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Décisions | Tribunal administratif de première instance

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A/724/2023

JTAPI/1035/2023 du 28.09.2023 ( OCPM ) , ADMIS

Descripteurs : AUTORISATION DE SÉJOUR;ADMISSION PROVISOIRE;ASSISTANCE PUBLIQUE;INTÉGRATION SOCIALE;ENFANT
Normes : LEI.85.al5; LEI.30; OASA.31; LEI.58a.al1
En fait
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

A/724/2023

JTAPI/1035/2023

 

JUGEMENT

DU TRIBUNAL ADMINISTRATIF

DE PREMIÈRE INSTANCE

du 28 septembre 2023

 

dans la cause

 

Monsieur A______ et Madame B______, agissant en son nom et celui de ses enfants mineurs C______ et D______, représentés par Me Anne-Laure DIVERCHY, avocate, avec élection de domicile

 

contre

 

OFFICE CANTONAL DE LA POPULATION ET DES MIGRATIONS


 

EN FAIT

1.             Madame B______, née le ______ 1983, et ses enfants A______, né le ______ 2005, C______, né le ______ 2010 et D______, née le ______ 2013, sont ressortissants de Russie.

2.             Arrivés en Suisse le 16 août 2011, ils ont été admis provisoirement dès le 21 août 2014, dans le cadre de la reconsidération du refus opposé à leur demande d’asile. Leur admission provisoire a été régulièrement renouvelée, la dernière fois jusqu’au 5 août 2024.

3.             Le 20 juin 2022, Mme B______, agissant en son nom et celui de ses enfants, sous la plume d’un conseil, a déposé auprès de l’office cantonal de la population et des migrations (ci-après : OCPM) une demande de transformation de leurs livrets F en autorisation de séjour B. À l'appui de sa demande, elle indiquait notamment avoir trouvé du travail et pris des cours de français.

Elle a joint un chargé de pièces, complété le 28 juin 2022, soit des attestations de l'Hospice général et de l'office des poursuites, un extrait de casier judiciaire (vierge) des contrats de travail, une attestation de participation à des cours de français ainsi que des fiches de salaire. À teneur de l’attestation de l’Hospice général, datée du 18 janvier 2022, les intéressés étaient totalement aidés financièrement par leur service depuis le 5 septembre 2011.

4.             Le 19 juillet 2022, l’OCPM a fait part à Mme B______ de son intention de refuser d’accéder à sa requête et de soumettre le dossier au secrétariat d'État aux migrations (ci‑après : SEM) avec un préavis favorable, principalement en raison de sa dépendance à l'Hospice général. Un délai lui était accordé pour faire valoir son droit d’être entendu.

5.             Par courrier du 22 août 2022, sous la plume de son conseil, Mme B______ a indiqué avoir obtenu le niveau A2 en français et avoir requis, en raison de son travail, le transfert de son dossier au service des prestations complémentaires (SPC) famille. Elle ne percevait plus d’aide financière de l’Hospice général et était dans l’attente d’une attestation de ce dernier confirmant sa sortie de l’aide sociale. Elle sollicitait un délai d’un mois pour produire ce document.

Elle a joint son passeport de langue.

6.             Par courrier du 13 décembre 2022, Mme B______, sous la plume de son conseil, a informé l’OCPM avoir été engagée par deux sociétés, soit E______ et F______, en qualité de nettoyeuse. Chacun des contrats prévoyait un taux de 20 %, soit 8h par semaine pour des salaires horaires de respectivement CHF 21.48 et CHF 25.-. Toutefois, en fonction des jours fériés et des fermetures des clients de ces deux sociétés, ses heures de travail pouvaient être inférieures. Par décision du 30 novembre 2022, le SPC famille avait dès lors considéré qu’elle ne travaillait pas au taux minimum de 40% par année. Une opposition allait être déposée contre cette décision. Elle invitait dès lors l’OCPM à prolonger le délai imparti pour lui transmettre copie de la décision du SPC famille et l’attestation de sortie de l’Hospice général.

Elle a joint ses contrats de travail, ses fiches de salaire et la décision du 30 novembre 2022 du SPC famille.

7.             Par décision du 27 janvier 2023, l’OCPM a refusé d’accéder à la requête de Mme B______ et, par conséquent, de soumettre son dossier et celui de ses enfants au SEM avec un préavis positif.

À teneur des pièces produites et malgré les efforts entrepris pour sortir de l'aide sociale, elle était toujours financièrement dépendante de l'Hospice général. La décision du SPC de lui refuser l'octroi à leurs prestations était fondée sur son taux d’activité lucrative annuel inférieur à 40 %, taux qu’il considérait également insuffisant. Ainsi, elle ne remplissait pas les critères prévus aux art. 84 al.5 let. b de la loi fédérale sur les étrangers et l'intégration du 16 décembre 2005 (LEI - RS 142.20) et 31 de l’ordonnance relative à l'admission, au séjour et à l'exercice d'une activité lucrative du 24 octobre 2007 (OASA - RS 142.201). Quant à ses enfants, en raison de leur minorité, leur statut en Suisse dépendait encore de celui de leurs parents.

8.             Par acte du 4 avril 2022, Mme B______, agissant en son nom et celui de ses enfants, sous la plume de son conseil, a interjeté recours devant le Tribunal administratif de première instance (ci-après : le tribunal) contre cette décision, concluant à son annulation et à l’octroi d’une autorisation de séjour, sous suite de frais et dépens. Subsidiairement, le dossier devait être renvoyé à l’OCPM pour nouvelle décision.

En substance, elle exerçait une activité lucrative à un taux de 40 % depuis le 1er mars 2022 et à un taux de 48.75 % depuis le 1er janvier 2023. Par décision sur opposition du 24 janvier 2023, le SPC avait reconnu qu’elle travaillait à raison de 8 heures par semaine, soit 32 heures par mois, auprès d’F______ et de 8 heures par semaine, soit 32 heures par mois, auprès de E______, soit un total de 64 heures par mois, ce qui correspondait à un taux de 40 %, et annulé sa décision antérieure. Par courrier du 20 février 2023, l'Hospice général avait confirmé qu'il la considérait indépendante financièrement de l'aide aux migrants dès le 1er mars 2023 et, dès cette date, elle ne restait lui devoir que le montant du loyer de son appartement. Elle n’avait pour le surplus pas de poursuites, suivait des cours de français et avait non seulement trouvé du travail, malgré les difficultés liées à son permis F, mais également pu augmenter son taux d'activité, tout en s'occupant seule de ses trois enfants. Partant, force était de constater qu’elle remplissait tous les critères prévus aux art. 84 al. 5 let. b LEI et 31 OASA. En outre, ses fils étaient scolarisés à Genève depuis 2011, soit plus de douze ans. Quant à sa fille, née à Genève, elle y était scolarisée depuis près de cinq ans. C______ était également très investi au sein de son club de football. Bien intégrés à Genève, au bénéfice d'une autorisation provisoire depuis 2014, soit près de dix ans et au vu de la situation actuelle en Russie, leur renvoi du territoire suisse n’apparaissait pas envisageable à court ou moyen terme.

En annexe, elle a produit un chargé de pièces.

9.             Dans ses observations du 3 juin 2022, l’OCPM a proposé le rejet du recours, les arguments invoqués n’étant pas de nature à modifier sa position.

La décision était principalement motivée par le fait que Mme B______ émargeait au budget de l'Hospice général depuis septembre 2011. Si l’intéressée et ses enfants n’étaient plus assistés depuis le 1er mars 2023, leur sortie de l'aide sociale était toutefois beaucoup trop récente pour s'assurer de la pérennité de cette situation, au regard du nombre d'années (douze ans) durant lesquelles la famille en avait bénéficié. Il ne ressortait en outre pas des explications fournies à l'appui du recours que la recourante aurait été empêchée de travailler davantage au cours de ces douze dernières années, que ce soit pour des raisons de santé ou pour d'autres motifs. En l’absence d’intégration satisfaisante, en particulier sur le plan professionnel, le temps de séjour légal requis ne suffisait en principe pas aux fins de l'art. 84 al. 5 LEI. Enfin, la poursuite du séjour de la recourante et de ses enfants n'était nullement remise en cause, le SEM n'ayant pas levé l'admission provisoire ni d'ailleurs exprimé l'intention de le faire, étant précisé qu’une nouvelle demande pourrait être déposée dans quelques années, une fois la stabilisation de la situation financière démontrée.

Il a produit son dossier.

10.         Par réplique du 30 mai 2023, la recourante sous la plume de son conseil, a informé le tribunal que son contrat de travail auprès de F______ avait pris fin. Elle avait cependant pu augmenter son taux d’activité chez E______, y travaillant désormais à un taux de CHF 50%. Son permis F compliquait l’accès au marché du travail et ne lui permettait d’obtenir que des postes précaires, aux taux d’occupation restreints et aux horaires entrecoupés.

Elle a joint des pièces relatives à son emploi chez E______.

11.         Le 19 juin 2023, faisant suite au courrier du tribunal du 7 juin 2023 lui demandant s’il entendait poursuivre la présente procédure, étant désormais majeur, M. A______, sous la plume du même conseil, a répondu par l’affirmative et transmis une procuration attestant des pouvoirs de ce dernier.

12.         Par courrier du même jour, l’OCPM a informé le tribunal qu’il n’avait pas d’observations complémentaires à formuler.

13.         Le 18 septembre 2023, les recourants, sous la plume de leur conseil, ont encore transmis au tribunal, concernant M. A______, un contrat d’apprentissage débutant le 1er août 2023, une attestation de l’école G______ pour 2021 à 2023, une communication de la division de réadaptation de l’office cantonal des assurances sociales (OCAS) ainsi qu’une décision d’octroi d’indemnité journalière AI en sa faveur.

14.         Ces pièces ont été transmises à l’OCPM le 21 septembre 2023, pour information.

15.         Il ressort notamment du dossier de l’OCPM que M. A______ a été scolarisé durant les années scolaires 2021/2022 et 2022/2023 au sein de l’Ecole G______, établissement spécialisé, privé et subventionné du secondaire II, accueillant des élèves présentant des troubles de l’apprentissage et un retard scolaire important. De janvier à mi-septembre 2023, il a effectué un stage rémunéré auprès de H______.

16.         Le contenu des pièces produites sera repris, ci-après, dans la mesure utile.

EN DROIT

1.             Le Tribunal administratif de première instance connaît des recours dirigés, comme en l’espèce, contre les décisions de l'office cantonal de la population et des migrations relatives au statut d'étrangers dans le canton de Genève (art. 115 al. 1 et 116 al. 1 de la loi sur l’organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 3 al. 1 de la loi d'application de la loi fédérale sur les étrangers du 16 juin 1988 - LaLEtr - F 2 10).

2.             Interjeté en temps utile et dans les formes prescrites devant la juridiction compétente, le recours est recevable au sens des art. 60 et 62 à 65 de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 (LPA - E 5 10).

3.             Selon l’art. 61 al. 1 LPA, le recours peut être formé pour violation du droit, y compris l’excès et l’abus du pouvoir d’appréciation (let. a), ou pour constatation inexacte ou incomplète des faits pertinents (let. b). En revanche, les juridictions administratives n’ont pas compétence pour apprécier l’opportunité de la décision attaquée, sauf exception prévue par la loi (art. 61 al. 2 LPA), non réalisée en l’espèce.

4.             Il y a en particulier abus du pouvoir d'appréciation lorsque l'autorité se fonde sur des considérations qui manquent de pertinence et sont étrangères au but visé par les dispositions légales applicables, ou lorsqu'elle viole des principes généraux du droit tels que l'interdiction de l'arbitraire et de l'inégalité de traitement, le principe de la bonne foi et le principe de la proportionnalité (ATF 143 III 140 consid. 4.1.3 ;
140 I 257 consid. 6.3.1 ; 137 V 71 consid. 5.1 ; arrêt du Tribunal fédéral 8C_763/2017 du 30 octobre 2018 consid. 4.2 ; Thierry TANQUEREL, Manuel de droit administratif, 2018, n. 515 p. 179).

5.             Saisi d’un recours, le tribunal applique le droit d’office. Il ne peut pas aller au-delà des conclusions des parties, mais n’est lié ni par les motifs invoqués par celles-ci (art. 69 al. 1 LPA), ni par leur argumentation juridique (cf. ATA/386/2018 du 24 avril 2018 consid. 1b ; ATA/117/2016 du 9 février 2016 consid. 2 ; ATA/723/2015 du 14 juillet 2015 consid. 4a).

6.             Les recourants, au bénéfice d’une admission provisoire en Suisse, requièrent l’octroi d’une autorisation de séjour.

7.             La LEI et ses ordonnances d'exécution, en particulier l'OASA, règlent l'entrée, le séjour et la sortie des étrangers dont le statut juridique n'est pas réglé par d'autres dispositions du droit fédéral ou par des traités internationaux conclus par la Suisse (cf. art. 1 et 2 LEI), ce qui est le cas en l’espèce.

8.             Aux termes de l'art. 84 al. 5 LEI - demeuré inchangé lors de la révision entrée en vigueur le 1er janvier 2019 - les demandes d'autorisation de séjour déposées par un étranger admis provisoirement et résidant en Suisse depuis plus de cinq ans sont examinées de manière approfondie en fonction de son niveau d'intégration, de sa situation familiale et de l'exigibilité d'un retour dans son pays de provenance.

Cette disposition ne constitue pas en soi un fondement juridique autorisant l'octroi d'une autorisation de séjour ; celle-ci est, dans un tel cas, délivrée sur la base de l'art. 30 al. 1 let. b LEI (qui prévoit qu'il est possible de déroger aux conditions d'admission - art. 18 à 29 LEI - afin de tenir compte des cas individuels d'une extrême gravité ou d'intérêts publics majeurs). En édictant l'art. 84 al. 5 LEI, le législateur fédéral entendait encourager la régularisation des conditions de séjour des personnes admises provisoirement en Suisse dont le séjour était appelé à se prolonger (cf. arrêts du Tribunal administratif fédéral F-4727/2017 du 15 mars 2019 consid. 5.1 ; F-7823/2016 du 18 juin 2018 consid. 4.1 et les références citées).

9.             L'art. 84 al. 5 LEI ne mentionne explicitement que trois critères d'examen, à savoir le niveau d'intégration, la situation familiale et l'exigibilité d'un retour dans le pays de provenance. Le Tribunal administratif fédéral a eu l'occasion de se déterminer sur le pouvoir d'examen de l'autorité dans ce contexte et sur le caractère non-limitatif de ces critères (cf. arrêts F-4727/2017 du 15 mars 2019 consid. 5.3 ;
F-7823/2016 du 18 juin 2018 consid. 4.3 ; C-5560/2015 du 6 janvier 2016 consid. 4.4 ; C-5769/2009 du 31 janvier 2011 consid. 4.3). Il a retenu que les conditions auxquelles un cas individuel d'une extrême gravité peut être reconnu en faveur d'étrangers admis provisoirement en Suisse ne diffèrent pas fondamentalement des critères retenus pour l'octroi d'une dérogation aux conditions d'admission au sens de l'art. 30 al. 1 let. b LEI, qui a lui-même repris l'art. 13 let. f de l'ordonnance du 6 octobre 1986 limitant le nombre des étrangers
(aOLE - RS 823.21). Tout en s'inscrivant dans le contexte plus général de cette dernière disposition et de la jurisprudence y relative (cf. à ce sujet notamment ATAF 2007/45 consid. 4.2 et la jurisprudence et doctrine citées), elles intégreront néanmoins naturellement la situation particulière inhérente au statut résultant de l'admission provisoire (arrêts F-4727/2017 du 15 mars 2019 consid. 5.3 ;
F-7823/2016 du 18 juin 2018 consid. 4.3 ; C-5560/2015 du 6 janvier 2016 consid. 4.4 ; C-1136/2013 du 24 septembre 2013 consid. 4.3).

10.         L'art. 31 OASA fixe les critères d'appréciation communs à l'examen des demandes d'autorisations de séjour déposées sous l'angle de l'art. 30 al. 1 let. b LEI, de l'art. 50 al. 1 let. b LEI et de l'art. 84 al. 5 LEI (arrêt du Tribunal administratif fédéral
F-4727/2017 du 15 mars 2019 consid. 5.2).

L’art. 31 al. 1 OASA prévoit qu’une autorisation de séjour peut être octroyée dans les cas individuels d’extrême gravité. Lors de l’appréciation, il convient de tenir notamment de l’intégration du requérant sur la base des critères d’intégration définis à l’art. 58a al. 1 LEI (let. a), de la situation familiale, particulièrement de la période de scolarisation et de la durée de la scolarité des enfants (let. c), de la situation financière (let. d), de la durée de la présence en Suisse (let. e), de l’état de santé (let. f) et des possibilités de réintégration dans l’Etat de provenance (let. g).

11.         Les dispositions dérogatoires des art. 30 LEI et 31 OASA présentent un caractère exceptionnel et les conditions pour la reconnaissance d'une telle situation doivent être appréciées de manière restrictive (ATF 128 II 200 consid. 4). Elles ne confèrent pas de droit à l'obtention d'une autorisation de séjour (ATF 137 II 345 consid. 3.2.1).

12.         À teneur de l’art. 58a al. 1 LEI, pour évaluer l’intégration, l’autorité compétente tient compte des critères suivants : le respect de la sécurité et de l’ordre publics (let. a), le respect des valeurs de la Constitution (let. b), les compétences linguistiques (let. c) et la participation à la vie économique ou l’acquisition d’une formation (let. d).

13.         Selon la jurisprudence, le fait qu'un étranger n'arrive pas ou plus à gérer sa situation financière de manière autonome et dépende, dans une large mesure, de la collectivité publique représente indéniablement un échec au niveau de l'intégration. Toutefois, selon la doctrine et la jurisprudence, une telle situation ne permet pas encore, à elle seule, de refuser à l'étranger concerné l'octroi d'une autorisation de séjour fondée sur l'art. 84 al. 5 LEI. En effet, pour juger d'une intégration insuffisante d'un étranger, il convient encore d'examiner si cette situation résulte d'un comportement fautif (cf. arrêt du Tribunal administratif fédéral C-5718/2010 du 27 janvier 2012 consid. 6.1.2 ; cf. aussi arrêt de la Cour européenne des droits de l'Homme n° 52166/09 du 11 juin 2013, Hasanbasic c. Suisse). Il doit à cet égard être tenu compte des difficultés que rencontrent les admis provisoires sur le marché du travail (cf. arrêts du Tribunal administratif fédéral C-351/2010 du 2 novembre 2012 consid. 9.3.1 ; C-1136/ 2013 du 24 septembre 2013 consid. 6.2.1 et
C-351/2010 du 2 novembre 2010 consid. 9.3.1 ; Marc SPESCHA/Hanspeter THÜR/Andreas ZÜND/Peter BOLZLI [éd.], Migrationsrecht, 4ème édition, 2015, n. 12 ad art. 84).

Dans un cas concret, le Tribunal administratif fédéral a notamment nié un niveau d'intégration suffisant, au sens de l'art. 84 al. 5 LEI, à une personne totalisant près de trente ans de séjour en Suisse, qui avait exercé divers emplois durant les premières années de son séjour sans réussir à acquérir son indépendance financière. Elle avait reçu durant cette période un montant de CHF 45'556.- versé par l’HG. Elle n’avait ensuite exercé aucune activité lucrative pendant six ans, avait bénéficié de l’aide sociale complète durant quatre ans et fait l’objet de poursuites pour un montant de CHF 2'540.-. Le Tribunal administratif fédéral a retenu que cette situation pesait de « manière très défavorable » sur l’appréciation de son intégration professionnelle en Suisse et le fait qu’elle se soit trouvée en incapacité totale de travail et de gain une année plus tard et qu’elle ait ensuite bénéficié d’une rente d’invalidité complète n’y changeait rien (arrêt C-6219/2011 du 4 février 2013 consid. 6.1).

Dans un arrêt plus récent (F-6168/2016 du 3 décembre 2018), le même Tribunal administratif fédéral a considéré que la nécessité, pour une mère de famille, de s'occuper de ses enfants en bas âge était une circonstance pouvant « justifier le défaut d'intégration professionnelle », relevant notamment à cet égard que si l'intéressée, qui ne bénéficiait d'aucune formation, ni de qualifications particulières, s'était adonnée à une activité lucrative, ceci lui aurait occasionné des frais considérables en termes de garde d'enfants qu'elle n'auraient selon toute vraisemblance pas été en mesure d'assumer. De telles circonstances étaient assurément de nature à justifier le défaut d'intégration professionnelle de cette mère de famille et le fait que celle-ci ne fût pas encore parvenue, malgré son séjour prolongé dans le canton de Genève, à acquérir le niveau de français requis. En outre, rien n'empêchait l'autorité compétente de soumettre l'octroi et la prolongation (respectivement le renouvellement) de l'autorisation de séjour de cette personne à la participation à un cours de langue ou à la conclusion d'une convention d'intégration (consid. 7.5).

Par ailleurs, il convient à cet égard de souligner que, selon la jurisprudence du Tribunal fédéral (en matière civile) : « la capacité de pourvoir soi-même à son entretien est susceptible d'être limitée totalement ou partiellement par la charge que représente la garde des enfants. En principe, on ne peut exiger d'un époux la prise ou la reprise d'une activité lucrative à un taux de 50 % avant que le plus jeune des enfants n'ait atteint l'âge de 10 ans révolus, et de 100 % avant qu'il n'ait atteint l'âge de 16 ans révolus. Ces lignes directrices sont toujours valables dès lors que, comme par le passé, la garde et les soins personnels sont dans l'intérêt des enfants en bas âge, ainsi que de ceux en âge de scolarité, et que les soins personnels représentent un critère essentiel lors de l'attribution de la garde. Elles ne sont toutefois pas des règles strictes ; leur application dépend des circonstances du cas concret. Ainsi, une activité lucrative apparaît exigible lorsqu'elle a déjà été exercée durant la vie conjugale ou si l'enfant est gardé par un tiers, de sorte que le détenteur de l'autorité parentale, respectivement de la garde, n'est pas empêché de travailler pour cette raison ; en revanche, la reprise d'une activité lucrative ne peut raisonnablement être exigée lorsqu'un époux a la charge d'un enfant handicapé ou lorsqu'il a beaucoup d'enfants » (ATF 137 III 102 consid. 4.2.2.2 et les arrêts cités).

14.         L'autorité cantonale compétente dispose d'un large pouvoir d'appréciation, l'étranger ne bénéficiant pas d'un droit de séjour en Suisse fondé sur l'art. 84 al. 5 LEI (arrêts du Tribunal fédéral 2C_276/2017 du 4 avril 2017 consid. 2.1 ; 2D_67/2015 du 3 novembre 2015 consid. 3.2). Les autorités compétentes tiennent compte, en exerçant leur pouvoir d'appréciation, des intérêts publics, de la situation personnelle de l'étranger, ainsi que de son intégration (art. 96 al. 1 LEI).

15.         En l'espèce, l'OCPM, faisant usage de son large pouvoir d'appréciation, a refusé d'octroyer à la recourante une autorisation de séjour et de soumettre son cas au SEM au motif que la condition d'intégration n'était pas réalisée.

La recourante et ses enfants vivent légalement à Genève depuis août 2014, soit depuis neuf ans. Ils remplissent indéniablement le critère de la durée de résidence requise par l’art. 84 al. 5 LEI. Cela étant, le simple fait pour un étranger de séjourner en Suisse pendant plusieurs années, y compris à titre légal, ne permet pas d'admettre un cas personnel d'extrême gravité sans que n'existent d'autres circonstances tout à fait exceptionnelles à même de justifier l'existence d'un cas de rigueur. La recourante et ses enfants ne peuvent donc tirer parti de la seule durée de leur séjour en Suisse pour bénéficier d'une autorisation de séjour en application de cette disposition.

Concernant leur situation familiale, la recourante fait ménage avec ses trois enfants âgés de 18, 13 et 9 ans. Séparée de leurs pères, elle indique, sans être contredite, les élever toute seule.

Sur le plan professionnel, la recourante a exercé une activité lucrative en Suisse en 2019 (deux mois), puis dès 2022, en qualité de nettoyeuse, afin d'acquérir son indépendance financière. Cette activité, exercée d’abord à un taux de 40 %, l’est désormais à taux de 50 %. Par courrier du 20 février 2023, l'Hospice général a ainsi confirmé qu'il la considérait indépendante financièrement de l'aide aux migrants dès le 1er mars 2023, ne restant lui devoir, dès cette date, que le montant du loyer de son appartement. Si certes cette activité ne lui procure pour l’instant qu’un modeste revenu, le fait d’avoir non seulement trouvé du travail, malgré les difficultés liées à son permis F, mais également pu augmenter son taux d'activité, tout en s'occupant seule de ses trois enfants, dont la plus jeune est âgée de 9 ans, apparait ainsi particulièrement remarquable. Quant aux interrogations de l’OCPM quant à sa prise d’emploi tardive, l’on relèvera qu’il est constant que durant ses premières années en Suisse, la capacité de la recourante à pourvoir elle-même à son propre entretien et à celui de ses enfants a pu être limitée par la charge que représentait la garde et l'éducation de ces derniers, âgés de 6 et 1 ans à son arrivée, puis de 9, 4 et quelques mois, lorsqu’elle a été mise au bénéfice d’une admission provisoire. Leur prise en charge explique qu’elle n’est pas encore en mesure d’exercer une activité lucrative à temps plein, aujourd’hui, qui plus est dans le domaine du nettoyage, soumis à des horaires irréguliers. De même il est admis par la jurisprudence que le régime de l'admission provisoire peut constituer une entrave dans les recherches d'emploi, même si diverses mesures ont été prises pour faciliter l’accès au monde professionnel des personnes admises provisoirement. L’intégration de la recourante, qui n’a pour le surplus pas de poursuites et dispose du niveau A2 requis en français, apparait ainsi méritoire.

S’agissant de ses enfants, ses deux fils sont scolarisés à Genève depuis 2011 et 2014, soit plus de 12 et 9 ans. L’implication et la progression sur le plan de ses compétences scolaires et professionnelles de l’ainé ont été saluées par ses enseignants. L’intéressé a désormais débuté un apprentissage, pour lequel il perçoit un petit salaire, et le cadet est très investi dans son club de football. Quant à sa fille, née à Genève, elle y est scolarisée depuis près de 5 ans.

Les recourants allèguent pour le surplus être bien intégrés à Genève sans toutefois démontrer participer à la vie associative et culturelle genevoise et/ou s'être créé des attaches personnelles, allant au-delà de liens de voisinage et d'amitié usuels. En tout état, la famille ne démontre pas avoir fait preuve d'une intégration sociale exceptionnelle par rapport à la moyenne des étrangers qui ont passé un nombre d'années équivalent en Suisse.

L’OCPM a enfin confirmé que la poursuite du séjour des recourants n’était nullement remise en cause, le SEM n’ayant, en particulier, pas exprimé l’intention de lever l’admission provisoire.

Les faits rappelés ci-dessus tendent à démontrer que la recourante possède désormais un travail lui permettant d’être indépendante financièrement et il y a tout lieu de croire que l’évolution de la situation financière de la famille à plus long terme ne pourra aller qu’en s’améliorant, ce d’autant que M. A______ perçoit également un salaire, depuis août 2023, dans le cadre de son apprentissage. Ainsi, s'il appartiendra aux recourants de tout mettre en œuvre afin de se maintenir dans une situation financière équilibrée sur le long terme, rien n'indique, à ce stade, qu'ils devront encore faire appel à l'aide sociale. Dans cette mesure et même si leur sortie de l’aide sociale (mars 2023) est récente, tout porte à croire qu’elle pourra se pérenniser.

On ne voit enfin pas quel intérêt public serait compromis en ne les maintenant pas dans leur statut actuel et en stabilisant leur situation par l’octroi d’une autorisation de séjour, dès lors qu'ils sont au bénéfice d'une admission provisoire depuis maintenant neuf ans et qu’ils peuvent rester sur le territoire suisse, sans qu'un renvoi n’apparaisse envisageable même à long terme. Il en découle que l'intimé a excédé son pouvoir d'appréciation en refusant de reconnaître en l'espèce un cas individuel d'extrême gravité.

16.         Par conséquent, le recours sera admis et la décision litigieuse annulée, le dossier étant retourné à l'autorité intimée afin qu’elle le transmette au SEM assorti d’un préavis favorable.

17.         Vu l'issue du litige, il ne sera pas perçu d'émolument (art. 87 al. 1 LPA et 1 et 2 du règlement sur les frais, émoluments et indemnités en procédure administrative du 30 juillet 1986 - RFPA - E 5 10.03). L'avance de frais de CHF 500.- sera restituée à la recourante.

Une indemnité de procédure de CHF 1'000.-, à la charge de l’État de Genève, soit pour lui l'autorité intimée, sera allouée aux recourants (art. 87 al. 2 à 4 LPA et 6 RFPA).


PAR CES MOTIFS

LE TRIBUNAL ADMINISTRATIF

DE PREMIÈRE INSTANCE

1.             déclare recevable le recours interjeté le 27 février 2023 par Monsieur A______ et Madame B______, agissant en son nom et celui de ses enfants mineurs C______ et D______ contre la décision de l'office cantonal de la population et des migrations du 27 janvier 2023 ;

2.             l'admet ;

3.             annule la décision de l'office cantonal de la population précitée et lui renvoie le dossier pour la suite à y donner au sens des considérants ;

4.             dit qu'il n'est pas perçu d'émolument et ordonne la restitution à la recourante de son avance de frais de CHF 500.- ;

5.             condamne l’État de Genève, soit pour lui l’office cantonal de la population et des migrations à verser aux recourants une indemnité de procédure de CHF 1'000.- ;

6.             dit que, conformément aux art. 132 LOJ, 62 al. 1 let. a et 65 LPA, le présent jugement est susceptible de faire l'objet d'un recours auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (10 rue de Saint-Léger, case postale 1956, 1211 Genève 1) dans les trente jours à compter de sa notification. L'acte de recours doit être dûment motivé et contenir, sous peine d'irrecevabilité, la désignation du jugement attaqué et les conclusions du recourant. Il doit être accompagné du présent jugement et des autres pièces dont dispose le recourant.

Au nom du Tribunal :

La présidente

Marielle TONOSSI

 

Copie conforme de ce jugement est communiquée aux parties, ainsi qu’au secrétariat d'État aux migrations.

Genève, le

 

Le greffier