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Décisions | Tribunal administratif de première instance

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A/2004/2023

JTAPI/1424/2023 du 20.12.2023 ( LDTR ) , ADMIS

Descripteurs : LOGEMENT DE LUXE;LOYER CONTRÔLÉ;RÉNOVATION D'IMMEUBLE
Normes : LDTR.10.al2.letb
En fait
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

A/2004/2023 LDTR

JTAPI/1424/2023

 

JUGEMENT

DU TRIBUNAL ADMINISTRATIF

DE PREMIÈRE INSTANCE

du 20 décembre 2023

 

dans la cause

 

Monsieur A______, représenté par Me François BELLANGER, avocat, avec élection de domicile

 

contre

DÉPARTEMENT DU TERRITOIRE-OAC

 


EN FAIT

1.             Monsieur A______ est propriétaire d’un appartement au deuxième étage de l’immeuble 1______, avenue B______, sis sur la parcelle n° 2______ de la commune de C______.

2.             Le 15 mars 2023, M. A______, par l’intermédiaire de son architecte, a déposé une demande d’autorisation de construire en procédure accélérée pour la transformation et la rénovation de l’appartement (APA 3______).

3.             Dans le cadre de l’instruction de la demande, les préavis suivants ont notamment été recueillis :

-          office cantonal du logement et de la planification foncière (ci-après : OCLPF) du 21 mars 2023 : préavis favorable sous conditions. Les dispositions de l’art. 9 de la loi sur les démolitions, transformations et rénovations de maisons d'habitation (mesures de soutien en faveur des locataires et de l'emploi) du 25 janvier 1996 (LDTR - L 5 20) devaient être respectées et le loyer de l’appartement de neuf pièces n’excéderait pas après travaux son niveau actuel de CHF 72'000.- par an, soit CHF 8'000.- la pièce par an. Ce loyer serait appliqué pour une durée de cinq ans à dater de la remise en location après la fin des travaux.

-          service des monuments et des sites (ci-après : SMS) du 11 mai 2023 : préavis selon les art. 89 ss LCI favorable sous conditions.

4.             Le 12 mai 2023, le département du territoire (ci-après : DT ou le département) a délivré à M. A______ l’autorisation sollicitée.

Cette autorisation était assortie d’une condition sous chiffre 7 renvoyant au préavis rendu le 21 mars 2023 par OCLPF, à teneur duquel (condition n° 2), le loyer de l'appartement n’excèdera pas après travaux son niveau actuel de CHF 72’000.- par an, soit CHF 8’000.- la pièce par an. Ce loyer sera appliqué pour une durée de cinq ans à dater de la remise en location après la fin des travaux (art. 10 al. 1, 11 et 12 LDTR).

5.             Par acte du 12 juin 2023, M. A______, sous la plume de son conseil, a recouru auprès du Tribunal administratif de première instance (ci-après : le tribunal) contre cette décision en concluant uniquement à l’annulation du chiffre 7 en tant qu’il renvoyait avec effet obligatoire à la condition n° 2 du préavis de l’OCLPF du 21 mars 2023 et à l’annulation de ladite condition n° 2. À titre préalable, il sollicitait le retrait partiel de l’effet suspensif au recourant sous réserve dudit chiffre 7. Il a produit un chargé de pièces.

L’appartement de neuf pièces présentait une surface totale de 334 m2 dit PPE et hors balcons, comprenant cinq chambres, deux salons, une salle à manger, une cuisine, deux salles de bain, trois WC – dont un visiteur se situant dans l’espace jour –, une buanderie et un cagibi. Les pièces étaient distribuées par un grand hall double d’environ 45 m2, il disposait d’un grand salon de plus de 40 m2 en enfilade avec un petit salon d’environ 27 m2. La surface de la cuisine était d’environ 28 m2 et celle de la salle à manger de près de 27 m2. Les chambres avaient des surfaces respectivement de 22 m2, 16 m2, 19 m2, 17 m2 et près de 14 m2. L’appartement était divisé en deux parties par une double porte battante se situant dans le grand hall, séparant clairement l’espace nuit de l’espace de jour et offrant ainsi un confort particulier.

Les pièces d’accueil et de réception, comprenant le hall d’entrée ainsi que les deux salons et la salle à manger occupaient environ 124 m2, soit plus d’un tiers de la surface totale de l’appartement. Le grand salon était constitué en enfilade avec le petit salon et disposait d’une belle cheminée du début du XXè siècle qui lui donnait un caractère exceptionnel.

L’appartement disposait déjà de deux baignoires, lesquelles seraient remplacées et les salles de bain réaménagées.

Chaque pièce bénéficiait de dimensions importantes et les salons et quatre des cinq chambres disposaient de grandes fenêtres offrant une belle luminosité et un sentiment d’espace et d’ouverture sur les balcons. La hauteur sous plafond était d’un peu moins de trois mètres, soit supérieure au minimum légal, ce qui offrait un sentiment de grandeur s’inscrivant dans l’aspect général de somptuosité de l’appartement.

Les plafonds présentaient en outre de belles corniches moulurées et l’appartement était doté de boiseries et de parquets parfaitement entretenus, présentant un intérêt architectural particulier qui accentuait de manière générale sa somptuosité.

L’immeuble était situé dans un ensemble protégé du XIXè ou début XXè, présentant un hall d’entrée et des espaces communs parfaitement entretenus ; les éléments architecturaux de l’époque avaient été conservés et entretenus afin de maintenir intact le caractère historique de l’immeuble. Le SMS avait en outre considéré que les portes palières participaient au caractère architectural des espaces communs de la cage d’escalier et étaient dignes de conservation.

Le luxe qui ressortait de l’ensemble du logement tant dans son aspect historique qu’esthétique en faisait un appartement somptueux.

Dès lors, les conditions du nombre de pièces, de la surface des pièces et de la somptuosité et du confort extraordinaire étaient remplies pour considérer l’appartement comme un logement de luxe et que l’art. 10 al. 2 let. b LDTR fut appliqué.

Par ailleurs, l'OCLPF avait considéré un appartement équivalent, par sa taille et ses caractéristiques, dans l'immeuble voisin au 4______ avenue B______, construit au même moment avec les mêmes caractéristiques architecturales, comme étant luxueux dans le cadre de l'APA 5______.

6.             Par courrier du 26 juin 2023, le département s’en est rapporté à justice quant à la requête en retrait de l’effet suspensif au recours concernant la condition n° 7 de l’autorisation.

7.             Par décision du 4 juillet 2023 (DITAI/293/2023), le tribunal a retiré l’effet suspensif au recours.

8.             Le département a répondu au recours le 14 août 2023, concluant à son rejet. Il a produit son dossier.

Il n’était pas contesté que la première condition constitutive de la nature luxueuse d’un appartement, soit le nombre de pièces, était satisfaite.

Concernant la surface des pièces, elle était en moyenne de 32 m2 par pièce ; si l’on pouvait considérer que cela représentait, à teneur de la jurisprudence, une surface importante, cette caractéristique ne suffisait encore pas à qualifier l’appartement de luxueux.

Les documents produits démontraient que l’appartement ne donnait aucune impression de somptuosité, n’ayant rien d’extraordinaire dans sa conception ou ses équipements. L’agencement intérieur était standard, la cuisine et les pièces d’eau étaient fonctionnelles et banales, les matériaux utilisés courants ; cela valait également pour les revêtements muraux et de sol. Enfin, le logement n’avait pas une vue à couper le souffle. L’état général de l’appartement ne dégageait pas non plus un sentiment de luxe. Les photos contenues dans le diagnostic amiante permettaient de corroborer cela. Le recourant ne pouvait dès lors être suivi quand il affirmait que l’appartement était somptueux et offrait un confort extraordinaire ; hormis la cheminée, l’appartement ne présentait aucun agencement ou élément tels que la présence de marbre, une piscine et/ou sauna ou des sanitaires en surnombre de nature à lui conférer ces caractéristiques.

Concernant l’appartement similaire pour lequel il avait admis le caractère luxueux, en vertu de la jurisprudence constante, le principe de la légalité de l’activité de l’administration prévalait celui de l’égalité de traitement. Le justiciable ne pouvait en principe se prétendre victime d’une inégalité de traitement lorsque la loi était correctement appliquée à son cas, alors qu’elle aurait été faussement, voire pas appliquée du tout dans un cas semblable. De plus, les situations n’étaient pas similaires puisque l’appartement se distinguait de celui évoqué par le recourant tant sur le plan qualitatif des équipements, des appareils et des matériaux que du point de vue de l’état général.

9.             Le recourant a répliqué par écriture du 8 septembre 2023, persistant dans ses conclusions. Il a produit un chargé de pièces complémentaires contenant les photographies de l’appartement litigieux et celles d’un appartement sis 4______ avenue B______.

Les photographies produites attestaient amplement de la grandeur et de la luminosité qui prédominaient dans l’appartement. Il contenait des rosaces aux plafonds sculptées de différents ornements, des moulures et des parquets que le SMS avait retenus comme dignes de protection et devant être préservés. Il comptait trois sanitaires et deux salles de bain avec baignoire.

Le département avait considéré d’une part que l’attribution du caractère luxueux de l’appartement du 4______, avenue B______ relèverait d’une mauvaise application de la loi pour ensuite retenir que ledit caractère avait été reconnu à bon droit mais se différenciait de l’appartement litigieux du point de vue qualitatif et quantitatif. Or, il ressortait des photographies que les appartements étaient semblables tant dans leur grandeur que dans leur élégance. L’appartement du 4______, avenue B______ contenait également des rosaces sur ses hauts plafonds, de belles moulures, de grandes fenêtres et une cheminée ; les deux appartements présentaient un grand hall d’entrée ainsi qu’un salon en enfilade et les portes palières, et le parquet était également à compter parmi les éléments architecturaux dignes de protection qui équipaient les appartements. Enfin, le département ne prétendait pas avoir changé de pratique s’agissant de la reconnaissance du caractère luxueux d’un appartement.

10.         Le département a dupliqué le 5 octobre 2023, confirmant ses conclusions et son argumentation.

Il indiquait avoir par ailleurs rendu diverses décisions pour des appartements similaires à l’appartement litigieux, à la même adresse, sans leur reconnaitre un caractère luxueux (APA 6______ et 7______).

11.         Le 25 octobre 2023, sur demande du tribunal, le département a transmis les dossiers des APA 5______, 6______ et 7______.

12.         Le 31 octobre 2023, le tribunal a procédé à un transport sur place en présence des parties.

L'appartement était en travaux. Il s'agissait du seul appartement de l'étage, avec une porte principale et une porte de service. Le tribunal est entré dans le hall d'entrée puis s'est rendu dans la pièce de droite, il s'agissait de la cuisine et de la chambre de bonne. La paroi entre ces deux pièces avait été abattue pour en créer une seule, qui sera la cuisine. Le tribunal s'est déplacé dans la pièce contiguë, soit la salle à manger. Le sol était en parquet, lequel était conservé. Il s'est ensuite rendu de l'autre côté du hall dans les deux salons en enfilade, constatant que le parquet était le même dans toutes les pièces de réception. Les plafonds étaient à plus de 2.80m de hauteur avec des moulures.

Le recourant a déclaré qu'il ne prévoyait pas la mise en place de faux plafonds et que la cheminée allait être restaurée afin qu'elle soit à nouveau fonctionnelle.

Le tribunal s'est déplacé du côté des pièces de nuit, entrant dans la première chambre à droite qui sera transformée en dressing.

Le recourant a indiqué que la salle de bain gardera sa fonction et que la chambre d'angle sera en lien avec le dressing et la salle de bain.

Le tribunal a constaté que dans les pièces de nuit, le parquet était en chêne et posé en fougère.

Le tribunal s'est déplacé dans la deuxième chambre qui donne sur la rue D______, puis dans celle qui est à l'angle de la rue D______ et l'avenue B______.

Le recourant a déclaré que la salle de bain centrale sera divisée en deux salles de bain, une pour chaque chambre. Cela réduira légèrement la taille de la chambre.

Le tribunal s'est déplacé dans la dernière chambre, toujours du côté de l'avenue B______.

Le département a indiqué qu'il y avait eu d'autres dossiers, six ou sept selon lui, qui portaient sur la rénovation d'appartements dans les allées 1______, 8______, et 4______ avenue B______. Ils dataient d'il y a plus de cinq ans. Dans aucun de ces appartements, l'aspect luxueux n'avait été reconnu à l'exception d'un situé au 4______, avenue B______. Dans les deux dossiers qu'il avait transmis (APA 6______ et 7______), les propriétaires allaient habiter l'appartement rénové, raison pour laquelle il n'avait pas fixé le montant du loyer, mais indiqué qu'en cas de location, il faudrait s'adresser à l'OCLPF pour qu'il fixe le prix de location maximum : cela signifiait que le département avait estimé qu'il ne s'agissait pas d'un appartement luxueux.

Le tribunal a constaté l'existence de plusieurs réduits.

13.         Le 7 novembre 2023, le département a transmis ses observations finales, dans lesquelles il maintenait la position soutenue dans ses écritures.

Les travaux en cours démontraient qu'hormis le nombre et la taille des pièces, l'appartement ne présentait aucune autre caractéristique de confort ou de somptuosité. Il n'offrait aucune vue appréciable et ne dégageait pas une impression générale de luxe.

Par ailleurs, le démontage total de la cuisine et des salles de bain confirmait que leur agencement et les matériaux utilisés étaient standards. En effet, dans le cas contraire, ils auraient été indubitablement conservés. Il en était de même pour les revêtements muraux.

14.         Par courrier du 17 novembre 2023, le recourant a transmis ses observations finales, dans lesquelles il persistait dans ses conclusions.

Les trois immeubles, sis aux 1______, 8______ et 4______ avenue B______, avaient été, à sa connaissance, construits au siècle dernier afin de servir de résidence aux ambassadeurs travaillant à la Société des Nations. Dans ce contexte, les immeubles comme les appartements avaient été conçus avec un caractère somptueux, en aménageant notamment de grands espaces de réception, pour permettre aux ambassadeurs d'exercer leurs activités, qui consistaient notamment à recevoir régulièrement de nombreux invités. Ce caractère exceptionnel existait encore aujourd'hui.

S'agissant des APA 7______ et 6______, elles étaient sans pertinence pour le cas d'espèce. En effet, elles concernaient des situations où les propriétaires allaient occuper leur appartement après les travaux. Dans ses préavis, l'OCLPF avait ainsi réservé l'hypothèse d'une future location sans se prononcer sur la question d'un éventuel contrôle ou du caractère des loyers, ou de la renonciation à celui-ci en raison du caractère luxueux des appartements.

Il a joint un chargé de pièces dont les préavis de l'OCLPF pour les APA 7______ et 6______.

15.         Le détail des écritures et des pièces produites sera repris dans la partie « En droit » en tant que besoin.

EN DROIT

1.             Le Tribunal administratif de première instance connaît des recours dirigés, comme en l’espèce, contre les décisions prises par le département en application de la loi sur les démolitions, transformations et rénovations de maisons d'habitation du 25 janvier 1996 (LDTR - L 5 20) et de la loi sur les constructions et les installations diverses du 14 avril 1988 (LCI - L 5 05) (art. 115 al. 2 et 116 al. 1 de la loi sur l’organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05, art. 143 et 145 al. 1 LCI ; art. 45 al. 1 LDTR).

2.             Interjeté en temps utile et dans les formes prescrites devant la juridiction compétente, le recours est recevable au sens des art. 60 et 62 à 65 de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 (LPA - E 5 10).

3.             Selon l'art. 61 al. 1 LPA, le recours peut être formé pour violation du droit, y compris l'excès et l'abus du pouvoir d'appréciation (let. a), ou pour constatation inexacte ou incomplète des faits pertinents (let. b). En revanche, les juridictions administratives n'ont pas compétence pour apprécier l'opportunité de la décision attaquée, sauf exception prévue par la loi (art. 61 al. 2 LPA), non réalisée en l'espèce.

Il y a en particulier abus du pouvoir d'appréciation lorsque l'autorité se fonde sur des considérations qui manquent de pertinence et sont étrangères au but visé par les dispositions légales applicables, ou lorsqu'elle viole des principes généraux du droit tels que l'interdiction de l'arbitraire, l'égalité de traitement, le principe de la bonne foi et le principe de la proportionnalité (ATF 143 III 140 consid. 4.1.3 ; 140 I 257 consid. 6.3.1 ; 137 V 71 consid. 5.1 ; arrêt du Tribunal fédéral 8C_763/2017 du 30 octobre 2018 consid. 4.2 ; Thierry TANQUEREL, Manuel de droit administratif, 2018, n. 515 p. 179).

4.             Saisi d'un recours, le tribunal applique le droit d'office. Il ne peut pas aller au-delà des conclusions des parties, mais n'est lié ni par les motifs invoqués par celles-ci (art. 69 al. 1 LPA), ni par leur argumentation juridique (ATA/1024/2020 du 13 octobre 2020 consid. 1 et les références citées).

5.             Le litige porte uniquement sur le caractère luxueux ou non de l'appartement qui doit faire l'objet des travaux. En effet, l'art. 10 al. 2 let. b LDTR prévoit que le département renonce à la fixation des loyers prévue en cas de transformation d'un appartement (art. 10 al. 1 LDTR) lorsque cette mesure apparaît disproportionnée, notamment lorsque les logements à transformer sont des logements de luxe.

Par conséquent, la légitimité de la fixation du loyer dans la décision litigieuse dépend de savoir si l'appartement concerné doit être considéré comme un appartement de luxe ou non.

6.             Cette notion juridique indéterminée a été précisée par la jurisprudence. Ainsi, pour être qualifié de luxueux, le logement doit avoir six pièces au moins, cuisine non comprise, c'est-à-dire à Genève sept pièces ou plus, des surfaces inhabituellement grandes, des éléments donnant une impression générale de somptuosité ou de confort extraordinaire. Il s'agit de conditions cumulatives. Exceptionnellement, un logement peut être luxueux même s'il a moins de sept pièces. C'est notamment le cas, si d'un point de vue esthétique et historique, le logement est considéré comme luxueux (il est donc possible de s'écarter de la notion stricte de logement de luxe de droit fédéral et fixer ainsi une notion plus adaptée aux circonstances). Un logement ancien peut être luxueux s'il a été conçu comme tel et qu'il est correctement entretenu (ATA/441/1997 du 5 août 1997 consid. 6). Un logement peut être luxueux, quel que soit le quartier où il se trouve et même si une partie de l'immeuble comprend des locaux commerciaux de bureaux. Il faut prendre en considération le logement en tant que tel, et non le type ou le style de locataires qui occupent l'immeuble (ATA/214/2003 du 15 avril 2003 consid. 5). Dès lors, un logement peut être luxueux même s'il est mal situé géographiquement, avec une vue et une luminosité ambiante réduites (ATA 89.TP.145 consid. 6d). Par ailleurs, des éléments extérieurs à l'appartement lui-même peuvent lui conférer un caractère luxueux s'ils le valorisent. C'est le cas de la vue sur le jet d'eau et la rade de Genève (ATA/214/2003 précité consid. 5 ; Emmanuelle GAIDE/Valérie DÉFAGO GAUDIN, op. cit. p. 277 et 278).

7.             De manière plus générale, le Tribunal fédéral a relevé que la notion de logement luxueux doit être interprétée de manière restrictive et qu'elle suppose que la mesure habituelle du confort est clairement dépassée, l'impression générale étant décisive à ce sujet. De même, la notion de luxe peut évoluer avec le temps : un objet luxueux à l'origine peut perdre cette qualité au fil du temps, tandis qu'un logement ordinaire peut entrer dans la catégorie des objets de luxe en fonction des rénovations et des transformations qui y ont été réalisées par la suite (arrêt du Tribunal fédéral 4A_257/2015 du 11 janvier 2016 consid. 3.1).

8.             Dans sa jurisprudence, le Tribunal administratif, dont les compétences ont été reprises par la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après: la chambre administrative), a retenu le caractère luxueux d'un logement de huit pièces réparties sur 280 m2, dont plusieurs de dimensions importantes et en enfilade, pourvues de boiseries bien entretenues de la fin du XVIIIè siècle et de plusieurs cheminées de marbre, ainsi que de plafonds particulièrement hauts donnant à l'ensemble un caractère luxueux (ATA/441/1997 du 5 août 1997).

Le Tribunal administratif a également qualifié de luxueux un logement de quatre ou quatre pièces et demie de 120 m2 ayant du parquet et des moulures au plafond, des radiateurs de l'époque de sa construction en 1920, avec un hall d'entrée d'immeuble de qualité, cossu et d'une taille inhabituelle. La présence d'un concierge, le caractère bourgeois de la façade en pierres de taille, les carreaux de faïence sur les balcons, le bâtiment ayant une vue magnifique sur la rade, le Mont-Blanc et les autres montagnes des Alpes étaient autant d'indices déterminants (ATA/229/2002 du 7 mai 2002).

La chambre administrative a exceptionnellement admis le caractère luxueux de deux appartements de cinq pièces d’environ 130 m2 issus d’une division dans un immeuble à l'entrée soignée avec des boiseries bien entretenues, avec un hall d'entrée particulièrement spacieux (25 m2), un sol en bois entouré de dalles en pierre, un sol de l'appartement choisi avec soin en planelles et en bois exotique, un salon d'environ 30 m2, deux cheminées dont l'une en marbre, une décoration raffinée constituée de matériaux et de revêtements de qualité supérieure – les revêtements des salles de bain et salles de douche étant constitués de mosaïque de type « pâte de verre » 2 x 2 cm de haute qualité, une hauteur du plafond pour le grand salon d'environ 2,74 m, des détails de type corniche inversée dans la plupart des pièces de jour et enfin une vue directe sur le lac et le Mont-Blanc (ATA/1736/2019 du 3 décembre 2019).

Le Tribunal administratif a toutefois nié le caractère luxueux d'un appartement composé de huit pièces dont la surface brute moyenne de chaque pièce s'élevait à 27,38 m2. Cette surface était importante ; toutefois, le logement ne donnait aucune impression de somptuosité malgré certains atouts (terrasses dont la surface était conséquente, une situation en attique et une vue dégagée). La hauteur des plafonds n’était pas exceptionnelle, son entrée était modeste et l’agencement intérieur était standard. L'escalier, pourvu d'une rampe en bois, était fonctionnel et banal. Les matériaux utilisés pour la serrurerie, les fenêtres et les portes étaient courants. De même en était-il des revêtements de sol : le salon et les couloirs étaient pourvus d'un parquet simple et les chambres d'une moquette ordinaire. Enfin, l'architecture de l'immeuble ne présentait aucune particularité (ATA/859/2010 du 7 décembre 2010).

Le tribunal de céans a également nié le caractère luxueux d'un logement sis dans un immeuble ayant une entrée spacieuse, avec un sol en marbre, un plafond en bois, un lustre, des fauteuils et une table, deux ascenseurs, ainsi qu'une piscine chauffée toute l'année, fermée par des parois vitrées, s'ouvrant sur le jardin privatif de l'immeuble et comprenant toilettes, douches, vestiaires et chaises longues pour les habitants de l'immeuble ; palier boisé du sixième étage de l'immeuble où se situait l'appartement de quatre pièces d'environ 130 m2, lequel comprenait un living et une cuisine donnant sur un balcon duquel on pouvait voir le sommet du jet d'eau et le parc arborisé bien entretenu de l'immeuble, la cuisine étant entièrement équipée, ainsi qu'un WC visiteur, une douche/lavabo et une salle de bain, ainsi que deux chambres à coucher (JTAPI/498/2012 du 16 avril 2012). La chambre administrative s'est ralliée à cet avis non contesté devant elle (ATA/826/2012 du 11 décembre 2012). Cette jurisprudence a paru sévère pour la doctrine (Emmanuelle GAIDE/Valérie DÉFAGO GAUDIN, op. cit., p. 279).

Enfin, la chambre administrative s'est également ralliée assez récemment (ATA/651/2022 du 23 juin 2022) à un jugement du tribunal (JTAPI/1268/2021 du 14 décembre 2021) relatif à un appartement, de six pièces et demi, dont le caractère luxueux de l’appartement avait été nié nonobstant sa superficie et la présence de certains éléments caractérisant le luxe, car l’équipement en sanitaires répondait au standard minimal actuel, l’une des quatre chambres était petite et les autres de taille normale, l’appartement ne bénéficiait pas d’éléments de commodité hors du commun ni d’éléments extérieurs pouvant lui conférer un caractère luxueux telle une vue sur la rade et le jet d’eau et il ne dégageait pas une impression de somptuosité ou de confort extraordinaire.

9.             En l'espèce, l'argumentation de l'autorité intimée repose principalement sur le fait que l'appartement litigieux ne donnerait aucune impression de somptuosité et que partant l'une des trois conditions cumulatives précitées n'est pas réalisée. Elle relève en particulier que l'agencement de l'intérieur est standard et que la cuisine et les pièces d'eau sont fonctionnelles et banales. Elle ajoute que les matériaux utilisés sont courants (faïence, papier peint, peinture, carrelage, moquette et parquet ordinaires). Enfin, elle souligne que le logement ne dispose pas d'une vue à couper le souffle.

Pour le reste, elle ne conteste pas que les deux premières conditions constitutives de la nature luxueuse d'un appartement, à savoir le nombre de pièces et leur surface, sont satisfaites dans le cas d'espèce.

Il convient de souligner en préambule l'approche du Tribunal fédéral qui, sans rattacher la notion de luxe à tels ou tels éléments spécifiques d'un logement, indique qu'il faut garder à l'esprit l'impression générale qu'il dégage et le fait que la notion de luxe peut être admise lorsque, globalement, il apparaît que la mesure habituelle du confort est clairement dépassée (cf. ci-dessus consid. 7).

Le tribunal a pu constater, lors du transport sur place, le sentiment d'appartement hors-norme dû à la présence de très grands espaces distribués par le double hall de 45m2. La disposition des 334m2 composant l'appartement, lequel est divisé en espaces de jour et de nuit par une double porte battante, avec notamment cinq chambres à coucher, deux salons en enfilade, deux salles de bain avec baignoire, trois sanitaires et une salle à manger, vient confirmer le confort extraordinaire qu'il offre. À cela s'ajoutent la hauteur des plafonds, d'un peu moins de trois mètres, les moulures, les rosaces, les grandes fenêtres offrant une bonne luminosité ambiante, les balcons, les parquets d'époque ainsi que la cheminée datant du début du XXè siècle. Par ailleurs, il s'agit du seul appartement de l'étage et il dispose d'une porte de service, en plus de la porte d'entrée principale, ce qui dénote, une nouvelle fois, un confort dépassant les standards habituels.

Certes, le tribunal n'a pas pu constater l'état de la cuisine et des salles de bain, les travaux ayant commencé dans ces pièces suite au retrait de l'effet suspensif. D'après les photographies produites par l'autorité intimée, il est vrai que leurs équipements ne sauraient être qualifiés de luxueux. Il est également exact d'affirmer que l'appartement ne dispose pas d'une vue spécialement appréciable, bien qu'il faille souligner le sentiment d'ouverture sur l'extérieur procuré par le fait qu'il donne sur trois côtés. Ces éléments ne suffisent toutefois pas à remettre en question l'impression globale de somptuosité et de confort supérieur dégagée par l'appartement, conformément à la jurisprudence précitée.

Partant, le caractère luxueux de l'appartement est reconnu.

10.         À toutes fins utiles, le tribunal constatera que l'OCLPF a reconnu le caractère luxueux d'un appartement situé au 4______, avenue B______ (APA 5______) dont la taille (330m2) et la disposition sont similaires à celles de l'appartement litigieux, sans qu'aucun élément ne permette de retenir que cet office se serait trompé dans cette appréciation.

S'agissant des APA 6______ et 7______, le tribunal relèvera que l'OCLPF, se limitant à réserver la question en cas de future location, ne s'est pas prononcé sur le caractère luxueux ou non des deux appartements situés dans le même immeuble que celui du recourant.

11.         Au vu de ce qui précède, le recours sera admis et la décision querellée annulée en ce qu'elle impose au recourant un contrôle des loyers après travaux.

12.         Vu l'issue du litige et en application des art. 87 al. 1 LPA et 1 et 2 du règlement sur les frais, émoluments et indemnités en procédure administrative du 30 juillet 1986 (RFPA - E 5 10.03), il ne sera pas perçu d'émolument.

13.         L'avance de frais versée par le recourant lui sera restituée.

14.         Vu l'issue du litige, une indemnité de procédure de CHF 2'500.-, à la charge de l'État de Genève, soit pour lui le département du territoire, sera allouée au recourant (art. 87 al. 2 à 4 LPA et 6 RFPA)

 


PAR CES MOTIFS

LE TRIBUNAL ADMINISTRATIF

DE PREMIÈRE INSTANCE

1.             déclare recevable le recours interjeté le 12 juin 2023 par Monsieur A______ contre la décision du département du territoire du 12 mai 2023 ;

2.             l'admet ;

3.             annule l'autorisation APA 3______ en ce qu'elle prononce le contrôle du loyer du logement après travaux ;

4.             renonce à percevoir un émolument et ordonne la restitution au recourant de l’avance de frais de CHF 900.- ;

5.             condamne l'État de Genève, soit pour lui le département du territoire, à verser au recourant une indemnité de procédure de CHF 2'500.- ;

6.             dit que, conformément aux art. 132 LOJ, 62 al. 1 let. a et 65 LPA, le présent jugement est susceptible de faire l'objet d'un recours auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (10 rue de Saint-Léger, case postale 1956, 1211 Genève 1) dans les trente jours à compter de sa notification. L'acte de recours doit être dûment motivé et contenir, sous peine d'irrecevabilité, la désignation du jugement attaqué et les conclusions du recourant. Il doit être accompagné du présent jugement et des autres pièces dont dispose le recourant.

Siégeant : Sophie CORNIOLEY BERGER, présidente, Claire BOLSTERLI, Manuel BARTHASSAT, François HILTBRAND et Ricardo PFISTER, juges assesseurs.

 

Au nom du Tribunal :

La présidente

Sophie CORNIOLEY BERGER

 

Copie conforme de ce jugement est communiquée aux parties.

Genève, le

 

La greffière