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Décisions | Tribunal administratif de première instance

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A/3010/2023

JTAPI/206/2024 du 08.03.2024 ( OCPM ) , REJETE

Descripteurs : AUTORISATION DE SÉJOUR;ABSENCE D'ACTIVITÉ LUCRATIVE;REGROUPEMENT FAMILIAL
Normes : LEI.28.al1.letc
En fait
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

A/3010/2023

JTAPI/206/2024

 

JUGEMENT

DU TRIBUNAL ADMINISTRATIF

DE PREMIÈRE INSTANCE

du 8 mars 2024

 

dans la cause

 

Madame A______ et Monsieur B______

 

contre

OFFICE CANTONAL DE LA POPULATION ET DES MIGRATIONS

 


EN FAIT

1.             Madame A______ (ci-après : Mme A______), née le ______ 1964, et son époux, Monsieur C______, né le ______ 1962, sont ressortissants de Russie.

2.             Le couple a trois enfants : D______, née le ______ 1991, E______ (date de naissance inconnue) et B______, né le ______ 2004.

3.             D______ a résidé dans le canton de Vaud dès 2008 (au sein du Collège F______ à G______), puis à Genève, dès 2011, au bénéfice d’un permis de séjour pour études. Elle a été naturalisée le 25 septembre 2018.

4.             En date du 8 mars 2021, Mme A______ a déposé auprès de l’office cantonal de la population et des migrations (ci‑après : OCPM) une demande d’autorisation de séjour pour rentiers au sens de l’art. 28 de la loi fédérale sur les étrangers et l'intégration du 16 décembre 2005 (LEI - RS 142.20) ainsi qu’une demande d’autorisation de séjour en faveur de son fils B______, alors âgé de dix-sept ans, au titre de regroupement familial.

Désormais à la retraite, elle souhaitait s’établir à Genève, avec son fils, auprès de sa fille D______ dans l’appartement genevois de cette dernière. Elle restait propriétaire d’un salon de coiffure au sein duquel elle avait investi une partie de ses revenus mais son activité se limitait à la gestion de sa fortune personnelle. Quant à son époux, il n’était pas concerné par cette demande dans la mesure où il était encore très actif professionnellement en Russie et n’avait pas l’intention de mettre un terme à sa carrière.

5.             Par courriel du 30 septembre 2021, l’OCPM a demandé à l’intéressée de lui faire parvenir les justificatifs de ses moyens financiers (relevés de comptes bancaires).

6.             Par courriel du 2 novembre 2021, Mme A______ a envoyé à l’OCPM des relevés de comptes bancaires russes pour les mois de juillet à octobre 2021.

7.             Par courriel du 12 novembre 2021, l’OCPM a encore invité Mme A______ à déposer une demande de visa auprès de l’Ambassade suisse dont dépendait son lieu de résidence, ainsi qu’un accord notarié du père d’B______ quant à sa venue en Suisse, avec traduction française.

8.             Par courrier du 22 janvier 2022 adressé à l’OCPM, M. C______ a donné son consentement à ce que son épouse sollicite une demande d’autorisation de séjour en Suisse en faveur de leur fils.

9.             Le 10 février 2022, Mme A______ a déposé une demande de visa pour long séjour (visa D) auprès de l’Ambassade de Suisse à Moscou (Russie) ayant comme but un regroupement familial avec sa fille D______, domiciliée ______[GE].

Une demande identique a été déposée le même jour pour son fils.

10.         Par courrier du 11 mars 2022, l’OCPM a fait part à Mme A______ de son intention de ne pas donner une suite favorable à sa demande d’autorisation d’entrée et de séjour en Suisse, au motif que la condition légale des moyens financiers suffisants au sens de l’art. 25 al. 4 de l’ordonnance relative à l'admission, au séjour et à l'exercice d'une activité lucrative du 24 octobre 2007 (OASA - RS 142.201) n’était pas remplie et que le risque d’une dépendance future à l’assistance publique ne pouvait être exclu. Un délai de trente jours lui a été imparti pour exercer par écrit son droit d’être entendu.

11.         Par courrier du 31 mars 2022, sous la plume de son conseil, Mme A______ a expliqué que, bien que n’exerçant à ce jour plus aucune activité lucrative, elle était détentrice de fonds d’actions d’une valeur, en mai 2020, de RUB 10'947'155,30. Elle était par ailleurs au bénéfice d’attestations bancaires pour des montants de RUB  1'124'348,11 et de RUB 2'752'732,34. Par transferts du 17 juin 2021,
RUB 19'900’000.- s’étaient en outre ajoutés à ses actifs et, par acte du 11 octobre 2017, elle avait vendu un de ses biens immobiliers pour un montant de RUB 17'700'000.- . L’ensemble des sommes évoquées correspondait à un total de RUB 64'495'738.16, soit environ CHF 609'543.-.

A l’appui de ses écritures, elle a fourni plusieurs pièces, notamment des extraits de comptes bancaires du 23 mars 2022 auprès de la H______ à I______ (Russie) faisant état d’un solde de RUB 11'132'812.37 et RUB 2'703’644,84 équivalent à un total d’environ CHF  181'000.- (taux du jour), des attestations traduites et légalisées par acte notarié relativement à ses fonds d’actions et un acte de vente d’un local non résidentiel, enregistré le 30 octobre 2017, dûment traduit et légalisé par acte notarié, pour un montant de RUB 17'700'000.-.

12.         En date du 6 avril 2022, elle a encore fait parvenir à l’OCPM la réactualisation de ses justificatifs financiers, qui totalisaient un montant de RUB 59'796'625,33 correspondant à près de CHF 670'188.-.

13.         Par nouveau courrier du 3 février 2023, l’OCPM a fait part à Mme A______ de son intention de refuser d’accéder à sa demande, au motif qu’elle n’avait pas démontré avoir des liens personnels particuliers avec la Suisse au sens de l’art. 28 let. b LEI.

Quand bien même elle disposait des moyens financiers pour vivre en Suisse, elle n’avait pas démontré qu’elle avait tissé des attaches propres avec la Suisse et le peu de liens qu’elle y avait développés étaient liés à la présence de sa fille sur le territoire helvétique.

Un délai de trente jours lui a été imparti pour exercer par écrit son droit d’être entendu.

14.         Par écritures du 9 mars 2023, sous la plume de son conseil, Mme A______ a indiqué à l’OCPM qu’elle venait en Suisse depuis 2011, à intervalles réguliers mais pour de courtes périodes, afin de rendre visite à sa fille. Elle s’y était construit un cercle d’amis et prenait des cours de chant depuis plusieurs années. Elle entretenait dès lors des contacts directs avec la communauté locale.

15.         Par décision du 14 juillet 2023, l’OCPM a refusé de donner une suite favorable à la demande d’autorisation d’entrée et de séjour pour rentiers de Mme A______. La demande de regroupement familial en faveur de son fils devenait dès lors sans objet.

L’intéressée était venue en Suisse régulièrement, depuis 2011 pour voir sa fille, dans le cadre de visites familiales ne dépassant pas nonante jours par année. Elle avait en outre vécu toute sa vie en Russie où elle restait propriétaire d’un salon de coiffure. Son époux poursuivait par ailleurs une activité professionnelle intense à J______. Elle disposait donc de liens importants avec son pays d'origine, liens qui apparaissaient plus forts que ceux qu'elle avait avec la Suisse où elle n'avait effectué que de courts séjours dans le cadre de visites familiales. Son cercle d'amis construit en Suisse, selon ses déclarations, et sa participation à un cours de chant en virtuel dispensé par un professeur à Genève n’étaient pas suffisants pour démontrer qu'elle entretenait des liens personnels particuliers avec la Suisse, en dehors de la présence de sa fille.

La condition des liens personnels particuliers avec la Suisse n’étant pas réalisée (art. 28 al. 1 let. b LEI cum art. 25 al. 2 OASA), la question de savoir si le fait d’être propriétaire d'un salon de coiffure, dans lequel l’intéressée avait investi une partie de ses revenus, devait être est considéré comme l'exercice d'une activité lucrative ou de la gestion de sa fortune personnelle, pouvait rester ouverte.

16.         Par acte du 14 septembre 2023, sous la plume de leur conseil, Mme A______ et son fils, B______, désormais majeur, ont interjeté recours contre cette décision auprès du Tribunal administratif de première instance (ci‑après : le tribunal), concluant principalement, sous suite de frais et dépens, à son annulation, et au renvoi de la cause à l’autorité intimée pour nouvel examen, sous réserve de l’approbation du secrétariat d'État aux migrations (ci-après : SEM).

Désormais à la retraite, elle était propriétaire d’un salon de coiffure, au sein duquel elle avait investi une partie de ses revenus. Son activité se limitait à la gestion de sa fortune personnelle et elle était considérée comme « pensionnaire » dans son pays. Son époux, en revanche, poursuivait une activité professionnelle intense en Russie et ne projetait pas de mettre un terme à sa carrière.

Bien qu’elle ait exercé par le passé une activité lucrative en Russie, elle avait réussi à tisser en Suisse un réseau personnel et social dense, au fur et à mesure de ses nombreuses visites dans ce pays, dont la première datait de 1991, soit bien avant que sa fille aînée ne s’y installe. Elle avait désormais le souhait de poursuivre sa vie de retraitée en Suisse et de s’y établir, avec son fils, auprès de sa fille qui vivait sur le territoire depuis une quinzaine année. Elle s’était en outre construit un cercle d’amis proches à Genève. En particulier, elle prenait des cours de chants auprès de Monsieur K______ depuis plusieurs années, lequel était devenu un ami. Elle attendait cependant d’être définitivement installée à Genève pour développer cette passion personnelle. Elle s’était également liée d’amitié avec Monsieur L______ qu’elle avait rencontré quand sa fille étudiait au collège F______ (VD), entre 2008 à 2011.

Au fil des années, elle avait en outre développé un réel et profond intérêt pour la Suisse, notamment pour ses monuments, institutions et paysages. De plus, compte tenu de son âge, de sa situation financière et de sa carrière passée, elle n’entendait nullement exercer une quelconque activité lucrative sur le territoire helvétique.

Enfin, elle bénéficiait de ressources financières suffisantes pour subvenir à ses besoins et à ceux de son fils. A cet égard, elle était détentrice d’une fortune personnelle confortable, dont un portefeuille d’investissements présentant au 23 mars 2022 un montant total de CHF  177’967,78 (valeur au 13 septembre 2023). De plus, elle était titulaire de deux comptes courants faisant état d’un solde au 23 mars 2022, d’environ CHF 128'398.-. Par acte du 11 octobre 2017, elle avait par ailleurs aliéné un de ses biens immobiliers pour un montant d’environ CHF 164'000.-. Elle ne faisait en outre l’objet d’aucune poursuites et son casier judiciaire était vierge. Au vu de ces éléments, elle disposait sans conteste des moyens financiers suffisants pour ne pas risquer de devoir recourir à l’aide sociale.

Son fils l’avait accompagnée lors de ses séjours en Suisse et avait pu profiter non seulement de voir sa sœur mais aussi de découvrir le patrimoine culturel et l’environnement géographique helvétiques. Il avait en outre fréquenté un camp d’été à M______ durant deux semaines et avait pu se perfectionner avec la langue française, qu’il connaissait déjà grâce aux cours particuliers qu’il suivait en Russie. Il y avait également rencontré d’autres étudiants avec lesquels il avait gardé contact par le bais des technologies modernes.

L’autorité intimée avait ainsi procédé à une appréciation inexacte des faits pertinents en lui reprochant de ne pas avoir démontré l’existence d’un réseau social propre à la rattacher étroitement à la Suisse.

Enfin, les deux intentions de refus prononcées par l’OCPM, à une année d’intervalle, pour des motifs distincts (d’abord le manque de moyens financiers puis l’absence d’attaches indépendantes de la présence de ses proches en Suisse) - qui auraient dû être analysés conjointement - lui laissaient « un sentiment amer d’une injuste appréciation de son cas personnel », contraire aux règles de la bonne foi et arbitraire, au sens des art. 9 in fine et art. 5 al. 3 de Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101).

A l’appui de son recours, elle a produit un chargé de plusieurs pièces, dont son curriculum vitae ; des copies de son passeport et de celui de son fils ; des photographies prises avec son époux en Suisse ; une copie de son casier judiciaire vierge ; une attestation de M. K______, professeur de chant de sa fille D______, indiquant qu’il avait également eu l’occasion de lui donner quelques cours par « What’s app » ou en vidéoconférence, et qu’il serait plus facile qu’elle puisse suivre des cours en présentiel ; une lettre de soutien du 3 mars 2023 de M. L______, domicilié à N______, indiquant qu’il était un ami de la famille et de sa fille D______, et qu’ils se connaissaient depuis que cette dernière avait étudié au Collège F______.

17.         Dans ses observations du 17 novembre 2021, l’OCPM a conclu au rejet du recours, les arguments invoqués n’étant pas de nature à modifier sa position.

En particulier, les attaches avec la Suisse de la recourante résultaient uniquement des visites qu’elle rendait régulièrement à sa fille et de la présence de cette dernière sur le territoire. De plus, son époux, lien important, résidait en Russie et, à teneur du dossier, il n’avait nullement l’intention de quitter son pays. Dans ces conditions, la décision entreprise devait être confirmée.

18.         Par courrier du 5 décembre 2023, le conseil de la recourante a informé le tribunal qu’il cessait d’occuper, avec effet immédiat.

19.         Par courrier du même jour, D______ a indiqué au tribunal qu’elle s’occuperait désormais elle-même des questions concernant le séjour de sa famille. Elle sollicitait dès lors une prolongation de délai de dix jours pour répliquer.

20.         Le 13 décembre 2023, dans le délai prolongé pour sa réplique, sous la plume de sa fille D______, la recourante a fait valoir qu’elle venait déjà en Suisse avant que sa fille ne s’y installe, qu’elle parlait bien le français, fréquentait O______ de Genève et y pratiquait le pilates avec Madame P______, sa professeure, qui était devenue son amie. De même, son fils s’était fait un ami en Suisse, Q______, avec lequel il allait faire des randonnées en montagne. Enfin, sa fille était la marraine de la fille de Monsieur R______, ressortissant suisse, et ils communiquaient « en famille ».

A l’appui de ses écritures, elle a produit des lettres de soutien de M. R______, de O______ de Genève, de Mme P______ et de M. Q ______, ainsi qu’une copie d’un résultat de test de français (pièce rédigée en russe, non traduite).

21.         Par duplique du 8 janvier 2024, l’autorité intimée a fait valoir que les éléments invoqués dans la réplique et les lettres de soutien produites par la recourante n’étaient pas de nature à modifier sa position.

EN DROIT

1.             Le Tribunal administratif de première instance connaît des recours dirigés, comme en l’espèce, contre les décisions de l'office cantonal de la population et des migrations relatives au statut d'étrangers dans le canton de Genève (art. 115 al. 1 et 116 al. 1 de la loi sur l’organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 3 al. 1 de la loi d'application de la loi fédérale sur les étrangers du 16 juin 1988 - LaLEtr - F 2 10).

2.             Interjeté en temps utile et dans les formes prescrites devant la juridiction compétente, le recours est recevable au sens des art. 60 et 62 à 65 de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 (LPA - E 5 10).

3.             Selon l’art. 61 al. 1 LPA, le recours peut être formé pour violation du droit, y compris l’excès et l’abus du pouvoir d’appréciation (let. a), ou pour constatation inexacte ou incomplète des faits pertinents (let. b). En revanche, les juridictions administratives n’ont pas compétence pour apprécier l’opportunité de la décision attaquée, sauf exception prévue par la loi (art. 61 al. 2 LPA), non réalisée en l’espèce.

4.             Il y a en particulier abus du pouvoir d'appréciation lorsque l'autorité se fonde sur des considérations qui manquent de pertinence et sont étrangères au but visé par les dispositions légales applicables, ou lorsqu'elle viole des principes généraux du droit tels que l'interdiction de l'arbitraire et de l'inégalité de traitement, le principe de la bonne foi et le principe de la proportionnalité (ATF 143 III 140 consid. 4.1.3 ; 140 I 257 consid. 6.3.1 ; 137 V 71 consid. 5.1 ; arrêt du Tribunal fédéral 8C_763/2017 du 30 octobre 2018 consid. 4.2 ; Thierry TANQUEREL, Manuel de droit administratif, 2018, n. 515 p. 179).

5.             Saisi d’un recours, le tribunal applique le droit d’office. Il ne peut pas aller au-delà des conclusions des parties, mais n’est lié ni par les motifs invoqués par celles-ci (art. 69 al. 1 LPA), ni par leur argumentation juridique (cf. ATA/386/2018 du 24 avril 2018 consid. 1b ; ATA/117/2016 du 9 février 2016 consid. 2 ; ATA/723/2015 du 14 juillet 2015 consid. 4a).

6.             La décision attaquée refuse en premier lieu de délivrer un permis de séjour pour rentiers en faveur de la recourante.

7.             À teneur de l'art. 28 LEI, un étranger qui n'exerce plus d'activité lucrative peut être admis aux conditions suivantes : a. il a l'âge minimum fixé par le Conseil fédéral ; b. il a des liens personnels particuliers avec la Suisse ; c. il dispose des moyens financiers nécessaires.

8.             Selon l'art. 25 al. 1 OASA, l'âge minimum pour l'admission des rentiers est de 55 ans.

A teneur de l'al. 2 de cette disposition, les rentiers ont des attaches personnelles particulières avec la Suisse notamment : a. lorsqu'ils peuvent prouver qu'ils ont effectué dans le passé des séjours assez longs en Suisse, notamment dans le cadre de vacances, d'une formation ou d'une activité lucrative ; b. lorsqu'ils ont des relations étroites avec des parents proches en Suisse (parents, enfants, petits-enfants ou frères et sœurs).

9.             Les conditions de l'art. 28 LEI étant cumulatives, une autorisation de séjour pour rentier ne saurait être délivrée que si l'étranger satisfait à chacune d'elles. Cette disposition reprend la réglementation de l'art. 34 de l'ordonnance du 6 octobre 1986 limitant le nombre des étrangers (OLE, RO 1986 1791 [cf. le Message du Conseil fédéral du 8 mars 2002 concernant la loi sur les étrangers, FF 2002 3542-3543, ad art. 28 du projet de loi ; Marc SPESCHA, in : SPESCHA et al., Migrationsrecht, Kommentar, 4e éd., Zurich 2015, p. 108 n. 1 ad art. 28 LEtr]).

10.         Par ailleurs, il convient de rappeler que, même dans l'hypothèse où toutes les conditions prévues à l'art. 28 LEI (disposition rédigée en la forme potestative ou « Kann-Vorschrift ») seraient réunies, l'étranger n'a pas un droit à la délivrance (respectivement à la prolongation) d'une autorisation de séjour, à moins qu'il ne puisse se prévaloir d'une disposition particulière du droit fédéral ou d'un traité lui conférant un tel droit (cf. ATF 135 II 1 consid. 1.1 ; 131 II 339 consid. 1 et les références citées).

11.         S'agissant de la notion de liens personnels particuliers avec la Suisse, au sens de l'art. 28 let. b LEI et de l'art. 25 al. 2 let. a et b OASA, le Tribunal administratif fédéral a jugé de manière constante que la simple présence de proches sur le territoire suisse n'était pas en soi de nature à créer des attaches suffisamment étroites avec ce pays sans que n'existent en outre des relations d'une autre nature avec la Suisse. En effet, bien plus que des liens indirects, c'est-à-dire n'existant que par l'intermédiaire de proches domiciliés en Suisse, il importe que le rentier dispose d'attaches en rapport avec la Suisse qui lui soient propres, établies par le développement d'intérêts socioculturels personnels et indépendants (participation à des activités culturelles, liens avec des communautés locales, contacts directs avec des autochtones, par exemple), car seuls de tels liens sont en effet de nature à éviter que l'intéressé ne tombe dans un rapport de dépendance vis-à-vis de ses proches parents, voire d'isolement, ce qui serait au demeurant contraire au but souhaité par le législateur quant à la nature de l'autorisation pour rentier (arrêt du Tribunal administratif fédéral F-2207/2018 du 15 février 2019 consid. 6.6 et les réf. citées, voir également le consid. 4.4.8).

12.         Selon les directives et circulaires du SEM, domaine des étrangers, état au 1er septembre 2023 (ci-après : directives LEI), qui ne lient pas le juge, mais dont ce dernier peut tenir compte pour assurer une application uniforme de la loi envers chaque administré, pourvu qu'elle respecte le sens et le but de la norme applicable (cf. notamment ATA/494/2017 du 2 mai 2017 consid. 3c), une déclaration selon laquelle le rentier s’est effectivement retiré de la vie active est exigée de sa part afin de s'assurer que tel est bien le cas. Le rentier devra aussi s'engager à ne plus exercer à l'avenir d'activité lucrative, ni en Suisse, ni à l'étranger. Le rentier devra faire de la Suisse le centre de ses intérêts. L'autorisation de séjour ne sera pas renouvelée s'il apparaît qu'il n'a pas effectivement transféré le centre de ses intérêts en Suisse (Directives LEI, ch. 5.3).

13.         Un rentier est réputé disposer des moyens financiers nécessaires si ceux-ci dépassent le montant donnant droit (à un résident suisse) au versement de prestations complémentaires pour lui-même et éventuellement pour les membres de sa famille. Autrement dit, il devra être quasiment certain d'en bénéficier jusqu'à sa mort (rentes, fortune), au point que l'on puisse pratiquement exclure le risque qu'il en vienne à dépendre de l'assistance publique (décision du 15 février 2001 du Service des recours du DFJP, aujourd'hui remplacé par le Tribunal administratif fédéral, en relation avec l'ancien art. 34 OLE). Les promesses, voire les garanties écrites, visant à garantir la prise en charge du rentier faites par des membres de sa famille qui résident en Suisse ne suffisent pas dans tous les cas, dans la mesure où, en pratique, leur mise à exécution reste sujette à caution. Les moyens financiers mis à disposition par des tiers doivent présenter les mêmes garanties que s'il s'agissait des propres ressources du requérant (par ex. garantie bancaire). Lorsque les moyens financiers du rentier sont insuffisants, les exigences qualitatives quant aux prestations de soutien par des tiers sont d'autant plus élevées (arrêt du Tribunal administratif fédéral C-6310/2009 consid. 9.4; Directives LEI, ch. 5.3).

14.         En l’espèce, la recourante est âgée de plus de 55 ans et il n’est plus contesté par l’autorité intimée qu’elle dispose des moyens financiers nécessaires au sens de l’art. 28 let. c LEI, de sorte que seule reste litigieuse la condition de l'art. 28 let. b LEI, relative à ses liens personnels particuliers avec la Suisse.

A cet égard, la recourante a mis en avant le fait qu’elle parlait le français, qu’elle fréquentait O______ de Genève et qu’elle était devenue amie avec ses professeurs de chant et de pilates ainsi qu’avec d’autres personnes rencontrées grâce à sa fille (M. Q______ et M. R______). Or, ces éléments apparaissent insuffisants pour démontrer qu'elle aurait constitué des attaches d'une intensité particulière avec la Suisse, étant rappelé que la seule présence de proches sur le territoire, de même que le suivi de cours à Genève (dont un cours de chant donné à distance) ne sont, en eux-mêmes pas de nature à créer de telles attaches. En outre, ses séjours réguliers sur le sol helvétique depuis 2008 ont précisément eu pour but, selon ses explications, de venir rendre visite à sa fille, d’abord scolarisée puis définitivement établie en Suisse. Ainsi, le souhait de la recourante de venir habiter à Genève, avec son fils, est essentiellement motivé par sa volonté de pouvoir demeurer auprès de sa fille. Or, comme rappelé ci-dessus, l’art 28 LEI n’a pas pour vocation de permettre un regroupement familial en ligne directe. De plus, la notion de liens particuliers personnels avec la Suisse ne se résume pas à la présence à Genève de parents proches, mais doit résulter d’attaches importantes que la personne concernée doit avoir nouées personnellement et indépendamment de ces derniers.

Enfin, la présence en Russie de son mari, actif professionnellement, et du salon de coiffure dans lequel elle a investi une partie de ses économies, démontre plutôt que son centre de vie personnel, de même que celui de son fils, se trouve toujours dans son pays d’origine. Il n’apparait donc pas, à teneur du dossier, que le centre de ses intérêts aurait été ou serait sur le point d’être transféré en Suisse.

15.         Par conséquent, une des conditions de l’art. 28 LEI n’étant pas remplies, c’est à bon droit que l’autorité intimée a refusé de délivrer à la recourante une autorisation de séjour fondée sur cette disposition légale.

16.         La recourante fait encore grief à l’autorité intimée d’avoir rendu deux décisions d’intention de refus successives, à une année d’intervalle, basées sur des motifs différents, adoptant de la sorte un comportement contraire à la bonne foi et arbitraire, voire impartial.

17.         Aux termes de l'art. 5 al. 3 Cst., les organes de l'État et les particuliers doivent agir de manière conforme aux règles de la bonne foi. Cela implique notamment qu'ils s'abstiennent d'adopter un comportement contradictoire ou abusif (ATF 136 I 254 consid. 5.2 p. 561). De ce principe général découle le droit fondamental du particulier à la protection de sa bonne foi dans ses relations avec l'État, consacré à l'art. 9 in fine Cst. (ATF 138 I 49 consid. 8.3.1 p. 53; 136 I 254 consid. 5.2 p. 261). Le principe de la bonne foi protège le justiciable, à certaines conditions, dans la confiance légitime qu'il met dans les assurances reçues des autorités, lorsqu'il a réglé sa conduite d'après des décisions, des déclarations ou un comportement déterminé de l'administration (ATF 137 II 182 consid. 3.6.3 p. 193; 137 I 69 consid. 2.5.1 p. 73; 131 II 627 consid. 6.1 p. 636 s.).

18.         En l’espèce, dans la mesure où les conditions de l’art. 28 LEI sont cumulatives, l’OCPM était fondé à envoyer à la recourante une première intention de refus basée sur le manque de moyens financiers nécessaires (art. 28 let. c LEI) - ces moyens n’ayant pas été prouvés à l’époque -, ce motif étant déjà suffisant pour refuser la demande. La recourante ayant toutefois, par la suite, démontré disposer des ressources financières suffisantes, l’OCPM se devait d’analyser les autres conditions légales puis, ceci fait, était légitimé à rendre un deuxième courrier d’intention de refus, basé cette fois sur le non-respect de la condition des liens personnels avec la Suisse au sens de l’art. 28 let. b LEI. En agissant de la sorte, l’autorité n’a ainsi pas agi de manière arbitraire ni violé le principe de la bonne foi au sens des art. 9 et 5 al. 3 Cst.

19.         L'OCPM n'ayant ni excédé ni abusé de son pouvoir appréciation en refusant de délivrer l’autorisation de séjour requise, le tribunal ne saurait, sauf à statuer en opportunité, ce que la loi lui interdit (art. 61 al. 2 LPA), substituer son appréciation à celle de l'autorité intimée, étant rappelé que lorsque le législateur a voulu conférer à l'autorité de décision un pouvoir d'appréciation dans l'application d'une norme, le juge qui, outrepassant son pouvoir d'examen, corrige l'interprétation ou l'application pourtant défendable de cette norme à laquelle ladite autorité a procédé, viole le principe de l'interdiction de l'arbitraire (cf. ATF 140 I 201 consid. 6.1 et les références citées).

20.         La demande d’autorisation de séjour pour rentiers de la recourante étant rejetée, la demande de regroupement familial en faveur de son fils devient sans objet.

21.         Entièrement mal fondé, le recours sera rejeté.

22.         En application des art. 87 al. 1 LPA et 1 et 2 du règlement sur les frais, émoluments et indemnités en procédure administrative du 30 juillet 1986 (RFPA - E 5 10.03), les recourants, pris conjointement et solidairement, qui succombent sont condamnés au paiement d’un émolument s'élevant à CHF 500.- ; il est couvert par l’avance de frais versée à la suite du dépôt du recours.

23.         En vertu des art. 89 al. 2 et 111 al. 2 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent jugement sera communiqué au SEM.

 


PAR CES MOTIFS

LE TRIBUNAL ADMINISTRATIF

DE PREMIÈRE INSTANCE

1.             déclare recevable le recours interjeté le 14 septembre 2023 par Madame A______ et Monsieur B______ contre la décision de l'office cantonal de la population et des migrations du 19 juillet 2023 ;

2.             le rejette ;

3.             met à la charge des recourants, pris conjointement et solidairement, un émolument de CHF 500.-, lequel est couvert par l'avance de frais ;

4.             dit que, conformément aux art. 132 LOJ, 62 al. 1 let. a et 65 LPA, le présent jugement est susceptible de faire l'objet d'un recours auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (10 rue de Saint-Léger, case postale 1956, 1211 Genève 1) dans les trente jours à compter de sa notification. L'acte de recours doit être dûment motivé et contenir, sous peine d'irrecevabilité, la désignation du jugement attaqué et les conclusions du recourant. Il doit être accompagné du présent jugement et des autres pièces dont dispose le recourant.

Au nom du Tribunal :

La présidente

Marielle TONOSSI

 

Copie conforme de ce jugement est communiquée aux parties, ainsi qu’au secrétariat d'État aux migrations.

Genève, le

 

La greffière