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Décisions | Chambre Constitutionnelle

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A/4724/2019

ACST/3/2020 du 30.01.2020 ( ABST ) , REFUSE

RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

A/4724/2019-ABST ACST/3/2020

COUR DE JUSTICE

Chambre constitutionnelle

Décision du 30 janvier 2020

sur effet suspensif

dans la cause

 

A______
représentée par Me François Bellanger, avocat

contre

CONSEIL D'ÉTAT



 


 

Attendu, en fait, que :

1) A______ SA (ci-après : A______) est une société anonyme sise à Genève, et inscrite au registre du commerce (ci-après : RC) depuis le 24 février 2017. Son but statutaire est : tous travaux d'architecture et d'informatique, ainsi que toutes transactions et activités immobilières, promotion immobilière, notamment acquisition, mise en valeur, construction, location, administration, gérance et vente de biens, droits et autres valeurs mobilières et immobilières.

2) Le 28 novembre 2019, le département du territoire (ci-après : DT) a fait parvenir aux médias un communiqué de presse, selon lequel il n'accorderait plus de dérogations pour les projets de densification en zone villas au sens de l'art. 59 al. 4 de la loi sur les constructions et les installations diverses du 14 avril 1988 (LCI - L 5 05). Cette mesure, qui concernait la zone villas appelée à le rester, entrait en vigueur le 28 novembre 2019. Elle serait levée lorsque la stratégie de densification de ces périmètres serait achevée, afin que les conditions et critères qualitatifs et environnementaux soient évalués et définis, ce qui passait notamment par l'établissement systématique d'une vision urbanistique à l'échelle communale. Le canton souhaitait ainsi établir les conditions-cadre pour plus de durabilité au développement de cette zone.

Une présentation « PowerPoint » a également été faite.

Ces deux documents ont été publiés sur le site Internet de l'État de Genève.

3) Par acte déposé le 23 décembre 2019, A______ a interjeté recours auprès de la chambre constitutionnelle de la Cour de justice (ci-après : la chambre constitutionnelle) contre « l'ordonnance administrative (...) publiée par voie de communiqué de presse du 28 novembre 2019 », concluant préalablement à la restitution de l'effet suspensif au recours, et au fond à l'annulation de « l'ordonnance administrative » ainsi qu'à l'octroi d'une indemnité de procédure, subsidiairement à l'octroi d'un régime transitoire.

L'entrée en vigueur immédiate du gel des dérogations n'avait été précédée d'aucune annonce. La restitution de l'effet suspensif permettrait l'introduction d'un régime transitoire manquant, éviterait à A______ de subir un dommage trop important et irait dans le sens de l'intérêt public à la construction de logements.

La mesure attaquée consacrait une violation patente de l'art. 59 al. 4 LCI en réduisant à néant le pouvoir d'appréciation conféré par celui-ci à l'autorité, si bien que les chances de succès étaient manifestes.

4) Le 21 janvier 2020, le Conseil d'État, soit pour lui le DT, a conclu au rejet de la demande de restitution de l'effet suspensif et à celui de la demande de mesures provisionnelles.

5) Le 28 janvier 2020, A______ a répliqué à l'écriture précitée en persistant dans ses conclusions

6) Sur ce, la cause a été gardée à juger sur effet suspensif et mesures provisionnelles.

Considérant, en droit, que :

1) a. Selon l'art. 66 LPA, en cas de recours contre une loi constitutionnelle, une loi ou un règlement du Conseil d'État, le recours n'a pas d'effet suspensif (al. 2) ; toutefois, lorsqu'aucun intérêt public ou privé prépondérant ne s'y oppose, la juridiction de recours peut, sur la demande de la partie dont les intérêts sont gravement menacés, restituer l'effet suspensif (al. 3). D'après l'exposé des motifs du projet de loi portant mise en oeuvre de la chambre constitutionnelle, en matière de recours abstrait, l'absence d'effet suspensif automatique se justifie afin d'éviter que le dépôt d'un recours bloque le processus législatif ou réglementaire, la chambre constitutionnelle conservant toute latitude pour restituer, totalement ou partiellement, l'effet suspensif lorsque les conditions légales de cette restitution sont données (PL 11311, p. 15).

b. Lorsque l'effet suspensif a été retiré ou n'est pas prévu par la loi, l'autorité de recours doit examiner si les raisons pour exécuter immédiatement la décision entreprise sont plus importantes que celles justifiant le report de son exécution. Elle dispose d'un large pouvoir d'appréciation, qui varie selon la nature de l'affaire. La restitution de l'effet suspensif est subordonnée à l'existence de justes motifs, qui résident dans un intérêt public ou privé prépondérant à l'absence d'exécution immédiate de la décision ou de la norme (arrêt du Tribunal fédéral 2C_1161/2013 du 27 février 2014 consid. 5.5.1). Pour effectuer la pesée des intérêts en présence (arrêt du Tribunal fédéral 8C_239/2014 du 14 mai 2014 consid. 4.1), l'autorité de recours n'est pas tenue de procéder à des investigations supplémentaires, mais peut statuer sur la base des pièces en sa possession (ATF 117 V 185 consid. 2b ; arrêt du Tribunal fédéral 1C_435/2008 du 6 février 2009 consid. 2.3 et les arrêts cités).

L'octroi de mesures provisionnelles - au nombre desquelles figure l'effet suspensif (Philippe WEISSENBERGER/Astrid HIRZEL, Der Suspensiveffekt und andere vorsorgliche Massnahmen, in Isabelle HÄNER/Bernhard WALDMANN [éd.], Brennpunkte im Verwaltungsprozess, 2013, 61-85, p. 63) - présuppose l'urgence, à savoir que le refus de les ordonner crée pour l'intéressé la menace d'un dommage difficile à réparer (ATF 130 II 149 consid. 2.2 ; 127 II 132 consid. 3 = RDAF 2002 I 405). En matière de contrôle abstrait des normes, l'octroi de l'effet suspensif suppose en outre, en principe, que les chances de succès du recours apparaissent manifestes (Stéphane GRODECKI / Romain JORDAN, Code annoté de procédure administrative genevoise, 2017, n. 835 ss ; Claude-Emmanuel DUBEY, La procédure de recours devant le Tribunal fédéral, in François BELLANGER / Thierry TANQUEREL [éd.], Le contentieux administratif, 2013, 137-178, p. 167).

c. En principe, il revient à l'auteur d'une norme légale d'en fixer l'entrée en vigueur. Dans ce domaine, l'autorité jouit d'une certaine liberté d'appréciation de fixer notamment une entrée en vigueur immédiate sous réserve du respect des principes de l'intérêt public et de la proportionnalité (Jacques DUBEY/ Jean-Baptiste ZUFFEREY, Droit administratif général, 2014, p. 128 n. 353 ; Pierre MOOR/Alexandre FLÜCKIGER/Vincent MARTENET, Droit administratif, vol. 1, 3ème éd., 2012, p. 180 ss).

2) En l'espèce, non seulement les chances de succès du recours n'apparaissent pas manifestes, mais de sérieux problèmes de recevabilité du recours se posent à première vue, notamment en lien avec l'acte attaquable.

En effet, si la chambre de céans ne s'est jamais prononcée sur le caractère attaquable des ordonnances administratives, on peut néanmoins constater que celles-ci ne figurent pas à ce titre à l'art. 130B al. 1 let. a de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 (LOJ - E 2 05), qui ne mentionne que les lois constitutionnelles, les lois et les règlements du Conseil d'État. À cela s'ajoute qu'il n'apparaît pas certain que le communiqué de presse litigieux, tout comme la présentation « PowerPoint », puisse être qualifié d'ordonnance administrative. Enfin, il faudrait encore que les conditions prévues pour le contrôle abstrait des ordonnances administratives (arrêt du Tribunal fédéral 2C_546/2018 du 11 mars 2019 consid. 1.1.1 et les arrêts cités) soient remplies.

Dans ces conditions, il n'y a pas lieu de donner suite à la requête d'effet suspensif, étant précisé en outre que l'arrêt de la chambre de céans semble pouvoir être adopté assez rapidement après la clôture de l'instruction du recours.

Le sort des frais sera réservé jusqu'à droit jugé sur le recours.

Vu le recours interjeté le 23 décembre 2019 par A______ contre « l'ordonnance administrative » du 28 novembre 2019 du Conseil d'État  ;

vu l'art. 66 al. 2 et 3 de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 (LPA - E 5 10)  ;

 

 

 

 

LA CHAMBRE CONSTITUTIONNELLE

refuse de restituer l'effet suspensif au recours ;

réserve le sort des frais de la procédure jusqu'à droit jugé sur le recours ;

dit que conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), la présente décision peut être portée dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. La présente décision et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l'envoi ;

communique la présente décision, en copie, à Me François Bellanger, avocat de la recourante, au Conseil d'État ainsi qu'au Tribunal fédéral, pour information.


Le président :

 

Jean-Marc Verniory

 

Copie conforme de cette décision a été communiquée aux parties.

Genève, le la greffière :