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Décisions | Tribunal administratif de première instance

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A/1738/2022

JTAPI/1030/2022 du 30.09.2022 ( OCPM ) , ADMIS

ADMIS par ATA/118/2023

Descripteurs : FRONTALIER;AUTORISATION D'EXERCER;ACCORD SUR LA LIBRE CIRCULATION DES PERSONNES;AUTORISATION DE TRAVAIL;CHAMP D'APPLICATION(EN GÉNÉRAL);AUTORISATION DE FRONTALIER
Normes : ALCP-I.3; ALCP-I.7.lete; LEI.25.al1; LEI.2.al1; LEI.2.al2
En fait
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

A/1738/2022 OCPM

JTAPI/1030/2022

 

JUGEMENT

DU TRIBUNAL ADMINISTRATIF

DE PREMIÈRE INSTANCE

du 30 septembre 2022

 

dans la cause

 

Madame A______ et B______ SA, représentées par Me Nicola MEIER, avocat, avec élection de domicile

 

contre

OFFICE CANTONAL DE LA POPULATION ET DES MIGRATIONS

 


EN FAIT

1.             Madame A______, née le ______ 1981, est ressortissante de Thaïlande.

2.             Monsieur C______, né le ______ 1979, est ressortissant français.

3.             B______ SA est une société inscrite au registre du commerce de Genève sous le numéro CHE-1______ et dont Monsieur D______ est l'unique administrateur.

4.             M. C______ et Mme A______ sont mariés depuis le ______ 2005.

5.             Mme A______ est arrivée en France le ______ 2011.

6.             Les époux résident rue E______ 2______, 3______ F______ (France) depuis le ______ 2011. M. C______ dispose également depuis cette date d'un permis frontalier l'autorisant à exercer une activité professionnelle sur tout le territoire suisse.

7.             Dès février 2021, B______ SA, soit pour elle le centre de soins G______, a cherché à recruter une personne pour un poste de masseur thaïlandais. L'offre d'emploi a figuré dans la base de données de l'office cantonal de l'emploi (ci-après : OCE) dès le 18 février 2021.

8.             Le 4 mars 2021, l'OCE a informé G______ qu'il n'était pas en mesure de lui proposer des dossiers répondant aux critères requis.

9.             Dans sa demande réceptionnée le 18 octobre 2021, M. D______, pour le compte de G______, soit B______ SA, a sollicité de l'office cantonal de la population et des migrations (ci‑après : OCPM) la délivrance d'un permis frontalier pour Mme A______ en vue de l'engager par un contrat de travail de durée indéterminée en tant que masseuse dans son établissement à compter du 1er novembre 2021. Il exposait n'avoir, depuis le mois de mars, trouvé personne ayant les qualifications requises. Il joignait diverses pièces dont un contrat de travail de durée indéterminée conclu entre B______ SA et Mme A______.

10.         Par courriel du 13 décembre 2021, l'OCPM a informé M. D______ qu'il entendait refuser sa demande dès lors que Mme A______ n'habitait pas dans la zone frontalière reconnue. Un délai de 30 jours lui était accordé pour se déterminer.

11.         Par courriel du 14 janvier 2022, M. D______ a répondu à l'OCPM qu'il ne comprenait pas sa décision dans la mesure où M. C______ résidait à la même adresse que son épouse et disposait d'un permis frontalier, qu’il annexait au courriel.

12.         Par courriel du même jour, l'OCPM a répondu à M. D______ que M. C______, contrairement à son épouse, était ressortissant d'un État membre de l'Union européenne (ci-après : UE), de sorte que la condition de résidence dans la zone frontalière ne s'appliquait pas à lui. Elle s'appliquait toutefois à son épouse.

13.         Par courrier du 4 février 2022, B______ SA, sous la plume de son conseil, a contesté le fait que Mme A______ soit soumise à l'obligation de résider dans la zone frontalière. Elle était l'épouse et donc une membre de la famille d'un ressortissant d'un État partie à l'accord du 21 juin 1999 entre la Confédération suisse d'une part, et la Communauté européenne et ses Etats membres, d'autre part, sur la libre circulation des personnes (ALCP - RS 0.142.112.681). De ce fait, elle pouvait se fonder sur cet accord pour faire valoir un droit dérivé à obtenir une autorisation de travailler en Suisse comme frontalière, dès lors que son époux faisait usage de son propre droit originaire à la libre circulation. Au demeurant, Mme A______ disposait d'un deuxième logement situé à Gaillard, soit dans la zone frontalière reconnue, de sorte que ses déplacements quotidiens pour venir travailler en Suisse seraient facilités.

14.         Par décision du 21 avril 2022, se référant à l’art. 25 al. 1 de la loi fédérale sur les étrangers et l'intégration du 16 décembre 2005 (LEI - RS 142.20) et reprenant la motivation développée dans ses précédentes communications, l'OCPM a retenu que Mme A______ ne remplissait pas la condition de résidence au sein de la zone frontalière reconnue.

15.         Par acte du 25 mai 2022, Mme A______ et B______ SA (ci-après : les recourantes), sous la plume de leur conseil, ont interjeté recours auprès du Tribunal administratif de première instance (ci-après : le tribunal) contre cette décision, concluant principalement à son annulation et au renvoi de la cause à l'OCPM pour nouvelle décision, soit, subsidiairement à l'annulation de la décision attaquée, sous suite de frais et dépens, dont une indemnité de procédure de CHF 1’346.25.

L'art. 25 al. 1 LEI ne devait s'appliquer qu'aux ressortissants d'États non-membres de l'UE ou de l’Association européenne de libre-échange (ci-après : AELE), alors que la situation des ressortissants des États membres de l’UE devait être analysée sous l'angle de l'ALCP. Mariée à un ressortissant d'un État membre de l'UE, Mme A______ était soumise de manière dérivée à l'ALCP et non à la LEI. L'OCPM avait omis de prendre en compte ce fait, bien qu'il avait été porté à sa connaissance par M. D______.

Elles joignaient un chargé de pièces, dont les divers échanges entre l'OCPM et M. D______, la copie du permis frontalier de M. C______ et un extrait du registre du commerce concernant la société B______ SA.

16.         Dans ses observations du 28 juillet 2022, l'OCPM a proposé le rejet du recours, les éléments invoqués par les recourantes n'étant pas de nature à modifier sa position. Mme A______ ne pouvait pas faire valoir de droits dérivés fondés sur le fait que son époux était soumis à l'ALCP. La décision litigieuse n'entravait pas la jouissance par M. C______ des droits qui étaient les siens en matière de libre circulation garantie par l'ALCP. La jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne (ci-après : CJUE) et la directive sur la citoyenneté (Directive 2004/38/CE du Parlement européen et du Conseil du 29 avril 2004 relative au droit des citoyens de l’Union et des membres de leurs familles de circuler et de séjourner librement sur le territoire des États membres [ci-après : la Directive]) accordaient un droit d'accès au marché du travail aux membres de la famille uniquement si le citoyen européen résidait dans l'État d'accueil. En ce sens, l'ALCP n'était pas applicable aux membres de la famille de travailleurs frontaliers. Enfin, Mme A______ ne résidait pas dans la zone frontalière.

17.         Par courrier du 23 août 2022, les recourantes ont indiqué n’avoir pas d’observations particulières à formuler.

EN DROIT

1.             Le Tribunal administratif de première instance connaît des recours dirigés, comme en l’espèce, contre les décisions de l'office cantonal de la population et des migrations relatives au statut d'étrangers dans le canton de Genève (art. 115 al. 1 et 116 al. 1 de la loi sur l’organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 3 al. 1 de la loi d'application de la loi fédérale sur les étrangers du 16 juin 1988 - LaLEtr - F 2 10).

2.             Interjeté en temps utile et dans les formes prescrites devant la juridiction compétente, le recours est recevable au sens des art. 60 et 62 à 65 de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 (LPA - E 5 10).

3.             Selon l’art. 61 al. 1 LPA, le recours peut être formé pour violation du droit, y compris l’excès et l’abus du pouvoir d’appréciation (let. a), ou pour constatation inexacte ou incomplète des faits pertinents (let. b). En revanche, les juridictions administratives n’ont pas compétence pour apprécier l’opportunité de la décision attaquée, sauf exception prévue par la loi (art. 61 al. 2 LPA), non réalisée en l’espèce.

4.             Il y a en particulier abus du pouvoir d'appréciation lorsque l'autorité se fonde sur des considérations qui manquent de pertinence et sont étrangères au but visé par les dispositions légales applicables, ou lorsqu'elle viole des principes généraux du droit tels que l'interdiction de l'arbitraire et de l'inégalité de traitement, le principe de la bonne foi et le principe de la proportionnalité (ATF 143 III 140 consid. 4.1.3 ; 140 I 257 consid. 6.3.1 ; 137 V 71 consid. 5.1 ; arrêt du Tribunal fédéral 8C_763/2017 du 30 octobre 2018 consid. 4.2 ; Thierry TANQUEREL, Manuel de droit administratif, 2018, n. 515 p. 179).

5.             Saisi d’un recours, le tribunal applique le droit d’office. Il ne peut pas aller au-delà des conclusions des parties, mais n’est lié ni par les motifs invoqués par celles-ci (art. 69 al. 1 LPA), ni par leur argumentation juridique (cf. ATA/386/2018 du 24 avril 2018 consid. 1b ; ATA/117/2016 du 9 février 2016 consid. 2 ; ATA/723/2015 du 14 juillet 2015 consid. 4a).

6.             Les recourantes semblent reprocher tout d’abord à l’OCPM de ne pas avoir pris en compte le mariage de Mme A______ avec un ressortissant français, soulevant implicitement une violation du droit d’être entendu.

7.             Ce droit découle des garanties générales de procédure de l’art. 29 al. 2 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101). Il s’agit d’une garantie formelle dont la violation entraîne en principe l’annulation de la décision, indépendamment des chances de succès du recours sur le fond (ATF 142 II 218 consid. 2.8.1 ; ATF 137 I 195 consid. 2.2), à moins qu’elle ne puisse être réparée par l’autorité de recours. En procédure administrative cantonale, ce droit est concrétisé en particulier par l’art. 41 LPA.

Le droit d’être entendu englobe notamment l’obligation pour l’autorité de motiver sa décision (art. 46 al. 1 LPA ; ATF 138 I 232 consid. 5.1). Si tous les faits, moyens de preuve et griefs ne doivent pas nécessairement être exposés et discutés (ATF 141 V 557 consid. 3.2.1 ; ATF 138 I 232 consid. 5.1), l’autorité doit néanmoins mentionner, même brièvement, les motifs qui l’ont guidée et sur lesquels elle a fondé sa décision. Ceci afin que les intéressés puissent en déterminer la portée et la déférer en connaissance de cause à l’instance supérieure (ATF 142 II 154 consid. 4.2 ; ATF 139 IV 179 consid. 2.2 ; ATF 138 I 232 consid. 5.1).

Le droit à une décision motivée est respecté dès lors que l’on peut discerner les motifs qui ont guidé la décision, même si la motivation présentée est erronée. La motivation peut également être implicite et résulter des différents considérants de la décision (ATF 141 V 557 consid. 3.2.1). Il n’y a donc violation du droit à une décision motivée que si l’autorité ne satisfait pas à son devoir minimum d’examiner les problèmes pertinents (ATF 134 I 83 consid. 4.1).

8.             En l’espèce, il faut admettre que la décision attaquée est motivée de manière pour le moins succincte. Toutefois, même si elle ne répond pas explicitement à l’argumentation portée par les recourantes concernant l’application de l’ALCP, elle l’écarte implicitement en considérant que c’est la LEI qui s’applique au cas d’espèce.

Au demeurant, dans sa réponse au recours, l’OCPM a répondu à cet argument en précisant qu’il « [considérait] que la directive sur la citoyenneté et la jurisprudence de la CJUE n’accord[aient] un droit d’accès au marché du travail qu’aux membres de la famille dont le citoyen européen résid[ait] dans l’Etat d’accueil. L’ALCP n’[était] donc pas applicable aux membres de la famille de travailleurs frontaliers. »

Il convient donc de reconnaître que les recourantes ont compris l’argumentation de l’autorité intimée et sont parvenues à interjeter efficacement recours contre la décision litigieuse. La motivation de l’autorité a ainsi été suffisamment compréhensible pour que les recourantes puissent comprendre l’idée générale qui avait guidé l’autorité. Elle a de plus été développée dans le cadre de la procédure de recours, de sorte que, même à retenir une violation du droit d’être entendu, celle-ci aurait été réparée devant le tribunal de céans. Par ailleurs, un renvoi à l’autorité intimée pour instruction complémentaire rallongerait la procédure, ce qui ne serait pas dans l’intérêt des recourantes, lesquelles ont signé leur contrat de travail depuis près d’un an.

Il faut donc écarter la critique relative à l’indigence de la motivation de la décision.

9.             Les recourantes estiment que c’est à tort que l’OCPM a écarté l’application à titre dérivé de l’ALCP et concluent dès lors à l’annulation de la décision. L’OCPM considère pour sa part que la LEI est seule applicable, Mme A______ n’étant pas ressortissante d’un État membre de l’UE/AELE. Se référant de manière générale à la jurisprudence de la CJUE ainsi qu’à la Directive, il soutient, dans sa réponse au recours, que le droit d’accès au marché du travail ne s’appliquerait qu’au conjoint d’un ressortissant d’un État membre de l’UE résidant Suisse, à l’exclusion du conjoint d’un frontalier.

10.         L’art. 2 al. 1 LEI dispose que cette loi est applicable aux étrangers dans la mesure où leur statut juridique n’est pas réglé par d’autres dispositions du droit fédéral ou par des traités internationaux. En particulier, l’al. 2 indique qu’elle n’est applicable aux ressortissants de la Communauté européenne – devenue l’UE – et aux membres de leur famille que dans la mesure où l’ALCP n’en dispose pas autrement ou que la LEI prévoit des dispositions plus favorables. Son application est donc subsidiaire (message du Conseil fédéral concernant la loi fédérale sur les étrangers du 8 mars 2002, FF 2002 3469, p. 3531). Il convient ainsi d’examiner si l’ALCP règle la situation de l’épouse extra-européenne d’un ressortissant français disposant d’une autorisation de travail frontalière. Ce n’est qu’à défaut d’une telle réglementation dans l’accord ou en cas de normes plus favorables dans la LEI que l’analyse devra être poursuivie sous l’angle de cette loi.

11.         En préambule, le tribunal relèvera que, tant dans la LEI (art. 42 al. 2 let. a [s’agissant de la famille d’un ressortissant suisse]) que dans l’ALCP (art. 3 (2) let. a de l’annexe I de l’ALCP [ALCP‑I]), le conjoint fait partie des membres de la famille.

Dès lors, le conjoint d’un ressortissant d’un État membre de l’UE, en tant que membre de sa famille, n’est en principe pas soumis à la LEI mais à l’ALCP, à moins que cet accord ne règle pas son cas ou que la LEI ne prévoie des dispositions plus favorables, auquel cas, elle s’appliquera alors à titre subsidiaire.

Étant l’épouse d’un ressortissant français, soit d’un État membre de l’UE, Mme A______ est ainsi en principe soumise à l’ALCP et non à la LEI.

12.         Selon l’art. 7 let. e ALCP, les parties contractantes doivent régler, entre autres, le droit des membres de la famille d’exercer une activité économique quelle que soit leur nationalité. La réglementation doit être édictées conformément à l’ALCP-I.

13.         L’art. 3 (1) ALCP-I précise que les membres de la famille d’un ressortissant d’une partie contractante disposant d’un droit de séjour ont le droit de s’installer avec elle. Comme exposé ci-dessus, le conjoint est un membre de la famille au sens de cette disposition (art. 3 (2) let. a ALCP-I). S’agissant spécifiquement du conjoint, l’art. 3 (5) ALCP-I lui donne le droit d’accéder à une activité économique, quelle que soit sa nationalité.

14.         À teneur de l’art. 7 (1) ALCP-I, le travailleur frontalier salarié est un ressortissant d’une partie contractante qui a sa résidence sur le territoire d’une partie à l’accord et qui exerce une activité salariée sur le territoire de l’autre partie. Il est nécessaire que la personne retourne à son domicile en principe chaque jour, ou au moins une fois par semaine (ATAF 2019 VII/3 consid. 6.2).

15.         Dans un arrêt du 12 juillet 2019 (ATAF 2019 VII/3 ; pour un résumé en français : Hugo PÉREZ PERUCCHI, in Aliénor BOSSARD/Hugo PÉREZ PERUCCHI [édit.], Actualité du droit des étrangers, jurisprudence et analyses, du 1er janvier 2018 au 31 décembre 2020, p. 76 n. 25) concernant une interdiction d’entrée prononcée contre l’épouse extra-européenne d’un frontalier ressortissant d’un État membre de l’UE, le Tribunal administratif fédéral (ci-après : TAF) s’est penché à titre préjudiciel sur la question des droits dérivés dont pouvait se prévaloir cette catégorie de personnes, afin de déterminer si l’intéressée avait violé le cadre légal et si en conséquence une mesure d’interdiction d’entrée pouvait être prise à son encontre.

Dans cet arrêt, le TAF s’est référé de manière répétée à la jurisprudence de la CJUE pour interpréter l’ALCP. Il a également écarté l’application à ces personnes des droits– plus étendus que ceux de l’accord – conférés par la Directive, dès lors que cette dernière n’avait pas été adoptée par la Suisse, considérant que leurs droits à la libre circulation se limitaient à ceux découlant de l’ALCP (consid. 8.4).

Le TAF a estimé que, dans le cadre de l’ALCP, la notion de « membre de la famille » s’appliquait également aux frontaliers (consid. 8.3.1). En effet, il existait une équivalence entre les travailleurs frontaliers et les travailleurs qui résident dans l’État d’accueil, notamment s’agissant des avantages sociaux. Le frontalier faisait également usage de son droit à la libre circulation et en quelque sorte de son droit de séjour, la différence avec le travailleur étranger résidant étant la durée de ce séjour, qui est interrompu en principe chaque jour ou au moins une fois par semaine (consid. 10.1). Il a ainsi jugé que faire une distinction entre le travailleur frontalier et le travailleur résidant serait contraire au texte, à l’objet et au but de l’ALCP (consid. 10.2).

Pour le TAF, exiger du travailleur frontalier qu’il transfère son domicile en Suisse pour permettre à son conjoint d’y exercer une activité économique constituerait une inégalité de traitement indirecte, fondée sur le domicile, par rapport au travailleur résidant et violerait le principe de l’égalité de traitement (consid. 11.2). De plus, dans l’hypothèse où le ressortissant européen ne pourrait pas transférer son domicile en Suisse, par exemple en raison du prix des loyers, cela l’entraverait alors dans l’exercice de son droit originaire à la libre circulation (consid. 11.2).

Enfin, dès lors que le frontalier disposait des mêmes droits que le travailleur résidant, cela impliquait que les membres de sa famille disposaient des mêmes droits que les membres de la famille d’un travailleur résidant (consid. 10.2) puisqu’il existait un certain parallélisme de formes entre le travailleur résidant et son conjoint résidant, et le travailleur frontalier et son conjoint frontalier (consid. 10.1). Ce dernier bénéficiait des droits conférés par l’ALCP, à moins que l’accord lui-même ne contienne des restrictions (consid. 11), auquel cas, on pourrait retomber dans l’application de la LEI. L’ALCP n’en contenait pas (consid. 11.1).

16.         Pour qu’un membre de la famille puisse se prévaloir d’un droit dérivé, il est nécessaire que celui qui en est le titulaire originaire en fasse effectivement usage (arrêts du Tribunal fédéral 2C_862/2013 du 18 juillet 2014 consid. 6.2.3 et 2C_1092/2013 du 4 juillet 2014 consid. 6.2.3 ; ATAF 2019 VII/3 consid. 11.1).

17.         En l’espèce, étant établi que M. C______ est un frontalier et fait ainsi usage de son droit originaire à la libre circulation et que l’ALCP est applicable à son épouse, cette dernière peut se prévaloir des mêmes droits, à titre dérivé, et ainsi bénéficier d’une autorisation du même type.

18.         À toutes fins utiles, il sera encore relevé que l’autorisation découlant de l’ALCP n’a pas d’effet constitutif mais uniquement déclaratif (ATF 136 II 329 consid. 2.2 ; ATF 134 IV 57 consid. 4 ; ATAF 2019 VII/3, consid. 12), y compris lorsqu’elle constate des droits dérivés (arrêt du tribunal fédéral 2C_296/2015 du 28 janvier 2016 consid. 4.2). Son absence ne faisant pas obstacle au commencement des relations de travail entre les personnes concernées (ATF 136 II 329, consid. 2 et 3), elle n’est donc pas une condition pour exercer une activité professionnelle en Suisse. Dès lors que les conditions d’octroi de l’autorisation sont remplies, cette dernière doit être délivrée (arrêt du tribunal fédéral 2C_296/2015 du 28 janvier 2016 consid. 4.2).

19.         Au vu de ce qui précède, le recours sera admis, la décision annulée et la cause renvoyée à l’autorité intimée pour nouvelle décision au sens des considérants.

20.         Vu cette issue, aucun émolument ne sera mis à la charge des recourantes, qui obtiennent gain de cause (art. 87 al. 1 LPA). Leur avance de frais leur sera restituée.

21.         Par ailleurs, une indemnité de procédure de CHF 1000.-, à la charge de l’État de Genève, soit pour lui l'autorité intimée, leur sera allouée (art. 87 al. 2 à 4 LPA et 6 règlement sur les frais, émoluments et indemnités en procédure administrative du 30 juillet 1986 [RFPA - E 5 10.03]).

22.         En vertu des art. 89 al. 2 et 111 al. 2 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent jugement sera communiqué au secrétariat d'État aux migrations.

 


PAR CES MOTIFS

LE TRIBUNAL ADMINISTRATIF

DE PREMIÈRE INSTANCE

1.             déclare recevable le recours interjeté le 25 mai 2022 par Madame A______ et B______ SA contre la décision de l'office cantonal de la population et des migrations du 21 avril 2022 ;

2.             l'admet ;

3.             annule ladite décision et renvoie le dossier à l'office cantonal de la population et des migrations pour nouvelle décision au sens des considérants ;

4.             dit qu’il n’est pas perçu d’émolument et ordonne la restitution aux recourantes de leur avance de frais de CHF 500.- ;

5.             condamne l’État de Genève, soit pour lui l’office cantonal de la population et des migrations, à verser aux recourantes une indemnité de procédure de CHF 1000.- ;

6.             dit que, conformément aux art. 132 LOJ, 62 al. 1 let. a et 65 LPA, le présent jugement est susceptible de faire l'objet d'un recours auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (10 rue de Saint-Léger, case postale 1956, 1211 Genève 1) dans les trente jours à compter de sa notification. L'acte de recours doit être dûment motivé et contenir, sous peine d'irrecevabilité, la désignation du jugement attaqué et les conclusions du recourant. Il doit être accompagné du présent jugement et des autres pièces dont dispose le recourant.

 

Au nom du Tribunal :

La présidente

Marielle TONOSSI

 

Copie conforme de ce jugement est communiquée aux parties, ainsi qu’au secrétariat d'État aux migrations.

Genève, le

 

La greffière