500 fr. et 3'000 fr. des salaires dus pour la période susmentionnée.

a.c Dans l'intervalle, par courrier du 7 juin 2021, A______ a invité son employeur à lui verser le solde de son salaire, en précisant qu'à défaut, il procéderait par toutes voies utiles pour recouvrer sa créance.

b. Les 16 juin, 8 juillet et 17 août 2021, A______ a adressé à l'Office cantonal des poursuites (ci-après: l'Office) des réquisitions de poursuite dirigées contre B______ SA, portant sur les montants de 1'500 fr. (deux fois) et de 3'000 fr. avec intérêts, allégués être dus au titre de "retenue injustifiée sur salaire/solde du salaire net dû" pour les mois de mai à juillet 2021.

Les commandements de payer correspondants ont été notifiés les 23 juin, 6 et 27 août 2021 à B______ SA, qui y a formé opposition.

c. Le 15 septembre 2021, A______ a saisi l'autorité de conciliation de la juridiction des prud'hommes d'une demande en paiement et en mainlevée définitive des oppositions formées aux commandements de payer susvisés.

d. Le même jour, B______ SA a adressé à l'Office des poursuites une réquisition de poursuite dirigée contre A______ pour le montant de 50'000 fr. plus intérêts au taux de 5% l'an à compter de la notification du commandement de payer, allégué être dû au titre de "dommages et intérêts pour violation contractuelle sous réserve d'amplification".

Le commandement de payer, poursuite n° 1______, a été notifié le 30 septembre 2021 à A______ et frappé d'opposition.

B. a. Par acte déposé le 1er octobre 2021 au greffe de la Cour, A______ a formé plainte au sens de l'art. 17 LP contre ce commandement de payer et conclu à la constatation de la nullité de la poursuite n° 1______ en tant qu'elle constitue une mesure de rétorsion à son égard et qu'elle est, de ce fait, constitutive d'un abus de droit.

A l'appui de sa plainte, le plaignant a fait valoir que son précédent employeur n'avait jamais prétendu qu'il aurait violé le contrat de travail qui les avait liés et qu'il aurait subi un quelconque préjudice de ce fait. Selon lui, la poursuite litigieuse n'avait été précédée d'aucune revendication financière, ce qui serait révélateur de son caractère abusif. La chronologie des faits démontrerait ainsi que la poursuite a été engagée par B______ SA par représailles et aurait pour unique but de lui nuire, en détruisant sa bonne réputation, voire de le contraindre à retirer les poursuites qu'il avait lui-même initiées contre la société.

b. Dans ses observations du 13 octobre 2021, l'Office s'en est rapporté à justice sur le sort à donner à la plainte, puisque sans la prise de position de B______ SA, il n'était pas possible de savoir si la poursuite requise contre le plaignant constituait uniquement une mesure de rétorsion à son égard, destinée à lui nuire.

c. Dans ses déterminations du 1er novembre 2021, B______ SA a conclu au rejet de la plainte et au constat de la validité de la poursuite n° 1______.

B______ SA a exposé qu'après avoir quitté la société, le plaignant avait été engagé par C______ Sàrl, une entreprise concurrente. B______ SA entendait former une demande reconventionnelle devant la juridiction des prud'hommes, aux fins de recouvrer le solde qu'elle considère lui être dû pour les frais de formation payés pour le compte du plaignant. Elle a par ailleurs fait valoir que les poursuites engagées à son encontre lui portaient inutilement préjudice, puisqu'elle est active dans les marchés publics et que toute offre dans ce domaine suppose la démonstration d'une absence de poursuite. Pour le surplus, elle avait entendu que certains de ses anciens employés tentaient de détourner sa clientèle.

Parmi les pièces produites par B______ SA à l'appui de cette argumentation figure (pièce 3) une copie d'un courrier adressé le 16 août 2021 au conseil de A______ par celui de B______ SA. Selon les explications fournies par cette dernière, elle soulève dans cette lettre, à l'encontre d'un autre de ses anciens employés se trouvant dans une situation similaire à celle du plaignant, défendu par le même avocat et faisant selon elle cause commune avec lui, un certain nombre de griefs pouvant – à tout le moins pour certains d'entre eux – également être opposés à A______. Ce fait est toutefois invérifiable puisque la version de la pièce produite en procédure est lourdement caviardée, seul demeurant un paragraphe par lequel B______ SA indique que les "réflexions susvisées" (elles-mêmes caviardées) valent également pour le plaignant.

d. Par avis du 2 novembre 2021, les parties et l'Office ont été avisés de ce que l'instruction de la cause était close.

EN DROIT

1. 1.1 Déposée en temps utile (art. 17 al. 2 LP) et dans les formes prévues par la loi (art. 9 al. 1 et 2 LALP; art. 65 al. 1 et 2 LPA, applicables par renvoi de l'art. 9 al. 4 LALP), auprès de l'autorité compétente pour en connaître (art. 6 al. 1 et 3 LALP; art. 17 al. 1 LP), à l'encontre d'une mesure de l'Office pouvant être attaquée par cette voie (art. 17 al. 1 LP) et par une partie lésée dans ses intérêts (ATF
138 III 219 consid. 2.3; 129 III 595 consid. 3; 120 III 42 consid. 3), la plainte est recevable.

1.2 L'autorité de surveillance constate les faits d'office, apprécie librement les preuves et ne peut, sous réserve de l'art. 22 LP, aller au-delà des conclusions des parties (art. 20a al. 2 ch. 2 et 3 LP). Celles-ci ont néanmoins une obligation de collaborer (art. 20a al. 2 ch. 2 2ème phrase LP), qui implique en particulier qu'elles décrivent l'état de fait auquel elles se réfèrent et produisent les moyens de preuve dont elles disposent (ATF 123 III 328 consid. 3). Il en est ainsi, notamment, lorsque la partie saisit dans son propre intérêt l'autorité de surveillance ou qu'il s'agit de circonstances qu'elle est le mieux à même de connaître ou qui touchent à sa situation personnelle, surtout lorsqu'elle sort de l'ordinaire (arrêts du Tribunal fédéral 5A_898/2016 du 27 janvier 2017 consid. 5.2; 5A_253/2015 du 9 juin 2015 consid. 4.1). A défaut de collaboration, l'autorité de surveillance n'a pas à établir des faits qui ne résultent pas du dossier (ATF 123 III 328 consid. 3; arrêt du Tribunal fédéral 5A_898/2016 précité consid. 5.2).

2. 2.1 Sont nulles les poursuites introduites en violation du principe de l'interdiction de l'abus de droit, tel qu'il résulte de l'art. 2 al. 2 CC (ATF 140 III 481 consid. 2.3.1). La nullité doit être constatée en tout temps et indépendamment de toute plainte par l'autorité de surveillance (art. 22 al. 1 LP).

La nullité d'une poursuite pour abus de droit (art. 2 al. 2 CC) ne peut être admise par les autorités de surveillance que dans des cas exceptionnels, notamment lorsqu'il est manifeste que le poursuivant agit dans un but n'ayant pas le moindre rapport avec la procédure de poursuite ou pour tourmenter délibérément le poursuivi; une telle éventualité est, par exemple, réalisée lorsque le poursuivant fait notifier plusieurs commandements de payer fondés sur la même cause et pour des sommes importantes, sans jamais requérir la mainlevée de l'opposition, ni la reconnaissance judiciaire de sa prétention, lorsqu'il procède par voie de poursuite contre une personne dans l'unique but de détruire sa bonne réputation, ou encore lorsqu'il reconnaît, devant l'office des poursuites ou le poursuivi lui-même, qu'il n'agit pas envers le véritable débiteur (ATF 140 III 481 consid. 2.3.1; 115 III 18 consid. 3b; arrêts 5A_1020/2018 du 11 février 2019; 5A_317/2015 du 13 octobre 2015 consid. 2.1, in Pra 2016 p. 53 n° 7; 5A_218/2015 du 30 novembre 2015 consid. 3).

La procédure de plainte des art. 17 ss LP ne permet pas d'obtenir l'annulation de la poursuite en se prévalant de l'art. 2 al. 2 CC, dans la mesure où le grief pris de l'abus de droit est invoqué à l'encontre de la réclamation litigieuse, la décision à ce sujet étant réservée au juge ordinaire. En effet, c'est une particularité du droit suisse que de permettre l'introduction d'une poursuite sans devoir prouver l'existence de la créance; le titre exécutoire n'est pas la créance elle-même ni le titre qui l'incorpore éventuellement, mais seulement le commandement de payer passé en force (ATF 113 III 2 consid. 2b; cf. ég., parmi plusieurs: arrêts 5A_838/2016 du 13 mars 2017 consid. 2.1).

2.2. Il résulte de ce qui précède que, dans le cas d'espèce, il ne s'agit pas de savoir si les prétentions en paiement du salaire invoquées par le plaignant et/ou celles en remboursement de frais de formation et en dommages et intérêts contractuels invoquées par l'intimée sont ou non bien fondées : il s'agit là, en effet, de questions relevant du droit matériel qui devront être tranchées par le juge ordinaire. Les développements consacrés par le plaignant à ce point sont donc dénuées de pertinence.

Est en revanche déterminante la question de savoir si, en engageant le 15 septembre 2021 à l'encontre du plaignant une poursuite en paiement d'un montant de 50'000 fr. au titre de "dommages et intérêts pour violation contractuelle", l'intimée poursuivait un but en rapport avec la procédure de poursuite prévue par la LP ou, au contraire, visait exclusivement à tourmenter et faire du tort au poursuivi, en guise de représailles pour les commandements de payer qu'il lui avait précédemment fait notifier.

Il y a lieu à cet égard de constater en premier lieu que la réquisition de poursuite litigieuse a été adressée à l'Office moins de trois semaines après la notification à l'intimée du troisième commandement de payer relatif au salaire que le plaignant estime avoir été indûment retenu par elle. Dans la mesure où l'intimée a expliqué qu'elle tenait cette démarche pour illégitime, voire abusive, dès lors que sa solvabilité ne prêtait pas à caution et que l'existence même de ces poursuites était susceptible de lui porter préjudice pour l'attribution de marchés publics (cf. observations du 1er novembre 2021 p. 11, ch. 23 et 24, et p. 13), cette proximité temporelle doit être considérée comme un indice d'une intention de cette dernière d'exercer des représailles à l'encontre du plaignant, en lui faisant subir le même traitement que celui qu'il lui faisait subir.

En second lieu et surtout, l'intimée n'a pas explicité de manière suffisante la nature des prétentions visées par le commandement de payer litigieux. Or, s'il n'appartient certes pas à l'autorité de surveillance d'examiner le bien-fondé d'une prétention invoquée en poursuite, elle doit en revanche vérifier dans le cadre de l'application de l'art. 22 al. 1 LP que le poursuivant considère de bonne foi être titulaire à l'encontre du poursuivi d'une prétention du montant réclamé, ce qui suppose de sa part qu'il donne un minimum d'explication sur l'origine de ladite prétention. Ces explications doivent intervenir au plus tard dans la procédure de plainte, puisque l'autorité de surveillance doit à cette occasion s'assurer que le recours à la procédure de poursuite n'a pas pour but exclusif de nuire de quelque façon au débiteur, ce qui pourrait être le cas si le poursuivant ne s'estimait pas de bonne foi titulaire à son encontre de la prétention invoquée.

En l'occurrence, et alors que le plaignant a fait valoir dans sa plainte ne jamais avoir fait l'objet de la part de l'intimée de réclamations autres que celle relative au remboursement des frais de formation encourus par celle-ci, elle s'est bornée dans ses écritures sur plainte à indiquer que le plaignant "ne pouvait raisonnablement ignorer [les] manquements contractuels [qu'elle] lui reproche" (observations du 1er novembre 2021 p. 12 ch. 30), se référant à cet égard à une pièce dénuée de toute valeur probante car caviardée dans sa quasi-intégralité. Le commandement de payer litigieux fait état de dommages et intérêts pour violation (au singulier) contractuelle, ce qui ne permet pas d'identifier le comportement générateur de responsabilité reproché au plaignant. L'intimée mentionne certes dans ses écritures, de manière toute générale, avoir subi un préjudice dont la nature n'est pas explicitée ni chiffrée, mais n'explique pas avec quel comportement fautif du plaignant il devrait être mis en relation. Elle reproche au plaignant d'avoir engagé à son encontre des poursuites qu'elle considère illégitimes mais, outre le fait que le dépôt d'une réquisition de poursuite ne paraît pas pouvoir être qualifié de violation contractuelle, ne met pas ce comportement en relation avec le préjudice – non chiffré – qu'elle allègue. Quant au grief selon lequel "certains" des anciens employés de l'intimée tenteraient de détourner sa clientèle, il n'est pas allégué qu'il s'appliquerait au plaignant.

S'il ressort enfin des pièces du dossier que l'intimée estime être titulaire à l'encontre du plaignant d'une créance – initialement de 13'444 fr. 70 mais, à suivre la thèse de l'intimée, éteinte depuis lors par compensation à hauteur de 6'000 fr. – en remboursement de frais de formation encourus pour le compte de ce dernier, cette prétention tend à l'exécution d'une obligation contractuelle (alléguée) et non à l'indemnisation d'un dommage lié à la violation d'une obligation. Son montant est en outre sans commune mesure avec celui réclamé dans le cadre de la poursuite litigieuse.

Il faut ainsi retenir des écritures et pièces produites par l'intimée que celle-ci, tout en invoquant de manière générale avoir subi un préjudice non spécifié et non chiffré en raison de la violation par le plaignant du contrat les ayant liés, n'est – à tout le moins en l'état – pas en mesure d'indiquer à quelle action ou omission attribuée à ce dernier ce préjudice serait dû. Elle ne fait pour le surplus valoir aucune circonstance – par exemple un risque de prescription – justifiant le dépôt immédiat d'une réquisition de poursuite pour un montant important nonobstant le manque de substance et de précision – à ce stade – de ses prétentions.

Ces divers éléments conduisent la Chambre de céans à retenir que le but poursuivi par l'intimée en déposant le 15 septembre 2021 la réquisition de poursuite litigieuse n'avait aucun rapport avec une procédure normale de poursuite mais consistait à tourmenter le plaignant, en représailles aux commandements de payer qu'il lui avait fait notifier et qu'elle tenait pour illégitimes.

La plainte doit donc être admise et la nullité de la poursuite constatée.

3. La procédure de plainte est gratuite (art. 20a al. 2 ch. 5 LP et art. 61 al. 2 let. a OELP) et il ne peut être alloué aucuns dépens dans cette procédure (art. 62 al. 2 OELP).

* * * * *


PAR CES MOTIFS,
La Chambre de surveillance :

A la forme :

Déclare recevable la plainte déposée le 1er octobre 2021 par A______ contre la poursuite n° 1______.

Au fond :

L'admet.

Constate la nullité de ladite poursuite.

Siégeant :

Monsieur Patrick CHENAUX, président; Messieurs Luca MINOTTI et
Mathieu HOWALD, juges assesseurs; Madame Véronique AMAUDRY-PISCETTA, greffière.

 

Le président : La greffière :

 

Patrick CHENAUX Véronique AMAUDRY-PISCETTA

 

 

 

 

 

Voie de recours :

Le recours en matière civile au sens de l’art. 72 al. 2 let. a de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110) est ouvert contre les décisions prises par la Chambre de surveillance des Offices des poursuites et des faillites, unique autorité cantonale de surveillance en matière de poursuite pour dettes et faillite (art. 126 LOJ). Il doit être déposé devant le Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, dans les dix jours qui suivent la notification de l'expédition complète de la présente décision (art. 100 al. 1 et 2 let. a LTF) ou dans les cinq jours en matière de poursuite pour effets de change (art. 100 al. 3 let. a LTF). L’art. 119 al. 1 LTF prévoit que si une partie forme un recours ordinaire et un recours constitutionnel, elle doit déposer les deux recours dans un seul mémoire. Le recours doit être rédigé dans une langue officielle, indiquer les conclusions, en quoi l'acte attaqué viole le droit et les moyens de preuve, et être signé (art. 42 LTF).

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14.