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Décisions | Tribunal administratif de première instance

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A/1628/2023

JTAPI/1411/2023 du 19.12.2023 ( OCPM ) , REJETE

ATTAQUE

Descripteurs : REGROUPEMENT FAMILIAL;CONJOINT;DÉLAI;CAS DE RIGUEUR
Normes : LEI.44.al1; LEI.47.al1; LEI.47.al3.letb; LEI.85.al7; OASA.74.al3; OASA.75; LEI.47.al4
En fait
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

A/1628/2023

JTAPI/1411/2023

 

JUGEMENT

DU TRIBUNAL ADMINISTRATIF

DE PREMIÈRE INSTANCE

du 19 décembre 2023

 

dans la cause

 

Monsieur A______, représenté par M. François MIEVILLE, CSP-Centre social protestant, avec élection de domicile

 

contre

OFFICE CANTONAL DE LA POPULATION ET DES MIGRATIONS

 


EN FAIT

1.             Monsieur A______, né le ______, est ressortissant somalien.

2.             Le 25 mars 2021, il a déposé une demande de regroupement familial auprès de son épouse Madame B______, titulaire d'une autorisation de séjour de type B, et de leurs huit enfants, nés entre 1995 et 2006, tous titulaires d'une autorisation de séjour en Suisse.

M. A______ et Mme B______ s'étaient mariés le ______ 1994 à Mogadiscio en Somalie. Cette dernière était arrivée en Suisse en 2007, avec sa fille cadette et avait été mise au bénéfice d'une admission provisoire. Les sept autres enfants étaient entrés en Suisse le 5 octobre 2011 suite à un regroupement familial. Il avait connu de sérieux problèmes en Somalie avec les militants islamistes (shebabs) qui l'avaient agressé et blessé à deux reprises. Il avait quitté son pays pour Djibouti en 2006 où il était resté jusqu'en 2012, en convalescence et craignant pour sa vie. Durant ces années, il avait été coupé des membres de sa famille. C'était à son retour en Somalie qu'il avait retrouvé la mère de son épouse et avait pu reprendre contact avec elle et leurs enfants. Il leur téléphonait souvent. En 2019, son épouse et six de leurs enfants l'avaient rejoint pour un mois en Somalie. Après avoir déménagé dans un appartement plus grand, sa famille avait entamé les démarches en vue d'un regroupement familial. C'est car les conditions légales n'étaient pas remplies au préalable, qu'il n'avait pas déposé sa demande plus tôt.

3.             Le 7 juin 2022, l'intéressé a déposé une demande de visa d'entrée en Suisse auprès de l'Ambassade de Suisse à Nairobi en vue du regroupement familial.

4.             Par courrier du 1er février 2023, l'office cantonal de la population et des migrations (ci-après: OCPM) a signifié à M. A______ son intention de refuser sa demande d'entrée et d'octroi d'une autorisation de séjour.

Son épouse était détentrice d'une autorisation de séjour pour la transformation de son admission provisoire, soit une prise de résidence dans le cadre de l'aide aux réfugiés reconnus en Suisse, valable depuis le 23 octobre 2017. Elle était au bénéfice d'un contrat de travail à 80% et percevait des prestations complémentaires familiales (ci-après : PCFam) en tant que seul parent à travailler. Si l'intéressé la rejoignait en Suisse, elle devrait travailler à au moins 90% pour ne pas perdre son droit aux PCFam car elle vivrait en couple. Dès lors, la venue de M. A______ ferait basculer la famille hors des prestations complémentaires familiales, péjorant la situation car l'aide sociale devrait prendre le relais et les conditions de l'art. 44 de la loi fédérale sur les étrangers et l'intégration du 16 décembre 2005 (LEI - RS 142.20) ne seraient pas remplies. Les déplacements que l'intéressé avait effectués entre 2006 et 2012 suite aux problèmes rencontrés en Somalie avec les militants islamistes n'étaient étayés par aucun document. Enfin, les délais légaux n'avaient pas été respectés car M. A______ aurait dû déposer sa demande entre le 25 juillet 2011 et le 25 juillet 2016, soit dans les cinq ans après le délai d'attente de trois ans après l'admission provisoire. Or, la demande avait été formulée le 25 mars 2021.

Un délai de trente jours était imparti à M. A______ pour exercer son droit d'être entendu.

5.             Par courrier du 6 mars 2023, soit après le délai accordé, M. A______ a exercé son droit. Mme B______ avait été mise au bénéfice d'une autorisation de séjour le 23 octobre 2017. Ses demandes des 23 mars 2021 et 7 juin 2022 avaient donc été faites dans le délai de cinq ans prévu par l'art. 47 al. 3 let. b LEI. Le délai prévu par l'art. 74 al. 3 de l'ordonnance relative à l'admission, au séjour et à l'exercice d'une activité lucrative du 24 octobre 2007 (OASA - RS 142.201) était prévu pour les titulaires d'une admission provisoire et ne concernait pas Mme B______, titulaire d'une autorisation de séjour. La séparation des époux résultait de tragiques circonstances involontaires. La date de reprise de contact n'était pas claire mais cela devait plutôt être en 2013 et 2014. On ne pouvait leur reprocher un intérêt moindre à vivre ensemble mais il était compréhensible qu'ils aient eu besoin de renouer progressivement avant d'envisager la reprise d'une vie commune après une aussi longue séparation. Ce n'est qu'après leurs retrouvailles en 2019 qu'ils ont tous décidé de vivre à nouveau ensemble. La situation financière de la famille s'était améliorée puisqu'une de leurs filles, vivant avec sa mère, percevait désormais un salaire de CHF 1'273.- mensuel dans le cadre de son apprentissage. Son salaire venait s'ajouter aux ressources de la famille. Il pourrait également bénéficier d'un subside d'assurance-maladie. Si nécessaire, sa venue devrait permettre à la famille de bénéficier à nouveau de prestations complémentaires au cas où ses revenus ne suffiraient pas à couvrir toutes ses dépenses. Elle n'en touchait plus depuis septembre 2022. Mme B______ travaillait en réalité à un taux avoisinant les 90% car en plus de son engagement auprès de l'hôtel E______, elle occupait un emploi de dix à quinze heures par mois auprès de C______ SA. Quelques heures de travail par mois avec cet employeur semblaient possibles. Son taux d'activité lui donnerait ainsi droit à des prestations complémentaires. Dès lors, la crainte que la famille bascule à l'aide sociale avec son arrivée n'était pas fondée.

6.             Par décision du 24 mars 2023, l'OCPM a refusé, pour les mêmes motifs que ceux ressortant de sa lettre d'intention du 6 mars 2023, d'octroyer une autorisation d'entrée et de séjour en faveur de M. A______.

Les art. 85 al. 7 LEI et 74 al. 3 OASA faisant référence au délai d'attente de trois ans après le prononcé de l'admission provisoire n'avaient pas été pris en compte par l'intéressé au même titre que la différence entre admission provisoire (livret F) et autorisation de séjour (livret B). Il ne remplissait pas les conditions de l'art. 44 LEI qui ne donnait aucun droit à une autorisation de séjour. Quand bien-même les moyens financiers de la famille seraient suffisants, il n'en demeurait pas moins que la demande avait été déposée hors délai.

7.             Par acte du 11 mai 2023, M. A______ a formé recours auprès du Tribunal administratif de première instance (ci‑après : le tribunal) contre cette décision, concluant à son annulation et à ce qu'il soit ordonné à l'OCPM de lui autoriser l'entrée en Suisse en vue du regroupement familial, sous suite de dépens.

Son épouse et ses enfants n'étaient plus assistés par l'Hospice générale depuis le 1er août 2016 et ne percevaient plus de prestations complémentaires depuis septembre 2022. Les enfants mineurs étaient encore étudiants hormis N______ qui avait entrepris un apprentissage d'horticulture et M______, victime d'un grave accident de vélo en 2017 et percevant dès lors, une rente de l'assurance-invalidité. Son épouse vivait avec six de leurs enfants dans un appartement de six pièces tandis que les deux ainés logeaient dans leur propre appartement.

L'art. 47 al. 3 let. b LEI prévoyait un délai de cinq ans après l'obtention de l'autorisation de séjour, pour déposer la demande de regroupement familial. Le regroupement familial en vertu de l'art. 85 al. 7 LEI n'avait pas été possible puisque l'admission provisoire de son épouse avait pris fin en octobre 2017 et qu'elle ne vivait pas dans un logement lui permettant d'accueillir une personne supplémentaire. L'OCPM avait remis en question de manière arbitraire son parcours tragique au prétexte qu'aucune preuve n'avait été fournie, laissant ainsi entendre que la séparation familiale aurait été volontaire. En cela, il avait abusé de son pouvoir d'appréciation. Il n'avait pas non plus pris en considération le fait que les époux avaient repris contact un à deux ans après son retour en Somalie en 2012 et qu'ils leur avaient fallu un certain temps pour reprendre leur relation. Les autres conditions de l'art. 44 LEI étaient réalisées. Il ferait ménage commun avec sa famille dans un logement approprié, laquelle ne dépendait pas de l'aide sociale et ne percevait pas de prestations complémentaires.

Il a produit un chargé de pièces dont un contrat de travail entre C______ SA et son épouse, non daté, pour une activité de femme de ménage pour un salaire brut de CHF 30.-, un bulletin de salaire de février 2023 d'un montant de CHF 230.90, un bulletin de salaire de mars 2023 d'un montant de CHF 319.05 et un bulletin de salaire d'avril 2023 d'un montant de CHF 273.80.

8.             Dans ses observations du 13 juillet 2023, l'OCPM a conclu au rejet du recours. Les conditions des art. 44 et 47 LEI n'étaient pas réalisées. Mme B______ avait été mise au bénéfice d'une admission provisoire le 25 juillet 2008. En vertu de l'art. 74 al. 3 OASA, si les délais prévus à l'art. 85 al. 7 LEI étaient respectés, la demande devait être déposée dans les cinq ans. La demande du recourant déposée le 25 mars 2021 était manifestement hors délai, étant précisé que la délivrance d'une autorisation de séjour le 23 octobre 2017 n'avait pas fait courir de nouveau délai. Le regroupement familial ne pouvait dès lors être autorisé qu'en présence de raisons familiales majeures, non réalisées en l'espèce.

9.             Le recourant a répliqué le 31 août 2023 dans le délai prolongé par le tribunal. Il a persisté dans ses conclusions et argumentaire.

10.         Par duplique du 22 septembre 2023, l'OCPM n'a pas fait valoir d'observations complémentaires.

11.         Le détail des écritures et des pièces produites sera repris dans la partie « En droit » en tant que de besoin.

EN DROIT

1.             Le Tribunal administratif de première instance connaît des recours dirigés, comme en l’espèce, contre les décisions de l'office cantonal de la population et des migrations relatives au statut d'étrangers dans le canton de Genève (art. 115 al. 1 et 116 al. 1 de la loi sur l’organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 3 al. 1 de la loi d'application de la loi fédérale sur les étrangers du 16 juin 1988 - LaLEtr - F 2 10).

2.             Interjeté en temps utile et dans les formes prescrites devant la juridiction compétente, le recours est recevable au sens des art. 60 et 62 à 65 de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 (LPA - E 5 10).

3.             Selon l’art. 61 al. 1 LPA, le recours peut être formé pour violation du droit, y compris l’excès et l’abus du pouvoir d’appréciation (let. a), ou pour constatation inexacte ou incomplète des faits pertinents (let. b). En revanche, les juridictions administratives n’ont pas compétence pour apprécier l’opportunité de la décision attaquée, sauf exception prévue par la loi (art. 61 al. 2 LPA), non réalisée en l’espèce.

4.             Il y a en particulier abus du pouvoir d'appréciation lorsque l'autorité se fonde sur des considérations qui manquent de pertinence et sont étrangères au but visé par les dispositions légales applicables, ou lorsqu'elle viole des principes généraux du droit tels que l'interdiction de l'arbitraire et de l'inégalité de traitement, le principe de la bonne foi et le principe de la proportionnalité (ATF 143 III 140 consid. 4.1.3 ; 140 I 257 consid. 6.3.1 ; 137 V 71 consid. 5.1 ; arrêt du Tribunal fédéral 8C_763/2017 du 30 octobre 2018 consid. 4.2 ; Thierry TANQUEREL, Manuel de droit administratif, 2018, n. 515 p. 179).

5.             Saisi d’un recours, le tribunal applique le droit d’office. Il ne peut pas aller au-delà des conclusions des parties, mais n’est lié ni par les motifs invoqués par celles-ci (art. 69 al. 1 LPA), ni par leur argumentation juridique (cf. ATA/386/2018 du 24 avril 2018 consid. 1b ; ATA/117/2016 du 9 février 2016 consid. 2 ; ATA/723/2015 du 14 juillet 2015 consid. 4a).

6.             Le recourant conteste l'appréciation à laquelle l'OCPM a procédé estimant remplir les conditions nécessaires à l'octroi d'une autorisation de séjour sous l’angle du regroupement familial.

7.             La LEI et ses ordonnances d'exécution, en particulier l'ordonnance relative à l'admission, au séjour et à l'exercice d'une activité lucrative du 24 octobre 2007 (OASA - RS 142.201), règlent l'entrée, le séjour et la sortie des étrangers dont le statut juridique n'est pas réglé par d'autres dispositions du droit fédéral ou par des traités internationaux conclus par la Suisse (cf. art. 1 et 2 LEI), ce qui est le cas pour les ressortissants de Somalie.

8.             Selon l'art. 44 al. 1 LEI, le conjoint étranger du titulaire d'une autorisation de séjour ainsi que ses enfants étrangers de moins de 18 ans peuvent obtenir une autorisation de séjour et la prolongation de celle-ci aux conditions cumulatives suivantes : ils vivent en ménage commun avec lui (let. a) ; ils disposent d'un logement approprié (let. b) ; ils ne dépendent pas de l'aide sociale (let. c) ; ils sont aptes à communiquer dans la langue nationale parlée au lieu de domicile (let. d) ; la personne à l'origine de la demande de regroupement familial ne perçoit pas de prestations complémentaires annuelles au sens de la loi fédérale sur les prestations complémentaires à l'AVS et à l'AI du 6 octobre 2006 (LPC - RS 831.30) ni ne pourrait en percevoir grâce au regroupement familial (let. e).

9.             L’art. 44 LEI, par sa formulation potestative, ne confère pas un droit au regroupement familial (ATF 137 I 284 consid. 1.2 ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_548/2019 du 13 juin 2019 consid. 4), l'octroi d'une autorisation de séjour étant laissé à l'appréciation de l'autorité (ATF 139 I 330 consid. 1.2 ; 137 I 284 consid. 1.2).

10.         Le regroupement familial doit être demandé dans un délai de cinq ans (art. 47 al. 1 LEI). Pour les membres de la famille d’étrangers, les délais commencent à courir lors de l’octroi de l’autorisation de séjour ou lors de l’établissement du lien familial (art. 47 al. 3 let. b LEI). Il est respecté si la demande de regroupement familial est déposée avant son échéance (ATA/1109/2023 du 10 octobre 2023 consid. 2.2 et les références citées). Selon le texte clair de la disposition et conformément à la volonté du législateur, le délai de l'art. 47 al. 1 LEI s'applique également au conjoint du regroupant (principe confirmé in arrêt du Tribunal fédéral 2C_323/2018 du 21 septembre 2018 consid. 4.2.2 et 4.2.4 et les références citées). Les délais fixés par la législation sur les personnes étrangères ne sont pas de simples prescriptions d’ordre, mais des délais impératifs, dont la stricte application ne relève pas d’un formalisme excessif (arrêt du Tribunal fédéral 2C_285/2015 du 23 juillet 2015 consid. 2.3).

11.         Les délais prévus à l’art. 47 LEI visent à permettre une intégration précoce (ATF 133 II 6 consid. 5.4 ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_1176/2016 du 26 juillet 2017 consid. 4.2.) et ont également pour objectif la régulation de l’afflux d’étrangers (arrêt du Tribunal fédéral 2C_1/2017 du 22 mai 2017 consid. 4.1.2). Ces buts étatiques légitimes sont compatibles avec la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 (CEDH - RS 0.101 ; ATF 142 II 35 consid. 6.1).

12.         Selon la jurisprudence, la survenance d'une circonstance ouvrant à l'étranger un véritable droit au regroupement familial (telle la délivrance d'une autorisation d'établissement ou l'octroi de la nationalité suisse à un étranger jusque-là titulaire d'une autorisation de séjour) fait courir un nouveau délai à compter de l'ouverture de ce droit, pour autant qu'une première demande (demeurée infructueuse) ait été déposée dans les délais prévus par l'art. 47 al. 1 et al. 3 LEI et que la seconde demande intervienne également dans ces délais (cf. ATF 137 II 393 consid. 3.3 ; arrêts du Tribunal fédéral 2C_409/2018 du 23 janvier 2019 consid. 3.10, 2C_323/2018 du 21 septembre 2018 consid. 3 ; 2C_259/2018 du 9 novembre 2018 consid. 3.1, 2C_787/2016 du 18 janvier 2017 consid. 5 et la jurisprudence citée).

13.         Pour les membres de la famille d’une personne admise à titre provisoire, les délais commencent à courir dès qu'elle bénéficie du regroupement familial, à savoir trois ans après le prononcé de l’admission provisoire et doit être déposée dans les cinq ans (art. 85 al. 7 LEI et art. 74 al. 3 OASA).

14.         Selon les directives établies par le secrétariat d’État aux migrations (ci-après : SEM), qui ne lient pas le juge mais dont celui-ci peut tenir compte pour assurer une application uniforme de la loi envers chaque administré pour autant qu'elles respectent le sens et le but de la norme applicable (arrêt du Tribunal administratif fédéral F-968/2019 du 16 août 2021 consid. 5.4.2 ; ATA/1198/2021 du 9 novembre 2021 consid. 7b), les délais pour le regroupement familial commencent à courir, pour les membres de la famille d’une personne admise à titre provisoire dès que celle-ci bénéficie du regroupement familial. Si l’étranger avait déjà le droit au regroupement familial avant l’octroi de l’actuelle autorisation, il en est tenu compte lors du calcul du délai pour le regroupement (admission provisoire transformée en autorisation de séjour ou autorisation de séjour transformée en autorisation d’établissement). Toutefois, les étrangers ne disposant pas d’un droit au regroupement familial qui ont sollicité en vain une première autorisation de séjour en faveur des membres de leur famille peuvent, ultérieurement à la survenance d’une circonstance leur ouvrant un véritable droit au regroupement familial, former une nouvelle demande pour autant que la première ait été déposée dans les délais visés à l’art. 47 LEI et que la seconde le soit également dans ces délais (SEM, Directives et commentaires, Domaine des étrangers, 6.10.1, p. 118 et 119, 2013, état au 1er février 2023).

15.         Il s'ensuit que si l'étranger est en droit de déposer une demande de regroupement familial à la faveur d'une admission provisoire, il se doit de le faire dans les délais prévus à l'art. 74 al. 3 OASA s'il entend se prévaloir d'un nouveau délai une fois l'autorisation de séjour délivrée (cf. consid. 12 supra valant mutatis mutandis en cas de délivrance d'une autorisation de séjour à un étranger au bénéfice d'une admission provisoire).

16.         Passé le délai de cinq ans, le regroupement familial différé n'est autorisé que pour des raisons familiales majeures (art. 47 al. 4 LEI et 74 al. 3 OASA).

17.         En l'espèce, il n'est pas contesté que la demande de regroupement familial du recourant a été déposée le 25 mars 2021, tandis que son épouse a été admise provisoirement le 25 juillet 2008. Par conséquent, la demande a été formée tardivement au regard des art. 47 al. 1, 85 al. 7 LEI et 74 al. 3 OASA. L'autorisation de séjour délivrée à l'épouse du recourant le 23 octobre 2017 ne change rien à cet égard. En effet, compte tenu du caractère tardif de la demande de regroupement familial, cette dernière ne peut pas être considérée comme une première demande de regroupement valable au sens de la jurisprudence précitée. Ainsi, le recourant ne peut se prévaloir du déclenchement d'un nouveau délai au sens de l'art. 47 al. 3 let. b LEI. Par conséquent, ce n'est qu'en présence de raisons familiales majeures que le regroupement familial pourrait être accordé (art. 47 al. 4 LEI). 

18.         Les raisons familiales majeures sont explicitées dans l'OASA. Elles sont données lorsque le bien de l'enfant ne peut être garanti que par un regroupement familial en Suisse (art. 75 OASA). Eu égard au conjoint, toutefois, ni cette ordonnance ni la jurisprudence et la doctrine n'ont arrêté les contours de cette exigence de façon déterminante (cf. ATF 146 I 185 consid. 7.1.1; arrêt 2C_323/2018 du 21 septembre 2018 consid. 8.2.1). Le Tribunal fédéral a cependant eu l'occasion de préciser que le fait que le regroupant bénéficie tardivement de moyens de subsistance suffisants pour sa famille ne constitue en principe pas une telle raison au sens de l'art. 47 al. 4 LEI (cf. arrêts 2C_948/2019 du 27 avril 2020 consid. 3.4.1; 2C_1/2017 du 22 mai 2017 consid. 4.2.6).  

19.         Par ailleurs, il ne doit être fait usage de l'art. 47 al. 4 LEI qu'avec retenue (ATF 146 I 185 consid. 7.1.1; arrêt 2C_728/2021 du 25 février 2021 consid. 5.3 et les arrêts cités). Les raisons familiales majeures pour le regroupement familial hors délai doivent être interprétées d'une manière conforme au droit fondamental au respect de la vie familiale (art. 13 Cst. et 8 CEDH; ATF 146 I 185 consid. 7.1.1 et les arrêts cités, cf. infra consid. 5.3). Selon la jurisprudence relative à l'art 47 al. 4 LEI, le désir de voir tous les membres de la famille réunis en Suisse est à la base de toute demande de regroupement familial, y compris celles déposées dans les délais, et représente même une des conditions du regroupement. La seule volonté de voir la famille réunie ne constitue dès lors pas une raison familiale majeure et, lorsqu'une demande de regroupement familial est effectuée hors délai et que la famille a vécu séparée volontairement, d'autres raisons sont nécessaires (cf. ATF 146 I 185 consid. 7.1.1; arrêt 2C_1028/2018 du 27 mai 2019 consid. 5.3). 

20.         En l'espèce, les intéressés ne font plus ménage commun depuis 2006, soit depuis bientôt dix-huit ans. Ils n'ont pas formulé de demande de regroupement familial durant toutes ces années alors qu'ils l'auraient pu depuis le 25 juillet 2011, aux motifs qu'ils n'avaient repris contact qu'en 2013 ou 2014, avait besoin de temps pour renouer leur relation et que la condition du logement approprié n'était pas réalisée. A cela s'ajoute que le recourant aurait été agressé en Somalie par des militants islamistes, le forçant à s'établir à Djibouti jusqu'en 2012. Cette situation, qu'il n'a pas démontrée, n'a toutefois pas d'impact puisqu'il aurait pu déposer sa demande de regroupement familial dès son retour en Somalie en 2012. Le fait que les époux aient souhaité éprouver leur relation et que Mme B______ n'ait bénéficié que tardivement d'un logement approprié pour accueillir son époux ne constituent pas des raisons familiales majeures au sens de l'art. 47 al. 4 LEI qui ne doit être appliqué qu'avec retenue.

Dans ce cadre, le désir de voir les membres de la famille réunis en Suisse ne constitue pas, selon la jurisprudence susmentionnée, une raison familiale majeure. En outre, rien n’empêche le recourant et les membres de sa famille de continuer à entretenir des relations comme ils l’ont toujours fait, non seulement en se parlant quotidiennement mais également au moyen de visites en Somalie, ce qui est du reste conforme au droit conventionnel étant donné l’absence de droit à obtenir un titre de séjour en Suisse.

21.         Il s’ensuit que les conditions restrictives du regroupement familial différé selon l’art. 47 al. 4 LEI et 75 OASA ne sont pas réunies de sorte que c’est à juste titre que l’autorité intimée a refusé le regroupement familial sollicité.

22.         Mal fondé, le recours sera par conséquent rejeté.

23.         En application des art. 87 al. 1 LPA et 1 et 2 du règlement sur les frais, émoluments et indemnités en procédure administrative du 30 juillet 1986 (RFPA - E 5 10.03), le recourant qui succombe, est condamné au paiement d’un émolument s'élevant à CHF 500.- ; il est couvert par l’avance de frais versée à la suite du dépôt du recours. Vu l’issue du litige, aucune indemnité de procédure ne sera allouée (art. 87 al. 2 LPA).

24.         En vertu des art. 89 al. 2 et 111 al. 2 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent jugement sera communiqué au SEM.

 


PAR CES MOTIFS

LE TRIBUNAL ADMINISTRATIF

DE PREMIÈRE INSTANCE

1.             déclare recevable le recours interjeté 11 mai 2023 par Monsieur A______ contre la décision de l'office cantonal de la population et des migrations du 24 mars 2023 ;

2.             le rejette ;

3.             met à la charge du recourant un émolument de CHF 500.-, lequel est couvert par l'avance de frais ;

4.             dit qu’il n’est pas alloué d’indemnité de procédure ;

5.             dit que, conformément aux art. 132 LOJ, 62 al. 1 let. a et 65 LPA, le présent jugement est susceptible de faire l'objet d'un recours auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (10 rue de Saint-Léger, case postale 1956, 1211 Genève 1) dans les trente jours à compter de sa notification. L'acte de recours doit être dûment motivé et contenir, sous peine d'irrecevabilité, la désignation du jugement attaqué et les conclusions du recourant. Il doit être accompagné du présent jugement et des autres pièces dont dispose le recourant.

 

Au nom du Tribunal :

La présidente

Gwénaëlle GATTONI

 

Copie conforme de ce jugement est communiquée aux parties, ainsi qu’au secrétariat d'État aux migrations.

Genève, le

 

La greffière