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Décisions | Tribunal administratif de première instance

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A/2228/2020

JTAPI/225/2021 du 08.03.2021 ( ICCIFD ) , ADMIS PARTIELLEMENT

REJETE par ATA/144/2022

Descripteurs : SALAIRE USUEL;RÉMUNÉRATION ABUSIVE;PRESTATION APPRÉCIABLE EN ARGENT
Normes : LIFD.58.al1.letb; LIPM.12.leth
En fait
En droit
Par ces motifs

république et

canton de genève

POUVOIR JUDICIAIRE

A/2228/2020 ICCIFD

JTAPI/225/2021

 

JUGEMENT

DU TRIBUNAL ADMINISTRATIF

DE PREMIÈRE INSTANCE

du 8 mars 2021

 

dans la cause

 

A______ Sàrl, représentée par Me Dominique MORAND, avocat, avec élection de domicile

 

contre

ADMINISTRATION FISCALE CANTONALE

ADMINISTRATION FÉDÉRALE DES CONTRIBUTIONS

 


 

EN FAIT

1.             Le litige concerne la taxation 2018 de A______ Sàrl (ci-après : la société), dont le siège se trouvait alors à Carouge et dont le but consiste en : « tous services dans le domaine de la communication, notamment la formation, le conseil stratégique, ainsi que toutes opérations s’y rapportant ».

Messieurs B______, C______, D______ et E______ détenaient des parts au capital social se montant à respectivement 51 %, 28 %, 17 % et 4 %.

2.             En 2018, MM. B______, C______ et D______ (ci-après : les associés) ont perçu de la part de la société un salaire brut s’élevant à respectivement CHF 595'500.-, CHF 493'100.- et CHF 494'000.-. En revanche, aucun d’entre eux n’a bénéficié d’allocation pour frais de représentation.

3.             Le 24 février 2020, la société a donné suite à une demande de renseignements de l’administration fiscale cantonale (ci-après : AFC-GE) du 12 novembre précédent.

MM. B______, C______ et D______ étaient nés respectivement les ______ 1979, ______ 1975 et ______ 1978. Aucun d’entre eux n’exerçait d’activité en-dehors de la société. Ils travaillaient entre 50 et 60 heures par semaine, voire davantage en fonction des besoins de leur employeur. Ils occupaient les fonctions respectives de Chief executive officer (CEO), Managing director A______ et creative and strategy chief officer. Aucun autre employé n’occupait la même fonction pour le moment.

Leur rémunération comprenait un salaire mensuel brut de CHF 30'000.- (soit CHF 360'000.- par an), auquel s’ajoutait un bonus calculé en fonction de la performance et du poste de chaque collaborateur. La forte augmentation des salaires était liée à l’augmentation et à l’intensification de l’activité de la société. Aucune planification fiscale n’était intervenue.

4.             Par bordereaux datés du 24 mars 2020, l’AFC-GE a taxé la société pour l’année 2018. Ce faisant, elle a effectué des reprises au niveau de son bénéfice au titre de salaires excessifs accordés à MM. B______, C______ et D______, lesquelles s’établissaient à respectivement CHF 203'345.-, CHF 131'166.- et CHF 133'898.-. Ces redressements ont été calculés au moyen de la « méthode valaisanne » et du calculateur du secrétariat d’État à l’économie (ci-après : SECO).

 

 

 

 

Le profil salarial des associés se présentait comme suit :

M. B______

M. C______

M. D______

Branche économique

Autres activités spécialisées, scientifiques et techniques

Autres activités spécialisées, scientifiques et techniques

Autres activités spécialisées, scientifiques et techniques

Âge

39 ans

40 ans

43 ans

Années de service

8 ans

8 ans

8 ans

Formation

Haute école universitaire

Haute école universitaire

Haute école universitaire

Position dans l'entreprise

Cadre supérieur

Cadre supérieur

Cadre supérieur

Groupe de professions

Directeurs généraux, cadres supérieurs

Directeurs généraux, cadres supérieurs

Directeurs généraux, cadres supérieurs

Horaire hebdomadaire

55 heures

55 heures

55 heures

Canton

Genève

Genève

Genève

5.             Le 23 avril 2020, la société a élevé réclamation à l’encontre des bordereaux du 24 mars précédent.

Les éléments retenus pour le calcul des salaires excessifs n’étaient pas représentatifs de l’activité exercée par les associés. En effet, rien de comparable n’existait sur le marché et les précités faisaient preuve d’une créativité exceptionnelle. Leur activité se révélait réellement spécifique, de sorte qu’il n’était pas pertinent d’utiliser les statistiques du SECO. Par ailleurs, la taxation des associés devait également être corrigée, étant donné qu’une partie de leur rémunération serait requalifiée en dividende.

6.             Par décisions du 18 juin 2020, l’AFC-GE a rejeté la réclamation.

Dès lors que le critère de comparaison interne ne pouvait être mis en œuvre, il convenait de recourir à la « méthode valaisanne », qui avait été validée par la jurisprudence, notamment en ce qu’elle prévoyait l’utilisation du calculateur du SECO.

7.             Par acte du 20 juillet 2020, la société a interjeté recours devant le Tribunal administratif de première instance (ci-après : le tribunal) à l’encontre de ces décisions en concluant à l’annulation des décisions du 18 juin précédent et à ce qu’il soit confirmé que les salaires versés aux associés ne sont pas excessifs, le tout, sous suite de frais et dépens.

Ces derniers avaient déployé une activité très importante pour elle, qui était partie du zéro et était devenue un acteur majeur d’activité, rivalisant avec les plus grandes agences et décrochant d’importants clients (Uber, Nestlé, JTI, etc.). Engager des gens capables de générer un tel développement aurait été difficile à trouver et aurait coûté extrêmement cher. Les associés s’étaient énormément investis, travaillant jusqu’à 80 heures par semaine en faisant preuve d’une créativité exceptionnelle. Au cours des premiers exercices, leur rémunération était très faible, largement en-dessous du marché. Par ailleurs, ils occupaient plusieurs fonctions auprès de la société.

Leur part au capital était différente. M. B______, qui détenait 51 % du capital, avait accepté de rétribuer de la sorte les deux autres associés parce qu’il fallait les récompenser pour les conserver dans l’entreprise. Un tiers, employé de la recourante, qui aurait fourni une prestation équivalente aurait perçu la même rémunération. En tant qu’associés minoritaires, MM. C______ et D______ n’auraient pas pu s’octroyer une telle rémunération.

Les organes sociaux n’auraient pas pu se rendre compte de l’avantage octroyé aux précités. En effet, vu l’avantage énorme obtenu (croissance du chiffre d’affaires), du nombre d’employés, du bénéfice réalisé, des parts de marchés obtenus, des gros contrats négociés, il n’existait pas de disproportion avec les salaires versés.

De plus, compte tenu de l’imposition partielle des dividendes consécutive à la deuxième réforme de l’imposition des entreprises (ci-après : RIE II), le salaire de base était trop bas. Pour les associés qui disposaient d’un profil hors norme, il n’existait pas de comparatif dans les statistiques du SECO et le salaire contractuel devait être appliqué comme salaire de base. En se fondant sur le quartile supérieur du calculateur du SECO, la rémunération mensuelle s’élevait à CHF 18'990.-, soit au-dessus du montant calculé par l’AFC-GE. En outre, MM. B______, C______ et D______ auraient dû bénéficier de frais de représentation en sus de leur salaire, qui s’élevait à respectivement CHF 47'050.-, CHF 36'810.- et à CHF 36'900.-.

En prenant en compte en salaire de base plus élevé dans le cadre de la « méthode valaisanne », en sus des frais de représentation, il n’y avait plus matière à reprise.

8.             Dans sa réponse du 21 octobre 2020, l’AFC-GE a conclu à l’admission partielle du recours en ce sens qu’il convenait de tenir compte d’une durée hebdomadaire de 60 heures et du dernier quartile.

La société critiquait l’application de la « méthode valaisanne » en faisant valoir qu’elle n’avait pas octroyé des prestations appréciables en argent à ses associés. Cependant, les éléments exposés par elle ne permettait pas d’y déroger, car elle ne proposait aucune alternative fiable.

Par ailleurs, en vertu du principe de l’autorité du bilan, les frais de représentations ne pouvaient être admis.

9.             Par réplique du 12 novembre 2020, la société a maintenu son recours.

La « méthode valaisanne » ne s’appliquait qu’à titre subsidiaire et pour autant que la société se soit appauvrie. Il convenait de tenir compte des circonstances particulières du cas d’espèce, à savoir du rôle clé joué par les associés. En outre, le mode de rémunération choisi n’était pas guidé par des motifs fiscaux. En effet, il aurait été plus avantageux de procéder à des distributions de dividendes, compte tenu de l’imposition partielle introduite par la RIE II.

La rémunération retenue par l’AFC-GE dans sa réponse était largement inférieure à une rémunération du marché pour une personne d’un tel acabit qui, par des compétences hors normes, permettaient de créer une valeur conséquente. Pour la recourante et ses associés, il n’existait pas vraiment de statistiques comparatives, le domaine d’activité étant extrêmement particulier et innovateur. Le résultat réalisé, avant retraitement par l’AFC-GE, s’élevait à CHF 265'000.-, ce qui était très élevé pour une PME genevoise.

Enfin, en corrigeant le bilan de la société en rapport aux salaires prétendument excessifs, l’AFC-GE s’écartait du principe de déterminance. Il convenait de prendre en compte l’ensemble des circonstances du cas d’espèce et d’intégrer le fait que les associés auraient pu bénéficier de frais de représentation.

10.         Dans sa duplique du 4 décembre 2020, l’AFC-GE a persisté dans les conclusions de sa réponse.

EN DROIT

1.             Le Tribunal administratif de première instance connaît des recours dirigés, comme en l’espèce, contre les décisions sur réclamation de l’administration fiscale cantonale (art. 115 al. 2 et 116 al. 1 de la loi sur l’organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 49 de la loi de procédure fiscale du 4 octobre 2001 - LPFisc - D 3 17 ; art. 140 de la loi fédérale sur l’impôt fédéral direct du 14 décembre 1990 - LIFD - RS 642.11).

2.             Interjeté en temps utile et dans les formes prescrites devant la juridiction compétente, le recours est recevable au sens des art. 49 LPFisc et 140 LIFD.

3.             Le litige porte sur la conformité au droit des reprises effectuées par l’AFC-GE au niveau du bénéfice de la société, à titre de salaire excessif.

4.             Selon l’art. 58 al. 1 let. b LIFD, sont considérés comme bénéfice imposable tous les prélèvements opérés sur le résultat commercial avant le calcul du solde du compte de résultat, qui ne servent pas à couvrir des dépenses justifiées par l’usage commercial, tels que, notamment, les distributions ouvertes ou dissimulées de bénéfice et les avantages procurés à des tiers qui ne sont pas justifiés par l’usage commercial.

Bien que rédigé autrement, l'art. 12 let. h de la loi genevoise sur l'imposition des personnes morales (LIPM - D 3 15) est d’une teneur équivalente, puisqu’il prévoit que les tantièmes, ainsi que les distributions ouvertes ou dissimulées de bénéfice et les avantages procurés à des tiers qui ne sont pas justifiés par l’usage commercial sont considérés comme bénéfice imposable.

5.             Les dispositions précitées visent notamment les distributions dissimulées de bénéfice, soit des prélèvements qui ne sont pas conformes au droit commercial et qui doivent donc être réintégrés au bénéfice imposable (ATA/778/2016 du 13 septembre 2016 ; ATA/94/2016 du 2 février 2016).

Selon la jurisprudence, il y a distribution dissimulée de bénéfice lorsque les quatre conditions cumulatives suivantes sont remplies : 1) la société fait une prestation sans obtenir de contre-prestation correspondante ; 2) cette prestation est accordée à un actionnaire ou à une personne la touchant de près ; 3) elle n'aurait pas été accordée dans de telles conditions à un tiers ; 4) la disproportion entre la prestation et la contre-prestation est manifeste, de telle sorte que les organes de la société auraient pu se rendre compte de l'avantage qu'ils accordaient (ATF 140 II 88 consid. 4.1 ; 138 II 57 consid. 2.2).

6.             Les prestations appréciables en argent peuvent apparaître de diverses façons. Ainsi, le versement d’un salaire disproportionné accordé à un actionnaire-directeur constitue une situation classique de distribution dissimulée de bénéfice (ATA/778/2016 du 13 septembre 2016 ; ATA/94/2016 du 2 février 2016). Bien qu’il n’appartienne pas à l'administration de substituer sa propre appréciation en matière de salaire à celle de la société, la liberté de l’employeur n’est pas sans limite sous l’angle fiscal. En effet, la rémunération doit correspondre à celle qui aurait été octroyée à une tierce personne dans des circonstances identiques. Il s’agit, de la sorte, de s’assurer que le montant de la rémunération soit justifié par des fins commerciales et non par le fait qu’il existe une étroite relation économique ou personnelle (actionnaire ou proche) entre le bénéficiaire de la prestation et la société (ATA/94/2016 du 2 février 2016).

L’élément déterminant est donc la rémunération conforme au marché. Pour déterminer si la rémunération est excessive et constitue une distribution dissimulée de bénéfice, il convient de prendre en compte l’ensemble des circonstances du cas d’espèce. Parmi les critères pertinents, on peut notamment citer la rémunération des personnes de rang et de fonction identiques ou similaires, les salaires versés par d’autres entreprises opérant dans le même domaine, la taille de l’entreprise, sa situation financière, ainsi que la position du salarié dans l’entreprise, sa formation et son expérience (arrêt du Tribunal fédéral 2C_421/2009 du 11 janvier 2010 consid. 3.1 et 3.3). Les comparaisons entre branches, c’est-à-dire les salaires qui sont effectivement versés dans la même branche pour des fonctions de même nature, peuvent également servir d’aide à la détermination d’un salaire justifié par l’usage commercial (Peter BRÜLISAUER, Marco MÜHLEMANN in Martin ZWEIFEL, Michael BEUSCH, Bundesgesetz über die direkte Bundessteuer, 3ème éd. 2017, art. 58, § 306, p. 1289 et la réf.).

7.             En l’absence de points de comparaison suffisants avec le marché, la méthode la plus communément appliquée pour déterminer le salaire admissible d’employés actionnaires est la « méthode valaisanne », qui a reçu l'aval de l'administration fédérale des contributions et a été confirmée par la jurisprudence (arrêt du Tribunal fédéral 2C_660/2014 du 6 juillet 2015 consid. 6.2 et les références citées). Elle consiste à déterminer un salaire de base moyen, puis à l’augmenter d’une participation au chiffre d’affaires de la société (1 % jusqu’à 1 million, 0.9 % jusqu’à 5 millions et 0.8 % au-delà, la participation étant doublée pour les sociétés de services, afin de tenir compte de la marge brute élevée de ce type de sociétés), ainsi qu’une part au bénéfice (1/3 pour les sociétés employant moins de vingt collaborateurs et 1/4 pour les entreprises plus grandes), (ATA/778/2016 du 13 septembre 2016 consid. 10c et les arrêts cités). Enfin, le salaire de base annuel, la participation au chiffre d'affaires et la part au bénéfice sont additionnés et constituent le salaire conforme aux usages commerciaux, c'est-à-dire fiscalement admissible. La différence avec le salaire effectivement versé par la société constitue la part excessive qu'il convient de reprendre au titre de distribution dissimulée de bénéfice.

8.             La jurisprudence du Tribunal fédéral n’exclut pas qu’un actionnaire minoritaire puisse recevoir une distribution dissimulée de bénéfice. Le Tribunal fédéral a ainsi imputé une distribution dissimulée de bénéfice à un membre du conseil administration possédant six actions de l’entreprise et dans plusieurs affaires à un actionnaire minoritaire. Tel sera typiquement le cas lorsque, au regard des circonstances, le minoritaire dispose d’une beherrschende Stellung dans la société distributrice. Il en va typiquement ainsi lorsque l’actionnaire minoritaire préside par exemple le Conseil d’administration de la société. Cela étant, ce critère de domination ne constitue toutefois qu’un indice parmi d’autres. La doctrine, quant à elle, est divisée sur cette question. Certains auteurs estiment que ce contrôle sur l’entreprise (Beherrschungsmöglichkeit) fait partie des éléments constitutifs de la notion de distribution dissimulée de bénéfice. Partant, une distribution dissimulée de bénéfice à un actionnaire minoritaire est uniquement concevable si la position de cette personne est «compensée» par certains droits sociaux lui permettant d’exercer ce contrôle. En l’occurrence, selon GEHRIG, cette position peut découler (i) d’actions à droit de vote privilégié, (ii) des statuts ou encore (iii) d’une convention d’actionnaires permettant au porteur de parts de siéger au conseil d’administration et d’influer sur les décisions de l’entreprise. De simples circonstances économiques ou même personnelles (rapports familiaux) ne sont au contraire pas déterminantes. Pour d’autres auteurs, en revanche, seul est déterminant le fait que la prestation repose sur le rapport de participation (causa societatis). Lorsque cette condition est réalisée, peu importe alors que le récipiendaire soit un actionnaire majoritaire ou minoritaire (Robert DANON in Yves NOËL, Florence AUBRY GIRARDIN, Commentaire romand de la loi fédérale sur l'impôt fédéral direct, 2ème édition, 2017, art. 58, § 107-199, p. 1109-1110 et les réf.).

9.             Depuis mars 2019, le calculateur national des salaires, publié en ligne à l’adresse : « https://entsendung.admin.ch/Calculateur-de-salaires/lohnberechnung » par le SECO, remplace le calculateur de l’OGMT (JTAPI/532/2020 du 22 juin 2020 ; JTAPI/878/2019 du 7 octobre 2019). Ce nouvel outil permet en effet d'obtenir à la fois des résultats spécifiques au marché du travail genevois ainsi que pour l'ensemble de la Suisse. Comme son prédécesseur genevois, le calculateur national des salaires repose sur un modèle statistique établi à l'aide des données de l’enquête suisse sur la structure des salaires, menée tous les deux ans par l’office fédéral de la statistique auprès d’un échantillon d’entreprises. La dernière enquête reflète la situation du secteur privé en 2016.

10.         Selon la jurisprudence (arrêt du Tribunal fédéral 2C_124/2016 du 31 janvier 2017 consid. 6.2 et les réf.), il appartient à l'autorité fiscale de démontrer l'existence d'éléments créant ou augmentant la charge fiscale. En revanche, il incombe à celui qui fait valoir l'existence d'un fait de nature à éteindre ou à diminuer sa dette fiscale d'en apporter la preuve et de supporter les conséquences de l'échec de cette preuve. En ce qui concerne les prestations appréciables en argent faites par une société, sans contre-prestation, à ses actionnaires, c'est en principe à l'autorité fiscale qu'il appartient de les prouver. Le contribuable n'a donc pas à supporter les conséquences d'un manque de preuves, à moins qu'on ne puisse lui reprocher une violation de ses devoirs de collaboration.

11.         En l’occurrence, la société conteste l’applicabilité de la « méthode valaisanne » au motif d’une part, qu’elle ne tient pas compte de l’extraordinaire performance réalisée par les associés, et d’autre part, qu’elle ne dispose d’aucun intérêt d’ordre fiscal à distribuer des salaires excessifs, compte tenu de l’imposition partielle des dividendes introduite par la RIE II.

12.         Ce dernier argument doit être rejeté. Depuis l’entrée en vigueur de la RIE II, du point de vue de l’actionnaire, il est certes vrai que, fiscalement parlant, percevoir un dividende se révèle plus intéressant que recevoir un salaire, puisque le premier n’est imposable que partiellement, alors que le second est taxé en plein. Toutefois, la RIE II n’a en rien changé le principe suivant lequel sont seules déductibles les charges justifiées par l’usage commercial et, a contrario, celles qui ne le sont pas, sont rajoutées au bénéfice imposable de la société. Or, le présent litige porte précisément sur le caractère conforme à l’usage commercial de la rémunération des associés.

13.         La société justifie le montant des salaires octroyés aux associés par leur performance extraordinaire, qui s’est notamment traduite par une hausse en 2018 du bénéfice de 143 % par rapport à l’exercice précédent, celui-ci ayant crû de CHF 109'089.- à CHF 264'727.-, si bien que la société ne s’est pas appauvrie du fait de l’octroi des salaires. Dans ses écritures, elle consacre des développements au sujet de leur profil professionnel, ainsi que de leurs réalisations.

14.         La question de savoir si la société s’est appauvrie en octroyant aux associés les salaires litigieux revient à déterminer si ces rémunérations se révèlent conformes au prix du marché. Malgré une demande de renseignements de l’AFC-GE en ce sens du 12 novembre 2019, la contribuable n’a jamais expliqué la manière dont elle a déterminé le salaire des précités. Tout au plus s’est-elle contentée d’exposer, dans sa réponse du 24 février 2020 à ladite lettre, qu’ils percevaient un salaire mensuel fixe de CHF 30'000.- (versé douze fois l’an), auquel s’ajoutait un bonus fixé en fonction de la performance. Cependant, la société n’a produit ni contrat, ni aucune autre pièce permettant de comprendre comment elle a calculé la part fixe et variable de la rémunération des associés, figurant sur leur certificat de salaire. Exprimé autrement, la politique salariale de la recourante n’est pas connue.

La société estime insuffisants les salaires admissibles déterminés au moyen du calculateur du SECO, pour le motif qu’ils ne sont pas représentatifs de l’activité exercée par les associés, dont leur créativité se révèle exceptionnelle. Toutefois, elle ne fournit aucun exemple chiffré démontrant que les rémunérations litigieuses sont comparables à celles versées dans la même branche et pour des fonctions de même nature. En d’autres termes, elle ne démontre pas que les salaires de ses associés reflètent le prix du marché. Elle admet même dans sa réclamation qu’aucun exemple comparable n’existe sur le marché.

15.         La société objecte encore que MM. C______ et D______ en qualité de porteurs de parts minoritaires, n’auraient pas eu le pouvoir de s’octroyer une rémunération telle qu’ils ont perçue en l’espèce. M. B______ les avait rétribués en considérant leur contribution à l’entreprise. Quoi qu’il en soit, un tiers placé dans les mêmes circonstances aurait bénéficié de la même rémunération.

16.         La recourante ne peut être suivie.

Ainsi qu’elle l’a exposé dans sa lettre à l’AFC-GE du 24 février 2020, MM. B______, C______ et D______ occupent les fonctions respectives de Chief executive officer (CEO), Managing director A______ et creative and strategy chief officer. Les deux derniers ont perçu un salaire pour ainsi dire identique (CHF 493'100.- et CHF 494'000.-), tandis que la rémunération dont a bénéficié M. B______ s’est élevée à CHF 595'500.-. Ce montant peut s’expliquer par le fait qu’il occupait le poste de directeur général, de directeur financier et de directeur des ressources humaines, ainsi que la contribuable l’a expliqué dans son recours.

Le tribunal considère que le fait que MM. C______ et D______ ne détiennent qu’une part minoritaire au capital de la société ne suffit pas à exclure qu’ils puissent avoir bénéficié d’une prestation appréciable en argent de la part de la recourante. En effet, de par leurs réalisations, abondamment mises en avant par la recourante, ils doivent – à l’instar de M. B______ – être considérés comme des animateurs de la société, qui exercent une influence déterminante sur la marche des affaires de l’entreprise.

17.         Au vu de ce qui précède, c’est à bon droit que l’AFC-GE a déterminé les reprises au titre de salaire excessif en se fondant sur le calculateur du SECO et la « méthode valaisanne », étant rappelé que cette méthode a été approuvée par la jurisprudence. Dans sa réponse, l’autorité intimée a accepté de tenir compte d’une durée hebdomadaire de travail de 60 heures (au lieu de 55 heures) et de prendre en considération le salaire supérieur (dernier quartile), et non le salaire médian. Elle a joint en annexe à sa réponse le détail du calcul des reprises, dont le montant est réduit par rapport à celui déterminé initialement.

Les redressements se résument comme suit :

Total

M. B______

M. C______

M. D______

Salaire effectif

1'582'600

595'500

493'100

494'000

Salaire de base SECO

-672'672

-220'716

-228'972

-222'984

Supplément en fonction du chiffre d'affaires

-147'791

-55'611

-46'048

-46'132

Part au bénéfice

-342'288

-128'796

-106'649

-106'843

Salaire excessif

419'849

190'377

111'431

118'041

Ces calculs ne sont pas contestés en tant que tels par la société, si bien qu’ils seront confirmés.

18.         La société fait valoir en déduction de son bénéfice des allocations pour frais forfaitaires de représentation, à calculer sur le salaire des associés.

L’AFC-GE s’y oppose, en se prévalant du principe de déterminance et de l’autorité du bilan.

19.         En ce qui concerne la reprise des frais forfaitaires de représentation, la circulaire (« Information ») n° 6/2005 de l'AFC-GE du 7 décembre 2005 précise que l'allocation forfaitaire pour frais de représentation ne fait pas partie du revenu imposable pour autant qu'elle ne dépasse pas 5 % du salaire brut pour la première tranche de revenu annuel limitée à CHF 250'000.- et 10% pour la tranche de salaire brut total dépassant CHF 250'000.-, la déduction forfaitaire maximale étant limitée à CHF 100'000.-.

20.         Le principe de déterminance formel implique que le contribuable est lié par les écritures enregistrées dans les comptes qu'il remet avec sa déclaration fiscale. Il ne peut, sous réserve de dispositions légales spécifiques du droit fiscal ou de l'application du principe de la bonne foi, se prévaloir d'une réalité autre que celle ressortant des comptes commerciaux. L'autorité du bilan commercial tombe en revanche lorsque des normes impératives du droit commercial sont violées ou que des normes fiscales correctrices l'exigent (ATF 137 II 353 consid. 6.2).

L’autorité formelle du droit comptable déploie un effet contraignant pour le contribuable. En premier lieu, les comptes remis par celui-ci à l’administration jouissent d’une présomption d’exactitude. Ensuite, seules sont décisives d’un point de vue fiscal les écritures ressortant des comptes. En d’autres termes, le contribuable est lié par son mode de comptabilisation. De même, dans la mesure où le contribuable doit se laisser opposer la façon dont il a comptabilisé ses charges, si des indemnités pour frais de représentation ne s’avèrent pas justifiées commercialement, celles-ci ne sauraient être ultérieurement requalifiées de salaire déductible (Robert DANON in Yves NOËL, Florence AUBRY GIRARDIN, op. cit, art. 58, § 74, p. 1074-1075 ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_645/2012 du 13 février 2013, consid.8).

21.         En l’occurrence, la société ne peut être suivie. En effet, il ressort de sa déclaration fiscale, ainsi que des certificats de salaires des associés, qu’elle ne leur a pas accordé d’allocation pour frais de représentation. Pour ce motif, elle n’est pas fondée à faire valoir en déduction de telles charges en se fondant sur l’information susmentionnée. En outre, conformément à la jurisprudence exposée ci-dessus, l’autorité formelle du droit comptable interdit de requalifier tout ou partie de la rémunération versée aux associés en frais de représentation.

22.         Au vu de ce qui précède, le recours doit être admis partiellement et le dossier renvoyé à l’AFC-GE pour nouvelles taxations dans le sens de ce qui précède.

23.         En application des art. 144 al. 1 LIFD, 52 al. 1 LPFisc, 87 al. 1 de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 (LPA - E 5 10) et 1 et 2 du règlement sur les frais, émoluments et indemnités en procédure administrative du 30 juillet 1986 (RFPA - E 5 10.03), la recourante, qui obtient partiellement gain de cause, est condamnée au paiement d’un émolument réduit à CHF 700.-. Il est couvert par l’avance de frais versée à la suite du dépôt du recours.

Vu l'issue du litige, une indemnité de procédure de CHF 1'000.-, à la charge de l'État de Genève, soit pour lui l’administration fiscale cantonale, sera allouée à la recourante (art. 87 al. 2 à 4 LPA et 6 RFPA).

 


 

 

PAR CES MOTIFS

LE TRIBUNAL ADMINISTRATIF

DE PREMIÈRE INSTANCE

1.             déclare recevable le recours interjeté le 20 juillet 2020 par A______ Sàrl contre les décisions sur réclamation de l'administration fiscale cantonale du 18 juin 2020 ;

2.             l'admet partiellement ;

3.             renvoie le dossier à l’administration fiscale cantonale pour nouvelles décisions de taxation dans le sens des considérants ;

4.             met à la charge de la recourante un émolument réduit de CHF 700.-, lequel est couvert par l'avance de frais ;

5.             condamne l'État de Genève, soit pour lui l’administration fiscale cantonale, à verser à la recourante une indemnité de procédure de CHF 1'000.- ;

6.             dit que, conformément aux art. 132 LOJ, 62 al. 1 let. a et 65 LPA, le présent jugement est susceptible de faire l'objet d'un recours auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (10 rue de Saint-Léger, case postale 1956, 1211 Genève 1) dans les trente jours à compter de sa notification. L'acte de recours doit être dûment motivé et contenir, sous peine d'irrecevabilité, la désignation du jugement attaqué et les conclusions du recourant. Il doit être accompagné du présent jugement et des autres pièces dont dispose le recourant.

Siégeant : Sophie CORNIOLEY BERGER, présidente, Pascal DE LUCIA et Philippe FONTAINE, juges assesseurs.

 

Au nom du Tribunal :

La présidente

Sophie CORNIOLEY BERGER

 

Copie conforme de ce jugement est communiquée aux parties.

Genève, le

 

La greffière