Aller au contenu principal

Décisions | Tribunal administratif de première instance

1 resultats
A/3952/2023

JTAPI/826/2024 du 26.08.2024 ( ICCIFD ) , ADMIS PARTIELLEMENT

REJETE par ATA/402/2025

Normes : LIPP.44A.al1; LIFD.37b.al1
En fait
En droit
Par ces motifs

république et

canton de genève

POUVOIR JUDICIAIRE

A/3952/2023 ICCIFD

JTAPI/826/2024

 

JUGEMENT

DU TRIBUNAL ADMINISTRATIF

DE PREMIÈRE INSTANCE

du 26 août 2024

 

dans la cause

 

Madame A______ et Monsieur B______, représentés par TOUS-MANDATS.CH SARL, avec élection de domicile

contre

ADMINISTRATION FISCALE CANTONALE

ADMINISTRATION FÉDÉRALE DES CONTRIBUTIONS

 


 

EN FAIT

1.             Les époux A______ et B______ ont été domiciliés dans le canton de Genève et assujettis aux impôts de manière illimitée jusqu'au 30 octobre 2020, date à laquelle ils ont quitté la Suisse pour l'Italie.

2.             Né en 1942 et électricien de formation, M. B______ a exercé, tout au long de son assujettissement illimité en Suisse, des activités dans ce domaine, à la fois à titre dépendant et indépendant.

3.             Dans leur déclaration fiscale 2019, les époux ont indiqué un revenu brut de CHF 367'188.-, pour les impôts cantonal et communal (ICC), et de CHF 367'188.-, pour l'impôt fédéral direct (IFD). Ce revenu provenait de l'activité salariée du contribuable (CHF 18’000.-), des rentes AVS du couple (CHF 42’672.-), de leur fortune mobilière (CHF 17’580.-) et de leurs biens immobiliers (CHF 288'936.- pour l'ICC et CHF 302’465.- pour l’IFD). Les immeubles déclarés étaient les suivants :

-          immeuble sis 1______, rue C______ : propriété de M. B______, loyers encaissés CHF 123’143.-, état capitalisé des loyers CHF 3'107'1’10.- ;

-          immeuble sis 2______, route D______ : propriété de M. B______, loyers encaissés CHF 54'000.-, état capitalisé des loyer CHF 724'667.- ;

-          immeuble sis 3______, route D______ : propriété de M. B______, loyers encaissés CHF 31'500.-, état capitalisé des loyers CHF 691'067.- ;

-          immeuble sis 4______, E______ : copropriété des époux, loyers encaissés CHF 60'000.-, état capitalisé des loyers CHF 918'000.- ;

-          immeuble sis 5______, chemin F______ à G______ : copropriété et domicile des époux , valeur locative brute 33'822.- ;

-          terrains situés à H______ (Italie) et I______ (Italie) : propriétés de Mme A______, loyers encaissés CHF 0.-, état capitalisé des loyers CHF 307.- et CHF 577.

M. B______ avait par ailleurs indiqué avoir exercé une activité indépendante d’électricien à raison de 50 %, subi une perte de CHF 1'206.- dans ce cadre et cessé cette activité au 31 décembre 2019. De ce fait, il a requis l’imposition privilégiée au sens des art. 37b de loi fédérale sur l’impôt fédéral direct du 14 décembre 1990 (LIFD - RS 642.11) et 44A de loi sur l'imposition des personnes physiques du 27 septembre 2009 (LIPP - D 3 08). Il a joint les comptes de son activité d’électricien, ainsi que les décomptes établis par une régie pour les immeubles loués. Ces comptes ne faisaient état d’aucune dissolution de réserves latentes.

4.             Les 20 janvier et 15 juin 2020, M. B______ a vendu ses deux immeubles sis 2______ et 3______, route D______, pour le prix de CHF 1'900’000.- chacun.

5.             Le 2 juin 2020, M. B______ a demandé à l’administration fiscale cantonale (ci-après : AFC-GE) de le mettre au bénéfice des art. 37b LIFD et 44A LIPP s’agissant du transfert de sa fortune commerciale à sa fortune privée des deux immeubles précités et de celui sis 1______, rue C______.

La valeur vénale des deux villas sises à J______ s’élevait à CHF 3'800'000.- (CHF 1'900'000.-par villa). Le prix de revient par villa étant de CHF 718’710.-, soit 1'437'420.- pour les deux, la plus-value en résultant se montait à CHF 2'362'580.-. Un cinquième de ce montant, soit CHF 472’516.-, devait être considéré comme réserve au sens des dispositions précitées.

Quant à l’immeuble sis 1______, rue C______, sa valeur vénale s’élevait à CHF 3'107'109.- et son prix de revient à CHF 1'374'867.-. Il en résultait une plus-value du CHF 1'732'242.-, dont un cinquième (CHF 346'448,40) devait être appréhendé sous l’angle des art. 37b LIFD et 44A LIPP.

6.             Par bordereaux du 14 décembre 2020, l'AFC-GE a taxé les contribuables pour les ICC et IFD 2019. Ce faisant, elle a taxé tous leurs immeubles comme faisant partie de leur fortune privée et les loyers en découlant comme produits de la fortune privée. Seule l’activité d’électricien du contribuable était appréhendée comme une activité indépendante.

7.             Le 6 janvier 2021, les contribuables ont formé réclamation contre ces bordereaux, en réitérant leur demande du 2 juin 2020.

8.             Le 24 novembre 2022, l'AFC-GE a indiqué aux contribuables accepter la valeur vénale qu’ils avaient déclarée, le 2 juin 2020, pour les deux villas à J______. En revanche, l’immeuble sis 1______ rue C______ devait être valorisé à CHF 2'870'000.-.

9.             Le 14 février 2023, l'AFC-GE a demandé aux contribuables d’expliquer pour quels motifs ils considéraient que leurs immeubles précités étaient de nature professionnelle et que leurs autres immeubles ne l’étaient pas.

10.         Les 15 mars et 1er mai 2023, les contribuables ont répondu à l'AFC-GE que les trois immeubles visés par leur demande du 2 juin 2020 étaient considérés comme professionnels parce qu’ils les avaient acquis « avec d’autres professionnels de l’immobilier », comme l’indiquaient les actes d’achat y relatifs.

11.         Le 26 juin 2023, l'AFC-GE a informé les contribuables de son intention de rectifier les bordereaux querellés en leur défaveur, en ce sens que les deux villas à J______ et l’immeuble sis 1______, rue C______ seraient considérés comme faisant partie de leur fortune commerciale relative à « une activité de détention d’immeubles » dont le bénéfice serait fixé à CHF 3'857'713.-, en fonction des prix de vente des immeubles. Toutefois, les conditions d’une exploitation n’étant pas remplies en ce qui concernait ces immeubles, ils ne pouvaient pas bénéficier des art. 37b LIFD et 44A LIPP.

12.         Le 15 août 2023, le contribuable a fait valoir avoir toujours été considéré par
l'AFC-GE comme un professionnel de l’immobilier. De plus, il avait cessé toute activité indépendante au 31 décembre 2019 et quitté la Suisse. Ainsi, les conditions d’application des art. 37b LIFD et 44A LIPP étaient données.

13.         Par décisions du 23 octobre 2023, l'AFC-GE a rejeté la réclamation, d’une part, et, d’autre part, rectifié les bordereaux contestés en défaveur des contribuables, comme annoncé dans son courrier précédent.

Le contribuable ne pouvait pas être mis au bénéfice des art. 37b LIFD et 44A LIPP dès lors que son activité dans le domaine de l'immobilier ne remplissait pas les conditions d’une exploitation, en particulier celle que les rendements locatifs soient au moins vingt fois supérieurs aux coût de personnel conforme au marché pour la gérance des immeubles. De plus, l'existence d'une fortune commerciale n'impliquait pas ipso facto la notion d'exploitation.

14.         Par acte du 22 novembre 2023, les contribuables, sous la plume de leur mandataire, ont recouru contre cette décision auprès du Tribunal administratif de première instance (ci-après : le tribunal), concluant implicitement à son annulation, sous suite des frais et dépens, et à ce que le bénéfice de liquidation litigieux soit imposé en 2019 selon les art. 37b LIFD et 44A LIPP.

Même une activité lucrative indépendante minime, sans installation fixe ni personnel, pouvait bénéficier des art. 37b LIFD et 44A LIPP. La notion d'exploitation s’appliquait aux personnes exerçants une activité lucrative indépendante accessoire dans l'immobilier, appelée « quasi-professionnelle », ce qui n’était pas le cas du recourant. Celui-ci était en effet un professionnel de l'immobilier reconnu et toutes les ventes réalisées pendant son activité indépendante avaient été considérées comme faisant partie de son « patrimoine professionnel » et taxées comme telles. Les biens immobiliers vendus faisaient bien partie de son actif immobilier lié à son activité de commerçant d'immeubles et étaient transférés à son patrimoine privé suite à la cessation d'activité. Il était ainsi clairement démontré que son activité remplissait les conditions d'une exploitation et qu’il rentrait dans la catégorie des « véritables » commerçants professionnels d'immeubles.

15.         Dans sa réponse du 15 février 2024, l'AFC-GE a conclu au rejet du recours.

Seul un véritable professionnel d'immeubles pouvait bénéficier de l’imposition privilégiée prévue par les art. 37b LIFD et 44A LIPP. Or, en l’occurrence, le recourant ne pouvait être considéré comme tel dès lors qu’il ne tenait pas de comptabilité en lien avec l'ensemble des biens immobiliers qu'il détenait à titre commercial, qu’il ne disposait d'aucun employé et ne versait donc aucun salaire en lien avec la gestion des immeubles et que les rendements des actifs immobiliers n’étaient pas soumis à l'AVS.

Ses divers immeubles ne formaient pas un actif d'exploitation. En effet, même si la participation au marché devait être retenue et qu'il devait être considéré que la condition du mandat pour la gestion des immeubles serait réalisée, du fait qu’ils étaient gérés par des régies, celle des rendements locatifs égaux ou supérieurs à vingt fois le coût de la gestion des immeubles n’était, dans tous les cas, pas réalisée, dès lors que le rendement locatif minimum annuel n’était pas atteint (CHF 1'300'000.-). En effet, les dix dernières années les rendements locatifs de l'immeuble sis 1______, rue C______ s’étaient élevés entre CHF 67'219.- et CHF 123'143.- et ceux des biens sis à J______ entre CHF 16'000.- et CHF 78'049.-.

De plus, le recourant n’avait pas de lacune dans sa prévoyance professionnelle dès lors qu’il y avait cotisé toutes les années de son assujettissement dans le canton, dans le cadre de ses activités salariées.

16.         Par réplique du 8 mars 2024, respectivement duplique du 15 mars suivant, les parties ont persisté dans leurs conclusions respectives.

EN DROIT

1.             Le tribunal connaît des recours dirigés, comme en l’espèce, contre les décisions sur réclamation de l'AFC-GE (art. 115 al. 2 et 116 al. 1 de la loi sur l’organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 49 de la loi de procédure fiscale du 4 octobre 2001 - LPFisc - D 3 17 ; art. 140 de la loi fédérale sur l’impôt fédéral direct du 14 décembre 1990 - LIFD - RS 642.11).

2.             Interjeté en temps utile et dans les formes prescrites devant la juridiction compétente, le recours est recevable au sens des art. 49 LPFisc et 140 LIFD.

3.             Aux termes des art. 44A al. 1 LIPP et 37b al. 1 LIFD, entrées en vigueur le 1er janvier 2011 et ayant la même teneur, le total des réserves latentes réalisées au cours des deux derniers exercices commerciaux est imposable séparément des autres revenus si le contribuable âgé de 55 ans révolus cesse définitivement d’exercer son activité lucrative indépendante ou s’il est incapable de poursuivre cette activité pour cause d’invalidité. Les rachats de prévoyance (au sens des art. 31 let. b LIPP et 33 al. 1 let. d LIFD), sont déductibles. Si un tel rachat n’est pas effectué, l’impôt est calculé, sur la base du taux représentant le cinquième du barème inscrit aux art. 41 LIPP et 36 LIFD, sur la part des réserves latentes réalisées correspondant au montant dont le contribuable prouve l’admissibilité comme rachat au sens des art. 31 let. b LIPP et 33 al. 1 let. d LIFD. Sur le solde des réserves latentes réalisées, seul un cinquième de ce montant est déterminant pour la fixation du taux applicable.

Ces dispositions exposent le mécanisme d'imposition séparée des réserves latentes réalisées. Il s'agit en substance de distinguer entre la part de ces réserves comblant une lacune de prévoyance (rachat fictif), destinée à être imposée aux taux applicables aux prestations en capital de la prévoyance, et le solde de ces réserves, qui doit être imposé de manière séparée au taux prévu par l'art. 37b LIFD pour l'impôt fédéral direct et à celui fixé par les cantons au niveau de l'impôt cantonal, dans les limites de l'art. 11 al. 5 LHID (cf. arrêt du Tribunal fédéral 2C_1015/2015 du 8 décembre 2016 consid. 5.1 et les références citées).

Par ailleurs, l'interprétation littérale de ces dispositions permet d'emblée de retenir que seuls les revenus découlant de la réalisation de réserves latentes sont concernés par l'imposition séparée en cas de cessation de l'activité indépendante. Il s'ensuit qu'a contrario, les autres revenus de l'indépendant, et en particulier les revenus ordinaires de l'activité, ne peuvent pas bénéficier de l'allègement, et ce quand bien même leur réalisation interviendrait au cours de la liquidation de l'entreprise. Ainsi, le seul fait de réaliser un revenu au moment de la liquidation de son entreprise ne suffit pas pour que ce revenu bénéficie de l'imposition privilégiée. En outre, ces dispositions ne peuvent avoir pour effet de laisser un contribuable différer à sa guise le moment de réalisation d'un revenu en créant artificiellement des réserves latentes (cf. arrêt du Tribunal fédéral 2C_1015/2015 précité consid. 5.5, 5.7.2 et les réf.).

Le Tribunal fédéral a rappelé que l'imposition privilégiée du bénéfice de liquidation était introduite dans le but d'alléger l'imposition des bénéfices réalisés sur les réserves latentes en cas de fin d'activité indépendante. La cessation d'une activité indépendante a en effet pour conséquence la liquidation de tous les actifs et passifs de l'entreprise, ce qui entraîne la réalisation et partant l'imposition de toutes les réserves latentes. Or, le fait de les imposer avec les autres revenus a été jugé pénalisant pour l'indépendant en raison de la progressivité des taux d’impôt. Un allègement de l'imposition en cas de fin d'activité a aussi été voulu afin de pallier l'absence de prévoyance professionnelle, l'indépendant n'étant pas, contrairement au salarié, obligatoirement affilié à une institution de prévoyance (cf. arrêt du Tribunal fédéral 2C_1015/2015 du 8 décembre 2016 consid. 5.2 et les références citées, dont le Message du Conseil fédéral in FF 2005, 4559 s. ch. 4.5.1).

Le Tribunal fédéral a par ailleurs jugé qu’il n'y avait pas d'activité lucrative indépendante, respectivement commerce professionnel d’immeubles, lorsque le contribuable se contente de gérer sa propre fortune, en particulier en louant ses propres immeubles. Le fait que sa fortune soit importante, qu’elle soit gérée de manière professionnelle et qu’une comptabilité commerciale soit tenue n’y change rien (arrêt 2C_643/2021 du 13 octobre 2022 consid. 2.3).

4.             La doctrine a précisé que les contribuables dont l'activité dépasse la simple gestion de la fortune privée et qui sont donc considérés comme exerçant une activité lucrative indépendante accessoire (décrits comme des « quasi-professionnels ») ne devraient pas bénéficier de la liquidation facilitée puisqu’ils ne disposent pas d’une exploitation. En effet, une des idées sous-jacentes de l'art 37b LIFD était d'assurer au contribuable indépendant une égalité de traitement avec le contribuable salarié sur le plan de la prévoyance professionnelle, les réserves latentes d'une exploitation commerciale constituant souvent la réserve de prévoyance de l'indépendant. Or, s'agissant du quasi-commerçant sans exploitation, le but de prévoyance est rempli dans le cadre de l'exercice de son activité principale. Le professionnel accessoire ne dispose pas d'une fortune commerciale à proprement parler, puisqu'il ne tient pas de comptabilité, ne procède pas à des amortissements et que les rendements de ses actifs ne sont pas soumis à l'AVS, comme le seraient des revenus de la fortune commerciale. La délimitation entre le commerçant professionnel et quasi-professionnel sera donc très importante pour l'octroi du bénéfice allégé. Il est donc nécessaire, pour bénéficier de l’imposition allégée du bénéfice de liquidation, que le contribuable démontre que son activité remplit au moins les conditions d’une exploitation et que, par conséquent, il n’est pas un contribuable accessoirement professionnel, mais peut entrer dans la catégorie des « véritables » commerçants professionnels. Ce sera en particulier le cas du commerçant accessoire en immeubles, lequel devra démontrer les conditions cumulatives posées par la circulaire n° 5 de l'AFC-CH du 1er juin 2004 (ci-après : la circulaire n° 5) à la reconnaissance d’une exploitation, à savoir : (i) qu’il y a une participation au marché, (ii) l’entreprise occupe ou mandate au moins une personne pour la gérance des immeubles et (iii) les rendements locatifs sont au moins vingt fois supérieurs au coût du personnel conforme au marché pour la gérance des immeubles (Raphael GIANI, Commentaire de la loi sur l'impôt fédéral direct, 2017, ad art. 37b LIFD n. 7 p. 858).

5.             La circulaire n° 5 (version du 1er février 2022 ; ch. 3.2.2.3) indique qu’une exploitation n’est reconnue que si les exigences suivantes sont cumulativement remplies :

-          l’entreprise effectue des prestations sur le marché ou à des entreprises apparentées ;

-          l’entreprise dispose de personnel ;

-          le coût du personnel est, par rapport aux recettes, conforme à l’usage.

Elle indique par ailleurs que la notion d’exploitation est plus restrictive que celle d’activité lucrative indépendante. L’exercice d’une activité lucrative indépendante au sens de l’art. 18 LIFD ne correspond pas forcément à une exploitation. Ainsi, une gestion immobilière professionnelle est indispensable pour que la seule administration à titre commercial de propres immeubles puisse être qualifiée d’exploitation (cf. ATF 142 II 283, consid. 3.4.1). Ainsi, une gestion immobilière professionnelle constitue une exploitation dans la mesure où les exigences suivantes sont cumulativement remplies :

-          il y a une participation au marché ou des immeubles d’exploitation sont loués à des sociétés du groupe ;

-          l’entreprise occupe ou mandate au moins une personne pour la gérance des immeubles (un emploi à plein temps pour des travaux de gestion immobilière) ;

-          les rendements locatifs sont au moins 20 fois supérieurs au coût du personnel conforme au marché pour la gérance des immeubles.

6.             Dans un arrêt récent (2C_608/2022 du 13 novembre 2023), rendu dans le contexte de l'examen de la neutralité fiscale du transfert du portefeuille immobilier d'une entreprise de personnes à une société anonyme, le Tribunal fédéral a examiné si les divers immeubles formaient ou non un actif d'exploitation. Il a rappelé que, par actif d'exploitation dans le cadre d'une restructuration en neutralité fiscale, il fallait entendre un complexe organisationnel technique patrimonial, qui présentait une certaine autonomie, en tant qu'unité, dans l'activité de l'entreprise. L'exploitation réunissait capital et travail en vue de réaliser un gain, mais le travail ne se limitait pas à la création de plus-values ou à la captation de revenus. L'actif d'exploitation reposait sur une substance patrimoniale orientée vers la performance. La gestion de son propre immeuble ne pouvait qu'exceptionnellement caractériser l'exploitation d'un actif dans le cadre d'une restructuration fiscalement neutre. Une telle exploitation devait en effet dépasser le cadre de la simple administration de la fortune immobilière et réunir les trois conditions posées au ch. 3.2.2.3 de la circulaire n° 5. Dans ce cas d’espèce, le Tribunal fédéral est arrivé à la conclusion que tel était le cas dès lors que le recourant, qui avait constitué son parc immobilier bien des années auparavant, réalisait un rendement locatif très élevé de plus de 2 millions de francs nets/an et que ses frais administratifs dépassaient ce qui aurait été la charge salariale d'une personne employée à temps plein.

Dans un arrêt antérieur (2C_674/2018 du 18 décembre 2018), le Tribunal fédéral avait relevé que, s'agissant du commerce de biens immobiliers, il n'était pas possible d'admettre systématiquement l'existence d’une exploitation pour chaque activité indépendante relative à un tel commerce et qu'il fallait examiner dans chaque cas d'espèce si les conditions étaient remplies.

7.             A teneur de la circulaire n° 28 de l'AFC-CH (intitulée "Imposition des bénéfices de liquidation en cas de cessation définitive de l’activité lucrative indépendante";
ci-après: la circulaire n° 28), l’imposition selon l’art. 37b LIFD ne s’applique, d’après le texte de la loi, que lorsque l’indépendant met définitivement fin à son activité lucrative. Une activité lucrative indépendante minime sans installation fixe ni personnel devrait cependant être possible désormais même en cas d’application de l’art. 37b LIFD, dans la mesure où le revenu net annuel probable tiré de cette activité n’est pas supérieur à la limite inférieure (CHF 22'050.-) fixée à l’art. 2 al. 1 de la loi fédérale sur la prévoyance professionnelle vieillesse, survivants et invalidité du 25 juin 1982 (LPP - RS 831.40) (ch. 2.1 de la circulaire n° 28).

Toujours d'après la circulaire n° 28 (ch. 3), le bénéfice de liquidation est égal à la somme des réserves latentes réalisées au cours des deux derniers exercices. L’année de la liquidation est définie comme l’exercice au cours duquel la dernière opération de la liquidation est effectuée. Le moment de la clôture de la liquidation doit être déterminé de cas en cas, comme c’est déjà le cas selon le droit en vigueur. En règle générale, une liquidation est terminée lorsque la dernière opération d’encaissement est entreprise. Étant donné qu’il peut s’agir en l’occurrence de montants marginaux, d’autres circonstances doivent cependant aussi être considérées comme la clôture de la liquidation, par exemple si l’activité d’achat et de vente est interrompue et/ou si les contrats de travail avec les employés sont résiliés.

8.             Une imposition séparée des réserves latentes au sens de l'art. 37b al. 1 LIFD suppose un lien de causalité suffisant entre la réalisation des réserves latentes et la liquidation de l'activité indépendante, en ce sens que la première doit être la conséquence immédiate de la seconde. Par conséquent, si ce n'est pas la liquidation (à elle seule) qui a mené à la réalisation des réserves latentes, il convient de soumettre ces dernières à l'imposition ordinaire (arrêt du Tribunal fédéral 9C_680/2022 du 24 avril 2024 destiné à la publication).

Les opérations ou les comptabilisations axées uniquement sur l’imposition privilégiée qui violent des prescriptions de droit commercial ou s’opposent à l’application correcte du principe de périodicité ne doivent pas être classées dans les « bénéfices de liquidation ». Ces déclarations ne sont pas liées à la liquidation, mais uniquement à des dispositions comptables du contribuable axées sur l’imposition privilégiée et font partie des revenus ordinaires imposables de l’activité commerciale courante. Il s’agit notamment d’activations omises au cours des années précédentes en violation du droit commercial, par exemple des travaux entamés ou des provisions non admises fiscalement (Ivo P. BAUMGARTNER in Martin ZWEIFEL, Michael BEUSCH, Bundesgesetz über die direkte Bundessteuer, 4ème éd., 2022, art. 37b n. 13 f. p. 925-926).

9.             Il convient enfin de rappeler que les impôts sur le revenu et la fortune des personnes physiques sont fixés et prélevés pour chaque période fiscale. La période fiscale correspond à l'année civile. Le revenu imposable se détermine d'après les revenus acquis pendant la période fiscale (art. 40 et 41 al. 1 LIFD ; art. 61 et 62 al. 1 LIPP).

A l’instar du revenu imposable et conformément aux principes de l'étanchéité des exercices et de la périodicité de l’impôt, qui s'appliquent de manière générale aux cantons (cf. ATF 137 II 353 consid. 6.1), chaque exercice est considéré comme un tout autonome, sans que le résultat d’un exercice puisse avoir une influence sur les suivants. Le contribuable ne saurait choisir l’année fiscale au cours de laquelle il fait valoir les déductions autorisées. Chaque recette doit être attribuée à l’exercice durant lequel est née l’obligation ou la prétention juridique (ATA/534/2018 du 29 mai 2018 consid. 7a; ATA/234/2015 du 3 mars 2015 ; ATA/14/2015 du 6 janvier 2015). Plus généralement, les deux principes précités impliquent que tous les revenus effectivement réalisés durant la période fiscale en cause sont déterminants pour la taxation de cette période (arrêt du Tribunal fédéral 2C_87/2015 du 23 octobre 2015 consid. 8.1.2 et les références citées).

Le revenu n'est imposable que s'il est réalisé. Cette condition essentielle constitue le fait générateur de l'imposition du revenu. Le principe de réalisation n'est pas explicite dans le texte légal. Il découle de son interprétation par la jurisprudence. La réalisation détermine en effet le point d'entrée de l'avantage économique dans la sphère fiscale du contribuable. Tant que l'avantage économique n'est pas réalisé, il demeure une expectative non - encore - imposable (arrêt du Tribunal fédéral 2C_1035/2020 du 12 novembre 2021 consid. 5.1 et les arrêts cités). Le moment de la réalisation du revenu ne saurait dépendre de la seule volonté du contribuable ; si tel était le cas, le contribuable pourrait déterminer lui-même, en fonction de ses convenances personnelles, à quel moment ce revenu est imposable (arrêt du Tribunal fédéral 2C_424/2021 du 19 décembre 2021 consid. 4 et références citées).

10.         En l’espèce, le recourant prétend avoir exploité trois immeubles à titre commercial et ce depuis plusieurs années. Or, si tel était le cas, l’on ne saurait admettre qu’il a liquidé cette activité au 31 décembre 2019, puisque c’est en 2020 qu’il a vendu deux de ces immeubles, étant précisé que le revenu en étant découlé cette année-là dépassait largement la limite fixée par l’art. 2 al. 1 LPP (CHF 22'050.-) et qu’il ne saurait donc être question d’une « activité lucrative minime ». Force est ainsi d’admettre que la liquidation de son activité n’a eu lieu qu’en 2020. Le seul fait qu’il aurait cessé d’exploiter, à titre commercial, l’un de ses trois immeubles au 31 décembre 2019 est insuffisant pour admettre que la liquidation de son activité est intervenue lors de cette année. En conséquence, les recourants ne peuvent pas se prévaloir de l’imposition privilégiée, au sens des art. 44A al. 1 LIPP et 37b al. 1 LIFD, dans le cadre de leur taxation pour l’année 2019, comme requis le 2 juin 2020, les réserves en cause ayant été réalisées en 2020 et devant par conséquent être appréhendées dans le cadre de la taxation pour cette période-là. Leur conclusion principale est ainsi écartée.

Pour ces mêmes motifs, l’autorité intimée aurait dû rejeter la réclamation des recourants et confirmer les bordereaux initiaux du 14 décembre 2020, étant rappelé qu’ils tenaient compte, à juste titre, des loyers provenant de la location, en 2019, des immeubles en question et que le bénéfice de la vente de ces derniers n’a été réalisé qu’en 2020, de sorte qu’il ne peut être imposé dans le cadre de la taxation 2019.

Il en résulte que les bordereaux rectificatifs du 23 octobre 2023 doivent être annulés et ceux du 14 décembre 2020 rétablis.

11.         A vu de ce qui précède, le recours sera admis (très) partiellement, en ce sens que les décisions sur réclamation et les bordereaux y relatifs du 23 octobre 2023 seront annulés, par substitution de motifs. En revanche, les recourants succombent pour ce qui est de leur conclusion principale tendant à ce que le bénéfice de liquidation litigieux soit imposé en 2019 selon les art. 37b LIFD et 44A LIPP.

12.         En application des art. 144 al. 1 LIFD, 52 al. 1 LPFisc, 87 al. 1 de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 (LPA - E 5 10) et 1 et 2 du règlement sur les frais, émoluments et indemnités en procédure administrative du 30 juillet 1986 (RFPA - E 5 10.03), les recourants, pris conjointement et solidairement, qui succombent dans une très large mesure, sont condamnés au paiement d’un émolument s’élevant à CHF 700.- ; il est couvert par l’avance de frais versée à la suite du dépôt du recours.

13.         Vu l’issue du litige, aucune indemnité de procédure ne sera allouée (art. 87 al. 2 LPA).


PAR CES MOTIFS

LE TRIBUNAL ADMINISTRATIF

DE PREMIÈRE INSTANCE

1.             déclare recevable le recours interjeté le 22 novembre 2023 par Madame A______ et Monsieur B______ contre les décisions sur réclamation de l'administration fiscale cantonale du 21 octobre 2023 ;

2.             l’admet partiellement, dans le sens des considérants ;

3.             annule lesdites décisions et les bordereaux rectificatifs du 21 octobre 2023 ;

4.             rétablit les bordereaux ICC et IFD du 14 décembre 2020 ;

5.             met à la charge des recourants, pris conjointement et solidairement, un émolument de CHF 700.-, lequel est couvert par l'avance de frais ;

6.             dit qu’il n’est pas alloué d’indemnité de procédure ;

7.             dit que, conformément aux art. 132 LOJ, 62 al. 1 let. a et 65 LPA, le présent jugement est susceptible de faire l'objet d'un recours auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (10 rue de Saint-Léger, case postale 1956, 1211 Genève 1) dans les 30 jours à compter de sa notification. L'acte de recours doit être dûment motivé et contenir, sous peine d'irrecevabilité, la désignation du jugement attaqué et les conclusions du recourant. Il doit être accompagné du présent jugement et des autres pièces dont dispose le recourant.

Siégeant: Marielle TONOSSI, présidente, Giedre LIDEIKYTE HUBER et Yuri KUDRYAVTSEV, juges assesseurs.

Au nom du Tribunal :

La présidente

Marielle TONOSSI

 

Copie conforme de ce jugement est communiquée aux parties.

Genève, le

 

Le greffier