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Décisions | Tribunal administratif de première instance

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A/602/2025

JTAPI/207/2025 du 24.02.2025 ( MC ) , CONFIRME

Descripteurs : DÉTENTION AUX FINS D'EXPULSION
Normes : LEI.75.al1.letb; LEI.76.al1.letc.ch1
En fait
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

A/602/2025 MC

JTAPI/207/2025

 

JUGEMENT

DU TRIBUNAL ADMINISTRATIF

DE PREMIÈRE INSTANCE

du 24 février 2025

 

dans la cause

 

Monsieur A______

 

contre

COMMISSAIRE DE POLICE

 


 

EN FAIT

1.             Monsieur A______, né le ______ 1991 et originaire d'Algérie (aussi connu sous d'autres identités, dont celle de B______, né le ______ 1995), a déposé en Suisse, le 27 août 2017, une demande d'asile, laquelle a fait l'objet d'une décision de non-entrée en matière et de renvoi. Dans le cadre de cette procédure, il a été attribué au canton de Zürich. En raison de sa disparition, en 2017, l'intéressé n'a pu être transféré en Italie dans le cadre des Accords Dublin (Dublin "out"). En 2020, il a été transféré des Pays-Bas en Suisse (Dublin "in"). En date du 7 avril 2021, M. A______ s'est vu notifier une interdiction d'entrée en Suisse, valable jusqu'au 29 mars 2026.

2.             Entre le 18 novembre 2020 et le 31 juillet 2023, M. A______ a été condamné pénalement huit fois, pour entrée illégale, séjour illégal, empêchement d'accomplir un acte officiel, lésions corporelles simples, violation de domicile, dommages à la propriété, délit contre la LStup, vol (au sens de l'art. 139 ch. 1 CP), non-respect d'une assignation à un lieu de résidence ou d'une interdiction de pénétrer dans une région déterminée (pour avoir violé l'interdiction de pénétrer dans le canton de Genève prise à son encontre par le Commissaire de police le 17 octobre 2021 pour une durée de dix-huit mois) et rupture de ban – M. A______ est sous le coup de deux mesures d'expulsion judiciaire ordonnées par le Tribunal de police de Genève, respectivement, le 11 juillet 2022 pour une durée de 3 ans et le 31 juillet 2023 pour une durée de cinq ans.

3.             Par jugement du 8 janvier 2024, le Tribunal d'application des peines et des mesures a refusé la libération conditionnelle de M. A______. A cet égard, l'autorité précitée a, notamment, retenu ce qui suit: "S'agissant du pronostic, il se présente sous un jour fort défavorable au vu des nombreux antécédents du cité. Il n'a pas su tirer profit des premières condamnations prononcées avec sursis, et les courtes peines privatives de liberté successives prononcées à son encontre ne l'ont pas dissuadé de récidiver. Il a par ailleurs récidivé après l'octroi d'une libération conditionnelle le 29 septembre 2021. Sa situation personnelle demeure inchangée et on ne perçoit aucun effort du cité pour modifier la situation, étant rappelé qu'il fait l'objet de deux expulsions de Suisse d'une durée de 3 ans et de 5 ans prononcées par le Tribunal de police respectivement le 11 juillet 2022 et le 31 juillet 2023, devenues définitives et exécutoires. Aucun projet concret et étayé n'est présenté, de sorte qu'il se retrouvera à sa sortie dans la même situation personnelle que celle ayant mené à ses dernières condamnations, à savoir, en situation illégale en Suisse, sans travail, ni logement. Il n'a aucune garantie de pouvoir séjourner légalement en France, où il dit vouloir se rendre à sa sortie. Aucun projet viable n'est présenté, si ce n'est de se mettre en situation illicite dans un autre pays. De plus ces projets sont similaires à ceux des précédentes libérations qui ont conduit aux récidives. Enfin, le cité n'entreprend aucune démarche aux fins de se procurer des pièces de légitimation. En l'état, rien n'indique que le cité saurait mettre davantage à profit une nouvelle libération conditionnelle et le risque qu'il commette de nouvelles infractions apparaît très élevé, étant précisé qu'à teneur des dernières condamnations figurant à son casier judiciaire, ce risque ne se limite pas à des infractions à la LEI.".

4.             La demande de soutien à l'exécution du renvoi initiée auprès du secrétariat d'État aux migrations (ci‑après : SEM) en octobre 2023 a abouti à l'identification de l'intéressé par les autorités algériennes en août 2024. Il ressort des informations transmises par le SEM le 21 août 2024 qu'à l'issue de l'entretien consulaire (counselling) - un préalable indispensable à la délivrance d'un laissez-passer -, une place sur un vol pourrait être réservée moyennant un délai de 30 jours ouvrables.

5.             Le 22 février 2025, M. A______ a été arrêté par les forces de l'ordre genevoises à la suite d'un vol de marchandises (représentant un montant de CHF 526,50.-) – filmé par des caméras de vidéo-surveillance – commis au préjudice du magasin C______, sis ______[GE]. Entendu par les enquêteurs, l'intéressé a notamment déclaré être "directement parti de Suisse" (pour aller à D______(France) à sa sortie de prison, le 30 mars 2024, et être revenu à Genève "parce qu'[il est] dans le besoin" et qu'il souhaitait "voir un ami pour qu'il [l]'aide". Il a par ailleurs indiqué n'avoir aucun lieu de résidence fixe en Suisse, ni aucun lien particulier avec ce pays. Il a ajouté gagner "un peu d'argent à D______(France) en allant au marché" mais ne pas travailler "tous les jours". En réponse aux questions des policiers visant à savoir s'il avait entrepris des démarches en vue de son retour dans son pays d'origine, s'il souhaitait obtenir les coordonnées d'un organisme d'aide au retour susceptible de l'accompagner dans de telles démarches et s'il prenait l'engagement de contacter dans les dix jours sa représentation diplomatique afin de rendre possible son rapatriement, l'intéressé a répondu par la négative. Il a été prévenu de vol (au sens de l'art. 139 ch. 1 CP), de rupture de ban ainsi que d'infractions à la LEI (pièce 7).

6.             Le 23 février 2025, M. A______ a été condamné par ordonnance pénale du Ministère public pour les faits ayant donné lieu à son arrestation de la veille, puis libéré et remis entre les mains des services de police en vue de son refoulement

7.             Le 23 février 2025, à 16h05, le commissaire de police a émis un ordre de mise en détention administrative à l'encontre de M. A______ pour une durée de quatre mois, considérant notamment qu'il avait enfreint les interdictions d'entrée constituées par les mesures d'expulsion judicaire dont il faisait l'objet. Par ailleurs, il fallait préciser que seuls deux ou trois candidats algériens au retour relevant de la compétence du canton de Genève pouvaient être présentés aux entretiens consulaires, lesquels n'avaient par ailleurs lieu qu'une fois par mois.

Au commissaire de police, M. A______ a déclaré qu'il s'opposait à son renvoi en Algérie.

8.             Le commissaire de police a soumis cet ordre de mise en détention au Tribunal administratif de première instance (ci-après : le tribunal) le même jour.

9.             Entendu ce jour par le tribunal, M. A______ a déclaré qu’il refusait de retourner en Algérie où il n’avait rien. Sa mère était décédée et son père qui s’était remarié l’avait mis à la porte la dernière fois. Il n’avait plus l’intention de déposer ailleurs une demande d’asile en Europe. Il avait le projet de se rendre à E______(France) où un ami pourrait lui fournir du travail et où il essaierait de régulariser sa situation. Sur question de son conseil de savoir s’il avait eu des problèmes de santé, il avait effectivement des problèmes au niveau du système digestif et ce matin même en raison d’une crise avec vomissements, il avait fallu appeler l’ambulance et il a fait l’objet d’une prise de sang. Il avait notamment vomi du sang. Sur question de son conseil, il avait l’intention de régulariser sa situation vis-à-vis des autorités françaises et il n’avait pas l’intention de revenir en Suisse.

La représentante du commissaire de police a déclaré que M. A______ était déjà inscrit à l’entretien consulaire qui aurait vraisemblablement plutôt lieu en avril qu’en mars 2025, eu égard à la période du ramadan ce mois-ci. Elle a conclu à la confirmation de la mesure d’ordre de mise en détention prononcée le 23 février 2025 pour une durée de quatre mois.

M. A______, par l’intermédiaire de son conseil, a conclu à la levée de sa détention et subsidiairement à ce que sa détention n’excède pas deux mois.

EN DROIT

1.            Le Tribunal administratif de première instance est compétent pour examiner d'office la légalité et l’adéquation de la détention administrative en vue de renvoi ou d’expulsion (art. 115 al. 1 et 116 al. 1 de la loi sur l’organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 7 al. 4 let. d de loi d'application de la loi fédérale sur les étrangers du 16 juin 1988 - LaLEtr - F 2 10).

Il doit y procéder dans les nonante-six heures qui suivent l'ordre de mise en détention (art. 80 al. 2 de la loi fédérale sur les étrangers et l’intégration du 16 décembre 2005 - LEI - RS 142.20 ; 9 al. 3 LaLEtr).

2.            En l'espèce, le tribunal a été valablement saisi et respecte le délai précité en statuant ce jour, la détention administrative ayant débuté le 23 février 2025 à 15h47.

3.            A teneur de l'art. 76 al. 1 let. b ch. 1 LEI, en lien avec l'art. 75 al. 1 LEI, lorsqu'une décision de renvoi de première instance ou une expulsion pénale au sens des art. 66a ou 66abis CP a été notifiée, l'autorité compétente peut, afin d'en assurer l'exécution, mettre en détention la personne concernée lorsqu'elle franchit la frontière malgré une interdiction d'entrer en Suisse et ne peut pas être renvoyée immédiatement (let. c) ou lorsqu’elle a été condamnée pour crime (let. h).

4.            Comme cela ressort du texte même de l'art. 76 al. 1 LEI et de la jurisprudence constante du Tribunal fédéral, la détention administrative n'implique pas que la décision de renvoi soit définitive et exécutoire (cf. not. ATF 130 II 377 consid. 1 ; 129 II 1 consid. 2 ; 122 II 148 consid. 1 ; 121 II 59 consid. 2a).

5.            Il découle de la jurisprudence qu'une décision d'expulsion pénale au sens des art. 66a ou 66abis CP vaut comme interdiction d'entrée pour la durée prononcée par le juge pénal (ATA/179/2018 du 27 février 2018 consid. 4).

6.            En l'espèce, M. A______ a fait l’objet d’une décision d’expulsion judiciaire pour une durée de cinq ans, prononcée par le tribunal de police le 31 juillet 2023. Selon ses propres déclarations faites à la police le 22 février 2025, il s’était rendu en France en mars 2024, avant de revenir à Genève. Par conséquent, il a violé la mesure d’expulsion judiciaire prononcée à son encontre et les conditions légales de sa détention administrative sont ainsi réalisées sur le principe.

7.             Selon le texte de l'art. 76 al. 1 LEI, l'autorité "peut" prononcer la détention administrative lorsque les conditions légales sont réunies. L'utilisation de la forme potestative signifie qu'elle n'en a pas l'obligation et que, dans la marge d'appréciation dont elle dispose dans l'application de la loi, elle se doit d'examiner la proportionnalité de la mesure qu'elle envisage de prendre.

8.             Le principe de la proportionnalité, garanti par l'art. 36 Cst., se compose des règles d'aptitude - qui exige que le moyen choisi soit propre à atteindre le but fixé -, de nécessité - qui impose qu'entre plusieurs moyens adaptés, on choisisse celui qui porte l'atteinte la moins grave aux intérêts privés - et de proportionnalité au sens étroit - qui met en balance les effets de la mesure choisie sur la situation de la personne concernée et le résultat escompté du point de vue de l'intérêt public (ATF 125 I 474 consid. 3 et les arrêts cités ; arrêt du Tribunal fédéral 1P.269/2001 du 7 juin 2001 consid. 2c ; ATA/752/2012 du 1er novembre 2012 consid. 7).

9.             Il convient dès lors d'examiner, en fonction des circonstances concrètes, si la détention en vue d'assurer l'exécution d'un renvoi au sens de l'art. 5 par. 1 let. f CEDH est adaptée et nécessaire (ATF 135 II 105 consid. 2.2.1 ; 134 I 92 consid. 2.3.1 ; arrêts du Tribunal fédéral 2C_26/2013 du 29 janvier 2013 consid. 3.1 ; 2C_420/2011 du 9 juin 2011 consid. 4.1 ; 2C_974/2010 du 11 janvier 2011 consid. 3.1 ; 2C_756/2009 du 15 décembre 2009 consid. 2.1).

10.        Par ailleurs, les démarches nécessaires à l'exécution du renvoi doivent être entreprises sans tarder par l'autorité compétente (art. 76 al. 4 LEI). Il s'agit, selon la jurisprudence du Tribunal fédéral, d'une condition à laquelle la détention est subordonnée (arrêt 2A.581/2006 du 18 octobre 2006 ; cf. aussi ATA/315/2010 du 6 mai 2010 ; ATA/88/2010 du 9 février 2010 ; ATA/644/2009 du 8 décembre 2009 et les références citées).

11.        En l'espèce, par l’intermédiaire de son conseil, M. A______ soutient que ses problèmes de santé impliqueraient la levée de sa détention, car il aurait besoin d‘une certaine liberté pour pouvoir procéder à certains examens médicaux. Cependant, il n’explique pas de façon plus spécifique en quoi sa détention actuelle l’empêcherait d’accéder à des soins ou aux examens dont il pourrait éventuellement avoir besoin, preuve en est d’ailleurs l’analyse de sang qui doit avoir lieu suite à l’intervention médicale qui a eu lieu ce jour même. Par ailleurs, le tribunal relèvera que les problèmes de santé dont se prévaut M. A______ ne sont eux-mêmes pas documentés.

Quant à la question de savoir si une autre mesure que la détention administrative serait propre à permettre l’expulsion de M. A______ à destination de l’Algérie, elle doit vraisemblablement être tranchée par la négative. En effet, le précité a non seulement été condamné à huit reprises pour divers types d’infractions pénales, ce qui montre le peu de cas qu’il fait de l’ordre juridique, mais il n’a pas respecté non plus l’interdiction de revenir en Suisse après qu’il en soit parti, alors que cette interdiction déploiera ses effets encore quelques années. Dans ces conditions, on ne voit pas ce qui amènerait désormais M. A______ à se soumettre à cette obligation, s’il n’y était pas contraint par sa détention.

Les autorités suisses ont par ailleurs procédé avec diligence dans son dossier et M. A______ ne prétend du reste pas le contraire.

Enfin, s’agissant de la durée de sa détention, prononcée pour quatre mois, M. A______ en demande la réduction à une durée n’excédant pas deux mois. Il explique à ce sujet que sa détention ne saurait excéder ce qui est a priori nécessaire pour lui permettre d’être présenté en vue de l’entretien consulaire, lequel devrait avoir lieu en avril 2025. Le tribunal ne saurait suivre ce raisonnement, le commissaire de police ayant clairement indiqué qu’une place sur un vol ne pourrait être réservée suite à l’approbation des autorités algériennes qu’en respectant un intervalle d’au moins 30 jours ouvrables. Ainsi, même si l’entretien consulaire devait effectivement avoir lieu en avril 2025, et non pas à la fin de ce mois-là ou même en mai 2025, il faudrait ensuite attendre la réponse des autorités consulaires algériennes, ce qui peut encore prendre plusieurs jours, puis procéder à la réservation d’un vol en respectant les délais obtenu ci-dessus. Compte tenu de cet enchaînement une détention d’une durée de quatre mois n’apparait de loin pas disproportionnée pour permettre l’exécution du renvoi de M. A______.

12.        Au vu de ce qui précède, il y a lieu de confirmer l'ordre de mise en détention administrative de M. A______ pour une durée de quatre mois.

13.        Conformément à l'art. 9 al. 6 LaLEtr, le présent jugement sera communiqué à M. A______, à son avocat et au commissaire de police. En vertu des art. 89 al. 2 et 111 al. 2 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), il sera en outre communiqué au secrétariat d'État aux migrations.


 

PAR CES MOTIFS

LE TRIBUNAL ADMINISTRATIF

DE PREMIÈRE INSTANCE

1.             confirme l’ordre de mise en détention administrative pris par le commissaire de police le 23 février 2025 à 16h05 à l’encontre de Monsieur A______ pour une durée de quatre mois, soit jusqu'au 22 juin 2025, inclus ;

2.             dit que, conformément aux art. 132 LOJ, 10 al. 1 LaLEtr et 65 LPA, le présent jugement est susceptible de faire l'objet d'un recours auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (10 rue de Saint-Léger, case postale 1956, 1211 Genève 1) dans les 10 jours à compter de sa notification. L'acte de recours doit être dûment motivé et contenir, sous peine d'irrecevabilité, la désignation du jugement attaqué et les conclusions du recourant. Il doit être accompagné du présent jugement et des autres pièces dont dispose le recourant.

Au nom du Tribunal :

Le président

Olivier BINDSCHEDLER TORNARE

 

Copie conforme de ce jugement est communiquée à Monsieur A______, à son avocat, au commissaire de police et au secrétariat d'État aux migrations.

Genève, le

 

Le greffier