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Décisions | Tribunal administratif de première instance

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A/3279/2024

JTAPI/1007/2024 du 10.10.2024 ( MC ) , CONFIRME

Descripteurs : DÉTENTION AUX FINS D'EXPULSION
Normes : LEI.75.al1.letb; LEI.76.al1.letb.ch1
En fait
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

A/3279/2024 MC

JTAPI/1007/2024

 

JUGEMENT

DU TRIBUNAL ADMINISTRATIF

DE PREMIÈRE INSTANCE

du 10 octobre 2024

 

dans la cause

 

Monsieur A______, représenté par Me Ivan HUGUET, avocat

 

contre

 

COMMISSAIRE DE POLICE

 


 

EN FAIT

1.             Monsieur A______, né le ______ 1992 et originaire du Nigéria, mais dépourvu de documents d'identité et de voyage, a déposé en Suisse, le 2 avril 2015, une demande d'asile, laquelle a fait l'objet d'une décision de non-entrée en matière et de renvoi. Dans le cadre de cette procédure, il avait été attribué au canton de Saint-Gall. L'intéressé a été transféré trois fois (les 28 juillet 2015, 18 décembre 2015 et 30 septembre 2022) en Italie dans le cadre des Accords Dublin. Il a par ailleurs fait l'objet de deux interdictions d'entrée en Suisse – qu'il n'a pas respectées -, la dernière, notifiée le 23 juillet 2022, étant valable jusqu'au 25 juillet 2025.

2.             Entre le 3 juillet 2015 et le 29 janvier 2024, M. A______ a été condamné à huit reprises, notamment pour entrée illégale, séjour illégal, opposition aux actes de l'autorité, délit contre la loi fédérale sur les stupéfiants et les substances psychotropes du 3 octobre 1951 (LStup - RS 812.121 ; trafic de cocaïne), non-respect d'une assignation à un lieu de résidence ou d'une interdiction de pénétrer dans une région déterminé (pour avoir violé la mesure prise à son encontre par le commissaire de police le 15 mai 2021) et rupture de ban – sous le coup d'une première mesure d'expulsion judiciaire d'une durée de trois ans ordonnée par le Tribunal de police de Genève le 21 août 2023, mesure que l'autorité administrative compétente a décidé de ne pas reporter (décision notifiée le 23 septembre 2023) et qu'il n'a pas respectée. Le 29 janvier 2024, le Tribunal de police a prononcé à son encontre une deuxième mesure d'expulsion judiciaire, pour une durée de sept ans, mesure que l'autorité administrative compétente a, derechef, décidé de ne pas reporter (décision notifiée le 11 juillet 2024).

3.             N'ayant pas quitté la Suisse, M. A______ a été à nouveau interpellé par la police le 8 novembre 2023. Il ressort notamment du rapport d'arrestation que l'intéressé n'a aucun lieu de résidence fixe en Suisse, ni aucun lien particulier avec ce pays, ni non plus aucune source légale de revenu.

4.             Durant sa détention pénale, les démarches relatives au rapatriement de M. A______ ont été diligentées. Le secrétariat d'État aux migrations (ci‑après : SEM) a indiqué que l'intéressé ne bénéficiait pas de la protection internationale en Italie, les autorités de ce pays ayant confirmé que la demande d'asile avait été rejetée. Son renvoi devait être organisé à destination du Nigéria. Présenté à la délégation du Nigéria dans le cadre d'auditions centralisées, M. A______ a déclaré être originaire de la République démocratique du Congo. Sur la base du numéro de son passeport - dont l'autorité fédérale compétente avait connaissance - l'ambassade du Nigéria a pu procéder à des vérifications complémentaires, lesquelles lui ont permis d'identifier formellement M. A______ comme étant un ressortissant de ce pays. Selon les informations transmises par le SEM, un vol - DEPU et DEPA - pourrait donc être réservé le moment venu, étant précisé que pour l'heure, la Suisse n'avait prévu aucun vol spécial à destination du Nigéria, la participation à des vols Frontex demeurant possible, vols dont les dates n'étaient toutefois pas encore connues.

5.             Par ordonnance du 17 juin 2024, le Tribunal d'application des peines et des mesures a refusé la libération conditionnelle à M. A______. A cet égard, l'autorité précitée a retenu notamment ce qui suit: «  […] il a déjà été renvoyé à trois reprises vers l'Italie, la dernière fois en septembre 2022 après sa libération conditionnelle, ce qui ne l'a pas non plus dissuadé de revenir en Suisse. Ainsi, sa situation personnelle demeure inchangée et on ne perçoit aucun effort du cité pour la modifier, étant rappelé qu'il fait l'objet d'une interdiction d'entrée en suisse d'une durée de sept ans et qu'il ne fait valoir aucun projet concret et étayé de réinsertion en Italie ou ailleurs. Ses projets professionnels ne sont pas concrets, pas plus que sa relation avec sa fiancée en Italie au sujet desquels il n'apporte aucune pièce, étant rappelé qu'en 2022, lors de l'examen de sa libération conditionnelle, il avait déclaré que sa fiancée vivait en Suisse et qu'il ne souhaitait pas retourner en Italie. Ainsi, rien n'indique que le cité saurait mettre davantage à profit une nouvelle libération conditionnelle et le risque qu'il commette de nouvelles infractions apparaît très élevé, étant précisé qu'à teneur des dernières condamnations figurant à son casier judiciaire, ce risque ne se limite pas à des infractions à la LEI ».

6.             Alors qu'il ne s'était pas opposé aux mesures d'expulsion prononcées à son encontre par le Tribunal de police les 21 août 2023 et 29 janvier 2024, M. A______ a recouru contre la décision de non-report d'expulsion qui lui a été notifiée par l'office cantonal de la population et des migrations (ci‑après : OCPM) le 11 juillet 2024. A l'appui de son recours, M. A______ a invoqué sa prétendue homosexualité. Le 23 août 2024, l'OCPM s'est déterminé sur le recours déposé par l'intéressé; le Ministère public s'est également déterminé, en date du 30 août 2024. A ce jour, la Chambre pénale de recours n'a pas encore statué sur le recours en question.

7.             Durant la détention pénale de l'intéressé, la Brigade migration et retour a procédé, en faveur de l'intéressé, à la réservation d'une place sur un vol DEPA (avec escorte policière) à destination de B______ (Nigéria), réservation pour laquelle swissREPAT a proposé un vol prévu le 28 octobre 2024.

8.             Le 7 octobre 2024, le SEM a informé les autorités en charge de l'exécution du renvoi de M. A______ de ce que celui-ci venait de déposer une nouvelle demande d'asile, dont il n'est pas exclu qu'elle puisse être traitée à temps pour que l'intéressé puisse embarquer à bord du vol de retour prévu le 28 octobre.

9.             A sa sortie de prison, le 7 octobre 2024, M. A______ a été remis entre les mains des services de police en vue de son refoulement.

10.         Le 7 octobre 2024, le commissaire de police a émis un ordre de mise en détention administrative à l'encontre de M. A______ pour une durée de quatre mois, considérant notamment qu'il avait violé une interdiction d'entrer en Suisse en revenant dans ce pays après avoir été renvoyé en Italie.

Au commissaire de police, M. A______ a déclaré qu'il s'opposait à son renvoi au Nigéria. Le procès-verbal de son audition indique qu'il était retenu pour des motifs de droit des étrangers depuis le même jour à 13h45.

11.         Le commissaire de police a soumis cet ordre de mise en détention au Tribunal administratif de première instance (ci-après : le tribunal) le même jour.

12.         Entendu ce jour par le tribunal, M. A______ a tenu à souligner le fait que sa demande d'asile récente était liée au fait qu'il était gay et il était désolé s'il n'avait pas mentionné ce fait plus tôt, mais c'était une chose dont il lui était difficile de parler et de rendre publique et qui concernait des difficultés qu'il avait rencontrées dans son passé, notamment auprès d'amis et d'autres personnes.

Le tribunal a noté au procès-verbal que les déclarations de M. A______ ont été accompagnées de l'expression d'une forte émotion et de larmes. Le conseil de M. A______ a déposé ce jour un chargé de pièces.

Sur question de son conseil, M. A______ a expliqué qu'il avait pu mettre un peu d'argent de côté durant sa détention, soit un peu plus de CHF 2'000.-. Son idée était d'utiliser cet argent pour trouver un hébergement dans un hôtel s'il était remis en liberté, jusqu'à ce qu'il puisse trouver un hébergement associatif.

Sur question de son conseil, de savoir s'il tenterait de fuir ou de se soustraire aux forces de police s'il pouvait résider hors d'un établissement de détention, il a expliqué qu'il avait fait toute sa vie en Suisse et qu'il n'y avait pour lui aucune raison d'essayer de partir.

La représentante du commissaire de police a remis au tribunal une confirmation du vol prévu pour M. A______ le 28 octobre 2024 à destination de B______ (Nigéria) et a conclu à la confirmation de l'ordre de mise en détention administrative pour une durée de quatre mois.

M. A______, par son conseil, s'en est rapporté à justice sur le principe de la détention et a conclu à ce que la durée de la détention soit réduite à quatre semaines.

EN DROIT

1.            Le tribunal est compétent pour examiner d'office la légalité et l’adéquation de la détention administrative en vue de renvoi ou d’expulsion (art. 115 al. 1 et 116 al. 1 de la loi sur l’organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 7 al. 4 let. d de loi d'application de la loi fédérale sur les étrangers du 16 juin 1988 - LaLEtr - F 2 10).

Il doit y procéder dans les nonante-six heures qui suivent l'ordre de mise en détention (art. 80 al. 2 de la loi fédérale sur les étrangers et l’intégration du 16 décembre 2005 - LEI - RS 142.20 ; anciennement dénommée loi fédérale sur les étrangers - LEtr ; 9 al. 3 LaLEtr).

2.            En l'espèce, le tribunal a été valablement saisi et respecte le délai précité en statuant ce jour, la détention administrative ayant débuté le 7 octobre 2024 à 13h45.

3.            A teneur de l'art. 76 al. 1 let. b ch. 1 LEI, en lien avec l'art. 75 al. 1 LEI, lorsqu'une décision de renvoi de première instance a été notifiée, l'autorité compétente peut, afin d'en assurer l'exécution, mettre en détention la personne concernée lorsqu'elle franchit la frontière malgré une interdiction d'entrer en Suisse et ne peut pas être renvoyée immédiatement (let. c) ou lorsqu’elle a été condamnée pour crime (let. h).

4.            Comme cela ressort du texte même de l'art. 76 al. 1 LEI et de la jurisprudence constante du Tribunal fédéral, la détention administrative n'implique pas que la décision de renvoi soit définitive et exécutoire (cf. not. ATF 130 II 377 consid. 1 ; 129 II 1 consid. 2 ; 122 II 148 consid. 1 ; 121 II 59 consid. 2a).

5.            En l'espèce, M. A______, sous le coup d'une interdiction d'entrer en Suisse notifiée le 23 juillet 2022, valable jusqu'au 25 juillet 2025, a été renvoyé en Italie le 30 septembre 2022, puis est revenu en Suisse. Il fait par ailleurs l'objet de mesures d'expulsion judiciaire en force, la dernière, prononcée par le Tribunal de police le 29 janvier 2024, étant valable pour une durée de sept ans. Par conséquent, les conditions légales d'une détention administrative, au sens des dispositions susmentionnées, sont réalisées quant au principe.

A cet égard, il convient encore de mentionner que l'exécutabilité de l'expulsion judiciaire de M. A______ à destination du Nigéria n'est pour l'heure pas tranchée et dépendra de la réponse qui sera apportée par le SEM à la demande d'asile qu'il a adressée à cette autorité le 2 octobre 2024. Comme l'a admis M. A______ lui-même à l'audience de ce jour, il n'appartient pas au tribunal de céans, dans le cadre de la présente procédure, de se pencher sur des questions qui relèvent de cette demande d'asile, à savoir en particulier s'il peut paraître crédible que M. A______ soit homosexuel et si les discriminations dont font notoirement l'objet les personnes homosexuelles au Nigéria, sur le plan légal, conduisent dans la pratique à des situations mettant en danger ces personnes et les exposant à des traitements contraires aux dispositions de la Convention européenne des droits de l'Homme ou des dispositions internationales et nationales sur l'asile.

6.             Selon le texte de l'art. 76 al. 1 LEI, l'autorité "peut" prononcer la détention administrative lorsque les conditions légales sont réunies. L'utilisation de la forme potestative signifie qu'elle n'en a pas l'obligation et que, dans la marge d'appréciation dont elle dispose dans l'application de la loi, elle se doit d'examiner la proportionnalité de la mesure qu'elle envisage de prendre.

7.             Le principe de la proportionnalité, garanti par l'art. 36 Cst., se compose des règles d'aptitude - qui exige que le moyen choisi soit propre à atteindre le but fixé -, de nécessité - qui impose qu'entre plusieurs moyens adaptés, on choisisse celui qui porte l'atteinte la moins grave aux intérêts privés - et de proportionnalité au sens étroit - qui met en balance les effets de la mesure choisie sur la situation de la personne concernée et le résultat escompté du point de vue de l'intérêt public (ATF 125 I 474 consid. 3 et les arrêts cités ; arrêt du Tribunal fédéral 1P.269/2001 du 7 juin 2001 consid. 2c ; ATA/752/2012 du 1er novembre 2012 consid. 7).

8.             Il convient dès lors d'examiner, en fonction des circonstances concrètes, si la détention en vue d'assurer l'exécution d'un renvoi au sens de l'art. 5 par. 1 let. f CEDH est adaptée et nécessaire (ATF 135 II 105 consid. 2.2.1 ; 134 I 92 consid. 2.3.1 ; arrêts du Tribunal fédéral 2C_26/2013 du 29 janvier 2013 consid. 3.1 ; 2C_420/2011 du 9 juin 2011 consid. 4.1 ; 2C_974/2010 du 11 janvier 2011 consid. 3.1 ; 2C_756/2009 du 15 décembre 2009 consid. 2.1).

9.            Par ailleurs, les démarches nécessaires à l'exécution du renvoi doivent être entreprises sans tarder par l'autorité compétente (art. 76 al. 4 LEI). Il s'agit, selon la jurisprudence du Tribunal fédéral, d'une condition à laquelle la détention est subordonnée (arrêt 2A.581/2006 du 18 octobre 2006 ; cf. aussi ATA/315/2010 du 6 mai 2010 ; ATA/88/2010 du 9 février 2010 ; ATA/644/2009 du 8 décembre 2009 et les références citées).

10.        En l'espèce, M. A______ ne remet en question la proportionnalité de la décision litigieuse que sous l'angle de sa durée, le tribunal pouvant dès lors se contenter de confirmer sans plus ample développement que les autres conditions de la proportionnalité sont réalisées. Il en va ainsi en particulier du principe de célérité, les autorités ayant pu organiser un vol pour le 28 octobre 2024 à destination du Nigéria, ainsi que de la nécessité d'une détention administrative pour assurer l'exécution de son expulsion judiciaire, le précité ayant démontré, notamment par son retour en Suisse alors qu'il était sous le coup d'une interdiction d'entrée, qu'il ne se souciait pas des obligations pesant sur lui.

Quant à la durée de sa détention, que M. A______ considère comme trop longue et qu'il demande de ramener à quatre semaines, il explique sa position en soutenant que la durée prévue par la décision litigieuse ne peut entraver le travail des professionnels et associations qui l'entourent actuellement, en particulier dans le cadre de sa demande d'asile. Le tribunal ne peut partager cette argumentation pour les raisons suivantes. Tout d'abord, si M. A______ devait prendre son vol le 28 octobre 2024 à destination du Nigéria, sa détention prendrait fin dès ce moment-là, le solde devenant sans objet, tandis que s'il refusait de prendre ce vol, il démontrerait à nouveau sa volonté de se soustraire à son expulsion et donc l'impossibilité d'une remise en liberté. De plus, ce refus contraindrait les autorités à organiser un vol spécial, ce qui prendrait certainement plusieurs semaines voire plusieurs mois. Ensuite, on ne voit pas en quoi la détention de M. A______ rendrait plus difficile les démarches des personnes qui l'appuient dans sa demande d'asile, tant qu'il est vrai que sa détention pénale jusqu'ici n'y a pas fait obstacle.

Dans cette mesure, une détention de quatre mois n'apparaît pas excessive.

11.        Au vu de ce qui précède, il y a lieu de confirmer l'ordre de mise en détention administrative de M. A______ pour une durée de quatre mois.

12.        Conformément à l'art. 9 al. 6 LaLEtr, le présent jugement sera communiqué à M. A______, à son avocat et au commissaire de police. En vertu des art. 89 al. 2 et 111 al. 2 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), il sera en outre communiqué au SEM.

 

 


 

PAR CES MOTIFS

LE TRIBUNAL ADMINISTRATIF

DE PREMIÈRE INSTANCE

1.             confirme l’ordre de mise en détention administrative pris par le commissaire de police le 7 octobre 2024 à l’encontre Monsieur A______ pour une durée de quatre mois, soit jusqu'au 6 février 2025 inclus ;

2.             dit que, conformément aux art. 132 LOJ, 10 al. 1 LaLEtr et 65 LPA, le présent jugement est susceptible de faire l'objet d'un recours auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (10 rue de Saint-Léger, case postale 1956, 1211 Genève 1) dans les 10 jours à compter de sa notification. L'acte de recours doit être dûment motivé et contenir, sous peine d'irrecevabilité, la désignation du jugement attaqué et les conclusions du recourant. Il doit être accompagné du présent jugement et des autres pièces dont dispose le recourant.

 

Au nom du Tribunal :

Le président

Olivier BINDSCHEDLER TORNARE

 

Copie conforme de ce jugement est communiquée à Monsieur A______, à son avocat, au commissaire de police et au secrétariat d'État aux migrations.

 

 

 

Genève, le 10 octobre 2024

 

Le greffier