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Décisions | Tribunal administratif de première instance

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A/3246/2023

JTAPI/31/2024 du 16.01.2024 ( ICCIFD ) , REJETE

Descripteurs : RESTITUTION DU DÉLAI
Normes : LIFD.116.al2; LPFisc.21.al2
En fait
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

A/3246/2023 ICCIFD

JTAPI/31/2024

 

JUGEMENT

DU TRIBUNAL ADMINISTRATIF

DE PREMIÈRE INSTANCE

du 16 janvier 2024

 

dans la cause

 

A______ SÀRL, représentée par LIAUDET & Associés, avec élection de domicile

contre

Le jugement du Tribunal administratif de première instance du 21 novembre 2023 (JTAPI/1298/2023)


EN FAIT

1.             Monsieur B______ est l’associé-gérant unique de A______ Sàrl.

2.             Le 29 août 2023, l'administration fiscale cantonale (ci-après : l'AFC-GE) a notifié à A______ Sàrl une décision sur réclamation portant sur les rappels d’impôt et amendes pour les années 2013 et 2014.

3.             Le même jour, l'AFC-GE a notifié à M. B______ et son épouse (ci-après : les époux) une décision sur réclamation portant également sur les rappels d’impôt et amendes des années 2013 et 2014.

4.             Par un seul mémoire de recours du 2 octobre 2023, sous la plume de leur mandataire commun, A______ Sàrl et les époux ont recouru contre les deux décisions précitées auprès du Tribunal administratif de première instance (ci-après : le tribunal). Cet acte unique concernant des contribuables distincts, le greffe du tribunal l’a enregistré sous le n° de procédure A/3246/2023, en tant qu’il concernait A______ Sàrl, et sous le n° de procédure A/1______/2023, en ce qu’il concernait les époux.

5.             Par pli recommandé du 9 octobre 2023, le tribunal a imparti à A______ Sàrl un délai échéant le 8 novembre 2023 pour procéder au paiement d’une avance de frais de CHF 700.-, dans le cadre de la procédure la concernant (A/3246/2023), sous peine d’irrecevabilité. La facture y jointe ne comportait pas la mention « La même facture est adressée à l’autre partie recourante. Merci de ne régler qu’une facture ». Selon le système du suivi des envois (« Track & Trace ») mis en place par la Poste, cette lettre recommandée a été distribuée à A______ Sàrl le 12 octobre 2023. L’avance de frais n’a pas été effectuée.

6.             Par pli séparé recommandé du même jour, contenant deux lettres à l’attention de chacun des époux, le tribunal leur a imparti à chacun un délai échéant également le 8 novembre 2023 pour procéder au paiement d’une avance de frais de CHF 700.- dans le cadre de la procédure les concernant (A/1______/2023). Ces lettres comportaient la mention « Parties recourantes B______». Les factures y jointes adressées à chacun des époux comportaient la mention « La même facture est adressée à l’autre partie recourante. Merci de ne régler qu’une facture ». Cette avance a été versée le 6 novembre 2023.

7.             A______ Sàrl n’ayant pas versé l’avance de frais requise, le tribunal a déclaré son recours irrecevable, par jugement du 21 novembre 2023 (JTAPI/1298/2023).

8.             Le 7 décembre 2023, A______ Sàrl, sous la plume de son mandataire, a adressé au tribunal une demande de restitution de délai pour le paiement de l'avance de frais, en mentionnant toutefois « Qu’il plaise à la chambre administrative (…) » avant ses conclusions en restitution de délai et en annulation du jugement précité.

A______ Sàrl et les époux avaient recouru conjointement par un seul mémoire, ce par souci d’économie et par « le lien étroit » entre cette société et M. B______, ainsi que par un « complexe de faits » identique. Les plis recommandés du 9 octobre 2023 leur avaient été notifiés le 12 octobre 2023. Le QR-code qui accompagnait « le courrier » et qui avait été utilisé pour effectuer le paiement précisait que la même facture avait été envoyée à l’autre partie et qu’il ne fallait en régler qu’une. M. B______ avait effectué le paiement « sans autre considération », en utilisant l’un des QR-codes reçus, depuis le compte bancaire de A______ Sàrl. Ce n’était que le 29 novembre 2023, soit le jour où son mandataire avait téléphoné au greffe du tribunal, que A______ Sàrl s’était aperçue de l’erreur et avait procédé au paiement de l’avance de frais la concernant.

Dans leur mémoire de recours commun, A______ Sàrl et les époux avaient requis que tribunal traite leurs recours conjointement. Dès lors, lorsque le tribunal leur a envoyé les demandes d'avance de frais en attirant leur attention que le même montant avait été demandé à l'autre partie recourante et qu'il ne fallait en payer qu’une seule, A______ Sàrl et les époux, ainsi que leur mandataire, avaient pensé qu'il ne fallait verser que CHF 700.-. Or, il semblait que le tribunal ait retenu trois parties recourantes et qu'il aurait donc fallu payer deux fois CHF 700.-. Dans ces conditions, l’erreur, commise en toute bonne foi, apparaissait excusable et la restitution du délai devait être accordée. En effet, les époux, qui faisaient toujours ménage commun, avaient pensé ne constituer qu’une seule partie et que l’autre partie évoquée dans la demande de l’avance de frais ne pouvait viser que A______ Sàrl. C’était donc en toute bonne foi que M. B______ n'avait versé qu'un seul montant de CHF 700.-.

9.             Par jugement du 8 décembre 2023, le tribunal, considérant cet acte comme un recours, s'est déclaré incompétent et l'a transmis à la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) comme objet de sa compétence.

10.         Par décision du 20 décembre 2023, la chambre administrative s’est déclarée à son tour incompétente, considérant que la demande de A______ Sàrl du 7 décembre 2023 relevait de la compétence du tribunal et l’a renvoyée à ce dernier.

 

 

EN DROIT

1.             Le présent jugement fait suite à la décision de la chambre administrative du 20 décembre 2023 (ATA/2______/2023).

2.             Comme jugé par cette juridiction, le tribunal est compétent pour statuer sur la demande en restitution du délai pour le paiement de l'avance de frais. Ainsi, sous cet angle, la demande de A______ Sàrl du 7 décembre 2023 est recevable.

3.             Selon l’art. 21 al. 3 de la loi de procédure fiscale du 4 octobre 2001 (LPFisc - D 3 17), un délai inobservé est restitué si la personne contribuable exécute l’acte omis dans les 30 jours qui suivent la disparition de l’empêchement et prouve qu’elle a été empêchée d’agir en temps utile pour des « motifs sérieux ».

La loi fédérale sur l’impôt fédéral direct du 14 décembre 1990 (LIFD - RS 642.11) ne contient pas de disposition équivalente.

4.             En l’espèce, A______ Sàrl prétend que c’est la mauvaise compréhension des demandes de l’avance de frais du 9 octobre 2023 qui constituerait un empêchement au sens des dispositions précitées et qu’elle ne se serait rendue compte de son erreur que le 29 novembre 2023. Dans cette mesure, déposée le 7 décembre 2023, sa demande en restitution du délai l’a été en temps utile. Dès lors, elle parait recevable sous cet angle également.

5.             En vertu de l'art. 86 de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 (LPA - E 5 10), la juridiction invite le recourant à faire une avance ou à fournir des sûretés destinées à couvrir les frais de procédure et les émoluments présumables ; elle fixe à cet effet un délai suffisant (al. 1). Si l'avance n'est pas faite dans le délai imparti, la juridiction déclare le recours irrecevable (al. 2).

À rigueur de texte, l'art. 86 LPA ne laisse aucune place à des circonstances extraordinaires qui justifieraient que l'avance de frais n'intervienne pas dans le délai imparti. La référence au « délai suffisant » de l'al. 1 de cette disposition laisse une certaine marge d'appréciation à l'autorité judiciaire saisie. Il n'y a pas de rigueur excessive à ne pas entrer en matière sur un recours lorsque, conformément au droit de procédure applicable, la recevabilité de celui-ci est subordonnée au versement d'une avance de frais dans un délai déterminé. Il faut cependant que son auteur ait été averti de façon appropriée du montant à verser, du délai imparti pour le paiement et des conséquences de l'inobservation de ce délai. La gravité des conséquences d'un retard dans le paiement de l'avance sur la situation du recourant n'est pas pertinente (ATA/153/2023 du 14 février 2023 consid. 2.4 et les arrêts cités) 

6.             En l’espèce, dans la mesure où l’acte du recours du 2 octobre 2023, concernait deux contribuables distincts - soit A______ Sàrl, d’une part, et les époux, d’autre part, chacun d’entre eux ayant fait l’objet d’une décision sur réclamation séparée, le tribunal a ouvert deux procédures distinctes et a requis de chacune des parties une avance de frais de CHF 700.-, précisant clairement qu’en ce qui concernait les époux, seule une avance de frais de CHF 700.- devait être versée. L’avance de frais requise, séparément, de A______ Sàrl n’a pas été effectuée dans le délai imparti, raison pour laquelle son recours a été déclaré irrecevable.

7.             Aux termes des art. 21 al. 2 LPFisc et 116 al. 2 LIFD, les délais impartis par l’autorité peuvent être prolongés s’il existe des motifs sérieux et que la demande de prolongation est présentée avant l’expiration de ces délais.

Selon la jurisprudence constante, il convient d'appliquer par analogie la notion de cas de force majeure de l'art. 16 al. 1 LPA afin d'examiner si l'intéressé a été empêché sans sa faute de verser l'avance de frais dans le délai fixé (ATA/158/2020 du 11 février 2020 ; ATA/38/2020 du 14 janvier 2020).

Tombent sous la notion de force majeure les événements extraordinaires et imprévisibles qui surviennent en dehors de la sphère d'activité de l'intéressé et qui s'imposent à lui de façon irrésistible. Les conditions pour admettre un empêchement sont très strictes. Ce dernier doit être imprévisible et sa survenance ne doit pas être imputable à faute à l'administré, partant de son représentant. Il doit être de nature telle que le respect des délais aurait exigé la prise de dispositions que l'on ne peut raisonnablement attendre de la part d'un homme d'affaires avisé (ATA/153/2023 du 14 février 2023 consid. 2.3 et les nombreux arrêts cités).

Une inattention, une méconnaissance des procédures administratives et du droit, ou plus généralement du système fiscal suisse, ne constituent pas un motif sérieux, ni un cas de force majeure (cf. not. ATA/319/2012 du 22 mai 2012; Yves NOËL/Florence AUBRY GIRARDIN, Commentaire romand, Impôt fédéral direct, 2017, n° 13, p. 1736). En outre, le principe de la bonne foi oblige celui qui constate un prétendu vice de procédure à le signaler immédiatement, à un moment où il pourrait encore être corrigé, et lui interdit d'attendre, en restant passif, afin de pouvoir s'en prévaloir ultérieurement devant l'autorité de recours (arrêt du Tribunal fédéral 2C_884/2019 du 10 mars 2020 consid. 7.2). En effet, valant pour l'ensemble de l'activité étatique, le principe de la bonne foi exige que l'administration et les administrés se comportent réciproquement de manière loyale. En particulier, l'administration doit s'abstenir de toute attitude propre à tromper l'administré et elle ne saurait tirer aucun avantage des conséquences d'une incorrection ou insuffisance de sa part (ATF 138 I 49 consid. 8.3 ; 129 I 161 consid. 4 ; 129 II 361 consid. 7.1 ; arrêt du Tribunal fédéral 1C_18/2015 du 22 mai 2015 consid. 3). Ce principe régit aussi les rapports entre les autorités fiscales et les contribuables ; le droit fiscal est toutefois dominé par le principe de la légalité, de telle sorte que le principe de la bonne foi ne saurait avoir qu'une influence limitée en cette matière (ATF 131 II 627 consid. 6.1 ; 118 Ib 312 consid. 3b ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_1120/2015 du 26 avril 2017 consid. 6.3.2 ; ATA/162/2021 du 9 février 2021consid. 5b).

8.             En l’espèce, les deux demandes de l’avance de frais ont certes été envoyées le même jour au représentant commun de A______ Sàrl et des époux (dont l’activité consiste en « conseils juridiques en tout genre », selon le registre de commerce de Genève), mais elles l’ont été sous plis séparés et dans le cadre de deux procédures différentes. La facture expédiée à A______ Sàrl ne comportait pas la mention « La même facture est adressée à l’autre partie recourante. Merci de ne régler qu’une facture ». De plus, la lettre accompagnant cette facture indiquait clairement un numéro de procédure différent de celui attribué à la procédure concernant les époux. Dans ces conditions, le gérant de A______ Sàrl, M. B______, et/ou son mandataire, ne pouvait raisonnablement, sans aucune démarche de vérification préalable, en déduire qu’il suffisait de régler uniquement la facture qui le concernait personnellement. Il ressort en effet de sa demande en restitution du délai qu’il n’a entrepris aucune démarche afin de clarifier la portée des deux demandes de l’avance de frais. Or, pour le faire, il lui aurait suffi, ou à son représentant, de téléphoner au greffe du tribunal, comme ce dernier l’a fait le 29 novembre 2023. De plus, force est d’admettre qu’une lecture attentive de l’ensemble des trois factures pouvait aisément permettre de comprendre que la mention « Merci de ne régler qu’une facture » ne concernait que les époux, puisqu’elle ne figurait que sur les factures les concernant personnellement, ou à tout le moins susciter des interrogations, dès lors que dite mention ne paraissait pas sur la facture adressée séparément à A______ Sàrl. En pareilles conditions, on ne saurait admettre que le gérant de A______ Sàrl, ou son représentant (dont la faute lui est imputable), a pris toutes les dispositions que l'on pouvait raisonnablement attendre de sa part.

Ainsi, A______ Sàrl n’a pas démontré l’existence d’aucun motif sérieux au sens des art. 21 al. 2 LPFisc et 116 al. 2 LIFD.

9.             En conséquence, la demande en restitution de délai du 7 décembre 2023 sera rejetée.

10.         Au vu des circonstances, il sera renoncé exceptionnellement à la perception d’un émolument pour les frais de la présente procédure (cf. art. 52 al. 3 LPFisc et 144 al. 3 LIFD).


PAR CES MOTIFS

LE TRIBUNAL ADMINISTRATIF

DE PREMIÈRE INSTANCE

1.             déclare recevable la demande en restitution de délai formée le 7 décembre 2023 par A______ Sàrl contre le jugement du tribunal du 21 novembre 2023 (JTAPI/1298/2023) ;

2.             la rejette ;

3.             renonce à percevoir un émolument pour les frais de la procédure ;

4.             dit que, conformément aux art. 132 LOJ, 62 al. 1 let. a et 65 LPA, le présent jugement est susceptible de faire l'objet d'un recours auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (10 rue de Saint-Léger, case postale 1956, 1211 Genève 1) dans les trente jours à compter de sa notification. L'acte de recours doit être dûment motivé et contenir, sous peine d'irrecevabilité, la désignation du jugement attaqué et les conclusions du recourant. Il doit être accompagné du présent jugement et des autres pièces dont dispose le recourant.

 

Au nom du Tribunal :

La présidente

Gwénaëlle GATTONI

 

Copie conforme de ce jugement est communiquée aux parties.

Genève, le

 

La greffière