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Décisions | Tribunal administratif de première instance

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A/1748/2022

JTAPI/697/2023 du 20.06.2023 ( LDTR ) , ADMIS

REJETE par ATA/95/2024

Descripteurs : LOGEMENT DE LUXE
Normes : LDTR.10.al2.letb
En fait
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

A/1748/2022 et A/2593/2022 LDTR

JTAPI/697/2023

 

JUGEMENT

DU TRIBUNAL ADMINISTRATIF

DE PREMIÈRE INSTANCE

du 20 juin 2023

 

dans la cause

 

A______, représentée par Me David BENSIMON, avocat, avec élection de domicile

 

contre

DÉPARTEMENT DU TERRITOIRE-OAC

 


EN FAIT

1.             A______ est propriétaire de la parcelle N° 1______ de la commune de B______, sur laquelle est érigé un immeuble d'habitation sis à l'adresse C______ 2_______.

2.             Par requête déposée auprès du département du territoire (ci-après : DT ou le département) le 21 mars 2022 et enregistrée sous n° APA 3______, A______ (ci-après : la propriétaire) a sollicité l'autorisation de transformer et rénover un appartement de neuf pièces situé au cinquième étage de l'immeuble.

3.             Selon les indications fournies par la propriétaire dans le cadre de la présente procédure - qui n'ont pas été remises en cause par le département -, ainsi que selon les plans de la requête, l'appartement occupe une surface de 295 m². Il est pourvu de deux entrées, l'une pour le personnel de maison et l'autre pour les occupants des lieux. Situé en pignon de l'immeuble, il est pourvu de trois balcons auxquels donnent accès toutes les pièces du logement, hormis le salon. Les pièces de réception, en enfilade, à savoir le bureau, la salle à manger et le salon, représentent ensemble une surface de près de 104 m². L'appartement dispose de cinq chambres, d'un dressing, de trois salles d'eau et actuellement de quatre toilettes (historiquement cinq selon le plan, mais six selon la propriétaire), dont deux (trois selon la propriétaire) se trouvent dans les salles d'eau et les deux autres étant séparées. La cuisine est constituée d'une cuisine et d'un laboratoire attenant.

4.             Par décision APA 3______ du 26 avril 2022, le département a délivré l'autorisation sollicitée en reprenant une condition posée par préavis rendu le 8 avril 2022 par l'office cantonal du logement et de la planification foncière (ci-après : OCLPF), à savoir la fixation du loyer de l'appartement pendant une durée de trois ans pour un montant de CHF 31'752.- par an, soit de CHF 3'528.- par pièce.

5.             Par une nouvelle requête déposée auprès du département le 2 mai 2022 et enregistrée par ce dernier sous n° APA 3______/2, la propriétaire a déposé une demande d'autorisation complémentaire en faisant valoir le caractère luxueux de l'appartement.

6.             Par acte du 25 mai 2022, la propriétaire a recouru contre cette décision auprès du Tribunal administratif de première instance (ci-après : le tribunal) en concluant préalablement au retrait partiel de l'effet suspensif du recours et à la suspension de la procédure jusqu'à l'entrée en force définitive exécutoire de la décision que le département serait appelé à rendre sur la requête APA 3______/2. Sur le fond, elle concluait, sous suite de frais et dépens, à l'annulation de la décision et à ce qu'il soit dit que le département devait renoncer à fixer le loyer après exécution des travaux.

7.             Ce recours a été enregistré sous numéro de procédure A/1748/2022.

8.             En substance, les caractéristiques de l'appartement (ses neuf pièces, sa surface totale de 295 m², ses immenses espaces de vie, sa situation dans un immeuble de très haut standing offrant une vue complètement dégagée sur le lac, la chaîne du Mont-Blanc, etc.) en faisaient un logement de luxe échappant au contrôle du loyer après travaux.

9.             Le détail de l'argumentation de la recourante sera examiné ci-après dans la partie en droit, en tant que de besoin.

10.         Le 1er juillet 2022, le tribunal, soit pour lui, avec l'accord des parties, le juge en charge de l'instruction, a procédé à un transport sur place.

a)        Il a constaté qu'au centre de l'ensemble résidentiel C______ se trouvait une parcelle boisée au sein de laquelle était érigée une demeure ancienne.

b)        À l'extrémité sud de l'immeuble en question, il a constaté que les boiseries extérieures des "Bow Windows" étaient dans un état relativement dégradé s'agissant de la peinture et même du matériau.

c)        À l'entrée du n° 2_______, il a constaté que, comme pour les autres entrées de cette partie de la résidence, elle était ornée de plaques de marbre. La porte était composée de trois parties vitrées séparées par des menuiseries métalliques, apparemment en bronze. Une fois franchie cette porte, l'entrée était entièrement constituée de plaques de marbre, y compris sur l'escalier. Le plafond était en plâtre peint en blanc et, au sommet de l'escalier, orné d'une petite frise géométrique. Le bas de l'escalier était équipé de deux rampes et de deux grands miroirs d'environ 2,50 m de haut qui se faisaient face. Au sommet de cet escalier se trouvait l'ascenseur et la cage d'escalier de l'immeuble, espace d'environ 2,50 m de long sur 2 m de large qui était équipé d'une verrière à son sommet. La rambarde de la cage d'escalier était en fer simple à barreaux, dont un sur trois était ouvragé en forme de spirale.

d)       Aux étages, les paliers étaient recouverts de carrelage vert entouré d'une bordure noire à imitation marbre. Le long de la cage d'escalier, les murs étaient en crépi simple, ornés d'une plinthe longeant l'escalier.

e)        Au cinquième étage, les deux portes de l'appartement litigieux étaient les seules du palier. L'une concernait les locaux de service et l'autre constituait la porte d'entrée principale. La menuiserie des portes, aussi bien en ce qui concernait l'encadrement que la porte elle-même, donnait une impression relativement cossue et était apparemment constituée de bois exotique.

f)         Procédant ensuite à la visite de l'appartement, le tribunal s'est d'abord rendu dans la cuisine et le laboratoire attenant, auquel on accédait par la porte de service. Dans ces deux pièces, la hauteur du plafond était d'environ 2,80 m. Jusqu'à environ 1,70 m, les parois étaient recouvertes de faïence, puis simplement peintes. Les menuiseries intégrées étaient simples et vraisemblablement en matériau bois composite recouvert de mélaminé. Les plans de travail étaient en marbre. La poignée de fenêtre dans la cuisine, donnant sur un balcon, était en métal simple et le radiateur ne présentait pas de particularité, non plus que la robinetterie. Au sol se trouvaient deux blocs en béton ou avaient peut-être pris place deux appareils ménager. La seconde pièce cuisine était équipée d'une fenêtre et d'une porte-fenêtre, là aussi sans particularité au niveau des menuiseries et des poignées. Le balcon auquel on avait accès était en maçonnerie jusqu'à 75 cm de hauteur, puis surmonté d'une petite rambarde métallique simple. Le sol et les murs du balcon ne présentaient pas de particularité. Depuis cet partie, l'appartement bénéficiait d'une vue dégagée sur l'ensemble de la parcelle centrale de la résidence. Le sol de la cuisine était constitué de carrelage à motif tacheté de couleur unie. La deuxième pièce cuisine était équipée d'un appareil mural (correspondant à la photographie n° 1 prise durant le transport sur place) comprenant plusieurs chiffres (probablement à l'origine jusqu'à dix, mais avec des numéros manquants) qui semblait être un système permettant de sonner dans différentes pièces de l'appartement.

g)        Dans la pièce mentionnée située juste à côté de la cuisine, mentionnée en tant que bureau sur le plan de l'appartement produit par la propriétaire, le sol était constitué d'un parquet chêne usuel et des moulures étaient présentes tout autour de la pièce sous le plafond. La pièce était intégralement recouverte de panneaux bois avec moulures, dont certains manquaient actuellement. Les parties manquantes permettaient de voir la tranche des panneaux, de facture très simple à base de contre-plaqué sur la partie arrière et de sapin sur la partie visible. Sur précision de la propriétaire, les parties manquantes n'étaient pas des panneaux identiques à ceux qui restaient, mais laissaient originellement la place à de grands tableaux avec lesquels le précédent locataire était parti. L'une des deux poignées identiques fermant les portes de cette pièce a fait l'objet de la photographie n° 2 du transport sur place. Les deux petites portes de la pièce s'ouvraient à une hauteur de 2,10m tandis que la grande porte à double battant ouvrant sur la pièce désignée comme salle à manger sur le plan s'ouvrait à une hauteur de 2,45m. Ces portes à double battant étaient ouvragées et présentaient des moulures dont certaines parties représentaient des motifs végétaux.

h)        Dans la pièce présentée comme salle à manger sur le plan, on retrouvait sur les murs des panneaux également ornés de moulures avec des motifs végétaux. Ces moulures étaient pour partie collées sur les panneaux de bois et n'étaient pas constituées de stuc. Sous les plafonds se trouvaient également des moulures à frises végétales. La pièce disposait d'un placard intégré et vitré peu profond, ainsi que de deux grandes baies vitrées, donnant pour l'une sur la parcelle située au centre de la résidence et pour l'autre sur la rade et le Salève, laquelle offrait une vue extrêmement dégagée, sauf sur la partie droite où se trouvait l'un des immeubles de la résidence. La pièce disposait dans l'un de ses angles d'une sonnette. L'intérieur des placards qui était recouvert de velours rouge. La menuiserie des portes vitrées des placards semblait être en laiton. Les radiateurs étaient de facture conventionnelle. La même pièce permettait d'accéder elle aussi au balcon mentionné précédemment par une porte fenêtre dissimulée derrière une porte s'intégrant au reste de la boiserie murale de la pièce. Quant au sol, le parquet déjà mentionné était orné tout au long des murs d'une frise en bois plus foncée.

i)          Dans la pièce mentionnée sur le plan comme salon, séparée de la précédente par un seuil en laiton les murs étaient recouverts d'une sorte de stuc orné de profils de type géométrique grec (colonnades etc.). La partie de la pièce située à l'opposé de la baie vitrée disposait de deux placards intégrés. Cette partie de la pièce s'ouvrait également à l'aide de portes à deux battants. Il y avait, conformément au plan de l'appartement, une communication en diagonale entre le salon et le bureau. Le bout de la pièce situé face au Salève donnait sur le "Bow Window" qui faisaitt partie de la série présente sur toute la hauteur de la façade de l'immeuble. La pièce disposait de la même vue dégagée que dans la pièce salle à manger, toutefois plus importante en direction du Chablais. On voyait également le jet d'eau et une part plus importante du Salève. Le radiateur était également conventionnel. Le sol était recouvert de moquette, posée directement sur la chape. Le parquet d'origine, s'il avait existé, avait disparu depuis lors. La communication entre la salle à manger et le salon se faisait par une porte à double battant d'une hauteur de 2,45m.

j)          Dans la chambre située à l'angle de l'immeuble juste à côté du salon, on retrouvait sur une partie des murs des panneaux en bois ornés de moulures à motifs partiellement végétaux. L'accès du salon à cette chambre se faisait par un petit passage fermé de part et d'autre par une porte simple d'une hauteur d'environ 2m. Le passage de cette chambre aux pièces suivantes se faisait par un trompe-l'œil donnant l'impression d'une porte à double battant, alors que le passage correspondait en réalité à une porte à un battant. Les poignées de porte de cette pièce ont fait l'objet des photographies n° 3 et 4 du transport sur place. Dans la paroi qui constituait la séparation avec le salon se trouvait une sorte de renfoncement qui devait permettre d'y insérer la tête de lit. Les interrupteurs étaient intégrés à ce renfoncement. Le sol était ici aussi recouvert de moquette posée directement sur la chape, un éventuel parquet d'origine ayant disparu. La porte donnant depuis cette chambre aux pièces suivantes était recouverte, du côté donnant sur le couloir, d'un grand miroir occupant toute la surface de la porte.

k)        En entrant dans le couloir, la petite pièce située immédiatement à gauche, qui ne présentait pas de particularité, était également recouverte de la même moquette que la chambre qui venait d'être visitée et l'intérieur de la porte était recouvert d'un miroir. Le couloir disposait d'un placard intégré à l'intérieur duquel se trouvait notamment un coffre-fort. La porte suivante sur la gauche donnait accès à une salle de bain intégralement recouverte de marbre sur le sol et sur les murs jusqu'à environ 1,60m de haut. La baignoire était de dimension standard, de même que sa facture. La robinetterie, qui semblait d'origine, a fait l'objet de la photographie n°5 du transport sur place. Le lavabo semblait d'origine avec sa robinetterie à poignée en bois et d'allure plutôt cossue, sa longueur étant de 74cm. L'armoire murale située au-dessus du lavabo était de grande dimension, mais de facture standard et la pièce disposait encore, derrière un grand miroir, d'un petit placard intégré avec menuiserie et tiroir. La cuvette des toilettes était de facture standard supérieure.

l)          Plus loin le long du couloir se trouvait sur la droite une chambre dont les parois étaient également en bonne partie recouvertes de menuiserie, là aussi avec moulures, mais de facture plus simple que dans la première chambre, avec placard d'angle intégré, renfoncement dans une partie de la pièce pour une tête de lit, un autre placard intégré mais sans porte, accès au balcon et grande baie vitrée donnant en direction du Chablais. La vue était cependant obstruée par les arbres situés juste devant. Depuis la porte vitrée donnant sur le balcon, on disposait également d'une vue sur le lac et le Salève. A l'intérieur du placard intégré fermé par portes, se trouvait un grand miroir. A nouveau, la moquette recouvrait directement la chape. Les murs qui n'étaient pas recouverts de boiserie étaient recouverts de toile tendue très abîmée actuellement. Il existait également un dressing peu profond à deux portes. Il y avait également ici, entre le couloir et la chambre, un sas qui n'était fermé que par la porte d'entrée de la chambre.

m)      La suite du couloir était à nouveau fermée par une porte et donnait accès à une séparation du couloir en "L". Au bout se trouvait, sur la droite, une nouvelle chambre disposant d'une grande menuiserie de facture industrielle sur l'un des murs. Quant au reste des murs, ils ne présentaient pas de particularité, hormis quelques moulures de facture standard. La chambre donnait sur un balcon avec une baie vitrée en direction du Chablais, mais également sur le lac vers la droite. Le radiateur était de facture standard. Le sol était recouvert de moquette et il n'était pas possible ici de vérifier ce qui se trouvait dessous. Juste à côté de cette pièce, au bout du couloir, la porte qui donnait accès à la suite de l'appartement avait été condamnée et en face de la porte de cette chambre se situait un placard intégré à deux battants.

n)        En suivant le couloir à nouveau en direction du hall d'entrée se trouvaient sur la gauche des placards intégrés peu profonds dont les portes étaient ornées à l'extérieur de quelques moulures simples. Sur la droite se trouvait un autre placard intégré plus profond. A cette hauteur s'ouvrait un nouveau couloir qui continuait en direction du Nord et qui disposait sur toute sa longueur, sur la droite, d'une série de placards intégrés d'environ 35cm de profondeur. Sur la gauche, le radiateur de facture standard était entièrement dissimulé derrière une sorte de double cloison et on y accèdait par une grille. Le sol était ici également recouvert de moquette. Dans l'angle de ce couloir, sous le plafond, se trouvait une cloche qui était peut-être elle aussi en lien avec l'appareil mural situé à la cuisine.

o)        Au bout de ce couloir, sur la droite, se trouvait à nouveau une chambre sans particularité avec deux grandes armoires murales de facture moderne et standard. Au sol se trouvait une moquette qui recouvrait directement la chape. La hauteur des portes d'entrée de cette chambre et d'accès à la salle de bain était standard. La porte d'entrée de la chambre disposait côté intérieur d'un grand miroir. Les radiateurs étaient également standards. La chambre ouvrait par deux fenêtres, chacune à double battant, sur le dernier balcon de l'appartement, avec vue en direction du Chablais et vue sur un bâtiment historique bordant le lac au milieu d'un bosquet de cèdres. L'un des murs disposait d'un appareillage intégré pour la télévision. La chambre donnait directement accès à une salle de bain avec une grande douche équipée d'un banc et d'un doublage au plafond avec deux spots intégrés. Le sol de la douche semblait être de marbre blanc et les murs étaient recouverts de carrelage standard. La paroi de douche, jusqu'à environ 2,60m de haut, était intégralement en verre et une partie constituait une porte coulissante. Le meuble lavabo était constitué d'un grand plan en marbre blanc, le lavabo lui-même étant toutefois de dimension standard. Cet élément était surplombé d'un grand miroir de face et de deux miroirs latéraux. La propriétaire a signalé que c'est derrière la douche que se trouvait la porte condamnée mentionnée précédemment. Le meuble sous le plan de travail était de facture relativement standard. On retrouvait le même style dans la porte de placard intégré situé sur la gauche de ce plan. Le radiateur était de facture plus récente que ceux relevés jusqu'ici, mais néanmoins standard, de même que les toilettes, équipées d'un petit robinet douche. Le plafond était équipé d'un doublage qui avait permis l'installation de 7 spots intégrés. L'ensemble de la salle de bain était recouvert du même carrelage que l'intérieur de la douche. Il s'y trouvait encore dans un recoin un petit plan en marbre, ainsi que deux plus grands miroirs. La pièce disposait encore d'un petit sèche-serviette chromé.

p)        A côté de la chambre, tout au bout du couloir, se trouvait une toute petite pièce qui avait anciennement été un WC, dont la cuvette avait été enlevée. Il s'agissait à présent plutôt d'une pièce de rangement. Juste à côté se trouvait une petite pièce sanitaire avec douche et lavabo, dont les murs étaient recouverts jusqu'à environ 2m de haut par du carrelage standard. La robinetterie semblait d'origine et correspondait au standing de l'immeuble, de même que le petit lavabo. Juste à côté de cette petite pièce se trouvait un grand dressing. Le dressing était constitué de grand panneaux plaqués apparemment en bois exotique qui pourraient être ici d'origine et donnaient éventuellement une indication sur les menuiseries présentes à l'origine dans l'ensemble de l'appartement. Le sol du dressing était recouvert de linoleum sans particularité.

q)        Revenant le long du couloir jusqu'au le hall d'entrée, le tribunal a constaté que celui-ci était équipé d'un petit WC visiteurs avec lavabo, dont les murs étaient couverts, jusqu'à environ 1,10m de haut, de carrelage à dorure et, au-dessus, de miroirs. Le petit lavabo était équipé d'une robinetterie laiton ou imitation laiton et la cuvette des toilettes était de facture standard.

r)         Le sol du hall d'entrée était couvert de moquette directement sur la chape et le petit radiateur était de facture standard. Les murs étaient fortement dégradés et ce qui les recouvrait à l'origine avait disparu, de sorte qu'ils laissaient voir des parois brutes.

s)         La porte d'entrée de l'appartement, donnant sur le hall d'entrée, était extrêmement robuste. Il semblait qu'il s'agissait d'une porte blindée disposant de deux verrous éventuellement d'origine.

t)         Revenant finalement derrière la cuisine, dans la pièce qui servait de logement au personnel de maison et qui était équipée d'un long radiateur bas de facture standard, le tribunal a constaté que cette pièce disposait d'une grande baie vitrée donnant sur la parcelle commune de la résidence. A l'entrée de la pièce se trouvaient deux placards de facture standard. Les murs étaient là-aussi à l'état brut. Juste à côté de cette pièce se trouvait un petit WC ordinaire ainsi qu'une salle de bain disposant d'une robinetterie apparemment d'origine, d'une petite baignoire standard ainsi que d'un grand lavabo surmonté d'une petite armoire murale à miroir de facture standard.

u)        Le couloir donnant accès à la pièce de service était équipé d'un interphone avec écran qui pouvait indiquer que l'entrée disposait éventuellement d'une caméra. Il s'y trouvait également un grand placard dont les portes étaient de facture standard.

v)        La porte d'entrée de l'appartement donnant sur la partie domestique était de facture robuste, toutefois moins que la porte principale.

w)      Procédant ensuite à une visite des balcons, le tribunal s'est rendu en premier sur celui qui jouxtait la première grande chambre et celle d'à côté, et qui était situé à l'angle de l'immeuble côté Sud-Est. Le tribunal a pu apprécier la vue extrêmement large qui s'offrait depuis là, en particulier en direction du Salève et du Petit Lac, le reste étant toutefois obstrué par les grands arbres qui bordaient la résidence. Vraisemblablement, la vue donnait sur les Alpes par temps dégagé. Les éléments constructifs du balcon étaient identiques à ceux qui avaient été relevés au début du transport sur place.

x)        Sur l'autre balcon, toutefois, celui-ci disposait du côté du Salève d'une protection vitrée en menuiserie métallique "à petit bois". Ce balcon-là ne souffrait d'aucun vis-à-vis avec tout autre immeuble.

y)        Sur le balcon se situant au bout de l'appartement en direction du Nord, face au Chablais, la vue était partiellement obstruée par les grands arbres mentionnés précédemment, mais l'on jouissait d'une vue partielle sur la rade et le petit Salève ainsi que sur le coteau de Cologny au-dessus du domaine historique mentionné précédemment. Les éléments constructifs du balcon ne présentaient pas de particularité.

z)        La propriétaire a encore mentionné que la résidence disposait de parkings souterrains et que l'appartement en question bénéficiait actuellement de trois places dans ce parking. Il s'agissait en partie de boxes et en partie de places. L'ensemble de la résidence disposait d'un concierge logé sur place.

11.         Par décision APA 3______/2 du 4 juillet 2022, le département a délivré l'autorisation complémentaire sollicitée en reprenant une condition posée par préavis rendu le 5 mai 2022 par l'OCLPF, à savoir la fixation du loyer de l'appartement pendant une durée de trois ans pour un montant de CHF 67'200.- par an, soit de CHF 7'467.- par pièce. À cet égard, l'OCLPF a pris note de la demande de la propriétaire que l'appartement soit considéré comme un logement de luxe. Cependant, malgré le fait qu'il comptait plus de six pièces et que la vue qu'il offrait était magnifique, la surface des chambres et de la cuisine n'était pas spécialement grande. Le caractère somptueux manquait à la plupart des pièces de l'appartement. En effet, les boiseries n'étaient pas travaillées, il n'y avait pas de cheminée, ni de parquet en bois ancien, ni de haut plafond et les moulures avaient été ajoutées à cette typologie assez moderne. Les salles de bain n'étaient pas non plus somptueuses.

12.         Par courrier du 7 juillet 2022, le tribunal s'est adressé à la Fondation D______. Le litige dont il était saisi requérait si possible des informations sur l'éventuelle intention du maître d'ouvrage et du maître d'œuvre de hisser tout ou partie de la résidence à un niveau luxueux, ainsi que des informations techniques sur la manière dont avaient été concrètement réalisés les appartements. La fondation était invitée à renseigner le tribunal sur la possibilité d'obtenir de telles informations.

13.         Par écritures du 22 juillet 2022, la propriétaire s'est déterminée sur les éléments du transport sur place qui permettaient selon elle de considérer que l'appartement appartenait à la catégorie des logements de luxe. Il en sera question plus loin dans la partie en droit, en tant que de besoin.

14.         Par écritures du 2 août 2022, le département a répondu au recours du 25 mai 2022 en concluant à son rejet. Sur la question du retrait partiel de l'effet suspensif, il était préférable pour le moment de laisser l'appartement en l'état, notamment si la Fondation D______ souhaitait à son tour procéder à une visite. Sur la question de la suspension de la procédure, cela ne se justifiait plus, dès lors que le département avait statué le 4 juillet 2022 sur la requête APA 3______/2.

15.         Sur le fond, les arguments du département, qui consistent en substance à faire la démonstration que l'appartement litigieux n'est pas luxueux, seront examinés ci-après dans la partie en droit.

16.         Par écritures du 15 août 2022, la propriétaire a développé les raisons pour lesquelles le tribunal pouvait selon elle prononcer le retrait partiel de l'effet suspensif du recours sans attendre davantage.

17.         Par acte du 17 août 2022, elle a recouru auprès du tribunal contre l'autorisation APA 3______/2 du 4 juillet 2022, en concluant à son annulation partielle, en tant qu'elle prononçait une période de contrôle du loyer de l'appartement. Le tribunal était invité à dire qu'il s'agissait de renoncer à fixer le loyer après exécution des travaux. Préalablement, le tribunal était invité à retirer partiellement l'effet suspensif au recours et à ordonner la jonction de ce dernier avec celui qui avait donné lieu à la procédure A/1748/2022.

18.         Ce recours a été enregistré sous numéro de procédure A/2593/2022.

19.         La propriétaire a repris les arguments qu'elle avait développés jusque-là au sujet du caractère luxueux de l'appartement.

20.         Par écriture du 31 août 2022, le département s'est déclaré favorable à la jonction des deux procédures et s'est opposé au retrait partiel de l'effet suspensif, pour les raisons qu'il avait déjà évoquées.

21.         Sans réponse de la Fondation D______ à son courrier du 7 juillet 2022, le tribunal lui a adressé un courrier de relance le 2 septembre 2022.

22.         Par écritures du 20 octobre 2022 dans la procédure A/2593/2022, le département a conclu au rejet du recours, expliquant, en se fondant en particulier sur le transport sur place du 1er juillet 2022, les raisons pour lesquelles il n'était pas possible selon lui de considérer que l'on était en présence d'un appartement de luxe. Ces explications seront évoquées en tant que de besoin dans la partie en droit.

23.         Par courriel du 9 novembre 2022, le tribunal s'est à nouveau adressé à la Fondation D______, dont il n'avait toujours reçu aucune nouvelle.

24.         Par courriel du 10 novembre 2022, Fondation D______ a accusé réception du courriel du tribunal en indiquant n'avoir reçu aucun des courriers que ce dernier lui avait expédiés.

25.         Par courrier du 5 décembre 2022, le tribunal a expliqué à la propriétaire les raisons pour lesquelles il n'était pour le moment pas envisageable de permettre le démarrage du chantier par un retrait partiel de l'effet suspensif du recours.

26.         Le 19 décembre 2022, le tribunal a procédé à un transport sur place dans les locaux de la Fondation D______.

27.         A cette occasion, les représentants de la Fondation D______, soit Messieurs E______, directeur, et F______, historien, ont présenté un plan de l'appartement litigieux mentionnant le travail de l'architecte G______ à Paris en 1955 et ont fait une présentation PowerPoint dont il résulte pour l'essentiel les éléments suivants.

28.         L'ensemble résidentiel du parc du C______ est constituée de treize immeubles groupés en trois blocs disposés en forme de « U » et regroupant 250 appartements, dont certains comptant neuf, dix et treize pièces (ces derniers en tête du bloc face au lac).

H______, qui appartenait au consortium promouvant l'opération, avait déclaré qu'il s'agissait d'immeubles « de haut standing, destinés à une clientèle internationale et plus particulièrement moyen-orientale désireuse de s'installer à Genève », mais également qu'il s'agissait d'appartements « conçus pour retenir en ville une clientèle projetant de vivre dans des villas périphériques ».

La résidence s'inscrivait à l'emplacement d'une ancienne campagne patricienne du XVIIe siècle, en entrée de ville, en bout de quai sur la rive droite, près des organisations internationales et en bordure des grands parcs, face au panorama des Préalpes et des Alpes. Au centre de la résidence se trouvait un jardin collectif de 10'000 m² constitués d'un parc à l'anglaise dont les frondaisons séculaires avaient été mises en valeur et doté d'une maison de maître. Les immeubles bénéficiaient d'une relation visuelle privilégiée avec le parc de J_______ et le paysage lacustre. L'espace intérieur de la résidence bénéficiait d'un dédoublement et d'une dissociation de circulation automobile et piétonnière ainsi que d'une valorisation des espaces intermédiaires de seuil entre espace public et privé, dans un souci qui était notamment celui du confort, de l'agrément et de l'esthétique. Les trottoirs étaient recouverts d'un dallage travaillé en pierre naturelle, les murets étaient bordés de haies, des terrassements soulignaient les éléments végétaux remarquables et le mobilier était en pierre naturelle. Les parties communes des immeubles mêmes étaient traitées de manière différenciée et valorisée, à l'extérieur, par des auvents ou encadrement en marbre ou recouvert de mosaïques et, dans les halls intérieurs, par une double hauteur, un sol en pierre, des gradins, de grands vitrages et un recouvrement en pierre avec fixations en bronze, en sus de la présence de grands miroirs. Les articulations secondaires des immeubles étaient marquées par une démultiplication des fronts de façade (loggias, parties à fleur, bow-windows) qui produisait un jeu d'ombres et de lumières et instituait une relation modulée entre l'intérieur et l'extérieur. Quant aux articulations tertiaires, elles se signalaient par un recouvrement intégral des façades en pierre naturelle découpée avec grande précision (calepinage) et par une animation et une scansion régulière et fine des façades.

S'agissant de la conception et de l'équipement des logements, ils s'étendaient dans la gamme des appartements de deux à treize pièces. Le confort spatial se caractérisait par de grands espaces de réception, une relation modulée entre les pièces et entre l'intérieur et l'extérieur. Le confort constructif se signalait par des murs pleins et du double vitrage, le confort technique par la présence de dévaloirs à ordures et d'équipements électriques de pointe et enfin le confort spatial par de grands espaces, des enfilades de pièces et la dissociation entre espaces servants et servis. Les logements représentaient l'habitat bourgeois modernisé, réparti entre représentation et privacité. Ainsi, les logements étaient distribués en bandes parallèles marquées par deux refends longitudinaux. Un vaste hall de réception distribuait de part et d'autre les pièces de vie (salon ; séjour) et les chambres et les cuisines. Il y avait une ouverture préférentielle des pièces de vie sur le parc et le panorama du lac et des Alpes. Les logements étaient enfin caractérisés par la création d'une quatrième bande technique pour les équipements sanitaires et les armoires intégrées.

A l'issue de cette présentation, sur question du tribunal et des parties, la Fondation D______ a indiqué qu'il n'existait pas de piscine dans l'immeuble et qu'il existait en tout cas à l'origine un étage buanderie en toiture. Le parc qui se situait au centre de l'ensemble pouvait être qualifié de considérable. Sur question de savoir pour quelle raison on ne trouvait pas dans cet immeuble ou dans cet ensemble des logements dont les plafonds seraient d'une hauteur particulière, cela provenait de la conception architecturale de l'époque qui délaissait peu à peu les plafonds hauts d'avant-guerre pour concevoir des logements qui s'étendaient plutôt dans l'horizontalité. L'existence d'appartements de deux à treize pièces ne permettait pas d'en inférer l'intention des architectes de s'adresser éventuellement à différentes classes sociales. Les appartements de peu de pièces pouvaient s'expliquer par le fait que l'ensemble était notamment destiné à une clientèle internationale qui pouvait se servir d'appartements de taille réduite en tant que simple pied à terre pour des séjours de courte durée à Genève. L'opération avait été conçue sous forme de promotion immobilière et l'architecte avait donc eu les coudées franches pour aller au bout de son idée qu'il avait pu insérer dans un cadre permettant une réalisation emblématique dans un site unique. Il n'y avait pas de différence dans la générosité des appartements entre ceux qui se trouvaient à l'intérieur de l'immeuble de tête face au lac et l'appartement litigieux en tête de l'immeuble B. Le plan-type des étages, produit par la Fondation D______ durant l'audience concernait vraisemblablement plutôt les étages 1 à 4 inclusivement, tandis que les étages 5 et 6 correspondaient vraisemblablement à des appartements de plus haut standing, ce qui restait encore à vérifier. Dans leur plaquette de présentation, les architectes avaient relevé le fait qu'il était possible d'accéder à pied sec depuis les parkings souterrains aux appartements, mais il fallait également noter que les architectes avaient en même temps retenu un élément issu plutôt du XIXème siècle avec une circulation permettant d'amener les occupants des appartements directement devant les entrées d'immeuble. Concernant la complémentarité offerte par les appartements quant à la possibilité d'occuper des espaces plus retirés, qui seraient standards pour des immeubles de ville, ou des espaces davantage projetés vers l'extérieur et en particulier vers les espaces verts du parc, lesquels faisaient plutôt référence à la manière d'occuper une villa, on pouvait faire un parallèle avec le projet de Le Corbusier à Alger. Ce projet, qui s'adressait à une nouvelle bourgeoisie aisée, mais n'avait jamais vu le jour, présentait une sorte de très long immeuble défini par des espaces à la fois projetés vers le collectif et donnant en même temps l'impression de disposer d'un espace privatif.

A l'issue de l'audience, le tribunal a invité la Fondation D______ à produire des documents d'archives permettant de préciser cas échéant l'idée de luxe entourant la résidence ou si possible l'appartement en cause, ainsi que le plan présenté durant l'audience pour cet appartement et qui mentionnait le travail de l'architecte G______ à Paris en 1955.

29.         Par courriel du 19 janvier 2023, anticipant l'envoi de plans numérisés relatifs à l'appartement litigieux, M. F______, pour la Fondation D______, a relevé que l'existence de ces plans ne certifiait pas qu'ils avaient été réalisés tels que dessinés. La maison de décoration d'intérieur G______, ______ à Paris, avait modifié le plan d'origine de I______ et H______ à plusieurs reprises, les 7 mars, 23 juin et 3 octobre 1955. Les modifications portaient sur le hall d'entrée (vestibule) et sur une salle de bains qui étaient déplacés. Les élévations de la salle à manger montraient un travail élaboré sur les parois d'inspiration néo rococo ou Louis XV. Elle associait, dans un souci d'unité et de bien-être, portes et dessus des portes avec moulures, surfaces organisées en damier, surfaces en toile peinte, glaces argentées. Un des plans présentait, au niveau du vestibule, un solde élaboré (en marqueterie de bois ?) représentant une rose des vents. Pour autant qu'ils aient été réalisés, ces changements étaient de nature à renforcer le caractère luxueux de l'appartement. En tant qu'historien et historien de l'architecture, il fallait mentionner que la notion de luxe dans le domaine du logement était loin d'être immuable et qu'elle avait évolué significativement en lien avec la transformation des modes de vie, des goûts, des conceptions architecturales ou encore des possibilités techniques. Autrement dit, le caractère luxueux différait dans les logements de la fin du XIXe siècle au début du XXe siècle, de l'entre-deux-guerres, du deuxième après-guerre (années 1950-1960).

30.         Par courrier du 30 janvier 2023, le tribunal a communiqué aux parties ces derniers éléments, incluant les versions scannées des plans préparés par la Maison G______ pour l'appartement litigieux, en les invitant à se prononcer sur le caractère luxueux de l'appartement.

31.         Par écritures du 17 février 2023, le département a pour l'essentiel souligné que la notion d'appartements luxueux devait être interprétée de manière restrictive, supposant que la mesure habituelle du confort soit clairement dépassée, l'impression générale étant décisive à cet égard. Or, l'ensemble des éléments mis en évidence par la Fondation D______ ne pouvait que conforter la position du département. S'il présentait certains atouts, à savoir un nombre de pièces supérieur à sept, une surface totale importante et une vue sur le petit lac et le Salève, l'appartement ne dégageait aucune impression générale de luxe. La surface des chambres et de la cuisine n'était pas particulièrement importante, puisqu'elles variaient, pour les chambres, entre 14.34 m² et 22.07 m². Lors du transport sur place, le tribunal avait constaté que le sol des chambres était habillé de moquette posée directement sur la chape et que le parquet d'origine, s'il avait existé, avait été arraché depuis lors. Les toiles tendues sur les murs de l'une des chambres étaient très abîmées. La grande menuiserie dont disposait une autre chambre sur les murs était de facture industrielle et les quelques moulures de facture standard. La chambre au bout du couloir, soit à droite, était sans particularité, les deux armoires murales dont elle disposait étant de facture moderne et standard. La cuisine ne présentait, pour sa part, aucun élément luxueux, le radiateur et de placard qu'elle comprenait étant de facture standard. S'agissant des autres pièces qui composaient l'appartement, le sol du bureau était recouvert d'un parquet de chêne usuel et les panneaux de bois qui en recouvraient les murs étaient de facture très simple. Le sol du salon était lui aussi recouvert d'une moquette posée directement sur la chape et le sol du dressing situé au bout du couloir était recouvert d'un linoléum sans particularité. L'appartement ne comportait aucune cheminée et les radiateurs étaient ordinaires. Le bâtiment ne disposait pas de piscine. De manière générale, l'agencement intérieur des pièces était pour l'essentiel standard. Malgré quelques rares éléments de niveau supérieur, l'appartement ne dégageait dans son ensemble aucune impression de somptuosité ni ne comportait des éléments de commodité hors du commun. On ne pouvait non plus retenir que l'appartement avait à l'origine été conçu comme un appartement présentant un certain degré de luxe. La Fondation D______ n'avait pu fournir aucun élément certain à ce sujet. Quant aux travaux projetés, ils ne permettaient pas non plus de conclure qu'ils viseraient à amener un caractère de luxe à l'appartement, compte tenu de leur montant qui était de CHF 16'877.- par pièce, ce qui était dans la fourchette ordinaire, voire la fourchette basse de ce type de travaux. Aucune intervention n'était prévue non plus pour les sanitaires.

32.         Par écritures du 21 février 2023, la propriétaire a souligné que la jurisprudence avait retenu qu'exceptionnellement, un logement pouvait être luxueux même en comportant moins de sept pièces. C'était notamment le cas si, d'un point de vue esthétique et historique, le logement était considéré comme luxueux. De même, il avait été retenu qu'une construction ancienne, qui offrait un niveau de confort certes inférieur aux maisons modernes, mais qui possédait une valeur historique qui en faisait un objet exceptionnel rarement disponible sur le marché de la location, pouvait aussi entrer dans la catégorie des logements de luxe.

Dans le cas d'espèce, les architectes avaient eu l'intention de concevoir des immeubles de très haut standing. La conception de l'équipement des logements était avant-gardiste pour l'époque et visait à apporter un confort optimal à ses habitants. Outre le confort spatial, le logement bénéficiait d'un confort technique avec des équipements de pointe. Il fallait souligner que la Maison G______ était une enseigne renommée du 16e arrondissement de Paris et connue dans le monde de la décoration et du design pour avoir comme clientèle des familles royales et des institutions prestigieuses, telles que la reine Élisabeth II ou encore le roi d'Espagne (renseignements obtenus sur Internet). Cette enseigne se présentait d'ailleurs sur son site Internet comme « un label, une marque internationalement positionnée dans le domaine du luxe ». Les éléments soulignés par M. F______, de la Fondation D______, concernaient notamment le travail élaboré qui avait été prévu sur les parois de la salle à manger. Le précité avait également rappelé que la notion de logement de luxe évoluait significativement au fil du temps et il fallait prendre en compte l'histoire du bien en question pour apprécier son caractère luxueux.

33.         Pour le reste, les arguments des parties seront examinés ci-après en droit.

34.         Par courrier du 6 mars 2023, le tribunal a informé les parties que la cause était gardée à juger.

 

EN DROIT

1.             Le Tribunal administratif de première instance connaît des recours dirigés, comme en l’espèce, contre les décisions prises par le département en application de la loi sur les démolitions, transformations et rénovations de maisons d'habitation du 25 janvier 1996 (LDTR - L 5 20) et de la loi sur les constructions et les installations diverses du 14 avril 1988 (LCI - L 5 05) (art. 115 al. 2 et 116 al. 1 de la loi sur l’organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05, art. 143 et 145 al. 1 LCI ; art. 45 al. 1 LDTR).

2.             A teneur de l'art. 70 al. 1 LPA, l’autorité peut, d’office ou sur requête, joindre en une même procédure des affaires qui se rapportent à une situation identique ou à une cause juridique commune.

3.             En l'espèce, les procédures A/1748/2022 et A/2593/2022 se rapportent à deux décisions rendues par l'autorité intimée au sujet des travaux que la recourante souhaite entreprendre dans l'appartement litigieux, la différence entre ces deux décisions consistant uniquement dans le montant relatif au loyer maximum de cet appartement pendant la durée de contrôle. Ces deux affaires soulèvent la même question de principe, de sorte qu'il se justifie de les joindre sous le numéro A/1748/2022 et de statuer par un seul jugement.

4.             Interjeté en temps utile et dans les formes prescrites devant la juridiction compétente, le recours se rapportant originellement à la cause A/2593/2022 est recevable au sens des art. 60 et 62 à 65 de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 (LPA - E 5 10).

5.             Quant au recours se rapportant originellement à la cause A/1748/2022, on peut se demander s'il a encore un objet et donc s'il est recevable. En effet, sans qu'elle n'en fasse état, la décision APA 3______/2 du 4 juillet 2022 a vraisemblablement remplacé la décision APA 3______ du 26 avril 2022, puisqu'elle autorise les mêmes travaux que cette dernière, reprend également le principe du contrôle du loyer pour trois ans, et modifie simplement à la hausse le montant du loyer maximum. La recevabilité de ce recours peut cependant être admise, compte tenu de l'issue du litige.

6.             Les parties s'accordent sur le fait que l'objet du litige concerne uniquement le caractère luxueux ou non de l'appartement qui doit faire l'objet des travaux. En effet, l'art. 10 al. 2 let. b LDTR prévoit que le département renonce à la fixation des loyers prévue en cas de transformation d'un appartement (art. 10 al. 1 LDTR) lorsque cette mesure apparaît disproportionnée, notamment lorsque les logements à transformer sont des logements de luxe.

Par conséquent, la légitimité de la fixation du loyer dans les décisions litigieuses dépend de savoir si l'appartement concerné doit être considéré comme un appartement de luxe.

7.             Cette notion juridique indéterminée a été précisée par la jurisprudence. Ainsi, pour être qualifié de luxueux, le logement doit avoir six pièces au moins, cuisine non comprise, c'est-à-dire à Genève sept pièces ou plus, des surfaces inhabituellement grandes, des éléments donnant une impression générale de somptuosité ou de confort extraordinaire. Il s'agit de conditions cumulatives. Exceptionnellement, un logement peut être luxueux même s'il a moins de sept pièces. C'est notamment le cas, si d'un point de vue esthétique et historique, le logement est considéré comme luxueux (il est donc possible de s'écarter de la notion stricte de logement de luxe de droit fédéral et fixer ainsi une notion plus adaptée aux circonstances). Un logement ancien peut être luxueux s'il a été conçu comme tel et qu'il est correctement entretenu (ATA/441/1997 du 5 août 1997 consid. 6). Un logement peut être luxueux, quel que soit le quartier où il se trouve et même si une partie de l'immeuble comprend des locaux commerciaux de bureaux. Il faut prendre en considération le logement en tant que tel, et non le type ou le style de locataires qui occupent l'immeuble (ATA/214/2003 du 15 avril 2003 consid. 5). Dès lors, un logement peut être luxueux même s'il est mal situé géographiquement, avec une vue et une luminosité ambiante réduites (ATA 89.TP.145 consid. 6d). Par ailleurs, des éléments extérieurs à l'appartement lui-même peuvent lui conférer un caractère luxueux s'ils le valorisent. C'est le cas de la vue sur le jet d'eau et la rade de Genève (ATA/214/2003 précité consid. 5 ; Emmanuelle GAIDE/Valérie DÉFAGO GAUDIN, op. cit. p. 277 et 278).

8.             De manière plus générale, le Tribunal fédéral a relevé que la notion de logement luxueux doit être interprétée de manière restrictive et qu'elle suppose que la mesure habituelle du confort est clairement dépassée, l'impression générale étant décisive à ce sujet. De même, la notion de luxe peut évoluer avec le temps : un objet luxueux à l'origine peut perdre cette qualité au fil du temps, tandis qu'un logement ordinaire peut entrer dans la catégorie des objets de luxe en fonction des rénovations et des transformations qui y ont été réalisées par la suite (arrêt du Tribunal fédéral 4A_257/2015 du 11 janvier 2016 consid. 3.1).

9.             Dans sa jurisprudence, le Tribunal administratif, dont les compétences ont été reprises par la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après: la chambre administrative), a retenu le caractère luxueux d'un logement de huit pièces réparties sur 280 m2, dont plusieurs de dimensions importantes et en enfilade, pourvues de boiseries bien entretenues de la fin du 18ème siècle et de plusieurs cheminées de marbre, ainsi que de plafonds particulièrement hauts donnant à l'ensemble un caractère luxueux (ATA/441/1997 du 5 août 1997).

Le Tribunal administratif a également qualifié de luxueux un logement de quatre ou quatre pièces et demie de 120 m2 ayant du parquet et des moulures au plafond, des radiateurs de l'époque de sa construction en 1920, avec un hall d'entrée d'immeuble de qualité, cossu et d'une taille inhabituelle. La présence d'un concierge, le caractère bourgeois de la façade en pierres de taille, les carreaux de faïence sur les balcons, le bâtiment ayant une vue magnifique sur la rade, le Mont-Blanc et les autres montagnes des Alpes étaient autant d'indices déterminants (ATA/229/2002 du 7 mai 2002).

La chambre administrative a exceptionnellement admis le caractère luxueux de deux appartements de cinq pièces d’environ 130 m2 issus d’une division dans un immeuble à l'entrée soignée avec des boiseries bien entretenues, avec un hall d'entrée particulièrement spacieux (25 m2), un sol en bois entouré de dalles en pierre, un sol de l'appartement choisi avec soin en planelles et en bois exotique, un salon d'environ 30 m2, deux cheminées dont l'une en marbre, une décoration raffinée constituée de matériaux et de revêtements de qualité supérieure – les revêtements des salles de bain et salles de douche étant constitués de mosaïque de type « pâte de verre » 2 x 2 cm de haute qualité, une hauteur du plafond pour le grand salon d'environ 2,74 m, des détails de type corniche inversée dans la plupart des pièces de jour et enfin une vue directe sur le lac et le Mont-Blanc (ATA/1736/2019 du 3 décembre 2019).

Le Tribunal administratif a toutefois nié le caractère luxueux d'un appartement composé de huit pièces dont la surface brute moyenne de chaque pièce s'élevait à 27,38 m2. Cette surface était importante ; toutefois, le logement ne donnait aucune impression de somptuosité malgré certains atouts (terrasses dont la surface était conséquente, une situation en attique et une vue dégagée). La hauteur des plafonds n’était pas exceptionnelle, son entrée était modeste et l’agencement intérieur était standard. L'escalier, pourvu d'une rampe en bois, était fonctionnel et banal. Les matériaux utilisés pour la serrurerie, les fenêtres et les portes étaient courants. De même en était-il des revêtements de sol : le salon et les couloirs étaient pourvus d'un parquet simple et les chambres d'une moquette ordinaire. Enfin, l'architecture de l'immeuble ne présentait aucune particularité (ATA/859/2010 du 7 décembre 2010).

Le tribunal de céans a également nié le caractère luxueux d'un logement sis dans un immeuble ayant une entrée spacieuse, avec un sol en marbre, un plafond en bois, un lustre, des fauteuils et une table, deux ascenseurs, ainsi qu'une piscine chauffée toute l'année, fermée par des parois vitrées, s'ouvrant sur le jardin privatif de l'immeuble et comprenant toilettes, douches, vestiaires et chaises longues pour les habitants de l'immeuble ; palier boisé du 6ème étage de l'immeuble où se situait l'appartement de quatre pièces d'environ 130 m2, lequel comprenait un living et une cuisine donnant sur un balcon duquel on pouvait voir le sommet du jet d'eau et le parc arborisé bien entretenu de l'immeuble, la cuisine étant entièrement équipée, ainsi qu'un WC visiteur, une douche/lavabo et une salle de bains, ainsi que deux chambres à coucher (JTAPI/498/2012 du 16 avril 2012). La chambre administrative s'est ralliée à cet avis non contesté devant elle (ATA/826/2012 du 11 décembre 2012). Cette jurisprudence a paru sévère pour la doctrine (Emmanuelle GAIDE/Valérie DÉFAGO GAUDIN, op. cit., p. 279).

Enfin, la chambre administrative s'est également ralliée assez récemment (ATA/651/2022 du 23 juin 2022) à un jugement du tribunal (JTAPI/1268/2021 du 14 décembre 2021) relatif à un appartement, de 6.5 pièces, dont le caractère luxueux de l’appartement avait été nié nonobstant sa superficie et la présence de certains éléments caractérisant le luxe, car l’équipement en sanitaires répondait au standard minimal actuel, l’une des quatre chambres était petite et les autres de taille normale, l’appartement ne bénéficiait pas d’éléments de commodité hors du commun ni d’éléments extérieurs pouvant lui conférer un caractère luxueux telle une vue sur la rade et le jet d’eau et il ne dégageait pas une impression de somptuosité ou de confort extraordinaire.

10.         En l'espèce, l'autorité intimée appuie l'essentiel de son argumentation sur le fait que l'appartement litigieux ne contient presque pas d'éléments de somptuosité. Elle relève en particulier l'absence de hauts plafonds, de cheminées, de parquets particulièrement recherchés et autres éléments du second œuvre ou fournitures témoignant d'une notion de luxe. Elle relève en outre que les chambres ne sont pas spécialement spacieuses, dans la mesure où la plus grande a une surface de 22.7 m² et la plus petite une surface de 14.34 m². Enfin, elle relève le caractère relativement dégradé de certaines parties de l'appartement, par exemple par le remplacement d'un éventuel parquet d'origine par de la moquette, voire par du linoléum. Elle relève également que les toiles tendues sur les murs de l'une des chambres sont très abîmées. À ces dernières remarques, le tribunal peut encore ajouter que les murs du vestibule d'entrée sont eux aussi relativement dégradés.

Pour le reste, l'autorité intimée s'attache à tenter de relativiser l'importance qu'il y aurait lieu d'accorder à d'autres éléments, comme le traitement des entrées d'immeubles, des espaces extérieurs (en particulier le parc historique de C______), ou encore la situation de la résidence dans son ensemble.

11.         Pour sa part, le tribunal rappelle en préambule, comme l'a souligné l'historien de l'architecture au sein de la Fondation D______, que la notion de luxe en architecture est par nature évolutive et qu'elle s'adapte à la transformation des modes de vie, des goûts, des conceptions architecturales ou encore des possibilités techniques. Ainsi, à titre d'exemple, des cheminées de marbre peuvent contribuer à conférer leur caractère luxueux aux habitations d'une certaine époque, mais l'avènement du chauffage central a ensuite pu conduire à une autre conception du confort, y compris dans les appartements de luxe. La jurisprudence doit également tenir compte de ces évolutions, sauf à rester figée dans des schémas anachroniques.

Il convient également de souligner en préambule l'approche du Tribunal fédéral qui, sans rattacher la notion de luxe à tels ou tels éléments spécifiques d'un logement, indique qu'il faut garder à l'esprit l'impression générale qu'il dégage et le fait que la notion de luxe peut être admise lorsque, globalement, il apparaît que la mesure habituelle du confort est clairement dépassée (cf. ci-dessus consid. 9).

12.         Dans le cas d'espèce, pour commencer, on ne peut faire abstraction du contexte urbain dans lequel s'est inscrit à l'époque de sa construction et encore aujourd'hui l'ensemble immobilier C______, ni de l'intention des architectes. Ainsi, encadrant une ancienne demeure de maître et son parc arboré, et faisant face par ailleurs au parc du C______, au panorama du lac et des Alpes, ainsi qu'au parc de J_______ et au coteau de Cologny, l'ensemble était expressément destiné à séduire une clientèle internationale en lui offrant un cadre prestigieux. La présence de logements jusqu'à treize pièces dans certaines parties de la résidence, de même que la présence d'espaces de travail et de nuit pour du personnel de maison, ne fait que confirmer l'intention, dès le départ, de faire de ces logements des biens d'exception destinés à une catégorie particulièrement aisée de la population, soucieuse de pouvoir afficher cette appartenance. C'est ici en particulier que peut se lire l'évolution de la notion de faste en matière de logement, tant il est vrai que la notion de luxe et d'appartement hors norme ne saurait a priori se discuter pour un logement de treize pièces situé sans aucun vis-à-vis en face du lac et des Alpes, mais malgré tout doté de plafonds situés à moins de 3 m de haut.

Il en va de même s'agissant de la facture relativement sobre d'un certain nombre d'éléments standards constatés lors du transport sur place effectué par le tribunal, vraisemblablement soustraits au goût du preneur (p. ex. menuiseries et ferronneries extérieures), puisqu'ils apparaissent à l'identique sur l'ensemble des façades.

Ainsi, la question de savoir si l'appartement litigieux doit être considéré comme un logement de luxe ne doit-elle pas s'attacher de trop près aux critères souvent mis en évidence par la jurisprudence par rapport à des demeures plus anciennes.

13.         Une approche tenant compte davantage de l'impression d'ensemble, telle que préconisée par le Tribunal fédéral, permet de souligner, outre les éléments historiques et d'extérieur déjà mentionnés plus haut, le sentiment d'appartement hors-norme qui traverse le visiteur lorsqu'il y pénètre, prend la mesure des très grands espaces (salon, salle à manger, bureau) qui s'ouvrent depuis la porte d'entrée principale, mais aussi de l'espace très important qu'offrent globalement les 295 m² de l'appartement, avec ses quatre chambres à coucher, ses deux salles d'eau, ses espaces de rangement séparés, son grand vestibule d'entrée, espaces auxquels s'ajoute celui destiné au personnel de maison qui, outre la cuisine et le laboratoire, offre à nouveau une chambre et une salle d'eau ainsi que des toilettes supplémentaires. À ceci s'ajoute le fait que le pourtour de l'appartement s'ouvre généreusement sur trois côtés par de grandes fenêtres et portes-fenêtres, offrant une vue tout à fait exceptionnelle sur le parc historique du C______, sur le lac et les Alpes, ainsi que sur le parc de J_______.

Il est vrai que l'appartement, dans son état actuel, présente de curieux contrastes du fait que certaines parties sont relativement dégradées (p. ex le vestibule d'entrée) et d'autres presque comme neuves (l'une des salles de bain en particulier), mais aussi du fait que certains de ses éléments semblent tout à fait standards par rapport à l'époque de construction (p. ex. les meubles de cuisine), tandis que d'autres (p. ex panneaux de bois à moulures) dénotent un souci d'apparat. Il n'est pas possible d'être affirmatif sur la manière dont l'appartement était aménagé et décoré à l'origine, puisque, comme l'a souligné la Fondation D______, il n'est pas certain que les plans préparés par la Maison G______ ont été effectivement réalisés. Toutefois, une partie au moins de ces derniers paraissent l'avoir été, puisque le transport sur place auquel a procédé le tribunal a montré l'existence de panneaux de bois à moulures et de menuiseries intérieures qui pourraient correspondre à ces plans. Quoi qu'il en soit, qu'ils aient été seulement dessinés ou également réalisés, les plans de la Maison G______, dont la recourante a mis en évidence le positionnement dans le domaine du luxe et les références prestigieuses dont elle pouvait se prévaloir, signifient que les premiers occupants de l'appartement, en 1955, disposaient de moyens suffisamment importants pour envisager de confier à cette entreprise la décoration d'un logement de 295 m². Ceci ramène à ce qui a déjà été mentionné plus haut en ce qui concerne le prestige que les promoteurs du projet visaient à rattacher tout au moins aux plus grands logements de la résidence, ainsi qu'au style de clientèle que cela concernait.

Certes, comme le relève également le Tribunal fédéral (cf. ci-dessus consid. 9), on ne peut exclure qu'un appartement qui correspondait originellement à la notion de luxe perde cette caractéristique au fil du temps, par exemple parce que les éléments de prestige paraissent devenus complètement obsolètes, ou encore parce qu'un manque complet d'entretien l'a conduit à un état de délabrement qui ne laisse plus vraiment subsister le faste dont il bénéficiait au début. Dans le cas d'espèce, si l'on peut effectivement relever une certaine dégradation de l'appartement, il n'en demeure pas moins, comme cela a été exprimé plus haut, que son caractère luxueux réside avant tout dans des aspects – notamment immatériels – qui demeurent entièrement valables à ce jour.

14.         Pour finir, en considérant l'objet du litige avec un peu de recul, on demeure en peine de retenir que l'appartement litigieux pourrait, même de loin, se rapprocher des logements correspondant aux besoins prépondérants de la population que la LDTR vise à maintenir dans le marché locatif à des loyers abordables. À cet égard, il n'est pas insignifiant de relever que selon l'arrêté relatif à la révision des loyers répondant aux besoins prépondérants de la population dans sa teneur au 12 janvier 2022 (ArRLoyers – L 5 20.05), les loyers correspondant aux besoins prépondérants de la population, fondés sur le revenu brut médian des contribuables personnes physiques 2018, sont compris entre 2 627 francs et 3 528 francs la pièce par année. Or, en l'occurrence, le loyer fixé par la seconde décision litigieuse, qui est de CHF 7'467.- la pièce, est plus de deux fois plus élevé que la limite supérieure fixée par cet arrêté, ce qui signifie que, même durant la période de contrôle, le loyer de cet appartement est situé très au-dessus des moyens de la très grande majorité de la population genevoise.

15.         Enfin, s'agissant de l'argument de l'autorité intimée relatif au fait que le montant total des travaux apparaît trop modeste pour correspondre à ceux que l'on ferait dans un logement de luxe, la recourante relève de manière pertinente que l'art. 10 al. 2 LDTR est formulé de telle manière que l'appréciation que l'on doit faire au sujet du caractère luxueux ou non de l'appartement concerné se rapporte à ce qu'il est avant les transformations, et non pas après. Par conséquent, si, comme en l'espèce, l'appartement peut être considéré comme luxueux avant transformation, il importe peu que le propriétaire décide de procéder à de simples travaux d'entretien.

16.         Il découle de ce qui précède que, dans la mesure de leur recevabilité respective, les recours doivent être admis et les décisions litigieuses annulées en ce qu'elles imposent à la recourante un contrôle des loyers après travaux.

17.         Vu l'issue du litige et en application des art. 87 al. 1 LPA et 1 et 2 du règlement sur les frais, émoluments et indemnités en procédure administrative du 30 juillet 1986 (RFPA - E 5 10.03), il ne sera pas perçu d'émolument.

18.         Les avances de frais versées par la recourante, totalisant CHF 2'000.-, lui seront restituées.

19.         Vu l'issue du litige, une indemnité de procédure de CHF 3'500.-, à la charge de l'État de Genève, soit pour lui le département du territoire, sera allouée à la recourante (art. 87 al. 2 à 4 LPA et 6 RFPA). Cette indemnité tient compte notamment des nombreux actes d'instruction auxquels ont participé les conseils de la recourante. En revanche, il n'est pas tenu compte du fait que cette dernière s'est adjointe l'assistance de deux avocats, la cause ne présentant pas des difficultés telles que cela se justifie.


PAR CES MOTIFS

LE TRIBUNAL ADMINISTRATIF

DE PREMIÈRE INSTANCE

1.             prononce la jonction des procédures A/1748/2022 et A/2593/2022 sous le n° de procédure A/1748/2022 ;

2.             déclare recevables les recours de A______ interjeté le 25 mai 2022 contre l'autorisation APA 3______ délivrée par le département du territoire le 26 avril 2022 et interjeté le 17 août 2022 contre l'autorisation APA 3______/2 délivrée par le département du territoire le 4 juillet 2022 ;

3.             les admet ;

4.             annule les autorisations APA 3______ et APA 3______/2 en ce qu'elles prononcent le contrôle du loyer du logement après travaux ;

5.             dit qu'il n'est pas perçu d'émolument ;

6.             ordonne la restitution à la recourante de ses avances de frais totalisant CHF 2'000.- ;

7.             condamne l'État de Genève, soit pour lui le département du territoire, à verser à A______ une indemnité de procédure de CHF 3'500.- ;

8.             dit que, conformément aux art. 132 LOJ, 62 al. 1 let. a et 65 LPA, le présent jugement est susceptible de faire l'objet d'un recours auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (10 rue de Saint-Léger, case postale 1956, 1211 Genève 1) dans les trente jours à compter de sa notification. L'acte de recours doit être dûment motivé et contenir, sous peine d'irrecevabilité, la désignation du jugement attaqué et les conclusions du recourant. Il doit être accompagné du présent jugement et des autres pièces dont dispose le recourant.

Siégeant : Olivier BINDSCHEDLER TORNARE, président, Evis BARANYAI, Claire BOLSTERLI, Thierry ESTOPPEY et Jean-Michel KARR, juges assesseurs.

Au nom du Tribunal :

Le président

Olivier BINDSCHEDLER TORNARE

Copie conforme de ce jugement est communiquée aux parties.

Genève, le

 

La greffière