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Décisions | Tribunal administratif de première instance

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A/2120/2022

JTAPI/692/2023 du 20.06.2023 ( LDTR ) , ADMIS

ADMIS par ATA/1332/2023

Descripteurs : TRAVAUX SOUMIS À AUTORISATION;LOGEMENT DE LUXE;MARCHÉ LOCATIF;PÉNURIE DE LOGEMENTS
Normes : LDTR.9
En fait
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

A/2120/2022 LDTR

JTAPI/692/2023

 

JUGEMENT

DU TRIBUNAL ADMINISTRATIF

DE PREMIÈRE INSTANCE

du 20 juin 2023

 

dans la cause

 

A______ SA, représentée par Me Christian TAMISIER, avocat, avec élection de domicile

 

contre

DÉPARTEMENT DU TERRITOIRE-OAC

Monsieur B______

 


EN FAIT

1.             En date du 24 février 2022, A______ SA (ci-après : A______) a déposé auprès du département du territoire (ci-après : DT ou le département), une demande d'autorisation de construire portant sur la réunion de deux appartements en propriété par étages, l'un de cinq pièces, présentant une surface brute de plancher de 262 m² (lot n° 1______) et l'autre de trois pièces, présentant une surface brute de plancher de 156 m² (lots nos 2______ et 3______) situés à l'adresse 4______, rue C______ à Genève.

2.             Cette opération devait permettre à Monsieur B______, propriétaire du premier de ces trois lots de pouvoir bénéficier d'un grand appartement de huit pièces.

3.             Dans le cadre de l'instruction de la requête, le service LDTR s'est opposé à ce projet considérant qu'il n'était pas conforme à l'art. 9 de la loi sur les démolitions, transformations et rénovations de maisons d'habitation (mesures de soutien en faveur des locataires et de l'emploi) du 25 janvier 1996 (LDTR - L 5 20).

4.             Par décision du 27 mai 2022, le département, se fondant sur le préavis précité, a refusé de délivrer l'autorisation de construire sollicitée.

5.             Par acte du 27 juin 2022, A______ a saisi le Tribunal administratif de première instance (ci-après : le tribunal) d'un recours contre la décision précitée, concluant à son annulation, sous suite de frais et des dépens. Préalablement, elle sollicitait la tenue d'un transport sur place.

De par leur loyer de même que leur caractère luxueux, les appartements en question n'entraient pas dans la catégorie des logements répondant aux besoins prépondérants de la population. Considérant notamment les charges à payer afférentes à la copropriété, les loyers applicables n'étaient pas des loyers accessibles à la majorité de la population et mais plutôt à des personnes particulièrement fortunées.

De par leur genre, le caractère luxueux des appartements qui ressortait des nombreuses spécificités du dossier présenté les excluait de la catégorie de logements répondant aux besoins prépondérants de la population que la LDTR entendait protéger.

6.             En date du 2 septembre 2022, le département a transmis son dossier au tribunal, accompagné de ses observations. Il a conclu au rejet du recours.

Dans un arrêt isolé, la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) avait indiqué que seuls les logements répondant aux besoins prépondérants de la population étaient protégés, ce qui excluait les logements dits de luxe (ATA/1736/2019 du 3 décembre 2019 consid. 7 et références), ainsi que ceux pour lesquels ne sévissait pas de pénurie de logements, au sens de l'arrêté déterminant les catégories de logements où sévit la pénurie en vue de l’application des art. 25 à 39 LDTR du 12 janvier 2022 (ArAppart - L 5 20.03).

À son avis, la position de la chambre administrative au sujet des logements dits de luxe, ne correspondait pas aux dispositions légales applicables en la matière.

S'agissant du champ d'application de la loi (art. 2 LDTR), ces biens immobiliers n'étaient pas exclus et l'art. 10 al. 2 LDTR précisait clairement que seul le contrôle des loyers ne pouvait pas leur être imposé lorsque leur loyer dépassait d'au moins deux fois et demi les besoins prépondérants de la population.

De plus, pour revenir à la référence que la chambre administrative faisait à la doctrine, rien dans les travaux préparatoires ne permettait d'affirmer que le législateur aurait voulu exclure les logements de luxe de l'application de la loi.

Pour cette raison déjà, il avait considéré que la loi devait être mise en œuvre.

Si le tribunal ne devait pas partager sa position, il entendait préciser que ces logements ne pouvaient être comme considérés comme étant de luxe, de sorte qu'ils ne pouvaient pas échapper à la mise en œuvre de la loi. Bien que les surfaces brutes de plancher proposées pour chacun de ces logements étaient généreuses, ce critère n'était à lui seul pas déterminant comme l'avait retenu la chambre administrative dans l'arrêt précité.

De plus il fallait prendre en considération le nombre de pièces proposées, cinq pour le lot 1______, respectivement, trois pour les lots 2______ et 3______ avec, pour le surplus, des chambres de tailles relativement standard (un peu plus de 20 m²). À cela s'ajoutait le fait que rien dans le dossier ne permettait de considérer que ces logements auraient été aménagés avec des matériaux particulièrement somptuaires voire de très haut de gamme. Le quartier dans lequel ils se situaient était plutôt populaire (hormis la présence d'un hôtel de luxe à proximité) et ils n'offraient pas de vue majestueuse sur le lac, sur la rade ou sur les montagnes. Partant, contrairement à ce qu'affirmait la recourante, l'art. 9 LDTR était applicable. Or, la chambre administrative avait rappelé que la délivrance d'une autorisation de réunir deux logements violait la disposition précitée car elle soustrayait du marché locatif deux appartements correspondant aux besoins prépondérants de la population pour créer un appartement unique destiné à être occupé par une seule famille. S'agissant de motifs relevant de la convenance personnelle, ceux-ci ne pouvaient en effet pas prévaloir sur l'intérêt public.

7.             Le 19 octobre 2022, la recourante a répliqué persistant dans son argumentation. L'immeuble était situé à proximité immédiate du lac et de plusieurs hôtels luxueux. Les équipements et niveaux de finition du bâtiment et des appartements en question attestaient de leur caractère particulièrement luxueux. L'immeuble était doté d'un système de sécurité élevé, avec plusieurs dizaines de caméras, le vaste hall d'entrée de l'immeuble, comprenant un système de conciergerie 24 heures sur 24, 7 jours sur 7, était assimilable à celui d'un hôtel de grand luxe. Les logements étaient desservis par deux ascenseurs, la plupart reliés directement avec le parking souterrain. Les boiseries, parquets et revêtements muraux présentaient des matériaux hors normes. L'équipement des cuisines et des salles de bains étaient de très haut de gamme. Les appartements étaient tous dotés d'un système de domotique perfectionné. Certains, à l'instar de l'un des deux objets litigieux, étaient bénéficiaires d'une double hauteur. Enfin, la surface considérable des logements dépassait largement les standards usuels. Le montant des charges relatives aux deux appartements (CHF 17'460.- par an pour le n° 6______ et CHF 48'156.- par an pour le n° 7______, hors charges de chauffage et de production d'eau chaude) démontrait clairement qu'ils se situeraient, s'ils étaient sur le marché de la location dans une gamme de prix nettement supérieure à celle que pouvait payer la grande majorité de la population. Un prix élevé était d'ailleurs, dans l'immobilier comme dans d'autres domaines, la principale condition à la qualification de luxe.

8.             Le 10 novembre 2022, le département a dupliqué persistant dans ses conclusions.

9.             En date du 28 mars 2023, le tribunal a procédé à un transport sur place en présence des parties. Des photographies numérotées de 1 à 30 ont été prises à cette occasion.

Dans ce contexte, le tribunal a pénétré dans l'immeuble par un vaste hall d'entrée dont le sol était recouvert de dalles, imitation bois. Les parois en béton ciré étaient ornées de tableaux. Une large réception occupait une partie du hall, laquelle était dévolue au service de conciergerie, disponible pour les résidents 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7. Le hall disposait d'un salon de réception. Il était également équipé de WC pour les visiteurs. Enfin, il donnait sur un patio présentant une pièce d'eau et un îlot central végétalisé.

L'administrateur de la recourante a expliqué que des deux nouveaux immeubles construits aux nos 4______ et 5______ de la rue C______, celui situé au n° 5______ était un immeuble locatif comportant douze appartements assujettis à la LDTR, et celui sis au n° 4______ comptait vingt-sept appartements en PPE de standard élevé (domotique, conciergerie, etc.).

Le tribunal et les parties se sont ensuite rendues dans la salle de sport de l'immeuble située au sous-sol [rec au rez-de-chaussée] et équipée de divers engins de sport puis dans le parking de l'immeuble, auquel on accédait au moyen d'une clé électronique, qui s'étendait sur toute la surface du sous-sol et disposait de caméras de sécurité. Chaque place de parc était équipée d'une borne électrique. Les véhicules stationnés étaient des voitures de haut de gamme, voire de luxe.

Le tribunal s'est ensuite rendu au cinquième étage, accédant directement depuis l'ascenseur, dans un appartement inoccupé et dont la configuration était identique à celle du logement occupé actuellement par M. B______.

L'appartement d'une surface de 270,5 m², balcon compris, donnait sur la rue C______ et était totalement insonorisé. À gauche de l'entrée se trouvait une grande surface prévue pour un living room et l'espace cuisine. Toute la longueur, 14,5 m, était bordée de larges baies vitrées donnant sur un balcon de la même longueur, équipé de brise-soleil électriques. Le parquet était en chêne teinté.

L'espace cuisine était composé d'un îlot central, entièrement équipée (four, four à vapeur, réfrigérateur, congélateur, cave à vin, lave-vaisselle.

Selon les indications de la représentante du service marketing de la recourante, il était de la marque Boffi. L'évier était moulé dans la masse. La précitée a précisé que toutes les cuisines de l'immeuble étaient équipées de la même manière.

Un système d'alarme était installé dans le living. Le système de domotique permettait de gérer l'ouverture des stores, l'éclairage - constitué de spots intégrés dans le plafond - et le chauffage au sol. Un accès WIFI séparé pour les invités était prévu. Le chauffage était alimenté par des pompes à chaleur et des panneaux solaires.

L'administrateur de la recourante a souligné que les charges globales de l'immeuble s'élèvent à environ CHF 1 million quand bien même la consommation d'électricité était moindre compte tenu de la performance énergétique des équipements.

L'espace attenant comprenait des placards visiteurs, il était doté d'étagères et espaces de rangement où pouvait prendre place une bibliothèque, un espace télévision ou un bureau. Il proposait également un WC pour les visiteurs.

L'appartement disposait d'une buanderie entièrement équipée (lave-linge et séchoir).

Le tribunal a ensuite visité trois chambres à coucher comprenant des placards intégrés, réalisés sur mesure et chacune une salle de bains privative. Celle de la première chambre était équipée d'une baignoire, d'une douche à l'italienne et de lavabos dont le design est également signé Boffi. Une télévision était installée au-dessus de la baignoire. Le sol était en ardoises et les parois, en marbre de Carrare. Une paroi vitrée séparait la chambre à coucher de la salle de bains.

La deuxième chambre à coucher, légèrement plus petite que la première, donnait sur un balcon, équipé de pares soleil (claustra) verticaux et coulissants. La chambre possédait sa propre salle de bains, du même designer, laquelle comprenait une baignoire, deux lavabos et un WC.

Le tribunal s'est rendu dans une troisième chambre à coucher également équipée d'une salle de bains sur le même modèle, dotée d'une douche.

Chaque chambre disposait d'armoires intégrées réalisées sur mesure qui permettaient notamment l'installation d'une télévision.

L'administrateur de la recourante a indiqué que le coût de revient d'un tel appartement ascendait à CHF 20'000.- le m2.

Le tribunal s'est ensuite rendu au premier étage, dans l'appartement 6______, actuellement vide, dont la recourante souhaitait la réunion avec celui occupé par M. B______.

Cet appartement, plus petit que le premier, était en duplex (156 m2 + 10 m2 de balcon, compté pour moitié). Le parquet de la salle à vivre était en chêne. Il disposait d'une cuisine Boffi entièrement équipée (four de 80 cm de large). La hauteur du plafond depuis l'espace cuisine était d'environ 3 m. Quant à l'espace living, il présentait une double hauteur, compte tenu du demi-étage (duplex). Le fond de la pièce était occupé par un escalier menant à l'étage supérieur.

Le rez était équipé de toilettes visiteurs (marque Boffi), sol en ardoises et parois en marbre).

L'administrateur de la recourante a expliqué que dès l'origine cet appartement aurait dû être associé à l'appartement voisin. Il a indiqué que l'ouverture pour la jonction des deux appartements était prévue sous l'escalier.

Le tribunal s'est rendu à l'étage, lequel comprenait un espace pour une bibliothèque, un espace TV ou un bureau.

L'administrateur de la recourante a fait observer que cet espace ne pouvait pas être transformé en chambre à coucher en raison de l'absence de jour.

Le tribunal a pu relever l'existence d'une buanderie équipée. Il a ensuite visité la chambre à coucher de taille plus modeste (13 m²). Une paroi vitrée la séparait de la salle de bains équipée d'une baignoire, d'une douche et de deux lavabos, du même standing que celle de l'appartement précédemment visité.

Le tribunal s'est ensuite rendu dans l'appartement de M. B______ identique au premier appartement visité.

Il a pu observer que l'espace cuisine était séparé du living par des panneaux amovibles.

M. B______ a expliqué qu'il avait trois enfants. Il souhaitait pouvoir agrandir son appartement pour accueillir son fils aîné qui était marié ainsi que sa mère âgée lorsqu'elle venait à Genève.

Enfin, le tribunal s'est dirigé vers la cour intérieure de l'immeuble, laquelle comprenait des boxes pour voitures.

10.         Le 5 avril 2023, la recourante, comme annoncé lors du transport sur place, a transmis au tribunal la plaquette informative sur la Résidence 4______C______ ainsi que la brochure de commercialisation.

Elle a relevé que le sol des salles de bain n'était pas revêtu d'ardoises comme indiqué au procès–verbal mais de granite noir du Zimbabwe.

EN DROIT

1.             Le Tribunal administratif de première instance connaît des recours dirigés, comme en l’espèce, contre les décisions prises par le département en application de la loi sur les démolitions, transformations et rénovations de maisons d'habitation du 25 janvier 1996 (LDTR - L 5 20) et de la loi sur les constructions et les installations diverses du 14 avril 1988 (LCI - L 5 05) (art. 115 al. 2 et 116 al. 1 de la loi sur l’organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05, art. 143 et 145 al. 1 LCI ; art. 45 al. 1 LDTR).

2.             Interjeté en temps utile et dans les formes prescrites devant la juridiction compétente, le recours est recevable au sens des art. 60 et 62 à 65 de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 (LPA - E 5 10).

3.             L'objet du litige consiste à déterminer si c'est de manière conforme au droit que le département a refusé d'autoriser la réunion de l'appartement de cinq pièces, présentant une surface brute de plancher de 262 m² (lot n° 1______) et celui de trois pièces, présentant une surface brute de plancher de 156 m² (lots nos 2______ et 3______) situés à l'adresse 4______, rue C______ à Genève.

4.             Selon l'art. 61 al. 1 LPA, le recours peut être formé pour violation du droit, y compris l'excès et l'abus du pouvoir d'appréciation (let. a), ou pour constatation inexacte ou incomplète des faits pertinents (let. b). En revanche, les juridictions administratives n'ont pas compétence pour apprécier l'opportunité de la décision attaquée, sauf exception prévue par la loi (art. 61 al. 2 LPA), non réalisée en l'espèce.

Il y a en particulier abus du pouvoir d'appréciation lorsque l'autorité se fonde sur des considérations qui manquent de pertinence et sont étrangères au but visé par les dispositions légales applicables, ou lorsqu'elle viole des principes généraux du droit tels que l'interdiction de l'arbitraire, l'égalité de traitement, le principe de la bonne foi et le principe de la proportionnalité (ATF 143 III 140 consid. 4.1.3 ; 140 I 257 consid. 6.3.1 ; 137 V 71 consid. 5.1 ; 123 V 150 consid. 2 ; arrêt du Tribunal fédéral 1C_107/2016 du 28 juillet 2016 consid. 9).

5.             La LDTR s'applique à tout bâtiment situé dans l'une des zones de construction prévues par l'art. 19 de la loi d'application de la loi fédérale sur l'aménagement du territoire, du 4 juin 1987 (LaLAT - L 1 30) ou construit au bénéfice d'une norme de l'une des 4 premières zones de construction en vertu des dispositions applicables aux zones de développement (art. 2 al. 1 let. a LDTR), et comportant des locaux qui, par leur aménagement et leur distribution, sont affectés à l'habitation (art. 2 al. 1 let. b LDTR).

Cette loi est dès lors applicable à l'immeuble dans lequel sont situés les logements en question.

6.             La LDTR a pour but de préserver l'habitat et les conditions de vie existants ainsi que le caractère actuel de l'habitat dans les zones visées expressément par la loi (art. 1 al. 1 LDTR). La loi prévoit notamment à cet effet, tout en assurant la protection des locataires et des propriétaires d'appartements, des restrictions à la démolition, à la transformation et au changement d'affectation des maisons d'habitation (art. 1 al. 2 let. a LDTR). Plus spécifiquement, la LDTR vise à protéger les locataires contre des changements d’affectation quantitatifs du parc locatif, soit contre le remplacement de locaux d’habitation par des locaux commerciaux ou à usage professionnel, mais aussi et de façon primordiale, à les protéger contre des changements d’affectation qualitatifs. Sont en effet également visés les travaux de rénovation qui ont pour conséquence de faire basculer des catégories de logement conçues pour des familles modestes et nombreuses dans des catégories de logement destinées à des personnes aisées et sans enfant, ou des catégories d’immeubles à loyer bas ou modérés vers des loyers d’appartements de luxe (ATA/859/2010 du 7 décembre 2010 consid. 6b et la référence citée).

7.             Selon l'art. 9 al. 1 LDTR, une autorisation est nécessaire pour toute transformation ou rénovation au sens de l’art. 3 al. 1 LDTR, soit notamment pour tous les travaux ayant pour objet de modifier l’architecture, le volume, l’implantation, la destination, la distribution intérieure de tout ou partie d’une maison d’habitation (art. 3 al. 1 let. a LDTR). L’autorisation est accordée lorsque l’état du bâtiment comporte un danger pour la sécurité et la santé de ses habitants ou des tiers ; lorsque la réalisation d’opérations d’aménagement ou d’assainissement d’intérêt public le commande ; lorsque les travaux permettent la réalisation de logements supplémentaires ; lorsque les travaux répondent à une nécessité ou qu’ils contribuent au maintien ou au développement du commerce et de l’artisanat, si celui-ci est souhaitable et compatible avec les conditions de vie du quartier ; pour les travaux de rénovation (art. 9 al. 1 let. a à e LDTR).

8.             À teneur de l'art. 9 al. 2 LDTR, le département accorde l’autorisation si les logements transformés répondent, quant à leur genre, leur loyer ou leur prix, aux besoins prépondérants de la population.

Il tient compte, dans son appréciation, du genre, de la typologie et de la qualité des logements existants (let. a), du prix de revient des logements transformés ou nouvellement créés, notamment dans les combles (let. b), du genre de l’immeuble (let. c), du nombre de pièces et de la surface des appartements ainsi que de la surface des logements nouvellement créés (let. d), des exigences liées à l’objectif de préservation du patrimoine (let. e).

9.             Par besoins prépondérants de la population, il faut entendre les loyers accessibles à la majorité de la population. Au 1er janvier 1999, les loyers correspondant aux besoins prépondérants de la population sont compris entre CHF 2'400.- et CHF 3'225.- la pièce par année. Les loyers répondant aux besoins prépondérants de la population peuvent être révisés tous les deux ans par le Conseil d’État en fonction de l’évolution du revenu brut fiscal médian des contribuables personnes physiques (art. 9 al. 3 LDTR).

Selon l'arrêté relatif à la révision des loyers répondant aux besoins prépondérants de la population du 12 janvier 2022 (ArRLoyers - L 5 20.05) entré en vigueur le 14 janvier 2022, les loyers correspondant aux besoins prépondérants de la population, fondés sur le revenu brut médian des contribuables personnes physiques 2018, sont compris entre CHF 2'627.- et CHF 3'528.- la pièce par année.

10.         Selon l'arrêté déterminant au moment des faits, comme selon celui actuellement en vigueur (arrêté du Conseil d'État déterminant les catégories d'appartements où sévit la pénurie en vue de l'application des art. 25 à 39 LDTR - ArAppart - L 5 20.03, modifié régulièrement), il y a pénurie dans toutes les catégories d'appartements d'une à sept pièces inclusivement.

11.         La réunion de deux appartements n’est en principe pas autorisée, dès lors qu’elle a pour effet de soustraire un appartement du parc locatif, ce que la LDTR a précisément pour but de prévenir. Il en va de même si les appartements sont occupés par leur propriétaire (Mark MULLER, Droit genevois de la construction, 2021, p. 192).

12.         Selon la doctrine, lorsqu'un bâtiment est soumis à la LDTR, cette loi n'est applicable que si l'appartement considéré entre dans une catégorie de logements en pénurie en cas par exemple d'aliénation des appartements destinés à la location (Emmanuelle GAIDE/Valérie DÉFAGO GAUDIN, La LDTR : Démolition, transformation, rénovation, changement d'affectation et aliénation : immeubles de logement et appartements : loi genevoise et panorama des autres lois cantonales, 2014, p. 129).

S'il n'y a pas de pénurie dans la catégorie du logement visé dans un cas d'espèce, la LDTR n'est pas applicable pour l'opération précitée. Par ailleurs, les logements de luxe doivent être exclus du champ d'application de la LDTR pour ce type d'opération. En effet, le silence de la loi quant à cette condition doit être considéré comme une lacune, puisque le législateur avait voulu exclure ces logements du champ d'application spécial de la loi. Au demeurant, les logements de luxe n'entrent pas dans les besoins prépondérants de la population que la LDTR entend protéger (Emmanuelle GAIDE/Valérie DÉFAGO GAUDIN, op. cit. p. 130).

Les logements répondant aux besoins prépondérants de la population sont qualifiés suivant leur loyer ou suivant leur genre ou suivant leur loyer et leur genre. Par logements répondant aux besoins prépondérants de la population, il faut entendre les logements dont les loyers sont accessibles à la majorité de la population. Autrement dit, c'est le loyer que la majeure partie de la population est en mesure de payer (Emmanuelle GAIDE/Valérie DÉFAGO GAUDIN, op. cit. p. 133 et 134).

Un logement répond aux besoins prépondérants de la population lorsque son loyer est inférieur ou égal au loyer plafond LDTR et que son nombre de pièces correspond à une catégorie de logements en pénurie (cas où les deux conditions alternatives sont réunies), lorsque son loyer est inférieur ou égal au loyer plafond LDTR et que son nombre de pièces ne fait pas partie d'une catégorie en pénurie (cas où seule la condition alternative du loyer est remplie), lorsque son loyer est supérieur au plafond LDTR et que son nombre de pièces entre dans une catégorie en pénurie (cas où seule la condition alternative du genre est remplie) (Emmanuelle GAIDE/Valérie DÉFAGO GAUDIN, op. cit. p. 140).

13.         Dans un arrêt du 3 décembre 2019 (ATA/1736/2019), la chambre administrative qui avait précisément à examiner si le département avait refusé à bon droit d'accorder un caractère pérenne à la réunion de deux appartements en PPE de cinq pièces chacun, a jugé que la LDTR n'était pas applicable aux appartements de luxe.

Quand bien même, le département est d'un autre avis, rien ne permet au tribunal de s'écarter de cette jurisprudence qui n'a pas été démentie et n'a pas fait l'objet d'un revirement.

14.         Il reste dès lors à déterminer si les appartements dont la réunion est sollicitée doivent être qualifiés de luxueux.

15.         Pour être qualifié de luxueux, le logement doit avoir six pièces au moins cuisine non comprise, c'est-à-dire à Genève sept pièces ou plus, des surfaces inhabituellement grandes, des éléments donnant une impression générale de somptuosité ou de confort extraordinaire. Il s'agit de conditions cumulatives. Exceptionnellement, un logement peut être luxueux même s'il a moins de sept pièces. C'est notamment le cas, si d'un point de vue esthétique et historique, le logement est considéré comme luxueux (il est donc possible de s'écarter de la notion stricte de logement de luxe de droit fédéral et fixer ainsi une notion plus adaptée aux circonstances). Un logement ancien peut être luxueux s'il a été conçu comme tel et qu'il est correctement entretenu (ATA/441/1997 du 5 août 1997 consid. 6) . Un logement peut être luxueux, quel que soit le quartier où il se trouve et même si une partie de l'immeuble comprend des locaux commerciaux de bureaux. Il faut prendre en considération le logement en tant que tel, et non le type ou le style de locataires qui occupent l'immeuble (ATA/214/2003 du 15 avril 2003 consid. 5). Dès lors, un logement peut être luxueux même s'il est mal situé géographiquement, avec une vue et une luminosité ambiante réduites (ATA 89.TP.145 consid. 6d). Par ailleurs, des éléments extérieurs à l'appartement lui‑même peuvent lui conférer un caractère luxueux s'ils le valorisent. C'est le cas de la vue sur le jet d'eau et la rade de Genève (ATA/214/2003 précité consid. 5 ; (Emmanuelle GAIDE/Valérie DÉFAGO GAUDIN, op. cit. p. 277 et 278).

16.         Dans sa jurisprudence, le Tribunal administratif, dont les compétences ont été reprises par la chambre administrative, a retenu le caractère luxueux d'un logement de huit pièces réparties sur 280 m2, dont plusieurs de dimensions importantes et en enfilade, pourvues de boiseries bien entretenues de la fin du 18ème siècle et de plusieurs cheminées de marbre, ainsi que de plafonds particulièrement hauts donnant à l'ensemble un caractère luxueux (ATA/441/1997 du 5 août 1997).

Le Tribunal administratif a également qualifié de luxueux un logement de quatre ou quatre pièces et demie de 120 m2 ayant du parquet et des moulures au plafond, des radiateurs de l'époque de sa construction en 1920, avec un hall d'entrée d'immeuble de qualité, cossu et d'une taille inhabituelle. La présence d'un concierge, le caractère bourgeois de la façade en pierres de taille, les carreaux de faïence sur les balcons, le bâtiment ayant une vue magnifique sur la rade, le Mont Blanc et les autres montagnes des Alpes étaient autant d'indices déterminants (ATA/229/2002 du 7 mai 2002).

Le Tribunal administratif a en revanche nié le caractère luxueux d'un appartement composé de huit pièces dont la surface brute moyenne de chaque pièce s'élevait à 27,38 m2. Cette surface était importante ; toutefois, le logement ne donnait aucune impression de somptuosité malgré certains atouts (terrasses dont la surface était conséquente, une situation en attique et une vue dégagée). La hauteur des plafonds n’était pas exceptionnelle, son entrée était modeste et l’agencement intérieur était standard. L'escalier, pourvu d'une rampe en bois, était fonctionnel et banal. Les matériaux utilisés pour la serrurerie, les fenêtres et les portes étaient courants. De même en était-il des revêtements de sol : le salon et les couloirs étaient pourvus d'un parquet simple et les chambres d'une moquette ordinaire. Enfin, l'architecture de l'immeuble ne présentait aucune particularité (ATA/859/2010 du 7 décembre 2010).

17.         Le tribunal de céans a également nié le caractère luxueux d'un logement sis dans un immeuble ayant une entrée spacieuse, avec un sol en marbre, un plafond en bois, un lustre, des fauteuils et une table, deux ascenseurs, ainsi qu'une piscine chauffée toute l'année, fermée par des parois vitrées, s'ouvrant sur le jardin privatif de l'immeuble et comprenant toilettes, douches, vestiaires et chaises longues pour les habitants de l'immeuble ; palier boisé du 6ème étage de l'immeuble où se situait l'appartement de quatre pièces d'environ 130 m2, lequel comprenait un living et une cuisine donnant sur un balcon duquel on pouvait voir le sommet du jet d'eau et le parc arborisé bien entretenu de l'immeuble, la cuisine étant entièrement équipée, ainsi qu'un WC visiteur, une douche/lavabo et une salle de bains, ainsi que deux chambres à coucher. La chambre administrative s'était ralliée à cet avis non contesté devant elle (ATA/826/2012 du 11 décembre 2012). Cette jurisprudence a paru sévère pour la doctrine (Emmanuelle GAIDE/Valérie DÉFAGO GAUDIN, op. cit., p. 279).

18.         En l'espèce, il n'est pas contesté que les appartements concernés sont composés de trois et cinq pièces chacun, et qu'il s'agit dès lors d'appartements pour lesquels sévit une pénurie, selon l'ArAppart précité.

La recourante qui invoque leur caractère luxueux se prévaut notamment de la situation de l'immeuble à proximité immédiate du lac et de plusieurs hôtels de luxe, du montant des charges relatives aux deux appartements (CHF 17'460.- par an pour le n° 6______ et CHF 48'156.- par an pour le n° 7______, hors charges de chauffage et de production d'eau chaude), du coût de reviens de ces appartements ascendant à CHF 20'000.- le m2 ainsi que de ses équipements, l'immeuble étant notamment doté d'un système de sécurité élevé, avec plusieurs dizaines de caméras, et du niveau de finition de l'immeuble et des appartements.

Elle relève également que le vaste hall d'entrée de l'immeuble, comprend un service de conciergerie disponible pour les résidents 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7, que les logements sont desservis par deux ascenseurs, la plupart reliés directement avec le parking souterrain, la qualité des matériaux hors normes pour les boiseries, les parquets et les revêtements muraux ainsi que celle de l'équipement des cuisines et des salles de bains, de très haut de gamme. Elle souligne aussi que les appartements sont tous dotés d'un système de domotique perfectionné et que leur surface dépass largement les standards usuels.

Il ressort de la documentation transmise par la recourante, comprenant le descriptif de la résidence et la brochure de commercialisation, ainsi que du transport sur place que l'architecture de l'immeuble de la rue C______, 4______ est résolument contemporaine. Ses appartements, pour certains traversants, donnent sur la rue précitée, d'une part et sur une cour intérieure, agrémentée d'un jardin, d'autre part. Le hall d'entrée correspond à la description faite par la recourante et avec sa réception accueillant le service de conciergerie, ses décorations murales, son salon de réception et son dégagement sur un patio proposant une pièce d'eau et un îlot végétalisé, il évoque celui d'un hôtel de luxe.

La salle de sport équipée, le parking souterrain, doté de bornes électriques et de caméras de sécurité et permettant un accès direct par ascenseur depuis les appartements contribue au confort des résidents.

La surface de l'appartement de 5 pièces avoisinant 270,5 m2 est importante. Celle du logement de 3 pièces est moindre (166 m2) mais la double hauteur du living (environ 6 m) – compte tenu du demi-étage - lui donne un aspect très spacieux. Avec leurs grandes baies vitrées, ils sont très lumineux et parfaitement insonorisés.

L'équipement des deux appartements visités, dotés d'un système de domotique moderne, comprenant un système d'alarme, un éclairage fourni par des spots intégrés dans le plafond, d'un chauffage au sol, de balcons munis de pares soleils coulissants ou de stores électriques, bénéficie d'une technologie de pointe. Les parquets en chêne teinté, le design épuré de l'espace cuisine (évier coulé dans la masse) pourvu d'un agencement complet (four, four à vapeur, réfrigérateur, congélateur, lave-vaisselle et cave à vin), les vastes salles de bains - prévues pour chacune des chambres à coucher - avec leurs parois intérieures en marbre de Carrare et celle donnant sur la chambre entièrement vitrées, leurs sols en granite noir du Zimbabwe et équipées d'une télévision, leur donne une allure particulièrement recherchée d'un standing assurément élevé. L'organisation des différents espaces, des rangements réalisés sur mesure, de la buanderie entièrement équipée contribue également au confort des habitants.

Ainsi, même si le nombre de pièces n'est pas particulièrement élevé, si la vue depuis les appartements n'est pas exceptionnelle, il n'en demeure pas moins que l'impression générale qui se dégage tant de l'architecture de l'immeuble que de la conception des deux appartements litigieux, est assurément celle de biens de haut standing, de sorte que ces derniers doivent être qualifiés de logements de luxe avec pour conséquence, conformément à la jurisprudence de la chambre administrative et à la doctrine, qu'ils n'entrent pas dans la catégorie de logements répondants aux besoins prépondérants de la population que la LDTR entend protéger.

Il résulte de ce qui précède que le département a abusé de son pouvoir d'appréciation en rejetant la requête de la recourante.

Sa décision n'étant pas conforme au droit, le recours sera admis, la décision annulée, et la cause renvoyée à l'autorité intimée pour qu'elle délivre l'autorisation de réunir les lots PPE n°s 1______ 2______ et 3______ en question.

19.         Vu l'issue du litige, aucun émolument ne sera mis à la charge de la recourante, qui obtient gain de cause (art. 87 al. 1 LPA), et le montant de son avance de frais lui sera restitué.

Une indemnité de procédure de CHF 2'000.-, à la charge du département, soit pour lui l'État de Genève, sera allouée à la recourante (art. 87 al. 2 à 4 LPA et 6 RFPA).


PAR CES MOTIFS

LE TRIBUNAL ADMINISTRATIF

DE PREMIÈRE INSTANCE

1.             déclare recevable le recours interjeté le 27 juin 2022 par A______ SA contre la décision du département du territoire du 27 mai 2022 ;

2.             l'admet ;

3.             annule la décision du département du territoire du 27 mai 2022 ;

4.             renvoie la cause au département du territoire pour nouvelle décision au sens des considérants ;

5.             renonce à percevoir un émolument et ordonne la restitution à la recourante de l’avance de frais de CHF 900.- ;

6.             condamne l'État de Genève, soit pour lui le département du territoire à verser à A______ SA une indemnité de procédure de CHF 2'000.- ;

7.             dit que, conformément aux art. 132 LOJ, 62 al. 1 let. a et 65 LPA, le présent jugement est susceptible de faire l'objet d'un recours auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (10 rue de Saint-Léger, case postale 1956, 1211 Genève 1) dans les trente jours à compter de sa notification. L'acte de recours doit être dûment motivé et contenir, sous peine d'irrecevabilité, la désignation du jugement attaqué et les conclusions du recourant. Il doit être accompagné du présent jugement et des autres pièces dont dispose le recourant.

Siégeant : Caroline DEL GAUDIO-SIEGRIST, présidente, François HILTBRAND, Jean-Michel KARR, Patrick BLASER, Diane SCHASCA, juges assesseurs.

Au nom du Tribunal :

La présidente

Caroline DEL GAUDIO-SIEGRIST

 

Copie conforme de ce jugement est communiquée aux parties.

Genève, le

 

La greffière