Aller au contenu principal

Décisions | Tribunal administratif de première instance

1 resultats
A/4057/2024

JTAPI/714/2025 du 26.06.2025 ( LCI ) , IRRECEVABLE

Descripteurs : DÉCISION INCIDENTE;DOMMAGE IRRÉPARABLE
Normes : LPA.57
En fait
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

A/4057/2024 LCI

JTAPI/714/2025

 

JUGEMENT

DU TRIBUNAL ADMINISTRATIF

DE PREMIÈRE INSTANCE

du 26 juin 2025

 

dans la cause

 

VILLE DE A______

 

contre

 

DÉPARTEMENT DU TERRITOIRE-OAC

 


EN FAIT

1.             La Ville de A______ (ci-après : la ville) est propriétaire des parcelles nos 1______, 2______ et 3______ sises sur son territoire, lesquelles se situent à hauteur du ______[GE].

2.             Saisi d’une dénonciation concernant la pose de conteneurs industriels de surface par la ville à cheval sur les parcelles précitées, le département du territoire
(ci-après : le département) a mandaté un inspecteur qui s’est rendu sur place et qui a fait un reportage photographique des lieux ; un dossier d’infraction a été ouvert sous le numéro I 4______.

3.             Le 2 octobre 2024, le département a interpellé la ville sur la situation susmentionnée et lui a octroyé un délai de dix jours pour se déterminer ; toutes mesures et/ou sanctions justifiées par la situation demeuraient en l’état réservées.

4.             Le 17 octobre 2024, la ville s’est déterminée, exposant avoir installé les conteneurs en cause afin de répondre tant aux besoins du quartier qu’aux enjeux climatiques. Lorsqu’ils étaient provisoires, comme en l’espèce, et dans l’attente de la réalisation des moloks enfouis, elle avait pour habitude de ne jamais déposer de demande d’autorisation de construire. En outre, de par leurs caractéristiques, ces conteneurs correspondaient à des constructions de très peu d’importance et ne nécessiteraient, par conséquent, aucune autorisation de construire.

5.             Par décision du ______ 2024, le département a ordonné à la ville de requérir, d’ici au 30 décembre 2024, une autorisation de construire en procédure accélérée (APA) complète et en bonne et due forme par le biais d’un mandataire professionnellement qualifié. Après avoir procédé aux vérifications d’usage, il confirmait en effet que l’installation de moloks était soumise à l’obtention d’une autorisation de construire au sens de l’art. 1 de la loi sur les constructions et les installations diverses du 14 avril 1988 (LCI - L 5 05).

Sans dépôt de demande d’autorisation dans le délai imparti, une nouvelle décision serait émise s’agissant du rétablissement d’une situation conforme au droit. La sanction administrative ferait également l’objet d’une décision séparée à l’issue du traitement du dossier d’infraction I 4______. La décision pouvait faire l’objet d’un recours auprès du Tribunal administratif de première instance (ci-après : le tribunal) dans un délai de dix jours dès notification.

6.             Par acte du 5 décembre 2024, la ville a interjeté recours contre cette décision auprès du tribunal, concluant à la recevabilité de son recours et à l’annulation de la décision entreprise, sous suite de dépens.

7.             Dans ses observations du 7 février 2025, le département a conclu à l’irrecevabilité du recours.

Un recours contre une décision incidente, comme en l’espèce, n’était recevable qu’aux conditions fixées à l’art. 57 al. 3 de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 (LPA - E 5 10). Or, ces conditions n’étaient pas réalisées.

8.             Par réplique du 20 février 2025, la ville a persisté dans ses conclusions.

Dans la décision litigieuse, le département avait estimé que l’installation des moloks était soumise à l’obtention d’une autorisation de construire. Il s’agissait là d’une décision formatrice et finale puisqu’elle tranchait une question de fond. Or, les réceptacles mobiles posés ne constituaient pas l’installation de moloks comme le prétendait le département, mais bien des constructions de très peu d’importance au sens de l’art. 1 al. 4 et 5 LCI, lesquelles n’étaient pas soumises à autorisation. Ces réceptacles mobiles constituaient des solutions temporaires dans l’attente d’installations définitives dans le quartier, de type bennes enterrées, soumises à une autorisation de construire. Les explications données par le département dans la décision entreprise n’emportaient pas conviction. La confusion entre un molok, soit une construction semi-enterrée permanente, et la mise à disposition de réceptacles industriels à titre provisoire montrait que cette décision n’était pas fondée.

9.             Par duplique du 14 mars 2025, le département a réitéré que la décision litigieuse représentait, sans nul doute possible, une décision incidente puisqu’elle ne mettait pas fin à la procédure. Le fait que les réceptacles mis en place ne constitueraient pas des moloks, contrairement au terme employé par le département dans son ordre de dépôt, ne faisait que plaider en faveur d’une décision incidente puisque cela prouvait que la qualification des installations mises en place et donc leur soumission ou non à autorisation de construire n’avait pas encore été précisément analysée. Cet examen ne serait effectué qu’une fois la demande d’autorisation de construire déposée.

EN DROIT

1.             Le Tribunal administratif de première instance connaît des recours dirigés, comme en l’espèce, contre les décisions prises par le département en application de la loi sur les constructions et les installations diverses du 14 avril 1988 (art. 115 al. 2 et 116 al. 1 de la loi sur l’organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 143 et 145 al. 1 LCI).

2.             Il convient d’emblée de trancher la question de la recevabilité du recours, le département considérant que celui-ci est irrecevable en raison de la nature incidente de la décision litigieuse, contrairement à la recourante, qui soutient qu’il s’agit d’une décision finale.

3.             Selon l’art. 57 LPA, sont notamment susceptibles d’un recours les décisions finales (let. a) et les décisions incidentes si elles peuvent causer un préjudice irréparable ou si l’admission du recours peut conduire immédiatement à une décision finale qui permet d’éviter une procédure probatoire longue et coûteuse (let. c).

4.             De jurisprudence constante, la chambre administrative de la Cour de justice
(ci-après: la chambre administrative) retient que ne peut être considérée comme finale une décision qui ordonne de déposer une requête d’autorisation de construire relative à des travaux non autorisés constatés par le département. Celui-ci, suite au constat fait, ouvre une procédure administrative qui prend fin par une décision qui peut soit constater, sur la base du dossier complet, que les travaux ne sont pas soumis à une autorisation, soit dire que ceux-ci sont soumis à autorisation et accorder ou refuser cette autorisation. Cette décision ne met pas fin à la procédure mais constitue une simple étape dans le cours de celle-ci (
ATA/951/2024 du 20 août 2024 consid. 2.2.4 et les références citées ; ATA/1399/2019 du 17 septembre 2019 confirmé par un arrêt du Tribunal fédéral 1C_557/2019 du 21 avril 2020).

Récemment, le Tribunal fédéral a encore confirmé que l’ordre de déposer une demande d’autorisation de construire constitue une décision incidente, dans la mesure où elle ne résout pas la question de savoir si la construction litigieuse, doit être autorisée a posteriori et, le cas échéant, dans quelle mesure elle doit l’être. Il a précisé que l’obligation de déposer une demande d’autorisation de construire implique simplement la nécessité d’engager une procédure formelle qui, avec la collaboration du recourant, permettra de vérifier pleinement cette question et ses aspects de légitimité matérielle, ce qui aboutira à une décision finale sur la nécessité ou non d’un permis de construire et, le cas échéant, sur son octroi ou son refus
(arrêt du Tribunal fédéral 1C_66/2023 du 23 février 2023 consid. 2.5).

5.             En l’espèce, la recourante s’est vu notifier une décision lui ordonnant de déposer une demande d’autorisation de construire en procédure accélérée afin de permettre à l’autorité intimée de statuer sur l’assujettissement ou non à la LCI des conteneurs industriels de surface litigieux. La décision querellée n’a pas d’autres effets juridiques que d’ordonner à la recourante de déposer une demande d’APA afin de régulariser l’installation dont elle fait la description. En se limitant à inviter la recourante à déposer une telle demande, elle constitue une étape qui devra conduire le département à analyser le dossier au fond. Elle ne met donc pas fin à la procédure mais en ouvre une nouvelle phase. La procédure que sera amenée à instruire le département prendra fin par une décision qui pourra soit constater, sur la base du dossier complet, que l’installation des conteneurs industriels de surface n’est finalement pas soumise à autorisation ; soit dire qu’ils sont bel et bien soumis à autorisation et accorder cette autorisation; soit encore refuser l’autorisation de construire.

Conformément à la jurisprudence précitée, confirmée encore récemment par le Tribunal fédéral et la chambre administrative, cette décision doit dès lors être qualifiée d’incidente.

6.             Reste à déterminer si les conditions pour un recours contre une telle décision sont remplies, ce qui est le cas lorsque la décision incidente en question peut causer un préjudice irréparable ou si l’admission du recours peut conduire immédiatement à une décision finale qui permet d’éviter une procédure probatoire longue et coûteuse.

7.             L’art. 57 let. c LPA, cité plus haut, a la même teneur que l’art. 93 al. 1 let. a et b de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110).

Selon la jurisprudence constante du Tribunal fédéral, un préjudice est irréparable au sens de cette disposition lorsqu’il ne peut être ultérieurement réparé par un jugement final ou une autre décision favorable à la partie recourante (ATF 149 II 170 consid. 1.3 ; 147 III 159 consid. 4.1 ; arrêts du Tribunal fédéral 2C_540/2024 du 16 janvier 2025 consid. 1.1 ; 2C_170/2024 du 4 décembre 2024 consid. 1.2).
Un dommage économique ou de pur fait n’est pas considéré comme un dommage irréparable de ce point de vue (ATF 147 III 159 consid. 4.1 ; 142 III 798
consid. 2.22), à moins que la partie recourante ne soit exposée à de graves difficultés financières, sans perspectives de remboursement même en obtenant gain de cause sur le fond, ou à un risque de faillite ( ATF 136 II 370 consid. 1.5 ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_3/2025 du 26 février 2025 consid. 1.1). Le simple fait d’avoir à subir une procédure et les inconvénients qui y sont liés ne constitue pas, en soi, un préjudice irréparable. Un dommage de pur fait, tel que la prolongation de la procédure ou un accroissement des frais de celle-ci, n’est également pas considéré comme un dommage irréparable de ce point de vue (ATF 144 III 475 consid. 1.2 ; arrêt du Tribunal fédéral 1C_584/2024 du 24 mars 2025 consid. 1.2.1). Ainsi, l’obligation de constituer un dossier en vue du dépôt d’une requête en autorisation, si elle impose différentes démarches au propriétaire concerné, ne cause pas un préjudice irréparable (arrêts du Tribunal fédéral 1C_278/2017 du 10 octobre 2017 consid. 2.3.1 ; 1C_470/2008 du 11 novembre 2008 consid. 2.3). En outre, les coûts liés à de telles procédures ne constituent pas un préjudice juridique (ATF 135 II 30 consid. 1.3.4 ; arrêts du Tribunal fédéral 1C_392/2016 et 1C_390/2016 du 5 septembre 2016 consid. 2.2).

Il appartient au recourant d’expliquer en quoi la décision incidente qu’il attaque remplit les conditions de l’art. 93 LTF (ATF 144 III 475 consid. 1.2), à moins que celles-ci ne fassent d’emblée aucun doute (ATF 136 IV 92 consid. 4; arrêt du Tribunal fédéral 1C_584/2024 du 24 mars 2025 consid. 1.2.1).

La chambre administrative a précisé à plusieurs reprises que l’art. 57 let. c LPA devait être interprété à la lumière de ces principes (ATA/120/2025 du 28 janvier 2025 consid. 2.2 et les références citées).

8.             En l’espèce, la décision querellée se limite à exiger le dépôt d’une requête afin précisément de pouvoir l’instruire. Elle ne préjuge pas de la décision finale, laquelle est expressément réservée selon les termes de la décision querellée. Il n’est ainsi pas exclu, qu’à l’issue de l’instruction de la demande d’autorisation de construire en procédure accélérée, le département considère qu’il s’agisse d’une construction de très peu d’importance non soumise à autorisation. Quelle que soit la décision du département, la recourante conservera par ailleurs la possibilité de recourir, cas échéant en contestant à ce stade la soumission à autorisation.

En outre, si les coûts liés à une telle procédure pourraient certes lui être épargnés si le tribunal statuait immédiatement sur la question de l’assujettissement de la pose de conteneurs industriels de surface à une autorisation de construire, il ne s’agit toutefois pas d’un préjudice économique tel qu’admis par la jurisprudence.
De même, comme l’a rappelé la jurisprudence rappelée ci-dessus, l’obligation de constituer un dossier dans le cadre d’une procédure d’autorisation de construire ne cause pas un préjudice irréparable.

Dès lors, faute de préjudice irréparable, la première hypothèse visée par l’art. 57 let. c LPA n’est pas réalisée.

9.             S’agissant de la seconde hypothèse visée par l’art. 57 let. c LPA (identique à celle dont il est question à l’art. 93 al. 1 let. b LTF), pour qu’une procédure soit
« longue et coûteuse », il faut que la procédure probatoire, par sa durée et son coût, s’écarte notablement des procès habituels (arrêt du Tribunal fédéral 1C_259/2022 du 16 mai 2022 consid. 2.2). Tel peut être le cas lorsqu’il faut envisager une expertise complexe ou plusieurs expertises, l’audition de très nombreux témoins, ou encore l’envoi de commissions rogatoires dans des pays lointains (ATA/952/2024 du 20 août 2024 consid. 2.5.1). La procédure d’autorisation de construire ne présente en principe pas de tels inconvénients, dès lors que le dépôt de la requête ne nécessite ni l’élaboration d’un travail démesuré ou excessivement coûteux, ni des mesures probatoires prenant un temps considérable et exigeant des frais importants (cf. arrêt du Tribunal fédéral 1C_278/2017 du 10 octobre 2017 consid. 2.3.3 cum ATA/360/ 2017 du 28 mars 2017 consid. 10).

10.         En l’espèce, la décision attaquée a précisément pour conséquence d’obliger la recourante à déposer une requête formelle afin que le département puisse examiner la situation et instruire le dossier avant de décider. La question de savoir s’il s’agit de constructions de très peu d’importance non soumises à autorisation n’est en conséquence pas l’objet du présent litige. À défaut du dépôt d’une requête formelle et de l’instruction du dossier par le département, l’autorité compétente ne peut pas se prononcer sur la question de fond. C’est précisément pour cette raison que le département a ordonné le dépôt d’une requête formelle.

De surcroît, dans le présent dossier, le dépôt de la requête ne nécessite pas l’élaboration d’un travail démesuré ou excessivement coûteux. La présente procédure de recours n’est en conséquence pas susceptible de déboucher sur une décision finale permettant d’éviter une procédure probatoire longue et coûteuse (art. 57 let. c LPA in fine).

La seconde hypothèse visée par l’art. 57 let. c LPA n’est pas plus réalisée.

11.         Au vu de ce qui précède, le recours sera déclaré irrecevable.

12.         En application des art. 87 al. 1 LPA et 1 et 2 du règlement sur les frais, émoluments et indemnités en procédure administrative du 30 juillet 1986 (RFPA - E 5 10.03), la recourante, qui succombe, est condamnée au paiement d’un émolument s’élevant à CHF 500.- ; il est couvert par l’avance de frais versée à la suite du dépôt du recours. Le solde de CHF 400.- lui sera restitué.

Vu l’issue du litige, aucune indemnité de procédure ne sera allouée (art. 87 al. 2 LPA).


PAR CES MOTIFS

LE TRIBUNAL ADMINISTRATIF

DE PREMIÈRE INSTANCE

1.             déclare irrecevable le recours interjeté le 5 décembre 2024 par la Ville de A______ contre la décision du département du territoire du ______ 2024 ;

2.             met à la charge de la recourante un émolument de CHF 500.-, lequel est couvert par l’avance de frais ;

3.             ordonne la restitution à la recourante du solde de l’avance de frais de CHF 400.- ;

4.             dit qu’il n’est pas alloué d’indemnité de procédure ;

5.             dit que, conformément aux art. 132 LOJ, 62 al. 1 let. a et 65 LPA, le présent jugement est susceptible de faire l’objet d’un recours auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (10 rue de Saint-Léger, case postale 1956, 1211 Genève 1) dans les 30 jours à compter de sa notification. L’acte de recours doit être dûment motivé et contenir, sous peine d’irrecevabilité, la désignation du jugement attaqué et les conclusions du recourant. Il doit être accompagné du présent jugement et des autres pièces dont dispose le recourant.

Siégeant : Laetitia MEIER DROZ, présidente, Patrick BLASER et Diane SCHASCA, juges assesseurs

Au nom du Tribunal :

La présidente

Laetitia MEIER DROZ

 

Copie conforme de ce jugement est communiquée aux parties.

Genève, le

 

Le greffier