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Décisions | Tribunal administratif de première instance

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A/3299/2024

JTAPI/1010/2024 du 10.10.2024 ( MC ) , CONFIRME

Descripteurs : DÉTENTION AUX FINS D'EXPULSION
Normes : LEI.75.al1.leth; LEI.76.al1.letb.ch1
En fait
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

A/3299/2024 MC

JTAPI/1010/2024

 

JUGEMENT

DU TRIBUNAL ADMINISTRATIF

DE PREMIÈRE INSTANCE

du 10 octobre 2024

 

dans la cause

 

Monsieur A______, représenté par Me Benjamin MORET, avocat

 

contre

 

COMMISSAIRE DE POLICE

 


 

EN FAIT

1.             À teneur de son extrait de casier judiciaire, Monsieur A______, né le ______ 1990 et originaire d'Algérie, connu sous divers alias, est défavorablement connu de la justice pénale suisse et a été condamné à pas moins de quatre reprises notamment pour vol (art. 139 ch. 1 du Code pénal suisse du 21 décembre 1937 (CP - RS 311.0)) et rupture de ban (art. 291 al. 1 CP).

2.             M. A______ a fait l'objet d'une interdiction d'entrée en Suisse prise le 4 mars 2021 par le secrétariat d'État aux migrations (ci-après : SEM) valable jusqu'au 3 mars 2023, et à lui notifiée le 26 mars 2021.

3.             Par décision déclarée exécutoire nonobstant recours du 18 mai 2021, dûment notifiée à l'intéressé à la prison de Champ-Dollon le 19 mai 2021, l'office cantonal de la population et des migrations (ci-après : OCPM) a prononcé le renvoi de Suisse de M. A______, en application de l’art. 64 de la loi fédérale sur les étrangers et l'intégration du 16 décembre 2005 (LEI - RS 142.20), et a chargé les services de police de procéder à l’exécution de cette mesure dès sa remise en liberté.

4.             L'intéressé a interjeté un recours, le 18 juin 2021, au Tribunal administratif de première instance (ci-après : le tribunal) contre ladite décision.

5.             Par décision du 5 juillet 2021, le tribunal a rejeté la demande d'effet suspensif émise dans le cadre du recours du 18 juin 2021.

6.             Par jugement du 8 septembre 2021 définitif et exécutoire, le Tribunal de police a reconnu M. A______ coupable de vol par métier (art. 139 ch. 1 et 2 CP), d'obtention illicite de prestations de l'aide sociale (art. 148a CP), d'entrée illégale (art. 115 al. 1 let. a LEI) et de séjour illégal (art. 115 al. 1 let. b LEI) et de vol d'importance mineure (art. 139 ch. 1 et 172ter CP), et l'a condamné à une peine privative de liberté de 7 mois, sous déduction de 157 jours de détention avant jugement, et a ordonné son expulsion de Suisse pour une durée de cinq ans (art. 66a al. 1 let. c et e CP).

7.             Par jugement du Tribunal d'application des peines et des mesures du 14 octobre 2021, la libération conditionnelle de l'intéressé a été ordonnée pour le même jour.

8.             Le 14 octobre 2021, l'intéressé s'est vu notifier une décision de non-report d'expulsion judiciaire avec une carte de sortie, lui octroyant un délai au 15 octobre 2021 pour quitter la Suisse et a été inscrit au RIPOL le 1er décembre 2021.

9.             Par décision du 31 janvier 2022, le tribunal a pris acte du retrait du recours effectué par l'intéressé le 19 janvier 2022 contre la décision de l'OCPM du 18 mai 2021.

10.         Le 12 septembre 2023, l'intéressé a déposé une demande d'asile en Suisse, laquelle a été rejetée par le SEM le 6 octobre 2023. Simultanément, les autorités fédérales ont prononcé le renvoi de l'intéressé de Suisse. Cette décision est entrée en force le 6 novembre 2023. La prise en charge de M. A______ a été confiée au canton de Vaud.

11.         Le 19 décembre 2023, une demande de soutien en vue de l'identification de l'intéressé a été effectuée auprès du SEM.

12.         Le 29 mai 2024, l'intéressé a derechef déposé une demande d'asile en Suisse, laquelle a été rejetée par le SEM le 11 juin 2024. Simultanément, les autorités fédérales ont prononcé le renvoi de l'intéressé de Suisse. Cette décision est entrée en force le 23 juillet 2024.

13.         Le 20 août 2024, il a été reconnu par les autorités algériennes et devra être présenté au prochain counselling desdites autorités.

14.         Le 7 octobre 2024, il a notamment été condamné par le Tribunal régional de l'Oberland pour vol (art. 139 ch. 1 CP).

15.         Le 8 octobre 2024, M. A______ a été acheminé à Genève auprès des services de police, chargés de l'exécution de son expulsion judiciaire

16.         Le 8 octobre 2024, à 13h40, le commissaire de police a émis un ordre de mise en détention administrative à l'encontre de M. A______ pour une durée de deux mois.

Au commissaire de police, M. A______ a déclaré qu'il s'opposait à son renvoi en Algérie.

17.         Le commissaire de police a soumis cet ordre de mise en détention au tribunal le même jour.

18.         Entendu ce jour par le tribunal, M. A______ a signalé au tribunal que la demande d'asile qu'il avait déposée en Suisse en 2023 à B______ (VD), juste avant d'entrer en prison, avait été tout d'abord acceptée, puis annulée pendant la période où il était en prison. Il n'avait pas de document à fournir à ce sujet au tribunal.

Sur question de son conseil, sa santé s'était détériorée depuis qu'il était en détention pénale et ceci aussi bien sur le plan physique que psychique. Il avait été suivi notamment par un psychiatre pendant sa détention pénale mais il n'en avait vu un que pendant deux minutes depuis son transfert à Favra. Son conseil a produit ce jour au tribunal un chargé de pièces incluant notamment des rapports médicaux. Sur question de son conseil, il n'avait pas été informé à l'établissement de Favra qu'il avait la possibilité de voir un médecin.

Sur question de son conseil, M. A______ serait évidemment disposé à se soumettre à une mesure telle qu'une assignation à une région déterminée ou à une obligation de se présenter avec régularité auprès d'une autorité chargée de contrôler sa présence.

La représentante du commissaire de police, sur question du conseil de M. A______, a déclaré ne pas avoir d'indication sur la date à laquelle le SEM avait donné suite à leur demande du 19 décembre 2023 en vue de l'identification de M. A______.

Toujours sur question du conseil de M. A______, la représentante du commissaire de police a informé que M. A______ allait devoir se présenter à un counselling prévu le 30 octobre 2024, selon les pièces qu'elle a remises ce jour au tribunal, dont il découlait également qu'il fallait compter une trentaine de jours pour obtenir un laissez-passer et réserver un vol.

La représentante du commissaire de police a conclu à la confirmation de l'ordre de mise en détention administrative pour une durée de deux mois.

M. A______, par son conseil, a conclu à l'annulation de l'ordre de mise en détention administrative et à sa libération immédiate, subsidiairement à sa libération avec des mesures de substitution.

 

EN DROIT

1.            Le tribunal est compétent pour examiner d'office la légalité et l’adéquation de la détention administrative en vue de renvoi ou d’expulsion (art. 115 al. 1 et 116 al. 1 de la loi sur l’organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 7 al. 4 let. d de loi d'application de la loi fédérale sur les étrangers du 16 juin 1988 - LaLEtr - F 2 10).

Il doit y procéder dans les nonante-six heures qui suivent l'ordre de mise en détention (art. 80 al. 2 de la loi fédérale sur les étrangers et l’intégration du 16 décembre 2005 - LEI - RS 142.20 ; anciennement dénommée loi fédérale sur les étrangers - LEtr ; 9 al. 3 LaLEtr).

2.            En l'espèce, le tribunal a été valablement saisi et respecte le délai précité en statuant ce jour, la détention administrative ayant débuté le 7 octobre 2024 à 17h00.

3.             L'art. 76 al. 1 let. b ch. 1 LEI, renvoyant à l'art. 75 al. 1 lettre h LEI, permet d'ordonner la détention administrative d'un ressortissant étranger afin d'assurer l'exécution d'une décision de renvoi ou d'expulsion notifiée à celui-ci, lorsque la personne concernée a été condamnée pour crime, par quoi il faut entendre une infraction passible d’une peine privative de liberté de plus de 3 ans (art. 10 al. 2 CP).

4.            En l'espèce, M. A______ a été condamné pour vol par métier par le tribunal de police du canton de Genève le 8 septembre 2021, puis pour vol par le tribunal régional de l'Oberland le 7 octobre 2024. Il fait par ailleurs l'objet d'une décision d'expulsion de Suisse pour une durée de cinq ans prononcée par le tribunal de police le 8 septembre 2021, ainsi que de deux décisions de renvoi de Suisse, prononcées par le SEM à la suite du rejet des demandes d'asile qu'il avait déposées les 12 septembre 2023 et 29 mai 2024.

Par conséquent, les conditions de sa détention administrative, au sens des dispositions susmentionnées, sont réalisées sur le principe.

Il convient encore de préciser que, contrairement à ce que plaide M. A______, son renvoi n'est à ce stade pas entré dans une période d'imprévisibilité au sens de la jurisprudence selon laquelle la détention administrative n'est possible que pour autant qu'un tel renvoi puisse avoir lieu dans une période prévisible. En effet, les démarches qu'il convient encore d'effectuer en l'espèce en vue de ce renvoi tiennent uniquement dans l'organisation d'un counselling avec les autorités algériennes, dont la date est désormais fixée au 30 octobre 2024, puis de l'obtention d'un laissez-passer par ces mêmes autorités et l'organisation d'un vol à destination de l'Algérie. Si la durée de 30 jours relative à la délivrance d'un laissez-passer à partir de la date du counselling est plutôt indicative et ne découle pas d'une pratique systématique, il ne s'agit cependant pas d'une durée qui serait d'emblée fixée à plusieurs mois ou dans une fourchette extrêmement large. De la sorte, M. A______ conserve un certain contrôle quant à la durée du processus et pourrait cas échéant s'adresser à nouveau au tribunal de céans en vue d'une levée de sa détention, s'il devait s'avérer que suite au counselling, les autorités algériennes semblaient ne plus vouloir donner de réponse aux autorités suisses dans un délai raisonnable.

Quant au fait que l'OCPM a déposé auprès du SEM une demande d'identification de M. A______ le 19 décembre 2023, c'est au titre de la proportionnalité de la détention que le tribunal examinera ci-dessous si la suite donnée à cette demande respecte le principe de célérité qui s'impose aux autorités chargées du renvoi.

5.             Selon le texte de l'art. 76 al. 1 LEI, l'autorité "peut" prononcer la détention administrative lorsque les conditions légales sont réunies. L'utilisation de la forme potestative signifie qu'elle n'en a pas l'obligation et que, dans la marge d'appréciation dont elle dispose dans l'application de la loi, elle se doit d'examiner la proportionnalité de la mesure qu'elle envisage de prendre.

6.             Le principe de la proportionnalité, garanti par l'art. 36 Cst., se compose des règles d'aptitude - qui exige que le moyen choisi soit propre à atteindre le but fixé -, de nécessité - qui impose qu'entre plusieurs moyens adaptés, on choisisse celui qui porte l'atteinte la moins grave aux intérêts privés - et de proportionnalité au sens étroit - qui met en balance les effets de la mesure choisie sur la situation de la personne concernée et le résultat escompté du point de vue de l'intérêt public (ATF 125 I 474 consid. 3 et les arrêts cités ; arrêt du Tribunal fédéral 1P.269/2001 du 7 juin 2001 consid. 2c ; ATA/752/2012 du 1er novembre 2012 consid. 7).

7.             Il convient dès lors d'examiner, en fonction des circonstances concrètes, si la détention en vue d'assurer l'exécution d'un renvoi au sens de l'art. 5 par. 1 let. f CEDH est adaptée et nécessaire (ATF 135 II 105 consid. 2.2.1 ; 134 I 92 consid. 2.3.1 ; arrêts du Tribunal fédéral 2C_26/2013 du 29 janvier 2013 consid. 3.1 ; 2C_420/2011 du 9 juin 2011 consid. 4.1 ; 2C_974/2010 du 11 janvier 2011 consid. 3.1 ; 2C_756/2009 du 15 décembre 2009 consid. 2.1).

8.            Par ailleurs, les démarches nécessaires à l'exécution du renvoi doivent être entreprises sans tarder par l'autorité compétente (art. 76 al. 4 LEI). Il s'agit, selon la jurisprudence du Tribunal fédéral, d'une condition à laquelle la détention est subordonnée (arrêt 2A.581/2006 du 18 octobre 2006 ; cf. aussi ATA/315/2010 du 6 mai 2010 ; ATA/88/2010 du 9 février 2010 ; ATA/644/2009 du 8 décembre 2009 et les références citées).

9.            En l'espèce, contrairement à ce que soutient M. A______, on ne voit pas qu'une mesure moins incisive que sa détention administrative puisse garantir l'exécution de son renvoi à destination de l'Algérie. En effet, non seulement M. A______ a-t-il donné la preuve, par son comportement, qu'il n'accordait pas d'importance particulière à l'ordre juridique, puisqu'il a été condamné pénalement à plusieurs reprises, mais il a clairement exprimé son refus de retourner en Algérie, accompagnant cette position de deux demandes d'asile déposées à moins d'une année d'intervalle. Dans ces conditions, on voit mal que le précité se contente d'attendre l'exécution de son expulsion judiciaire à destination de l'Algérie sans tenter de s'y soustraire en disparaissant par exemple dans la clandestinité.

Quant au principe de célérité, il est vrai, comme l'a relevé M. A______, que le dossier ne donne pas de précision sur le délai qui s'est écoulé jusqu'au moment où le SEM a donné suite à la demande d'identification que lui a soumise l'OCPM le 19 décembre 2023. Cette question est cependant sans pertinence sous l'angle du principe de célérité, car il ressort du registre SYMIC produit par l'autorité intimée sous pièce 11 de son bordereau, que la période qui a suivi le dépôt de cette demande d'identification jusqu'à l'identification elle-même, en date du 20 août 2024, a été émaillée tout d'abord d'une sortie de la procédure d'asile en date du 30 janvier 2024, d'une reprise en date du 29 mai 2024, avant décision de renvoi prononcée le 11 juin 2024, avec une fin du processus d'entrée en force le 23 juillet 2024, le dernier refus d'asile ayant fait l'objet d'un recours en date du 4 juillet 2024. Ainsi, M. A______ a lui-même fait en sorte de compliquer le processus de reconnaissance et d'identification par des démarches imposant des étapes supplémentaires aux autorités compétentes.

Quant au fait qu'il ne serait pas justifié de faire peser sur M. A______ la longueur des démarches des autorités algériennes, cette question ne peut être envisagée que sous l'angle de la prévisibilité du renvoi, telle qu'elle a déjà été examinée plus haut: tant que le renvoi reste prévisible dans un certain délai, c'est-à-dire tant que les autorités étrangères continuent à manifester une volonté de collaborer avec les autorités suisses, la durée de ce processus ne rend pas illégitime la détention administrative.

Enfin, M. A______ met en avant ses problèmes de santé, qui sont de nature physique et psychique. Cependant, les documents qu'il a remis au tribunal à l'audience de ce jour n'indiquent pas la nécessité d'un traitement médical qui lui serait indispensable et dont il ne disposerait pas en l'état, étant rappelé qu'en cas de besoin, il peut être à tout moment transféré à l'unité carcérale des Hôpitaux universitaires de Genève. En dehors des cas d'urgence, s'agissant de traitements à plus long terme, M. A______ ne doit pas confondre la possibilité qu'il aurait d'entamer de tels traitements s'il était remis en liberté, avec la question de la proportionnalité de sa détention. En effet, la question de l'accès à des soins médicaux appropriés à l'état de santé d'un ressortissant étranger fait partie des éléments examinés dans le cadre d'une décision de renvoi de Suisse, ne serait-ce que sous l'angle de l'admission provisoire (art. 83 LEI). Par conséquent, deux décisions de renvoi ayant été successivement prononcées à son encontre depuis moins d'une année, le tribunal de céans peut partir du principe que la question des soins dont M. A______ aurait besoin a été examinée à cette occasion et qu'il a été constaté au moins implicitement que de tels soins étaient cas échéant disponibles en Algérie.

Enfin, quant à la durée de la détention administrative, fixée par le commissaire de police à deux mois, elle n'est manifestement pas disproportionnée compte tenu des délais qui vont encore s'écouler jusqu'au counselling le 30 juin 2024, puis dès ce moment jusqu'à la délivrance d'un laissez-passer et la réservation d'un vol à destination de l'Algérie.

10.        Au vu de ce qui précède, il y a lieu de confirmer l'ordre de mise en détention administrative de M. A______ pour une durée de deux mois.

11.        Conformément à l'art. 9 al. 6 LaLEtr, le présent jugement sera communiqué à M. A______, à son avocat et au commissaire de police. En vertu des art. 89 al. 2 et 111 al. 2 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), il sera en outre communiqué au SEM.


 

PAR CES MOTIFS

LE TRIBUNAL ADMINISTRATIF

DE PREMIÈRE INSTANCE

1.             confirme l’ordre de mise en détention administrative pris par le commissaire de police le 8 octobre 2024 à 13h40 à l’encontre de Monsieur A______ pour une durée de deux mois, soit jusqu'au 7 décembre 2024 ;

2.             dit que, conformément aux art. 132 LOJ, 10 al. 1 LaLEtr et 65 LPA, le présent jugement est susceptible de faire l'objet d'un recours auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (10 rue de Saint-Léger, case postale 1956, 1211 Genève 1) dans les 10 jours à compter de sa notification. L'acte de recours doit être dûment motivé et contenir, sous peine d'irrecevabilité, la désignation du jugement attaqué et les conclusions du recourant. Il doit être accompagné du présent jugement et des autres pièces dont dispose le recourant.

 

Au nom du Tribunal :

Le président

Olivier BINDSCHEDLER TORNARE

 

Copie conforme de ce jugement est communiquée à Monsieur A______, à son avocat, au commissaire de police et au secrétariat d'État aux migrations.

 

 

 

Genève, le 10 octobre 2024

 

Le greffier