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Décisions | Chambre de surveillance en matière de poursuite et faillites

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A/3609/2020

DCSO/249/2021 du 17.06.2021 ( PLAINT ) , REJETE

Descripteurs : poursuite abusive; contestation de la créance
Normes : lp.21.al1
En fait
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

A/3609/2020-CS DCSO/249/21

DECISION

DE LA COUR DE JUSTICE

Chambre de surveillance
des Offices des poursuites et faillites

DU JEUDI 17 JUIN 2021

 

Plainte 17 LP (A/200/2021-CS) formée en date du 18 janvier 2021 par A______ et B______ SA, élisant domicile en l'étude de Me Lucien Feniello, avocat.

 

* * * * *

 

Décision communiquée par courrier A à l'Office concerné et par plis recommandés du greffier du à :

-       A______

c/o Me FENIELLO Lucien

Perréard de Boccard

Rue du Mont-Blanc 3

Case postale

1211 Genève 1.

- C______ IN LIQUIDATION

c/o M. D______

NOMEA Avocats

Me Laurent WINKELMANN

Avenue de la Roseraie 76A

1205 Genève.

 

 

 

 

 

 

- E______.

c/o Me Laurent WINKELMANN

NOMEA Avocats

Avenue de la Roseraie 76A

1205 Genève

- Office cantonal des poursuites.

 

 


EN FAIT

A. a. C______, IN LIQUIDATION (ci-après C______), est une société ayant son siège à F______, aux Iles Vierges Britanniques.

Il s'agit d'un fonds de placement collectif de capitaux.

B______ SA en a été l'administratrice jusqu'à la résiliation de son mandat le 30 juin 2015.

G______ a été l'organe de révision de C______ jusqu'à sa démission en mai 2014.

b. B______ SA est une société anonyme ayant son siège à Genève.

Son but est le conseil et les services entrant dans l'activité d'une fiduciaire, la constitution et la gestion de sociétés, trusts et structures juridiques similaires, l'organisation et la représentation d'entreprises, la gérance de fortune, l'exécution de transactions financières, la prise de participation dans toutes sociétés et l'exécution de tous mandats en matière comptable, fiscale et administrative.

A______, originaire de Grande-Bretagne, mais domiciliée à Genève, est l'unique administratrice de la société avec signature individuelle. H______, originaire de Grande-Bretagne, domicilié à I______, en est le directeur avec signature individuelle.

c. E______ est une société ayant son siège à J______ qui a investi un montant de l'ordre de 3'500'000 fr. dans l'acquisition de
31'504 parts de C______.

d. Un litige est survenu en 2014 entre E______ et C______, d'une part, et B______ SA et A______, d'autre part, lorsque E______ a tenté d'obtenir le remboursement de ses parts en avril 2013, sans succès, et qu'il a été constaté que les actifs de C______ avaient disparu, ce qui a entraîné son insolvabilité et sa liquidation.

Une procédure pénale en relation avec ces circonstances est conduite par le Ministère public du canton de Fribourg, laquelle est toujours en cours. L'administratrice et le directeur de B______ SA ont été mis en prévention de plusieurs infractions économiques et financières. Ils ont été entendus à plusieurs reprises en 2019 et 2020. E______ et C______ sont plaignantes et parties civiles dans cette procédure; elles y allèguent des dommages respectifs de l'ordre de 3'500'000 fr. et 104'000'000 fr.

e. En septembre 2014, E______, d'une part, et B______ SA et A______, d'autre part, ont négocié une renonciation à la prescription par les secondes pour les prétentions que la première pourrait élever contre elles. Une première renonciation a été acceptée par B______ SA et A______, le
24 octobre 2014, valable une année. Cette renonciation a été renouvelée les
4 septembre 2015, 4 octobre 2016, 19 octobre 2017, 18 octobre 2018 et
22 octobre 2019.

Le 25 septembre 2020, E______ a à nouveau approché B______ SA et A______ pour renouveler la renonciation à la prescription d'un an. Celles-ci ont toutefois refusé, vu l'écoulement du temps sans ouverture d'action contre elles.

f. E______ a requis le 23 octobre 2020 la poursuite de A______ et de B______ SA pour un montant de 3'500'000 fr. plus intérêt à 5 % l'an dès le 30 mars 2010 à titre de "dommages-intérêts résultant de l'investissement dans C______, poursuite interruptive de prescription".

g. Sur la base de ces réquisitions de poursuite, l'Office cantonal des poursuites (ci-après l'Office) a fait notifier le 28 octobre 2020 à A______ un commandement de payer, poursuite n° 1______, et le 4 novembre 2020 à B______ SA un commandement de payer, poursuite n° 2______, auxquels elles ont fait opposition.

h. En décembre 2015, C______, d'une part, et B______ SA et A______, d'autre part, ont négocié une renonciation à la prescription par les secondes pour les prétentions que la première pourrait élever contre elles. Une première renonciation a été acceptée par B______ SA et A______, le 18 décembre 2015, valable une année. Cette renonciation a été renouvelée les 18 décembre 2016, 5 décembre 2017, 4 décembre 2018 et 16 décembre 2019.

Le 4 décembre 2020, C______ a à nouveau approché B______ SA et A______ pour renouveler la renonciation à la prescription d'un an. Celles-ci ont toutefois refusé, vu l'écoulement du temps sans ouverture d'action contre elles.

i. C______ a requis le 22 décembre 2020 la poursuite de A______ et de B______ SA pour un montant de 104'000'000 fr. plus intérêt à 5 % l'an dès le 5 novembre 2015 à titre de "dommages-intérêts procédure 3______, poursuite interruptive de prescription".

j. Sur la base de ces réquisitions de poursuite, l'Office a fait notifier le
6 janvier 2021 à A______ un commandement de payer, poursuite n° 4______, et le 15 janvier 2021 à B______ SA un commandement de payer, poursuite 5______, auxquels elles ont fait opposition.

B. a. Par actes déposés le 9 novembre 2020 au guichet universel du Pouvoir judiciaire, et le 18 janvier 2021 au greffe de la Chambre de surveillance des Offices des poursuites et faillites (ci-après la Chambre de surveillance), A______ et B______ SA ont formé des plaintes contre ces commandements de payer, concluant à leur annulation et à la radiation des poursuites en découlant des registres de l'Office. Préalablement, elles ont conclu à la jonction des procédures de plainte.

En substance, elles considéraient que les poursuites étaient injustifiées car les créances de E______ et de C______ étaient contestées et le but des poursuites n'était pas d'interrompre la prescription, mais de les tourmenter, les poursuivantes n'ayant pas réellement l'intention d'agir contre elles vu le temps écoulé sans qu'aucune action en justice n'ait été entreprise. Finalement, le montant des poursuites était exorbitant et justifiait à lui seul de considérer que les poursuites avaient pour but de faire pression sur elles.

b. Dans ses observations des 23 décembre 2020 et 4 février 2021, l'Office ne s'est pas opposé à la jonction des causes et il a conclu au rejet des plaintes, les conditions pour qualifier les poursuites litigieuses d'abusives et obtenir leur radiation n'étant pas réunies.

c. Dans leurs observations des 8 janvier et 16 février 2021, E______ et C______ s'en sont rapportées à la justice s'agissant de la jonction des causes et elles ont conclu au rejet des plaintes pour des motifs similaires à ceux déjà invoqués par l'Office, tout en précisant qu'elles avaient bien l'intention d'agir contre les plaignantes, notamment par le biais de conclusions civiles dans la procédure pénale, ce qui n'avait toutefois pas encore pu être fait, cette procédure n'étant pas encore parvenue au stade du renvoi en jugement.

d. Les parties ont été informées que les causes étaient gardées à juger par courriers du greffe de la Chambre de surveillance des 14 janvier et du 17 février 2021.

EN DROIT

1. Déposées dans les formes prévues par la loi (art. 9 al. 1 et 2 LALP; art. 65 al. 1 et 2 LPA, applicables par renvoi de l'art. 9 al. 4 LALP), auprès de l'autorité compétente pour en connaître (art. 6 al. 1 et 3 LALP; art. 17 al. 1 LP), à l'encontre d'une mesure de l'Office pouvant être attaquée par cette voie (art. 17 al. 1 LP) et par une partie lésée dans ses intérêts (ATF 138 III 219 consid. 2.3; 129 III 595 consid. 3; 120 III 42 consid. 3), les plaintes sont recevables. Les plaignantes invoquant la nullité des poursuites litigieuses en raison de leur caractère abusif, les plaintes ne sont soumises à aucun délai (art. 22 al. 1 LP).

2. En vertu de l'article 70 LPA, applicable à la procédure devant la Chambre de surveillance en vertu des articles 9 al. 4 LALP et 20a al. 3 LP, l'autorité peut, d'office ou sur requête, joindre des procédures se rapportant à une situation identique ou à une cause juridique commune.

En l'occurrence, les quatre plaintes portent sur un ensemble de circonstances et des problématiques juridiques communes. Il se justifie de les joindre afin de les traiter de manière conjointe.

3. 3.1 Sont nulles les poursuites introduites en violation du principe de l'interdiction de l'abus de droit, tel qu'il résulte de l'art. 2 al. 2 CC (ATF 140 III 481 consid. 2.3.1). La nullité doit être constatée en tout temps et indépendamment de toute plainte par l'autorité de surveillance (art. 22 al. 1 LP).

La nullité d'une poursuite pour abus de droit ne peut être admise par les autorités de surveillance que dans des cas exceptionnels, notamment lorsqu'il est manifeste que le poursuivant agit dans un but n'ayant pas le moindre rapport avec la procédure de poursuite ou pour tourmenter délibérément le poursuivi; une telle éventualité est, par exemple, réalisée lorsque le poursuivant fait notifier plusieurs commandements de payer fondés sur la même cause et pour des sommes importantes, sans jamais requérir la mainlevée de l'opposition, ni la reconnaissance judiciaire de sa prétention, lorsqu'il procède par voie de poursuite contre une personne dans l'unique but de détruire sa bonne réputation, ou encore lorsqu'il reconnaît, devant l'Office des poursuites ou le poursuivi lui-même, qu'il n'agit pas envers le véritable débiteur. L'existence d'un abus ne peut donc être reconnue que sur la base d'éléments ou d'un ensemble d'indices démontrant de façon patente que l'institution du droit de l'exécution forcée est détournée de sa finalité (ATF 140 III 481 consid. 2.3.1; ATF 115 III 18 consid. 3b; arrêts du Tribunal fédéral 5A_1020/2018 du 11 février 2019, 5A_317/2015 du
13 octobre 2015 consid. 2.1, 5A_218/2015 du 30 novembre 2015 consid. 3; DCSO/321/10 du 8 juillet 2010 consid. 3.b). En revanche, celui qui poursuit son débiteur dans le seul but d'interrompre la prescription ne commet en principe pas d'abus de droit, la notification d'un commandement de payer représentant un moyen légal pour ce faire (art. 135 ch. 2 CO; arrêt du Tribunal fédéral 5A_250/2015 précité consid. 4.2 in fine; Peter, Interrompre la prescription par une poursuite, in BlSchK 2018 p. 175 ss, 179 in fine).

La procédure de plainte des art. 17 ss LP ne permet par ailleurs pas d'obtenir l'annulation de la poursuite en se prévalant de l'art. 2 al. 2 CC, dans la mesure où le grief pris de l'abus de droit est invoqué à l'encontre de la créance litigieuse. L'autorité de surveillance n'est en effet pas compétente pour statuer sur le bienfondé matériel des prétentions du créancier déduites en poursuite qui relèvent de la compétence du juge ordinaire; elle n'est notamment pas compétente pour déterminer si le poursuivi est bien le débiteur du montant qui lui est réclamé; ce dernier doit utiliser les moyens que lui offre la procédure de poursuite, soit notamment l'opposition au commandement de payer, l'action en libération de dette, l'annulation de la poursuite, l'action en constatation de l'inexistence de la dette ou l'action en répétition de l'indu. C'est une particularité du droit suisse que de permettre l'introduction d'une poursuite sans devoir prouver l'existence de la créance; le titre exécutoire n'est pas la créance elle-même, ni le titre qui l'incorpore cas échéant, mais seulement le commandement de payer passé en force. Il est donc pratiquement exclu que le créancier obtienne de manière abusive l'émission d'un commandement de payer. L'Office ne peut ainsi exiger des explications sur la nature de la prétention ni refuser d'émettre un commandement de payer, même si la cause de la créance semble peu plausible voire imaginaire (parmi d'autres ATF 136 III 365 consid. 2.1, avec la jurisprudence citée, ATF 115 III 18 consid. 3b, ATF 113 III 2 consid. 2b = JdT 1989 II 120; arrêts du Tribunal fédéral 5A_250-252/2015 du 10 septembre 2015 consid. 4.1, 5A_76/2013 du 15 mars 2013 consid. 3.1, 5A_890/2012 du 5 mars 2013 consid. 5.3, 5A_595/2012 du 24 octobre 2012 consid. 5).

3.2 En l'espèce, les plaignantes n'allèguent et ne prouvent aucune circonstance, permettant de considérer que les poursuites litigieuses seraient abusives au sens tel que défini ci-dessus. Le fait que les montants articulés soient élevés ou contestés n'est pas suffisant, ni à lui seul, ni ajouté à aucune autre circonstance du cas d'espèce. De surcroît, les poursuivantes soutiennent, sans être contestées, qu'il s'agit des montants articulés dans la procédure pénale. Contrairement à ce que soutiennent les plaignantes, les poursuivantes n'ont pas multiplié les poursuites qu'elles auraient laissées se périmer sans agir au fond : elles n'ont intenté qu'une seule poursuite, justifiée par le seul fait que les plaignantes ont refusé de prolonger leur renonciation à la prescription. La poursuite intentée en vue d'interrompre la prescription n'est jamais abusive. Le fait que du temps se soit écoulé depuis la première demande de renonciation à la prescription n'est pas un élément pertinent : d'une part, ce temps est fonction d'une procédure pénale qui doit permettre de déterminer les faits pertinents pour l'action civile qui sera, selon les déclarations des poursuivantes, articulées dans la procédure pénale; d'autre part, ce temps n'est pas le signe que les poursuivantes auraient renoncé à leur créance, puisque justement elles agissent dans le but de préserver leurs droits à cet égard par le biais de l'exécution forcée en matière de dettes d'argent. Finalement, les plaignantes n'allèguent aucune circonstance qui pourrait laisser penser que les poursuivantes auraient l'intention de les tourmenter ou de faire pression sur elles; il semble plutôt que ces poursuites auraient pu être évitées par une renonciation à se prévaloir de la prescription de la part des plaignantes, comme cela avait été le cas les années précédentes.

Les plaintes étant infondées, elles seront rejetées.

4. La procédure de plainte est gratuite (art. 20a al. 2 ch. 5 LP; art. 61 al. 2 let. a OELP) et ne donne pas lieu à l'allocation de dépens (art. 62 al. 2 OELP).

 

 

* * * * *


PAR CES MOTIFS,
La Chambre de surveillance :

A la forme :

Déclare recevables les plaintes des 8 décembre 2020 et 20 janvier 2021 de A______ et B______ SA contre les poursuites nos 1______, 2______, 4______ et 5______.

Ordonne la jonction des causes A/3609/2020, A/6______/2020, A/7______/2021 et A/8______/2021, sous le numéro de cause A/3609/2020.

Au fond :

Rejette les plaintes.

Siégeant :

Monsieur Jean REYMOND, président; Madame Natalie OPPATJA et
Monsieur Anthony HUGUENIN, juges assesseurs, juges assesseurs; Madame Christel HENZELIN, greffière.

 

Le président :

Jean REYMOND

 

La greffière :

Christel HENZELIN

 

 

 

Voie de recours :

Le recours en matière civile au sens de l’art. 72 al. 2 let. a de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110) est ouvert contre les décisions prises par la Chambre de surveillance des Offices des poursuites et des faillites, unique autorité cantonale de surveillance en matière de poursuite pour dettes et faillite (art. 126 LOJ). Il doit être déposé devant le Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, dans les dix jours qui suivent la notification de l'expédition complète de la présente décision (art. 100 al. 1 et 2 let. a LTF) ou dans les cinq jours en matière de poursuite pour effets de change (art. 100 al. 3 let. a LTF). L’art. 119 al. 1 LTF prévoit que si une partie forme un recours ordinaire et un recours constitutionnel, elle doit déposer les deux recours dans un seul mémoire. Le recours doit être rédigé dans une langue officielle, indiquer les conclusions, en quoi l'acte attaqué viole le droit et les moyens de preuve, et être signé (art. 42 LTF).

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14.