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Décisions | Cour d'appel du Pouvoir judiciaire

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CAPJ/5/2020

ACAPJ/4/2021 (1) du 29.06.2021 , Irrecevable

Descripteurs : QUALITÉ POUR RECOURIR;DÉNONCIATEUR
Normes : LPA.60
En fait
En droit
Par ces motifs

 

 

republique et canton de geneve

POUVOIR JUDICIAIRE

Cour d’appel du Pouvoir judiciaire

 

 

 

 

 

 

 

 

Arrêt du 29 juin 2021

 

CAPJ 5_2020 ACAPJ/4/2021

 

 

 

 

Madame A______, recourante

 

contre

 

 

LE CONSEIL SUPERIEUR DE LA MAGISTRATURE, intimé

 

 

 

 

 

EN FAIT

 

1. Le 2 mars 2020, A______ a adressé au Procureur général une plainte concernant Madame B______, en sa qualité de présidente et de juge titulaire auprès du Tribunal cantonal des assurances sociales puis de la Chambre des assurances sociales de la Cour de justice (ci-après : CJCAS), pour des recours déposés devant ces juridictions.

 

Dans son acte, assorti de différentes pièces, A______ reprochait à B______ différents éléments ayant trait à l’appréciation des preuves, la communication de pièces, l’ordonnance d’expertises, ainsi qu’à des motifs justifiant selon elle une récusation de cette magistrate et des autres magistrats ayant statué avec cette dernière sur des recours qu’elle avait déposés précédemment.

 

Au vu du contenu de l’acte, le 17 avril 2020, le Ministère public a rendu une ordonnance de non-entrée en matière (P/4429/2020) et le Procureur général l’a transmis au Conseil supérieur de la magistrature (ci-après : CSM) pour raison de compétence.

 

A______ a complété sa dénonciation par un courrier du 15 juin 2020 adressé au CSM, dans lequel elle demandait à ce dernier de veiller à ce que ni B______ ni C______, D______, E______, F______ ou G______ ne statuent sur son dernier recours déposé devant la CJCAS.

 

2. Par courrier du 23 juin 2020, la Présidente du CSM a accusé réception de la dénonciation et demandé copie de la demande de récusation du 24 septembre 2019 et de la réponse de B______ y mentionnés. Pour le surplus, elle déclinait la compétence du CSM s’agissant d’une demande de récusation pour un recours pendant devant la CJCAS et invitait A______ à adresser, le cas échéant, sa requête à ce sujet directement à la juridiction saisie de la procédure au fond.

 

A______ a remis les documents demandés par courrier du 7 juillet 2020.

 

Par décision du 30 septembre 2020, le CSM, sous la signature de sa Présidente, a classé cette dénonciation, considérant qu’il n’était pas une autorité de révision, ni de recours, contre les décisions des juridictions cantonales et qu’aucun manquement disciplinaire n’avait été relevé.

 

Il n’apparaît pas que B______ ait été invitée à se déterminer concernant les griefs contenus dans la dénonciation.

 

3. Par acte du 29 octobre 2020, A______ a recouru auprès de la Cour d’appel du pouvoir judiciaire contre cette décision, concluant : à l’annulation de la décision du CSM du 30 septembre 2020 ; à la constatation des faits présentés dans le recours ; au prononcé d’une sanction à l’encontre de B______ ; à l’attribution de son recours du 13 juin 2020 devant la CJCAS à une composition ne comprenant ni B______ ni C______, D______, E______, F______ ou G______ ; et à ce que l’autorité compétente statue de manière neutre, indépendante et impartiale sur les faits invoqués par elle, élimine les conséquences des actes illicites de B______ et réponde des dommages physique et psychique causés par ceux-ci.

 

A______ a fait valoir une violation des art. 19 et 20, ainsi que 46 al. 1 de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 (LPA – RS/GE E 5 10), en raison de l’absence d’établissement des faits et de motivation par le CSM ainsi qu’en raison de l’omission du CSM de préciser la fonction occupée par la magistrate visée dans la dénonciation. La recourante a résumé pour le surplus les griefs déjà présentés devant le CSM, estimant que la décision entreprise apparaissait comme un déni de justice car cette dernière ne veillait pas à garantir l’égalité des chances, la protection contre l’arbitraire, le droit à un procès équitable et violait par là les droits fondamentaux.

 

A l’appui de son recours, A______ a joint six CD-Rom contenant les pièces relatives à ses allégués.

 

4. Invité à présenter ses éventuelles observations et son dossier, le CSM a uniquement produit ce dernier.

 

5. Par courrier du 1er mars 2021, la Cour de céans a informé A______ de la réception, par son greffe, du dossier transmis par le CSM et lui a imparti un délai échéant le 29 mars 2021 pour le consulter et pour faire valoir ses observations éventuelles.

 

A ce jour, A______ n’est pas venue consulter le dossier ni n’a formulé d’observations complémentaires.

 

 

EN DROIT

 

1. Le recours a été interjeté dans le délai et les formes prescrites par la loi, auprès de la Cour de céans, compétente pour statuer sur les recours dirigés contre les décisions du CSM (art. 62 al. 1 let. a, art. 64 al. 1 et art. 65 al. 1 et 2 LPA ; art. 138 let. a de la loi sur l’organisation judiciaire du 26 septembre 2010 (LOJ – RS/GE E 2 05)).

 

2. La LPA est applicable aux procédures relevant de la compétence de la Cour de céans (art. 139 al. 1 LOJ).

 

3. Le recours devant la Cour de céans peut être formé pour violation du droit, y compris l’excès et l’abus du pouvoir d’appréciation (art. 61 al. 1 let. a LPA), ainsi que pour constatation inexacte ou incomplète des faits pertinents (art. 61 al. 1 let. b LPA).

Les juridictions administratives n’ont toutefois pas compétence pour apprécier l’opportunité de la décision attaquée, sauf exception prévue par la loi (art. 61 al. 2 LPA) qui ne s’applique pas en l’espèce.

 

La juridiction administrative chargée de statuer sur un recours est liée par les conclusions des parties (art. 69 al. 1 LPA).

 

4. La Cour de céans peut, sans instruction préalable, par une décision sommairement motivée, écarter un recours manifestement irrecevable ou rejeter un recours mal fondé (art. 72 LPA).

 

Tel est le cas, en l’espèce, pour les motifs qui suivent.

5.

 

5.1. A teneur de l’art. 60 al. 1 LPA, ont qualité pour recourir, notamment, les parties à la procédure qui a abouti à la décision attaquée (let. a) et toute personne qui est touchée directement par une décision et a un intérêt personnel digne de protection à ce que l’acte soit annulé ou modifié (let. b).

 

Les lettres a et b de cette disposition doivent se lire en parallèle. Ainsi, le particulier qui ne peut faire valoir un intérêt digne de protection ne saurait être admis comme partie recourante, même s’il était partie à la procédure de première instance (ATA/57/2018 du 23 janvier 2018, consid. 3a et les références citées).

Les deux conditions de l’art. 60 al. 1 let. b LPA sont conformes au droit fédéral, selon lequel la qualité pour recourir devant les autorités cantonales ne peut pas s'apprécier de manière plus restrictive que la qualité pour recourir devant le Tribunal fédéral, les cantons demeurant toutefois libres de concevoir cette qualité de manière plus large (ATF 135 II 145, consid. 5 et les arrêts cités).

 

En effet, l’art. 60 al. 1 let. b LPA n’est pas plus restrictif ni plus large que l’art. 89 al. 1 let. c de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF – RS 173.110), à teneur duquel a qualité pour former un recours en matière de droit public quiconque a pris part à la procédure devant l'autorité précédente ou a été privé de la possibilité de le faire (let. a), est particulièrement atteint par la décision attaquée (let. b) et a un intérêt digne de protection à son annulation ou à sa modification (let. c) (ACAPJ/3/2021 du 4 juin 2021, consid. 5.1 et les références citées).

 

A cet égard, le Tribunal fédéral a précisé que constitue un intérêt digne de protection, au sens de l'art. 89 al. 1 let. c LTF, tout intérêt pratique ou juridique à demander la modification ou l'annulation de la décision attaquée ; il consiste donc dans l'utilité pratique que l'admission du recours apporterait au recourant, en lui évitant de subir un préjudice de nature économique, idéale, matérielle ou autre que la décision attaquée lui occasionnerait. Cet intérêt doit être direct et concret ; en particulier, le recourant doit se trouver, avec la décision entreprise, dans un rapport suffisamment étroit, spécial et digne d'être pris en considération. Il doit être touché dans une mesure et avec une intensité plus grande que l'ensemble des administrés (ATF 137 II 40, consid. 2.3 ; 135 II 145, consid. 6.1 ; 131 II 649, consid. 3.1 et les arrêts cités).

 

La dénonciation est une procédure non contentieuse par laquelle n'importe quel administré peut attirer l'attention d'une autorité hiérarchiquement supérieure sur une situation de fait ou de droit qui justifierait à son avis une intervention de l'Etat dans l'intérêt public. La dénonciation est possible dans toute matière où l'autorité pourrait intervenir d'office. En principe, l'administré n'a aucun droit à ce que sa dénonciation soit suivie d'effets, car l'autorité saisie peut, après un examen sommaire, décider de la classer sans suite ; le dénonciateur n'a même pas de droit à ce que l'autorité prenne une décision au sujet de sa dénonciation (ATF 133 II 468, consid. 2 et les références citées).

 

Même si le tiers dénonciateur est désigné comme plaignant à l'art. 19 al. 4 LOJ – terme qui a été réintroduit sans explication aux cours des débats sur le PL 11873-A (MGC [en ligne], Séance du jeudi 24 novembre 2016 à 20h30 – 1ère législature – 3ème année – 10ème session – 54ème séance, disponible sur http://ge.ch/grandconseil/memorial/seances/010310/54/6/), lequel tendait, entre autres, à modifier la terminologie de « plainte » et « plaignant » pour utiliser celle plus adéquate de « dénonciation » et « dénonciateur » (PL 11873, p. 7) –, il s’agit d’une situation analogue à celle d’une dénonciation, qui tend à obtenir le prononcé d’une sanction à l’encontre d’un magistrat. La dénonciation n’ouvre pas une procédure administrative, proprement dite, mais constitue une simple démarche visant à ce que l’autorité fasse usage de ses pouvoirs (T. Tanquerel, Les tiers dans les procédures disciplinaires, in Les tiers dans la procédure administrative, Genève, 2004, p. 106 ; P. Moor et E. Poltier, Droit administratif, Volume II, 3ème édition, Berne 2011, p. 616, 617). Il s’ensuit que, même si la loi octroie certains droits à un dénonciateur-plaignant, tel que le droit à l’information ou à une audition (Tanquerel, op. cit., p. 115 à 118 ; cf. art. 19 al. 4 et 5 LOJ), celui-ci n’a pas la qualité de partie, car il n’est pas touché dans un intérêt digne de protection direct et concret, ni n’a le droit de recourir (Tanquerel, op. cit., p. 108-109 ; Moor et Poltier, op.cit., p. 617 ; Tanquerel, Manuel de droit administratif, 2018, p. 496, ch. 1442 ; cf. à cet égard également la jurisprudence cantonale ATA/12/2007 du 16 janvier 2007 et fédérale ATF 133 II 468, consid. 2, ATF 135 II 145 consid. 6.1 et 6.2 ; arrêt du Tribunal fédéral 1C_365/2018 du 20 septembre 2018, consid. 2).

Dans une procédure de cette nature, la seule qualité de plaignant ou de dénonciateur ne donne ainsi pas le droit de recourir contre la décision prise par l’autorité disciplinaire, en l’occurrence le CSM : pour être en droit d’agir, il faut que le plaignant ou le dénonciateur réunisse les deux conditions cumulatives prévues à l’art. 60 al. 1 let. b LPA précité, à savoir, être touché directement par la décision querellée et avoir un intérêt personnel digne de protection à ce que cette décision soit annulée ou modifiée.

 

Sur la base de ces principes, le Tribunal fédéral a confirmé une décision de la Commission du barreau genevoise qui avait dénié la qualité pour recourir au plaignant dans le cadre d'une procédure disciplinaire dirigée contre un avocat, considérant que le plaignant n'avait pas un intérêt propre et digne de protection à demander une sanction disciplinaire à l'encontre de cet avocat pour une éventuelle violation de ses obligations professionnelles. Le Tribunal fédéral a ainsi considéré que la procédure de surveillance disciplinaire des avocats avait pour but d'assurer l'exercice correct de la profession par les avocats et de préserver la confiance du public à leur égard, et non pas de défendre les intérêts privés des particuliers (ATF 135 II 145, consid. 6.1 ; 132 II 250, consid. 4.4 ; 108 Ia 230, consid. 2b).

 

Cette jurisprudence a été également appliquée, dans le cadre d'une procédure disciplinaire dirigée contre un notaire vaudois (ATF 133 II 468, consid. 2) ainsi que contre des magistrats du Pouvoir judiciaire vaudois (cf. arrêt du Tribunal fédéral 1D_2/2016 du 7 juin 2016, consid. 2, avec références aux arrêts du Tribunal fédéral 1C_408/2011 du 7 octobre 2011, consid. 1, et 1B_273/2008 du 16 octobre 2008, consid. 3.1) et genevois (arrêt du Tribunal fédéral 1C_365/2018 du 20 septembre 2018, consid. 2 in fine, arrêt du Tribunal fédéral 1C_417/2020 du 30 juillet 2020, consid. 2 in fine). Dans ses arrêts des 20 septembre 2018 et 30 juillet 2020, le Tribunal fédéral a rappelé que « la Cour d’appel du Pouvoir judiciaire a adopté une solution qui correspond à la pratique constante du Tribunal fédéral selon laquelle le dénonciateur n’a pas qualité pour former un recours en matière de droit public (cf. art. 89 al. 1 LTF) contre la décision de l’autorité de surveillance de ne pas donner suite à une dénonciation. La surveillance des magistrats vise en effet à assurer un exercice correct de leur charge et à préserver la confiance des justiciables, et non à défendre les intérêts privés des particuliers ».

 

5.2. Au vu de l’ensemble des principes sus-énoncés la recourante n’est pas – et ne peut pas être – partie à la procédure concernant la magistrate qu’elle a dénoncée, faute d’avoir un intérêt direct et concret digne de protection à l’annulation ou à la modification de la décision entreprise au sens de la jurisprudence précitée. En effet, A______ ne conteste pas, à juste titre, que la procédure prévue par l’art. 19 LOJ ait été respectée à son égard.

 

Il s’ensuit que la recourante, simple dénonciatrice, n’est pas habilitée à recourir contre la décision du CSM, de sorte que son recours doit être déclaré irrecevable (art. 72 LPA), étant relevé, pour le surplus, qu’une éventuelle demande de récusation de magistrats dans le cadre d’une procédure pendante devant une autre juridiction n’est pas de la compétence de la Cour de céans.

 

7. Au vu des circonstances du cas d’espèce, il sera renoncé à mettre des frais ou émolument à charge de la recourante (art. 87 al. 1 LPA).

 

 

 

 

***

 

 

 

 

 

PAR CES MOTIFS

 

 

LA COUR D’APPEL DU POUVOIR JUDICIAIRE

 

 

- Déclare irrecevable le recours formé le 29 octobre 2020 par A______ contre la décision du Conseil supérieur de la magistrature du 30 septembre 2020.

 

- Renonce à mettre des frais et émolument à la charge de la recourante.

 

- Dit que, conformément aux articles 82 et suivants de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF – RS 173.110) le présent arrêt peut être porté dans les 30 jours qui suivent sa notification par devant le Tribunal fédéral par la voie du recours en matière de droit public. Le délai est suspendu pendant les périodes prévues à l’article 46 LTF. Le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuves et porter la signature du recourant ou de son mandataire. Il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’article 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recours invoquées comme moyens de preuves doivent être joints à l’envoi.

 

- Communique le présent arrêt à A______ et au Conseil supérieur de la magistrature.

 

 

 

Siégeant : M. Matteo PEDRAZZINI, Président, Mme Renate PFISTER-LIECHTI, Vice-Présidente, Mme Marie-Laure PAPAUX VAN DELDEN, Juge titulaire.

 

 

 

 

 

AU NOM DE LA COUR D’APPEL DU POUVOIR JUDICIAIRE

 

 

Sonia NAINA Matteo PEDRAZZINI

Greffière Président

 

 

 

 

 

 

 

 

Copie conforme du présent arrêt a été communiquée à A______ et au Conseil supérieur de la magistrature, par pli recommandé.