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Décisions | Tribunal administratif de première instance

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A/2330/2023

JTAPI/1350/2023 du 30.11.2023 ( DOMPU ) , ADMIS

Descripteurs : DROIT D'ÊTRE ENTENDU;AMENDE
Normes : LDPu.17; LRoutes.77; RTEP.27.al1
En fait
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

A/2330/2023 DOMPU

JTAPI/1350/2023

 

JUGEMENT

DU TRIBUNAL ADMINISTRATIF

DE PREMIÈRE INSTANCE

du 30 novembre 2023

 

dans la cause

 

Monsieur A______, représenté par Me Romain JORDAN, avocat, avec élection de domicile

 

contre

VILLE DE GENÈVE - SERVICE DE L'ESPACE PUBLIC

 


EN FAIT

1.             Monsieur A______ exploite l'établissement public B______, sis à la rue 1______ à Genève.

2.             Le 20 septembre 2018, la Ville de Genève (ci-après : la ville), soit pour elle son service de l'espace public (ci-après : SEP), a délivré à M. A______ une permission l'autorisant à installer une terrasse d'été de 5,50 m x 1,85 m sur la chaussée adjacente à son établissement, avec reconduction automatique, valable du 1er mars au 31 octobre.

Au chapitre des conditions de renouvellement, il était précisé que le bénéficiaire de la présente permission prenait formellement note que si aucun changement n'avait lieu (changement du titulaire de l'autorisation d'exploiter PCTN, d'enseignes, de statut de la rue, de travaux etc.), lors de la saison à venir, la mise en place de la terrasse vaudrait demande de renouvellement de la permission pour l'année suivante. Le constat du SEP ferait foi et, cas échéant, donnerait lieu au renouvellement de la permission délivrée l'année précédente aux mêmes conditions par l'envoi de la facture.

3.             Dès le 12 mars 2021, dans le cadre des mesures d'accompagnement liées à la pandémie de Covid-19, M. A______ a été autorisé, à titre exceptionnel et provisoire, soit jusqu'à la fin du mois de février 2022, à étendre sa terrasse sur une surface supplémentaire de 5,10 m x 1.85 m.

4.             Par correspondance du 7 mars 2022, le SEP l'a notamment informé du fait que le Conseil administratif de la ville avait décidé d'autoriser, à titre gracieux, le maintien des agrandissements temporaires de terrasses sur trottoir et sur chaussée aux mêmes conditions qu'en 2020 et 2021 et ce, jusqu'au 31 octobre 2022.

Ce courrier précisait que son non-respect serait sanctionné par le biais de mesures appropriées pouvant aller jusqu'à l'injonction de retrait immédiat de la terrasse du domaine public, hormis le prononcé d'une amende administrative.

5.             Par courriels du 16 juin 2022, Madame C______, directrice du D______, a indiqué au SEP qu'elle souhaitait pouvoir maintenir l'extension de sa terrasse. Elle disposait de deux baux mais d'une seule autorisation d'exploiter. L'extension serait attribuée au deuxième bail.

6.             Par courriel du 24 juin 2022, le SEP a expliqué à Mme C______ que le fait d'avoir deux baux ne l'autorisait pas à bénéficier de deux terrasses sur la chaussée. Pour obtenir deux surfaces de terrasse en zone bleue, il était nécessaire d'avoir deux établissements distincts avec deux autorisations d'exploiter (une par établissement).

En l'état, la deuxième surface de terrasse était considérée comme une extension autorisée exceptionnellement, comme mesure de soutien liée à la pandémie, jusqu'au 31 octobre 2022. Cette extension ne serait vraisemblablement pas reconduite en 2023. Si elle souhaitait pouvoir bénéficier d'une deuxième surface de terrasse pérenne dès le mois de mars 2023, une demande formelle d'installation de terrasse devrait leur parvenir par le biais du formulaire joint, au nom d'un deuxième établissement. Une autorisation d'exploiter l'établissement en question devrait également être jointe à cette demande au nom de la deuxième enseigne.

7.             Par courrier du 14 octobre 2022, le SEP a rappelé à l'exploitant de l'établissement que la mesure d'accompagnement « Covid-19 » permettant l'agrandissement provisoire des surfaces de ces terrasses prendrait fin le 31 octobre 2022. Aussi, les terrasses, qu'elles soient d'été ou d'hiver, sur trottoir, places ou chaussée, pour lesquelles une extension provisoire avait été autorisée devraient retrouver leurs dimensions ordinaires dès le 1er novembre 2022.

8.             Par courriel du 7 mars 2023, Mme C______ s'est à nouveau adressée au SEP, lui indiquant qu'elle ne parvenait pas à obtenir de réponse de la part du service de police du commerce et de lutte contre le travail au noir (ci-après : PCTN) et de l'office cantonal de l'inspection et des relations du travail (ci-après : OCIRT). Elle répétait au surplus que l'établissement était titulaire de deux baux pour l'exploitation de deux espaces séparés du restaurant et souhaitait obtenir le droit d'exploiter une terrasse sur deux places de parking.

9.             Par courriel du 13 mars 2023, le SEP a répondu à la précitée. Il l'a invitée à s'adresser directement au PCTN et à l'OCIRT concernant les démarches auprès de ces services.

Le SEP était compétent concernant les terrasses sur le territoire de la ville. Il a répété que pour ce qui était des terrasses sur chaussée, en zone bleue, tel que cela semblait être l'objet de sa demande, le SEP ne pouvait octroyer qu'une seule surface de terrasse d'une longueur maximale de 5,50 m par établissement. L'autorisation d'exploiter délivrée par le PCTN était le prérequis indispensable. L'établissement était déjà au bénéfice d'une telle terrasse délivrée le 20 septembre 2018, elle devait en respecter rigoureusement les dimensions. Enfin, le nombre de baux à loyer n'était pas déterminant pour l'obtention d'une deuxième surface de terrasse. Seule l'autorisation d'exploiter un établissement public délivrée par le PCTN était pertinente. Autrement dit, elle pourrait revendiquer une terrasse uniquement dans l'hypothèse où le PCTN délivrerait une autorisation d'exploiter distincte pour créer un autre établissement dans les locaux faisant l'objet du deuxième bail.

10.         En date des 11 et 26 mai 2023, le SEP a constaté que le B______ avait réinstallé sa terrasse sur la surface autorisée par la permission du 20 septembre 2018 d'une part, ainsi que l'extension autorisée pendant la crise sanitaire, d'autre part.

11.         Par décision du 8 juin 2023, la ville, se fondant sur les deux constats précités, a infligé à M. A______ une amende administrative de CHF 1'000.- dont il devait s'acquitter dans les trente jours et lui a ordonné de retirer du domaine public l'extension de sa terrasse (5,10 m x 1,85 m) dans un délai de quinze jours.

La permission accordée le 20 septembre 2018 relative à l'installation d'une terrasse d'été était accompagnée d'un plan délimitant le périmètre utilisable aux dimensions suivantes 5.50 m x 1,85 m ; elle en fixait également les conditions. M. A______ n'était pas sans ignorer que les extensions de terrasse, accordées à titre exceptionnel et provisoire en tant que mesure d'accompagnement « COVID 19 », avaient pris fin le 31 octobre 2022 ce dont il avait été informé le 7 mars 2022, puis rappelé par courrier du 14 octobre 2022. Il ressortait des constats qu'il avait installé sa terrasse d'été sur la chaussée en dépassant très largement les dimensions et limites autorisées. Il avait en effet installé une surface de 5,10 m x 1,85 m supplémentaires, sans autorisation en violation de l'art. 8 du règlement sur les terrasses d'établissements publics (LC 21 314) et du point 2.6 des conditions de la permission n° 244'499.

Le bordereau d'amende visant le dépassement des limites autorisées de terrasse faisait référence aux art. 13, 15 et 17 de la loi sur le domaine public du 24 juin 1961 (LDPu - L 1 5), 85 et 86 de la loi sur les routes du 28 avril 1967 (LRoutes - L 1 10) et L 110 et 31 al. 2 du règlement concernant l'utilisation du domaine public du 21 décembre 1988 (RUDP - L 1 10.12).

12.         Par acte du 10 juillet 2023, M. A______, sous la plume de son conseil, a interjeté recours contre cette décision auprès du Tribunal administratif de première instance (ci-après : le tribunal), concluant préalablement à ce que le tribunal ordonne la transmission d'un tirage intégral du dossier, la tenue d'un transport sur place et son audition. Il sollicitait également l'autorisation de compléter son recours et notamment ses conclusions à réception du dossier complet de la part du SEP. Au fond, il a conclu à l'annulation de la décision, sous suite de frais et dépens.

La mesure et la sanction litigieuses avaient été décidées par une autorité incompétente, de sorte que le recours devait être admis pour cette raison déjà.

La décision consacrait plusieurs violations du droit d'être entendu. Premièrement, il n'avait pas été invité à se prononcer avant la prise de décision. Deuxièmement, la décision n'était pas suffisamment motivée, les bases légales relatives au retrait du domaine public n'étant pas indiquées. Troisièmement, l'autorité intimée ne lui avait pas transmis de copie du dossier, pourtant sollicitée. Enfin, la décision était le résultat d'un déni de justice formel dans la mesure où malgré toutes ses tentatives pour obtenir valablement la permission d'exploiter une terrasse sur deux places de parcage, l'autorité intimée ne lui avait laissé aucune chance et avait ainsi refusé de statuer de manière coupable.

La décision consacrait une violation des art. 77 let. d et 85 de la loi sur les routes du 28 avril 1967 (LRoutes - L 1 10) en lien avec les principes de proportionnalité et d'égalité de traitement. La terrasse avait été annoncée dans un espace qui avait été validé les années précédentes. Le fait que cela était conforme à la pratique de l'autorité intimée avait pour conséquence que la décision, qui tentait de s'écarter de cette pratique, était contraire au principe de l'égalité de traitement. De plus, la terrasse ayant été autorisée depuis le mois de novembre 2022, le comportement de l'autorité consistant à sanctionner un comportement qui avait été toléré pendant plusieurs mois, sans aucun avertissement, était contraire au principe de la bonne foi. Même si un écart au règlement avait pu être constaté, l'amende et l'ordre de remise en état devaient être considérés comme manifestement disproportionnés.

13.         En date du 28 juillet 2023, le recourant a complété son recours. Le dossier fourni par l'autorité intimée n'était pas complet. Il ne contenait en particulier pas ses demandes d'autorisation ainsi que celles relatives à la possibilité d'exploiter deux espaces de terrasse, même au-delà des deux premiers délais prévus. Le courrier du 7 mars 2022, évoqué par l'autorité intimée ne figurait pas au dossier.

La soumission à autorisation de la possibilité d'exploiter une terrasse était constitutive d'une restriction à sa liberté économique. C'était également le cas des mesures visant à sanctionner une exploitation pourtant légitime, qui faisaient l'objet de la décision attaquée.

L'intérêt dont se prévalait l'autorité intimée consistant à soutenir que la terrasse litigieuse distrayait des cases de parcage à l'offre de stationnement en zone bleue n'était pas évident. Il convenait de relever que sa terrasse n'occupait que deux places de parcage dont l'une était d'ores et déjà autorisée.

Il existait par ailleurs une volonté concrète de rendre piétonne la rue 1______ et une mesure temporaire avait même été mise en place. Cette mesure avait des visées écologiques et de tranquillité publique. L'exploitation de la terrasse en question s'inscrivait donc dans la protection de ces intérêts. Au regard du principe de proportionnalité, l'intérêt avancé par l'intimée cédait le pas au sien, d'exploiter sa terrasse.

La décision sanctionnant cette exploitation et prévoyant qu'elle cesse violait la liberté économique du recourant et devait donc être annulée.

14.         En date du 25 août 2023, la ville a transmis ses observations au tribunal accompagnées d'un chargé de pièces. Elle a conclu au rejet du recours avec suite de frais. Elle invitait également le tribunal à sanctionner la démarche téméraire et abusive du recourant par le prononcé d'une amende.

La décision querellée avait trait au prononcé d'une amende et un ordre tendant au rétablissement d'une situation conforme au droit. La question de savoir si le recourant pourrait être autorisé à installer et exploiter la terrasse en question excédait donc le cadre du litige.

Contrairement à ce qu'il laissait entendre, le recourant n'avait pas sollicité du SEP – par le dépôt d'une requête en bonne et due forme munie des pièces utiles – la délivrance d'une permission.

La compétence du SEP relative à la délivrance des permissions d'usage accru du domaine public et de l'autorisation d'exploiter portant sur les terrasses des établissements publics sis sur le territoire de la ville impliquait d'en vérifier le respect et d'en sanctionner les éventuelles violations, même si le règlement LC 21 314 ne le stipulait pas expressément. En l'absence d'une disposition légale lui attribuant spécialement la compétence de statuer, les décisions qu'il prenait dans ce cadre étaient assimilées à des décisions du Conseil administratif.

Une éventuelle violation du droit d'être entendu – qu'il s'agisse d'un défaut de motivation ou du fait que le recourant n'avait pas été invité à s'exprimer avant le prononcé de la décision querellée – ne l'avait pas empêché de saisir le tribunal en temps utiles et de faire valoir ses moyens en connaissance de cause, de sorte qu'il n'en avait subi aucun préjudice. En tout état, cette éventuelle irrégularité serait réparée devant le tribunal qui disposait d'un plein pouvoir d'examen. Le recourant avait pu faire valoir ses arguments et pourrait les compléter dans sa réplique. Le renvoi de la cause à l'autorité intimée constituerait ainsi une vaine formalité. Par ailleurs, la ville n'avait pas à transmettre une copie du dossier au recourant, le dossier devant être consulté au siège de l'autorité.

Les pièces qui ne se trouvaient malencontreusement pas dans le dossier correspondaient à des correspondances que le recourant avait lui-même envoyées ou reçues.

L'argument relatif au déni de justice formel dont il se prétendait la victime relevait de la mauvaise foi et revêtait un caractère téméraire. Le fait qu'il se serait adressé à des autorités cantonales incompétentes ne saurait être imputé à la ville, ce d'autant plus que son conseil avait systématiquement reçu en copie les différents courriels que sa collaboratrice avait échangés avec le PCTN et même la Conseillère d'État en charge du département de l'économie et de l'emploi.

C'était sans droit, qu'au printemps 2023, le recourant avait réinstallé sa terrasse sur la surface litigieuse. Ses explications à ce sujet, soit que depuis l'été 2022, il avait essayé par tous les moyens d'obtenir la permission de continuer à pouvoir installer sa terrasse et que n'étant pas parvenu à ses fins, il avait agi en désespoir de cause laissaient sans voix. Dans la mesure où le recourant utilisait illicitement une portion de l'espace public, c'était à bon droit que le SEP lui avait ordonné de supprimer sans délai l'aire de terrasse litigieuse. Contrairement à ce qu'il avançait, la ville n'avait pas pour pratique de tolérer le non-respect des permissions qu'elle délivrait aux exploitants d'établissement public, ni à quiconque d'ailleurs.

Concernant l'amende querellée, la faute du recourant étaient lourde. C'était avec pleine conscience et volonté qu'il avait pris la liberté d'occuper illicitement le domaine public pour doubler la surface de sa terrasse de façon à retirer un gain, ce dont il avait été tenu compte.

15.         En date du 2 octobre 2023, le recourant a répliqué, persistant pour l'essentiel dans son argumentation.

16.         Le 10 octobre 2023, la ville a indiqué au tribunal qu'elle n'avait pas d'observations complémentaires à formuler.

EN DROIT

1.             Le Tribunal administratif de première instance connaît des recours dirigés contre les décisions prises en application de la loi sur les routes du 28 avril 1967 (LRoutes - L 1 10) ou de ses dispositions d'application tel, par exemple, le RUDP (art. 93 al. 1 cum art. 96 al. 1 LRoutes ; art. 115 al. 2 et 116 al. 1 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05).

2.             Interjeté en temps utile et dans les formes prescrites devant la juridiction compétente, le recours est recevable au sens des art. 60 et 62 à 65 de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 (LPA - E 5 10).

3.             Dans un premier grief, le recourant invoque l'incompétence de l'autorité intimée pour prononcer la décision litigieuse.

4.             La LRoutes et la loi sur le domaine public du 24 juin 1961 (LDPu - L 1 5) prévoient que toute utilisation des voies publiques qui excède l’usage commun, à savoir tout empiétement, occupation, travail, installation, dépôt ou saillie sur ou sous la voie publique, doit faire l’objet d’une permission ou d’une concession préalable (art. 56 al. 1 LRoutes et art. 13 al. 1 LDPu). Les permissions sont accordées par l'autorité cantonale ou communale qui administre le domaine public (art. 15 LDPu).

5.             Selon l'art. 17 LDPu, l'autorité qui accorde une permission en fixe les conditions.

6.             L'art. 61 LRoutes prévoit que les bénéficiaires de permissions ou de concessions, ainsi que le maître de l’ouvrage, doivent se conformer aux conditions fixées et prendre toutes les mesures utiles pour éviter des accidents (al. 1).

7.             L'art. 77 LRoutes énonce les diverses mesures qui peuvent être ordonnées par l’autorité compétente soit : a) l’exécution de travaux; b) la suspension de travaux; c) un mode particulier d’utilisation ou l’interdiction d’utiliser une installation ou une chose; d) la remise en état, la réparation et la modification d’une installation ou d’une chose ; e) la suppression d’une installation ou d’une chose.

8.             Selon l'art. 78 LRoutes, ces mesures peuvent être ordonnées par l’autorité compétente lorsque l’état d’une voie publique ou privée, de ses ouvrages d’art ou de ses dépendances, n’est pas conforme aux prescriptions de la présente loi, des règlements qu’elle prévoit ou des permissions et concessions accordées en application de ces dispositions légales ou réglementaires.

9.             Enfin, à teneur de l'art. 79 al. 1 LRoutes les communes peuvent ordonner les mesures qui relèvent de leur compétence.

10.         Selon l'art. 31 RUDP, l’autorité compétente détermine pour chaque cas particulier l’espace qui peut être utilisé sur le domaine public pour l’aménagement de terrasses. Elle fixe la date où l’installation peut être mise en place et celle où elle doit être enlevée (al. 1). Les éléments délimitant la terrasse ne doivent pas dépasser la largeur permise pour celle-ci ; ils doivent être posés ou enlevés en même temps que la terrasse. L’installation ne doit pas constituer une gêne pour la visibilité ni entraver la circulation (al. 2).

11.         À Genève, le Conseil administratif de la ville a adopté le règlement sur les terrasses d'établissements publics du 27 avril 2022 (LC 21 314 ; ci-après : le règlement), en vigueur depuis le 1er juin 2022 et applicable à toutes les terrasses situées sur le domaine public communal de la ville (art. 1 du règlement), notamment les terrasses dite d'été (art. 2 ch. 1 du règlement).

12.         Le Conseil administratif de la ville délègue au SEP la compétence de délivrer les permissions d'installation d'une terrasse. Les requêtes sont soumises pour préavis aux services cantonaux et municipaux compétents. Les terrasses parisiennes doivent être au bénéfice d'une autorisation de construire et sont soumises pour préavis à la commission de coordination des travaux en sous‑sol (CCTSS) (art. 3 du règlement).

13.         Son art. 4 prévoit que l'installation de terrasses sur le domaine public doit faire l'objet d'une requête, déposée avant le début de chaque saison par l'exploitant-e de l'établissement voué à la restauration et au débit de boissons au sens de la loi sur la restauration, le débit de boissons, l'hébergement et le divertissement, du 19 mars 2015 (LRDBHD – I 2 22), titulaire, sous réserve de dispenses, du certificat fédéral de capacité. Est réservée l'autorisation d'exploiter la terrasse au sens de l'art. 4, al. 3, LRDBHD, délivrée par le département cantonal compétent (al. 1). Sauf changement d'exploitant-e, de la configuration des lieux et/ou de la terrasse (périmètre et structure), les années suivantes la permission est reconduite automatiquement. Le service adresse à l'exploitant-e une redevance pour la nouvelle année en cours (al. 2). La requête est obligatoirement accompagnée d'un plan de situation à l'échelle 1/50 indiquant les dimensions de la terrasse et son aménagement, ainsi que tout autre document nécessaire à l'examen du dossier (al. 3). Si la configuration des lieux nécessite un aménagement particulier (podium, séparation), un plan de détail devra être également joint (al. 4). Le service peut renoncer, dès l'année suivant l'entrée en vigueur du présent règlement, à exiger les documents relatifs à l'aménagement, si la terrasse demandée est identique à celle autorisée l'année précédente (al. 5).

14.         L'art. 5 al. 1 du règlement précise que les permissions pour l'installation de terrasses sur le domaine public ne sont octroyées qu'à titre précaire. Elles peuvent être retirées à tout moment pour de justes motifs.

15.         Son art. 10 stipule que les terrasses d'été peuvent être installées du 1er mars au 31 octobre de chaque année. Hors de cette période, la totalité du matériel doit être retirée du domaine public.

16.         Enfin, l'art. 27 al. 1 du règlement prévoit que les contrevenant-e-s aux dispositions des chapitres I à V du présent règlement sont passibles des mesures administratives et des sanctions prévues aux art. 77 et ss et 85 et ss LRoutes.

17.         Selon l'art. 12 LPA, en l’absence de dispositions légales leur attribuant spécialement la compétence de statuer, les services des départements agissent sur délégation et prennent leurs décisions en tant qu’organes au nom et pour le compte du département auquel ils sont rattachés (al. 1). Il en va de même pour les décisions émanant des services de la chancellerie et ceux des établissements et corporations publics. Dans les cas des communes, les décisions prises par les services de l’administration communale sont assimilées à des décisions du conseil administratif ou du maire (al. 2).

18.         En l'espèce, le règlement communal a été valablement adopté par l'exécutif communal, conformément à la compétence qui lui est octroyée par la LRoutes et la LDPu.

Il ressort clairement du règlement communal que la compétence d'octroyer des permissions pour l'installation de terrasses, d'en limiter et contrôler l'utilisation ainsi que d'en sanctionner le non-respect a été déléguée au SEP. En effet, ce règlement, s'adressant tout d'abord au service, est un règlement de délégation, comprenant toutes les tâches revenant à ce service. Il n'est ainsi pas nécessaire qu'il soit précisé à chaque article de ce règlement que c'est le service qui est compétent.

Le tribunal de céans a d'ailleurs déjà confirmé une amende infligée par le service pour dépassement des limites d'une terrasse par jugement du 25 novembre 2011 (cf. JTAPI/1344/2011 du 25 novembre 2011).

Enfin, s'il est exact que le règlement en question n'attribue pas expressément au SEP la compétence d'ordonner la suppression de l'extension de la terrasse litigieuse et de prononcer des amendes, il a lieu de considérer qu'en application de l'art. 12 al. 2 LPA, la décision de ce service doit à tout le moins être assimilée à une décision du Conseil administratif ou du maire (JTAPI/1326/2017 du 14 décembre 2017).

Partant, ce grief sera rejeté.

19.         Le recourant se plaint d’une violation de son droit d’être entendu. Il n'aurait pas été invité à se prononcer avant la prise de décision. Celle-ci ne serait en outre pas suffisamment motivée, dès lors qu'elle ne mentionnait pas les bases légales relatives à l'ordre de retrait du domaine public. Enfin, l'autorité intimée ne lui aurait pas transmis une copie du dossier.

20.         Le droit d’être entendu, garanti par l’art. 29 al. 2 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101), est une garantie de nature formelle dont la violation entraîne, lorsque sa réparation par l’autorité de recours n’est pas possible, l’annulation de la décision attaquée sans égard aux chances de succès du recours sur le fond (ATF 144 I 11 consid. 5.3 ; arrêt du Tribunal fédéral 8C_485/2022 du 24 mars 2023 consid. 4.2). Ce moyen doit par conséquent être examiné en premier lieu (ATF 141 V 495 consid. 2.2).

Sa portée est déterminée d'abord par le droit cantonal (art. 41 ss LPA) et le droit administratif spécial (ATF 126 I 15 consid. 2 ; 125 I 257 consid. 3a et les références). Si la protection prévue par ces lois est insuffisante, ce sont les règles minimales déduites de la Constitution qui s’appliquent (art. 29 al. 2 de la - Cst.; arrêt du Tribunal fédéral 4A_15/2010 du 15 mars 2010 consid. 3.1 ; Thierry TANQUEREL, Manuel de droit administratif, 2e éd., 2018, pp. 518-519 n. 1526). Quant à l'art. 6 § 1 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 (CEDH - RS 0.101), il n'accorde pas au justiciable de garanties plus étendues que celles découlant de l'art. 29 al. 2 Cst. (arrêt du Tribunal fédéral 4P.206/2005 du 11 novembre 2005 consid. 2.1 et les références).

Le droit d’être entendu est concrétisé à l’art. 41 LPA, selon lequel les parties ont le droit d’être entendues par l’autorité compétente avant que ne soit prise une décision; elles ne peuvent toutefois prétendre à une audition verbale sauf dispositions légales contraires.

Le droit d’être entendu sert non seulement à établir correctement les faits, mais constitue également un droit indissociable de la personnalité garantissant à un particulier de participer à la prise d’une décision qui touche sa position juridique. Il comprend, en particulier, le droit pour la personne concernée de s’expliquer avant qu’une décision ne soit prise à son détriment, de fournir des preuves pertinentes quant aux faits de nature à influer sur la décision, d’avoir accès au dossier, de participer à l’administration des preuves, d’en prendre connaissance et de se déterminer à leur propos. En tant que droit de participation, le droit d’être entendu englobe donc tous les droits qui doivent être attribués à une partie pour qu’elle puisse faire valoir efficacement son point de vue dans une procédure (ATF 138 II 252 consid. 2.2 ; 138 I 484 consid. 2.1 ; 138 I 154 consid. 2.3.2 ; 137 I 195 consid. 2.3.1 ; arrêts du Tribunal fédéral 8C_472/2014 du 3 septembre 2015 consid. 4.1 ; ATA/80/2016 du 26 janvier 2016 consid. 2). L’étendue du droit de s’exprimer ne peut pas être déterminée de manière générale, mais doit être définie au regard des intérêts concrètement en jeu. L’idée maîtresse est qu’il faut permettre à une partie de pouvoir mettre en évidence son point de vue de manière efficace (ATA/778/2018 du 24 juillet 2018 consid. 3a et les références citées).

Le droit d’être entendu implique également pour l’autorité l’obligation de motiver sa décision. Selon la jurisprudence constante, il suffit qu’elle mentionne, au moins brièvement, les motifs qui l’ont guidée et sur lesquels elle a fondé sa décision, de manière à ce que son destinataire puisse se rendre compte de la portée de celle-ci et l’attaquer en connaissance de cause. L’autorité n’a pas l’obligation d’exposer et de discuter tous les faits, moyens de preuve et griefs invoqués par les parties ; celle-ci peut au contraire se limiter à ceux qui, sans arbitraire, lui paraissent pertinents pour fonder sa décision. Dès lors que l’on peut discerner les motifs qui ont guidé la décision de l’autorité, le droit à une décision motivée est respecté même si la motivation présentée est erronée. La motivation peut pour le reste être implicite et résulter des différents considérants de la décision. La motivation est ainsi suffisante lorsque le destinataire de la décision est en mesure de se rendre compte de la portée de cette dernière, d’en comprendre les raisons et de la déférer à l’instance supérieure en connaissance de cause, laquelle doit également pouvoir effectuer son contrôle (ATF 142 II 154 consid. 4.2 ; 141 IV 249 consid. 1.3.1 ; arrêts du Tribunal fédéral 6B_762/2020 du 17 mars 2021 consid. 2.1 ; 1C_415/ 2019 du 27 mars 2020 consid. 2.1 ; ATA/447/2021 du 27 avril 2021 consid. 6b). L’autorité peut donc passer sous silence ce qui, sans arbitraire, lui paraît à l’évidence non établi ou sans pertinence et il n’y a violation du droit d’être entendu que si elle ne satisfait pas à son devoir minimum d’examiner les problèmes pertinents (ATF 136 I 229 consid. 5.2 ; ATF 135 III 670 consid. 3.3.1 ; 133 III 235 consid. 5.2).

21.         Si les règles de procédure administrative sont violées, la décision est viciée formellement, ce qui constitue en principe un motif d'annulation de la décision, indépendamment de la question de savoir si, matériellement, cette décision est conforme au droit (Thierry TANQUEREL, Manuel de droit administratif, 2e éd., 2018 N 883 et les références citées).

22.         La réparation d'un vice de procédure en instance de recours et, notamment, du droit d'être entendu, n'est possible que lorsque l'autorité dispose du même pouvoir d'examen que l'autorité inférieure (ATF 145 I 167 consid. 4.4 ; 142 II 218 consid. 2.8.1 ; arrêts du Tribunal fédéral 1C_240/2017 du 11 décembre 2018 consid. 3.2 ; 1B_556/2017 du 5 juin 2018 consid. 2.1). Elle dépend toutefois de la gravité et de l'étendue de l'atteinte portée au droit d'être entendu et doit rester l'exception. Elle peut cependant se justifier en présence d'un vice grave lorsque le renvoi constituerait une vaine formalité et aboutirait à un allongement inutile de la procédure (ATF 142 II 218 consid. 2.8.1 ; arrêt du Tribunal fédéral 1B_556/2017 du 5 juin 2018 consid. 2.1) En outre, la possibilité de recourir doit être propre à effacer les conséquences de cette violation. Autrement dit, la partie lésée doit avoir le loisir de faire valoir ses arguments en cours de procédure contentieuse aussi efficacement qu'elle aurait dû pouvoir le faire avant le prononcé de la décision litigieuse (ATA/802/2020 du 25 août 2020 consid. 4c et les références cités).

23.         Selon l’art. 61 LPA, le recours peut être formé pour violation du droit, y compris l’excès et l’abus du pouvoir d’appréciation (al. 1 let. a), ou pour constatation inexacte ou incomplète des faits pertinents (al. 1 let. b). En revanche, les juridictions administratives n’ont pas compétence pour apprécier l’opportunité de la décision attaquée, sauf exception prévue par la loi (al. 2), non réalisée dans le cas d’espèce.

24.         Il y a en particulier abus du pouvoir d'appréciation lorsque l'autorité se fonde sur des considérations qui manquent de pertinence et sont étrangères au but visé par les dispositions légales applicables, ou lorsqu'elle viole des principes généraux du droit tels que l'interdiction de l'arbitraire, l'inégalité de traitement, le principe de la bonne foi et le principe de la proportionnalité (ATF 143 III 140 consid. 4.1.3 ; 140 I 257 consid. 6.3.1 ; 137 V 71 consid. 5.1 ; arrêt du Tribunal fédéral 1C_107/2016 du 28 juillet 2016 consid. 9 ; Thierry TANQUEREL, Manuel de droit administratif, 2ème éd., 2018, n. 515 p. 179).

25.         La question de l’opportunité ne se pose que lorsque l’administration dispose d’un pouvoir d’appréciation (Thierry TANQUEREL, op. cit., n. 892 p. 316). La jurisprudence retient que l’administration jouit d’un large pouvoir d’appréciation pour infliger une amende et arrêter sa quotité, notamment en matière de droit de la construction et du logement (ATA/260/2014 du 15 avril 2014 consid. 15b).

26.         Il convient de préciser que si le pouvoir en opportunité de l’administration est plein et entier s’agissant de décider si elle inflige ou non une amende (les dispositions légales prévoyant toujours que les contrevenants sont passibles d’une telle sanction), elle ne peut en revanche décider de la quotité de l’amende qu’en respectant notamment les critères applicables en matière de droit pénal (ATA/1277/2018 du 27 novembre 2018 consid. 6 et les références citées) et est donc tenue par des règles juridiques relativement précises. L’amende doit aussi respecter le principe de la proportionnalité (art. 36 al. 3 Cst. ; ATA/1277/2018 du 27 novembre 2018 consid. 6c).

27.         En l'espèce, le SEP a prononcé la décision querellée le 8 juin 2023 après avoir constaté sur place, les 11 et 26 mai 2023, que la surface de la terrasse installée par le recourant excédait celle autorisée par la permission du 20 septembre 2018 de 5,10 m x 1,85 m - correspondant à l'extension autorisée temporairement au titre de mesure de soutien durant la pandémie de Covid 19.

Aucune pièce au dossier n’indique cependant que le recourant aurait été invité à se déterminer sur la teneur du constat et sur l'éventuelle décision que s'apprêtait à rendre la ville, alors même que cette dernière savait, à tout le moins dès le 7 mars 2023, que le recourant poursuivait le projet de réinstaller sa terrasse sur deux places de parking. Si la ville lui a certes rappelé le 13 mars 2023 la procédure à suivre pour l'obtention d'une permission, elle ne lui a aucun moment offert la possibilité de s'exprimer sur la mesure et sur l'amende qu'elle envisageait d'ordonner respectivement de prononcer.

Or, la définition du droit d’être entendu rappelée plus haut comprend précisément, notamment, le droit pour les parties de faire valoir leur point de vue avant qu’une décision ne soit prise et celui de fournir des preuves quant aux faits de nature à influer sur la décision.

En procédant comme il l'a fait, en lui adressant la décision sans l'entendre au préalable, le SEP a dès lors manifestement violé le droit d'être entendu du recourant.

Au vu de la gravité de la violation, du fait que l'instance de recours ne dispose pas de la compétence d’apprécier l’opportunité de la décision attaquée et indépendamment des chances de succès du recours au fond, la décision entreprise sera annulée.

Le recours sera en conséquence admis sans qu'il soit nécessaire d'examiner les autres arguments du recourant.

28.         Vu l’issue du litige, il ne sera pas perçu d’émolument (art. 87 al. 1 LPA). Une indemnité de procédure de CHF 900.- sera allouée au recourant, à la charge de l'autorité intimée (art. 87 al. 2 LPA).

 


PAR CES MOTIFS

LE TRIBUNAL ADMINISTRATIF

DE PREMIÈRE INSTANCE

1.             déclare recevable le recours interjeté le 10 juillet 2023 par Monsieur A______ contre la décision de la Ville de Genève du 8 juin 2023 ;

2.             l'admet ;

3.             annule la décision du 8 juin 2023 ;

4.             renonce à percevoir un émolument et ordonne la restitution au recourant de l’avance de frais de CHF 700.- ;

5.             condamne la Ville de Genève à verser à Monsieur A______ une indemnité de procédure de CHF 900.- ;

6.             dit que, conformément aux art. 132 LOJ, 62 al. 1 let. a et 65 LPA, le présent jugement est susceptible de faire l'objet d'un recours auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (10 rue de Saint-Léger, case postale 1956, 1211 Genève 1) dans les dix jours à compter de sa notification. L'acte de recours doit être dûment motivé et contenir, sous peine d'irrecevabilité, la désignation du jugement attaqué et les conclusions du recourant. Il doit être accompagné du présent jugement et des autres pièces dont dispose le recourant.

Siégeant : Caroline DEL GAUDIO-SIEGRIST, présidente, Isabelle KOECHLIN-NIKLAUS et Julien PACOT, juges assesseurs.

Au nom du Tribunal :

La présidente

Caroline DEL GAUDIO-SIEGRIST

 

Copie conforme de ce jugement est communiquée aux parties.

Genève, le

 

La greffière