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Décisions | Tribunal administratif de première instance

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A/759/2021

JTAPI/1001/2021 du 04.10.2021 ( ICCIFD ) , REJETE

REJETE par ATA/407/2022

Descripteurs : ACTIVITÉ LUCRATIVE INDÉPENDANTE;PROVISION POUR RISQUES ET CHARGES;RESPONSABILITÉ(DROIT PÉNAL)
Normes : LIFD.29.leta; LIPP.30.lete.ch1
En fait
En droit
Par ces motifs

république et

canton de genève

POUVOIR JUDICIAIRE

A/759/2021 ICCIFD

JTAPI/1001/2021

 

JUGEMENT

DU TRIBUNAL ADMINISTRATIF

DE PREMIÈRE INSTANCE

du 4 octobre 2021

 

dans la cause

 

Monsieur A______, représenté par TANNER CONSEIL SA, avec élection de domicile

 

contre

ADMINISTRATION FISCALE CANTONALE

ADMINISTRATION FÉDÉRALE DES CONTRIBUTIONS

 


 

EN FAIT

1.             Le litige concerne les taxations 2011 et 2012 de Monsieur A______, qui a exercé la profession de B______ à Genève à titre indépendant jusqu’au 31 décembre 2012, date de son départ pour l’Autriche.

2.             En 2004, M. A______ a constitué une « provision pour risques et charges » de CHF 3 millions en raison d’un litige avec la société C______ SA (ci-après : C______ »), sa responsabilité étant recherchée à la suite d’une opération qu’il avait diligentée. Il a fait figurer ladite provision dans les comptes de son entreprise.

3.             Le 1er juillet 2012, M. A______ et Monsieur D______ ont créé la société simple « E______ » (ci-après : E______), M. A______ transférant à ce dernier la moitié de son E______, comprenant les actifs et les passifs.

Le 1er janvier 2013, les associés se sont séparés, M. D______ restant seul associé de E______.

4.             Dans le cadre de la succession de Monsieur F______, un litige a opposé les héritiers à M. A______, exécuteur testamentaire.

Année fiscale 2011

5.             Par bordereaux datés du 15 avril 2013, l’AFC-GE a taxé le contribuable pour l’année 2011 en admettant la provision de CHF 3 millions comptabilisée au bilan 2011.

6.             Ces bordereaux n’ont pas été contestés.

Année fiscale 2012

7.             L’épouse de M. A______ est décédée le 15 février 2012.

8.             Le 23 mars 2015, l’AFC-GE a taxé le contribuable pour l’année 2012. Elle lui a notifié deux bordereaux pour la période du 1er janvier au 15 février 2012 et deux bordereaux pour le restant de la période fiscale. La provision de CHF 3 millions a été acceptée.

9.             Ces bordereaux n’ont pas fait l’objet d’une réclamation.

Litige relatif à l’année fiscale 2013

10.         Donnant suite à une demande de renseignements de l’AFC-GE, le contribuable a expliqué, par pli 2 novembre 2015, qu’il n’était plus associé de E______ depuis le 1er janvier 2013. M. D______ avait récupéré sa participation de 50 %. Celui-ci continuait seul les activités professionnelles de E______, à l’exception de la provision reprise par M. A______.

11.         Par bordereaux du 10 octobre 2016, l’AFC-GE a taxé M. A______ pour l’année 2013. Il résultait de l’avis de taxation « activité indépendante » que la provision de CHF 3 millions avait été dissoute en 2013.

12.         Le 2 novembre 2016, M. A______ a élevé réclamation à l’encontre des bordereaux précités, laquelle a été admise par décisions du 12 décembre 2016. Celle-ci portait sur des points qui ne sont actuellement plus litigieux.

13.         Par acte du 10 janvier 2017, le contribuable, a recouru contre les décisions précitées auprès du Tribunal administratif de première instance (ci-après : le tribunal) concluant, principalement, à ce qu’il soit constaté que la provision n’était pas dissoute, subsidiairement, elle aurait dû l’être en 2012.

La provision n’avait pas la moindre raison d’être dissoute, le litige étant toujours en cours. Ainsi, aucun revenu lié à cette provision ne pouvait être imposé. Si tel devait toutefois être le cas, le revenu lié à cette provision ne pouvait être imposé qu’en 2012 puisque la société simple avait été dissoute le 31 décembre 2012.

14.         Dans sa réponse du 27 avril 2017, l’AFC-GE a conclu à ce qu’il soit donné acte de son accord à rectifier la taxation 2013 et au rejet du recours pour le surplus.

Elle acceptait de revoir sa position concernant la provision, dans le sens où, s’il était établi que le litige à son origine était toujours en cours, il fallait considérer que l’activité indépendante du recourant n’avait pas encore pris fin en 2013 et l’imposition du bénéfice de liquidation en 2013 devait ainsi être annulée.

15.         Par réplique et duplique des 19 mai 2017 et 9 juin 2017, le recourant et l’AFC-GE ont campé sur leurs positions.

16.         Par lettre du 3 octobre 2017, le tribunal a demandé au recourant de lui remettre tout document justifiant la clôture du litige « C______ » en 2012.

17.         Le 20 octobre 2017, le recourant a répondu que l’affaire « C______ » et l’affaire « F______ » avaient respectivement pris fin et commencé en 2011, et non en 2012 comme indiqué par erreur dans sa réplique, mais que cela ne modifiait en rien ses conclusions. Il a produit un courrier du 19 octobre 2011 du conseil en charge de l’affaire « C______ » précisant qu’elle avait pris fin cette année-là, ainsi qu’un procès-verbal d’audience du 21 octobre 2014 dans l’affaire « F______ ».

18.         Par jugement du 30 novembre 2017 (JTAPI/1______), le tribunal a admis le recours.

Dans sa réponse à la demande de renseignements du tribunal, le contribuable avait indiqué que le litige « C______ » s’était terminé en 2011. La provision de CHF 3 millions n’avait plus lieu d’être dès 2011 et aurait dû être dissoute cette année-là. Le raisonnement du recourant selon lequel la provision en lien avec le litige « C______ » avait été « maintenue » en lieu et place de la constitution d’une nouvelle provision pour le litige « F______ » ne pouvait être suivi. En effet, la nouvelle provision n’était justifiée commercialement par aucun élément du dossier, le prénommé ne décrivant, ni le litige, ni les risques y relatifs, ni non plus le dommage redouté.

19.         Par arrêt du 19 juin 2018 (ATA/2______), la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) a rejeté le recours déposé par l’AFC-GE à l’encontre du JTAPI/1______.

La chambre administrative a retenu que le contribuable n’avait pas apporté d’éléments suffisants relatifs à la provision alléguée « F______ ». S’il avait démontré qu’une procédure pénale l’opposait à la famille F______ et qu’un recours avait été déposé au Tribunal fédéral contre une décision de la chambre pénale de recours de la Cour de justice le 1er février 2018, il n’avait fourni aucun élément sur les risques financiers se rapportant à ce litige. Il n’avait pas non plus allégué que son assurance responsabilité, dont il ressortait du dossier qu’elle était intervenue pour le litige « C______ », aurait limité ou refusé la prise en charge des conséquences pécuniaires de celui-ci. Ainsi, en l’absence d’éléments probants permettant, même approximativement, d’apprécier le risque financier encouru par le contribuable en relation avec l’affaire « F______ », c’était à juste titre que le tribunal avait nié la justification de cette provision en 2013.

Il n’en découlait pas que cette provision aurait dû être dissoute en 2013. En effet, la contestation portait sur le maintien, dans l’année fiscale 2013, d’une provision constituée en 2004 pour un autre litige. Or, les éléments apportés par le contribuable en cours de procédure, notamment sur ordre du tribunal, avaient démontré que la provision « C______ » avait perdu sa justification en 2011 et ne pouvait ainsi plus être prise en compte par la suite, d’une part. D’autre part, une nouvelle provision n’était pas justifiée, pour le litige « F______ ». Il n’était donc pas possible de retenir que la provision formée en 2004 demeurait fondée au-delà de 2011.

20.         Cet arrêt n’a pas fait l’objet d’un recours au Tribunal fédéral.

Procédure en rappel et en soustraction d’impôt 2010 à 2012

21.         Par lettres du 4 juin 2020, l’AFC-GE a informé le contribuable de l’ouverture à son encontre d’une procédure en rappel, ainsi que d’une procédure en soustraction d’impôt pour les années 2010 à 2012.

Conformément à l’ATA/2______ précité, la provision « C______ » de CHF 3 millions aurait dû être dissoute en 2011. Ladite provision ayant été dissoute en 2011, le revenu et la fortune imposables du contribuable seraient revue à la hausse d’un montant de CHF 3 millions. Il en allait de même de sa fortune en 2012.

Un délai lui a été accordé pour faire valoir son droit d’être entendu.

22.         Par pli du 31 août 2020, le recourant a exposé que, le 21 octobre 2011, les héritiers F______ avaient porté plainte contre lui (P/3______) pour abus de confiance, abus du pouvoir de représentation, suppression de titres, dissimulation ou distraction de biens successoraux dans la procédure d’inventaire, ainsi que soustraction des droits de succession. Ils affirmaient qu’une somme de CHF 10 à 15 millions avait été soustraite de la masse successorale. Le recourant s’est fondé sur un arrêt de la chambre pénale de recours de la Cour de justice du 24 juin 2020 (ACPR/4______, cause P/5______).

Ce seul reproche impliquait que le dommage auquel il aurait à faire face excéderait CHF 10 millions. La provision de CHF 3 millions était donc justifiée, probablement sous-évaluée, mais en aucun cas surévaluée. Cette plainte pénale avait été classée le 7 août 2015, ce dont il n’avait été informé qu’en 2017. Ce n’était ainsi qu’en 2015, voire en 2017, que le risque s’était éteint. Dès lors, la provision comptabilisée, justifiée commercialement, n’était porteuse d’aucune réserve latente et revêtait le caractère de « quasi-dette », lors de la cessation de son activité lucrative.

Il en résultait qu’aucune reprise ne se justifiait, et qu’aucune amende ne pouvait lui être infligée.

23.         Le 9 décembre 2020, l’AFC-GE a informé le contribuable de la clôture des procédures en rappel et en soustraction d’impôt, et lui a notifié des bordereaux de rappel d’impôt.

Pour l’année 2011, elle a ajouté CHF 3 millions aux revenus de son activité indépendante et la même somme à ses passifs commerciaux. Pour l’année 2012, elle a intégré cette somme à ses passifs commerciaux. L’AFC-GE lui a également notifié des bordereaux d’amendes pour soustraction intentionnelle en arrêtant leur quotité à une fois les impôts soustraits.

24.         Le 5 janvier 2021, le contribuable a élevé réclamation à l’encontre de ces bordereaux en concluant à l’admission de la provision « F______ » au 31 décembre 2011 et 2012 à concurrence de CHF 3 millions. Il a repris les arguments exposés dans sa lettre du 31 août précédent.

La note du réviseur établie dans le cadre du bouclement de l’exercice 2011 indiquait que la provision « C______ » devait être dissoute et qu’une nouvelle provision relative à l’affaire « F______ » devait être constituée, pour un montant équivalent.

25.         Par décision du 28 janvier 2021, l’AFC-GE a rejeté la réclamation.

À la suite de l’ATA/2______ précité, elle avait dissous la provision « C______ » en 2011 et l’avait imposée, tant en 2011 qu’en 2012, en tant que fortune.

La procédure de rappel d’impôt ne permettait pas de demander que l’AFC-GE tienne compte de la provision « F______ ». Traitée comme une demande de révision, cette requête devait être rejetée, étant donné que le recourant était en mesure d’invoquer ses arguments par la voie de la procédure ordinaire de recours. Enfin, dans le cadre de la procédure de soustraction d’impôt, la faute de l’intéressé devait être qualifiée d’intentionnelle, au regard des montants éludés.

26.         Par acte du 26 février 2021, le contribuable, sous la plume de son mandataire, a interjeté recours devant le tribunal de céans à l’encontre de cette décision en concluant, en substance, à l’admission de la provision « F______ » et en réservant l’audition de témoins, dont le réviseur, Monsieur G______.

Il n’avait jamais déposé de demande de révision. La provision figurant dans les états financiers au 31 décembre 2011 n’était plus celle en lien avec l’affaire « C______ », mais celle en relation avec l’affaire « F______ ». Ce fait pouvait être confirmé par l’audition de M. G______.

La plainte déposée par les héritiers F______ à son encontre avait été classée par le Ministère public en 2015. Son engagement était vraisemblable dans le cadre des années 2011 et 2012. Dans son arrêt du 19 juin 2018, la chambre administrative avait relevé le manque de preuves relatives aux risques financiers encourus par lui, permettant de justifier la provision « F______ ». Elle ne disposait cependant pas de l’arrêt de la chambre pénale du 24 juin 2020, duquel il ressortait que les héritiers F______ affirmaient qu’une somme de CHF 10 à 15 millions avaient été soustraite de la masse successorale. La provision n’avait ainsi pas lieu d’être dissoute et revêtait le caractère d’une « quasi-dette ».

27.         Dans sa réponse du 12 mai 2021, l’AFC-GE a conclu au rejet du recours.

Elle n’entendait pas maintenir son argumentation relative à la révision. L’AFC-GE n’avait pris connaissance de la dissolution de la provision « C______ » que lors du prononcé du JTAPI/1______, confirmé par l’ATA/2______. Il s’agissait d’un fait nouveau justifiant l’ouverture de la procédure de rappel d’impôt. En outre, la note du réviseur ne lui avait jamais été transmise.

L’examen de la justification de la provision « F______ » aurait dû s’effectuer dans le cadre de la procédure de taxation ordinaire, mais tel n’avait pu être le cas, le recourant ne l’ayant pas déclarée. Les principes de clarté et d’intelligibilité exigeaient une désignation précise de toutes les rubriques. Même si cette provision avait été déclarée, elle n’aurait pas été justifiée commercialement, étant donné que les éventuels dommages-intérêts auxquels le recourant aurait pu être condamnés résultaient d’infractions pénales. La procédure P/3______ avait été classée pour cause de prescription. L’arrêt de la chambre pénale de recours du 24 juin 2020 ne concernait pas directement le litige « F______ », mais des plaintes pénales qu’il avait déposées à l’encontre des héritiers F______. De plus, il n’avait pas produit de pièces démontrant un refus de prise en charge par son assurance responsabilité civile des conséquences de la procédure pénale.

Enfin, les amendes et leur quotité devaient être maintenues.

L’AFC-GE a produit un chargé de pièces, dont l’ordonnance de classement rendue le 7 août 2015 par le Ministère public dans la cause P/3______.

28.         Par réplique du 4 juin 2021, le contribuable a maintenu son recours.

La révision des comptes constituait une obligation légale pour les notaires. La note de révision attestait de la pertinence et de la justification de la provision relative à l’affaire « F______ ». L’audition de M. G______ le confirmerait, en tant que de besoin. La dissolution de la provision « C______ » et la constitution de la provision « F______ », correctement comptabilisées et documentées étaient conformes au droit commercial et au droit fiscal.

Le classement de la procédure P/3______ était certes lié à la prescription, mais c’était à tort que l’AFC-GE retenait que ce fait ne pouvait être ignoré en 2011. Les héritiers F______ avaient en effet contesté ce classement devant le Ministère public, la chambre pénale de recours et le Tribunal fédéral. Seul le dispositif d’un jugement rendu par les autorités compétentes aurait été de nature à qualifier la faute retenue et sa qualification au plan fiscal. Tant qu’un tel jugement n’était pas rendu et que la cause était pendante, le risque encouru devait faire l’objet d’une provision dans ses états financiers. La position de l’AFC-GE était d’autant plus infondée que les violations reprochées concernaient également sa responsabilité contractuelle, ce qui découlait de son activité de B______.

29.         Dans sa duplique du 18 juin 2021, l’AFC-GE a persisté dans les conclusions de sa réponse. La note du réviseur avait été produite pour la première fois le 31 août 2020, à savoir dans le cadre de la procédure en rappel et en soustraction d’impôt.

30.         Par mémoire complémentaire du 24 juin 2021, le recourant a fait valoir que l’argument susmentionné tombait à faux, dès lors que dans la procédure de taxation, aucune question de la pertinence de la provision n’avait été mise en évidence par l’autorité intimée.

 

EN DROIT

1.             Le Tribunal administratif de première instance connaît des recours dirigés, comme en l’espèce, contre les décisions sur réclamation de l’administration fiscale cantonale (art. 115 al. 2 et 116 al. 1 de la loi sur l’organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 49 de la loi de procédure fiscale du 4 octobre 2001 - LPFisc - D 3 17 ; art. 140 de la loi fédérale sur l’impôt fédéral direct du 14 décembre 1990 - LIFD - RS 642.11).

2.             Interjeté en temps utile et dans les formes prescrites devant la juridiction compétente, le recours est recevable au sens des art. 49 LPFisc et 140 LIFD.

3.             Lorsque des moyens de preuve ou des faits jusque-là inconnus de l'autorité fiscale lui permettent d'établir qu'une taxation n'a pas été effectuée, alors qu'elle aurait dû l'être, ou qu'une taxation entrée en force est incomplète ou qu'une taxation non effectuée ou incomplète est due à un crime ou à un délit commis contre l'autorité fiscale, cette dernière procède au rappel de l'impôt qui n'a pas été perçu, y compris les intérêts (art. 151 al. 1 LIFD ; art. 59 al. 1 LPFisc).

4.             Les art. 29 LIFD et 30 let. e de la loi sur l'imposition des personnes physiques du 27 septembre 2009 (LIPP - D 3 08) règlent la question des provisions qui peuvent être constituées à la charge du compte de résultat des contribuables exerçant une activité lucrative indépendante.

En particulier, une provision peut être constituée pour les engagements de l’exercice dont le montant est encore indéterminé (art. 29 let. a LIFD ; art. 30 let. e ch. 1 LIPP). Les provisions qui ne se justifient plus sont ajoutées au revenu commercial imposable (art. 29 al. 2 LIFD ; art. 30 let. e ch. 3 2ème phr. LIPP).

5.             Le texte de l’art. 29 LIFD sur les provisions se retrouve à l’art.63 LIFD. Ce parallélisme découle du fait qu’en droit fiscal suisse le résultat de l’entreprise est calculé de la même manière, qu’elle soit exploitée par des personnes physiques ou morales (Yves NOËL in Yves NOËL, Florence AUBRY GIRARDIN, Commentaire romand de la loi fédérale sur l'impôt fédéral direct, 2ème édition, 2017, art. 28-31, § 1, p. 653).

6.             Pour être admise, la provision doit être justifiée par l’usage commercial et, conformément au principe de périodicité, porter sur des faits dont l’origine se déroule durant la période de calcul (ATF 137 II 353 consid. 6.1). Est justifiée par l’usage commercial toute provision portée au passif du bilan qui exprime le fait que le résultat de l’exercice ne peut pas être tenu pour définitif ; cette correction prévient le risque que le résultat ne soit pas conforme à la réalité et qu’une perte apparaisse ultérieurement, qui existait déjà au moment du bouclement des comptes. Encore faut-il que ce risque de perte soit réel et concret (arrêt du Tribunal fédéral 2C_392/2009 du 23 août 2010 consid. 2.3).

Deux conditions doivent être réunies pour que les provisions soient admises : les faits qui sont la cause du risque de perte doivent s’être produits au cours de l’exercice clos pendant la période de calcul ; le risque de perte doit être certain ou quasi certain, mais non nécessairement définitif. Par ailleurs, l’appréciation du risque doit être faite en tenant compte de tous les faits connus à la date du bouclement des comptes et non de faits ultérieurs qui viendraient confirmer ou infirmer le montant de la provision (ATA/1238/2015 du 17 novembre 2015 consid. 3d ; ATA/520/2014 du 1er juillet 2014 et les références citées).

7.             Selon le principe de déterminance, les comptes établis conformément aux règles du droit commercial lient les autorités fiscales, à moins que le droit fiscal ne prévoie des règles correctrices spécifiques. L’autorité peut en revanche s’écarter du bilan remis par le contribuable lorsque des dispositions impératives du droit commercial sont violées ou des normes fiscales correctrices l’exigent (ATF 137 II 353 consid. 6.2 ; ATF 136 II 88 consid. 3.1).

Le principe de déterminance déploie aussi un effet contraignant pour le contribuable. En effet, celui-ci est lié par son mode de comptabilisation et seules les écritures ressortant des comptes sont décisives (Robert DANON, in Yves NOËL, Florence AUBRY GIRARDIN, op. cit., art. 57-58 LIFD, § 74, p. 1074). Les écritures comptables effectivement passées doivent être reprises par le droit fiscal et le contribuable ne peut se prévaloir que des écritures qu'il a effectivement enregistrées dans ses comptes, lesquels lui sont d'ailleurs opposables (principe de comptabilisation). Ce dernier principe implique donc que le contribuable est lié par les comptes qu'il a joints à sa déclaration (Pierre-Marie GLAUSER, Goodwill et acquisitions d'entreprises - Une analyse sous l'angle du droit fiscal et comptable, in Droit des sociétés : mélanges en l'honneur de Roland RUEDIN, 2006, 421-445, p. 430).

Il découle du principe de déterminance que les provisions doivent être comptabilisées dans le bilan commercial avec une indication correcte et mentionnées ouvertement (arrêt du Tribunal fédéral du 12 octobre 2012 = StE 2012 B 72.14.1 n° 27 consid. 2.2 ; arrêt du Tribunal fédéral du 25 janvier 2002 = StE 2002 B 23.45.2 n° 2 consid. 3). L'obligation de comptabiliser et donc de désigner les différentes provisions exclut une requalification ultérieure en une autre provision (arrêts du Tribunal administratif du canton de Zurich, SB.2011.00070 du 7 décembre 2011 consid. 3.4 = StE 2012 B 72.14.2 n° 38 ; arrêt du 15 janvier 1986 = StE 1987 B 23.43.2 n° 4 consid. 2c).

8.             Selon la jurisprudence (arrêt du Tribunal fédéral 2A.90/2001 du 25 janvier 2002 consid. 5.1 = RDAF 2002 II 315), en principe, le détenteur d'un commerce peut aussi constituer des provisions pour des prétentions de tiers en réparation de dommages, pour autant que les activités dommageables à la base des prétentions soient en connexité directe avec son activité commerciale. La doctrine nie une telle connexité en matière de responsabilité pénale, en présence d'une négligence grave voire d'une intention. Dans ces formes de culpabilité, le dommage serait le résultat de « manquements personnels » du commerçant et n'aurait aucun lien avec les risques de la prestation fournie dans le cadre de l'exploitation commerciale. Le Tribunal fédéral a tranché de manière semblable le 23 juin 1994 (Archives 64 p. 232 ss.) : il a alors considéré qu'une prestation en dommages-intérêts vaut comme dépense d'acquisition lorsqu'elle est en connexité étroite avec les risques commerciaux résultant de l'activité professionnelle. Un tel lien présuppose toutefois que le risque d'être tenu à réparation d'un dommage soit lié à l'activité lucrative de manière si étroite que sa prise en compte s'impose lorsque s'exerce cette activité et qu'il apparaisse ainsi comme un effet secondaire difficilement évitable.

9.             En l’espèce, le recourant conteste la dissolution en 2011 de la provision, opérée par l’AFC-GE.

Il se prévaut de la note du réviseur établie dans le cadre du bouclement de l’exercice 2011, mentionnant que la provision « C______ » doit être dissoute et qu’une nouvelle provision relative à l’affaire « F______ » doit être constituée, pour un montant équivalent. Le contribuable fait en outre valoir que le risque lié à l’affaire « F______ » a pris fin au plus tôt le 7 août 2015, lors du classement par le Ministère public de la plainte pénale des héritiers. Par ailleurs, ce risque était chiffré, car il ressort de l’arrêt de la chambre pénale de recours du 24 juin 2020 que le montant allégué par les héritiers, soustrait de la masse successorale, oscille entre CHF 10 millions et CHF 15 millions.

L’autorité intimée ne partage pas son point de vue. Elle relève que la note du réviseur ne lui a été transmise qu’au cours de la procédure de rappel et de soustraction d’impôt. En outre, la provision « F______ » n’a pas été comptabilisée et, même si telle avait été le cas, elle n’aurait pas été justifiée commercialement, car elle avait été constituée en vue de couvrir des dommages-intérêts découlant d’infractions commise par le précité.  

10.         Le recourant ne peut être suivi.

Ainsi que l’affirme l’AFC-GE dans sa réponse – sans être contredite sur ce point par l’intéressé – la note du réviseur susmentionnée n’a été pas été produite au cours de la procédure de taxation, mais durant celle de rappel et de soustraction d’impôt. Il y a lieu d’écarter l’objection du contribuable selon laquelle l’autorité intimée aurait dû procéder à une instruction au sujet de la justification de la provision. En effet, dès lors que, de 2004 à 2010, elle a admis la provision litigieuse en tant qu’elle se rapportait au litige « C______ », elle n’avait aucune raison de se douter qu’en 2011, le contribuable entendait l’utiliser pour couvrir un autre risque, ce d’autant moins que le montant de la provision n’avait pas changé.

Par ailleurs, quand bien même cette note aurait été produite durant la procédure de taxation, la provision « F______ » ne pouvait être admise ni en 2011, ni en 2012. En effet, contrairement à ce que préconise le réviseur, il se révèle exclu de requalifier la provision « C______ » en la provision « F______ ». La requalification d’une provision n’étant pas tolérée, il n’y a pas lieu d’auditionner le réviseur en vue d’établir si cette dernière porte effectivement sur l’affaire « F______ ». Enfin, la provision « F______ », à supposer qu’elle eût été comptabilisée en conformité des règles comptables, n’aurait néanmoins pas été acceptée fiscalement, car non justifiée par l’usage commercial. En effet, elle viserait, dans ce cas, à couvrir des risques découlant de dommages-intérêts dus ensuite d’une procédure pénale intentée par les héritiers F______ à l’encontre du recourant. Or, celui-ci n’est fondé à constituer des provisions que lorsqu’il fait face à des prétentions qui sont en connexité directe avec son activité commerciale, un tel lien devant être nié en matière de responsabilité pénale.

Au vu de ce qui précède, c’est à juste titre que l’AFC-GE a dissous la provision « C______ » en 2011. Les reprises contestées doivent dès lors être approuvées.  

11.         Le recourant conteste avoir commis une soustraction d’impôt.

12.         Aux termes des art. 175 al. 1 LIFD 69 al. 1 LPFisc, le contribuable qui, intentionnellement ou par négligence, fait en sorte qu'une taxation ne soit pas effectuée alors qu'elle devrait l'être, ou qu'une taxation entrée en force soit incomplète, est puni d'une amende.

Pour qu'une soustraction fiscale soit réalisée, trois éléments doivent être réunis : la soustraction d'un montant d'impôt qui implique une perte financière pour la collectivité, la violation d'une obligation légale incombant au contribuable et la faute de ce dernier, le comportement illicite et le résultat dommageable devant bien entendu être liés (arrêts du Tribunal fédéral 2C_508/2014 du 20 février 2015 consid. 5.1 ; 2C_1007/2012 du 15 mars 2013 consid. 5.1).

Les deux premières conditions sont des éléments constitutifs objectifs de la soustraction fiscale, tandis que la faute en est un élément constitutif subjectif (ATA/370/2015 du 21 avril 2015 consid. 4 et la doctrine citée).

13.         En l’occurrence, en 2011 et en 2012, le recourant a fait valoir en déduction une provision de CHF 3 millions, alors qu’elle aurait dû être dissoute en 2011. Ce faisant, il a bénéficié d’une imposition plus favorable, ce qui a occasionné une perte financière pour la collectivité. L’élément objectif d’une soustraction d’impôt est ainsi réalisé.

14.         Le contribuable agit intentionnellement lorsqu'il agit avec conscience et volonté (art. 12 al. 2 du Code pénal suisse du 21 décembre 1937 - CP - RS 311.0). L'auteur agit déjà intentionnellement lorsqu'il tient pour possible la réalisation de l'infraction et l'accepte au cas où celle-ci se produirait (dol éventuel ; art. 12 al. 2 2ème phr. CP). La conscience implique que l'auteur ait acquis la connaissance des faits, de telle manière que l'on puisse dire qu'il savait. La conscience ne suppose toutefois pas une certitude. Il n'est pas nécessaire que l'auteur tienne l'existence ou la survenance d'un fait pour certaine ; il suffit qu'il la considère comme sérieusement possible (ATA/1262/2015 du 24 novembre 2015 consid. 7b et la référence citée).

15.         La notion de négligence, au sens de l'art. 175 LIFD, correspond à celle régie par l'art. 12 CP (ATF 135 II 86 consid. 4.4). Commet un crime ou un délit par négligence quiconque, par une imprévoyance coupable, agit sans se rendre compte (négligence inconsciente) ou sans tenir compte des conséquences de son acte (négligence consciente). L'imprévoyance est coupable quand l'auteur n'a pas usé des précautions commandées objectivement par les circonstances et subjectivement par sa situation personnelle, par quoi l'on entend sa formation, ses capacités intellectuelles, sa situation économique et sociale ainsi que son expérience professionnelle (art. 12 al. 3 CP ; ATA/30/2009 du 20 janvier 2009)).

16.         La preuve d'un comportement intentionnel d'une soustraction incombe à l'autorité fiscale et elle est considérée comme apportée lorsqu'il est établi de façon suffisamment sûre que le contribuable était conscient que les informations données étaient incorrectes ou incomplètes. Si tel est le cas, il faut présumer qu'il a volontairement voulu tromper les autorités fiscales, ou du moins qu'il a agi par dol éventuel afin d'obtenir une taxation moins élevée ; cette présomption ne se laisse pas facilement renverser, car l'on peine à imaginer quel autre motif pourrait conduire un contribuable à fournir au fisc des informations qu'il sait incorrectes ou incomplètes. Cela est d'autant plus vrai que le contribuable peut compter avec la possibilité que l'autorité fiscale s'en tienne à sa déclaration sans l'examiner de manière plus approfondie (arrêt du Tribunal fédéral 2C_129/2018 du 24 septembre 2018 consid. 9.1)

17.         En l’espèce, en ne dissolvant pas la provision « C______ » en 2011, alors que le litige y relatif avait pris fin, le recourant avait nécessairement connaissance qu’il remettait à l’AFC-GE une comptabilité inexacte. Il ne saurait se prévaloir du fait qu’il considérait qu’à compter de 2011, la provision se justifiait commercialement, puisque de son point de vue, elle couvrait désormais le litige « F______ », encore pendant. En effet, ni ses comptes, ni les annexes ne spécifiaient le litige en lien avec lequel la provision avait été constituée. Par ailleurs, le contribuable n’a jamais averti l’AFC-GE qu’il entendait requalifier la provision. Or, l’autorité intimée avait d’autant moins de raisons de penser qu’il y avait procédé en 2011 ou 2012, que le montant de celle-ci était demeuré identique depuis 2004.

Au vu de ce qui précède, c’est à juste titre que l’AFC-GE a retenu que les soustractions avaient été commises intentionnellement.

Les amendes étant fondées dans leur principe, demeure à examiner leur quotité.  

18.         Selon la jurisprudence (arrêt du Tribunal fédéral 2C_173/2015 du 22 avril 2016 consid. 9.3.1 et les réf), en cas de soustraction fiscale, l'amende est en règle générale fixée au montant de l'impôt soustrait. Si la faute est légère, l'amende peut être réduite jusqu'au tiers de ce montant ; si la faute est grave, elle peut au plus être triplée (art. 175 al. 2 LIFD). Selon l'art. 106 al. 3 CP, applicable en matière de droit pénal fiscal en vertu de l'art. 333 al. 1 CP, lorsqu'il considère la faute commise comme légère (ou grave), le juge fixe l'amende en tenant compte de la situation de l'auteur afin que la peine corresponde à la faute commise. En droit pénal fiscal, les éléments principaux à prendre en considération à cet égard sont le montant de l'impôt éludé, la manière de procéder, les motivations, ainsi que les circonstances personnelles et économiques de l'auteur. Le cadre de la peine fixé par l'art. 175 al. 2 première phr. LIFD ne peut en revanche pas être dépassé ni vers le haut ni vers le bas, à moins que l'on ne soit en présence de circonstances aggravantes ou atténuantes et dans les limites de la deuxième phr.

19.         En l’espèce, les soustractions se sont déroulées durant deux périodes fiscales, ce qui constitue une circonstance aggravante. Le recourant ne se prévaut d’aucune circonstance atténuante. Il exerce la profession de B______ et ses déclarations fiscales ont été remplies par une fiduciaire. Il ne pouvait dès lors pas ignorer que la provision devait être dissoute. En conséquence, des amendes, dont la quotité a été fixée à une fois les impôts éludés, ce qui correspond au quantum « ordinaire », se révèlent conformes à la faute commise par le recourant.

20.         Au vu de ce qui précède, le recours doit être rejeté.  

21.         En application des art. 144 al. 1 LIFD, 52 al. 1 LPFisc, 87 al. 1 de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 (LPA - E 5 10) et 1 et 2 du règlement sur les frais, émoluments et indemnités en procédure administrative du 30 juillet 1986 (RFPA - E 5 10.03), le recourant, qui succombe, est condamné au paiement d’un émolument s'élevant à CHF 700.- ; il est couvert par l’avance de frais versée à la suite du dépôt du recours.

 


PAR CES MOTIFS

LE TRIBUNAL ADMINISTRATIF

DE PREMIÈRE INSTANCE

1.             déclare recevable le recours interjeté le 26 février 2021 par Monsieur A______ contre la décision sur réclamation de l'administration fiscale cantonale du 28 janvier 2021 ;

2.             le rejette ;

3.             met à la charge du recourant un émolument de CHF 700.-, lequel est couvert par l'avance de frais ;

4.             dit que, conformément aux art. 132 LOJ, 62 al. 1 let. a et 65 LPA, le présent jugement est susceptible de faire l'objet d'un recours auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (10 rue de Saint-Léger, case postale 1956, 1211 Genève 1) dans les trente jours à compter de sa notification. L'acte de recours doit être dûment motivé et contenir, sous peine d'irrecevabilité, la désignation du jugement attaqué et les conclusions du recourant. Il doit être accompagné du présent jugement et des autres pièces dont dispose le recourant.

Siégeant: Sophie CORNIOLEY BERGER, présidente, Pascal DE LUCIA et Philippe FONTAINE, juges assesseurs.

Au nom du Tribunal :

La présidente

Sophie CORNIOLEY BERGER

 

Copie conforme de ce jugement est communiquée aux parties.

Genève, le

 

La greffière