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Décisions | Cour d'appel du Pouvoir judiciaire

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CAPJ/3/2020

ACAPJ/2/2021 (2) du 18.05.2021 , Irrecevable

Descripteurs : QUALITÉ POUR RECOURIR;DÉNONCIATEUR
Normes : LPA.60
En fait
En droit
Par ces motifs

 

 

republique et canton de geneve

POUVOIR JUDICIAIRE

Cour d’appel du Pouvoir judiciaire

 

 

 

 

 

 

 

 

Arrêt du 18 mai 2021

 

CAPJ 3_2020 ACAPJ/2/2021

 

 

 

 

Monsieur A______, recourant

 

contre

 

 

LE CONSEIL SUPERIEUR DE LA MAGISTRATURE, intimé

 

 

 

 

 

EN FAIT

 

1. Le 12 mars 2020, A______, avocat inscrit au barreau de Genève, a adressé au Conseil supérieur de la magistrature (ci-après : CSM) une dénonciation concernant B______, en sa qualité de juge titulaire de la deuxième chambre du Tribunal des Baux et Loyers, en charge des procédures C/17044/2018 et C/235/2019.

 

Dans sa dénonciation, assortie de différentes pièces, A______ reprochait à cette magistrate d’importants retards dans l’instruction des deux procédures connexes, concernant un bien immobilier lui appartenant et dont les locataires invoquaient des défauts – qu’il contestait – et avaient obtenu une consignation de leur loyer représentant un montant de CHF 135 000. Ces locataires prétendaient en outre à une réduction de loyer en raison de son rendement qu’ils qualifiaient d’abusif. A______ reprochait encore à B______ d’avoir ignoré les multiples courriers qu’il lui avait adressés entre septembre 2019 et juin 2020 portant sur les questions procédurales. L’écriture de A______ comporte le détail des retards incriminés, selon lui incompatibles avec les exigences de la procédure simplifiée régissant ces causes.

 

2. Par décision du 3 juillet 2020, communiquée à A______ par lettre recommandée le 15 juillet suivant, le CSM, sous la signature de sa Présidente, a classé cette dénonciation, considérant qu’il n’était pas une autorité de révision, ni de recours, contre les décisions des juridictions cantonales et qu’aucun manquement disciplinaire n’avait été relevé. Selon le CSM, « l’examen du dossier ne révèle pas que l’instruction de la cause aurait été conduite de façon exagérément lente, ce dont témoign[ait] au demeurant le retrait de [son] recours pour déni de justice, ou que des actes essentiels à l’avancement de la procédure seraient restés sans suite. »

 

Il n’apparaît pas que B______ ait été invitée à se déterminer concernant les griefs contenus dans la dénonciation.

 

3. Par acte du 14 août 2020 reçu le 17 août 2020, A______ a recouru auprès de la Cour d’appel du pouvoir judiciaire contre cette décision, concluant à ce qu’une sanction disciplinaire soit prononcée à l’encontre de B______, avec frais à la charge de l’État, subsidiairement, que la cause soit renvoyée au CSM pour complément d’instruction et nouvelle décision dans le sens des considérants, frais à la charge de l’État.

 

A______ a fait valoir, concernant la procédure en réduction de loyer, qu’il n’était pas admissible, sous l’angle d’une instruction diligente, qu’aucun jugement n’ait été rendu deux ans après le début de la procédure, ce alors même qu’aucun acte d’instruction autre que les échanges d’écritures et l’audition des parties n’avait été accompli. B______ n’avait fixé une première audience de débats d’instruction que 15 mois après le début de la procédure et parce qu’il avait saisi la Cour de justice d’un recours pour retard injustifié. Le CSM n’était ainsi pas fondé à interpréter le retrait de son recours pour déni de justice comme aveu de son caractère infondé. Au contraire, le recours avait finalement atteint son but, à savoir d’inciter la magistrate dénoncée d’instruire le litige. De même, le CSM ne pouvait pas considérer que cette magistrate, en ne répondant pas à ses demandes procédurales répétées, avait accompli les actes de procédure nécessaires.

 

4. Par courrier du 13 novembre 2020, la Cour de céans a informé A______ de la réception, par son greffe, du dossier transmis par le CSM et lui a imparti un délai échéant le 15 décembre 2020 pour le consulter et pour faire ses observations éventuelles. Ce délai a par la suite été prolongé au 15 janvier 2021, sur requête de A______, qui s’est étonné que le CSM n’ait pas pris position concernant le recours.

 

Par courrier du 15 janvier 2021, A______ a dit sa surprise de n’avoir pas trouvé dans le dossier du CSM la détermination de la magistrate mise en cause. Et A______ de solliciter de la Cour de céans qu’elle interpelle B______ pour qu’elle s’explique à propos des retards dans le traitement des deux procédures. B______ avait fini par rendre deux jugements en date du 9 décembre 2020, à savoir dans un délai de plus de deux ans, alors que la procédure simplifiée s’appliquait.

 

5. Invité à formuler ses éventuelles observations concernant le courrier du 15 janvier 2021, le CSM n’a pas utilisé le délai échéant le 26 février 2021 à cet effet.

 

 

 

EN DROIT

 

1. Le recours a été interjeté dans le délai et les formes prescrites par la loi, auprès de la Cour de céans, compétente pour statuer sur les recours dirigés contre les décisions du CSM (art. 62 al. 1 let. a, art. 64 al. 1 et art. 65 al. 1 et 2 de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 (LPA – RS/GE E 5 10) ; art. 138 let. a de la loi sur l’organisation judiciaire du 26 septembre 2010 (LOJ – RS/GE E 2 05)).

 

2. La LPA est applicable aux procédures relevant de la compétence de la Cour de céans (art. 139 al. 1 LOJ).

 

3. Le recours devant la Cour de céans peut être formé pour violation du droit y compris l’excès et l’abus du pouvoir d’appréciation (art. 61 al. 1 let. a LPA) ainsi que pour constatation inexacte ou incomplète des faits pertinents (art. 61 al. 1 let. b LPA).

Les juridictions administratives n’ont toutefois pas compétence pour apprécier l’opportunité de la décision attaquée, sauf exception prévue par la loi (art. 61 al. 2 LPA) qui ne s’applique pas en l’espèce.

 

La juridiction administrative chargée de statuer sur un recours est liée par les conclusions des parties (art. 69 al. 1 LPA).

 

4. La Cour de céans peut, sans instruction préalable, par une décision sommairement motivée, écarter un recours manifestement irrecevable ou rejeter un recours mal fondé (art. 72 LPA).

 

Tel est le cas, en l’espèce, pour les motifs qui suivent.

5.

 

5.1. A teneur de l’art. 60 al. 1 LPA, ont qualité pour recourir, notamment, les parties à la procédure qui a abouti à la décision attaquée (let. a) et toute personne qui est touchée directement par une décision et a un intérêt personnel digne de protection à ce que l’acte soit annulé ou modifié (let. b).

 

Les lettres a et b de cette disposition doivent se lire en parallèle. Ainsi, le particulier qui ne peut faire valoir un intérêt digne de protection ne saurait être admis comme partie recourante, même s’il était partie à la procédure de première instance (ATA/57/2018 du 23 janvier 2018, consid. 3a et les références citées).

 

Les deux conditions de l’art. 60 al. 1 let. b LPA sont conformes au droit fédéral, selon lequel la qualité pour recourir devant les autorités cantonales ne peut pas s'apprécier de manière plus restrictive que la qualité pour recourir devant le Tribunal fédéral, les cantons demeurant toutefois libres de concevoir cette qualité de manière plus large (ATF 135 II 145, consid. 5 et les arrêts cités).

 

En effet, l’art. 60 al. 1 let. b LPA n’est pas plus restrictif ni plus large que l’art. 89 al. 1 let. c de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF – RS 173.110), à teneur duquel a qualité pour former un recours en matière de droit public quiconque a pris part à la procédure devant l'autorité précédente ou a été privé de la possibilité de le faire (let. a), est particulièrement atteint par la décision attaquée (let. b) et a un intérêt digne de protection à son annulation ou à sa modification (let. c) (arrêts CAPJ 2/2020 du 19 juin 2020 consid. 5.1 ; 13_ 2016 du 2 février 2017 consid. 3 ; 11_2016 du 12 octobre 2016 consid. 3).

 

A cet égard, le Tribunal fédéral a précisé que constitue un intérêt digne de protection, au sens de l'art. 89 al. 1 let. c LTF, tout intérêt pratique ou juridique à demander la modification ou l'annulation de la décision attaquée ; il consiste donc dans l'utilité pratique que l'admission du recours apporterait au recourant, en lui évitant de subir un préjudice de nature économique, idéale, matérielle ou autre que la décision attaquée lui occasionnerait. Cet intérêt doit être direct et concret ; en particulier, le recourant doit se trouver, avec la décision entreprise, dans un rapport suffisamment étroit, spécial et digne d'être pris en considération. Il doit être touché dans une mesure et avec une intensité plus grande que l'ensemble des administrés (ATF 137 II 40, consid. 2.3 ; 135 II 145, consid. 6.1 ; 131 II 649, consid. 3.1 et les arrêts cités).

 

La dénonciation est une procédure non contentieuse par laquelle n'importe quel administré peut attirer l'attention d'une autorité hiérarchiquement supérieure sur une situation de fait ou de droit qui justifierait à son avis une intervention de l'Etat dans l'intérêt public. La dénonciation est possible dans toute matière où l'autorité pourrait intervenir d'office. En principe, l'administré n'a aucun droit à ce que sa dénonciation soit suivie d'effets, car l'autorité saisie peut, après un examen sommaire, décider de la classer sans suite ; le dénonciateur n'a même pas de droit à ce que l'autorité prenne une décision au sujet de sa dénonciation (ATF 133 II 468, consid. 2 et les références citées).

 

Même si le tiers dénonciateur est désigné comme plaignant à l'art. 19 al. 4 LOJ – terme qui a été réintroduit sans explication aux cours des débats sur le PL 11873-A (MGC [en ligne], Séance du jeudi 24 novembre 2016 à 20h30 – 1ère législature – 3ème année – 10ème session – 54ème séance, disponible sur http://ge.ch/grandconseil/memorial/seances/010310/54/6/), lequel tendait, entre autres, à modifier la terminologie de « plainte » et « plaignant » pour utiliser celle plus adéquate de « dénonciation » et « dénonciateur » (PL 11873, p. 7) –, il s’agit d’une situation analogue à celle d’une dénonciation, qui tend à obtenir le prononcé d’une sanction à l’encontre d’un magistrat. La dénonciation n’ouvre pas une procédure administrative, proprement dite, mais constitue une simple démarche visant à ce que l’autorité fasse usage de ses pouvoirs (T. Tanquerel, Les tiers dans les procédures disciplinaires, in Les tiers dans la procédure administrative, Genève, 2004, p. 106 ; P. Moor et E. Poltier, Droit administratif, Volume II, 3ème édition, Berne 2011, p. 616, 617). Il s’ensuit que, même si la loi octroie certains droits à un dénonciateur-plaignant, tel que le droit à l’information ou à une audition (Tanquerel, op. cit., p. 115 à 118 ; cf. art. 19 al. 4 et 5 LOJ), celui-ci n’a pas la qualité de partie, car il n’est pas touché dans un intérêt digne de protection direct et concret, ni n’a le droit de recourir (Tanquerel, op. cit., p. 108-109 ; Moor et Poltier, op.cit., p. 617 ; Tanquerel, Manuel de droit administratif, 2018, p. 496, ch. 1442 ; cf. à cet égard également la jurisprudence cantonale ATA/12/2007 du 16 janvier 2007 et fédérale ATF 133 II 468, consid. 2 ; 135 II 145 consid. 6.1 et 6.2 ; arrêt du Tribunal fédéral 1C_365/2018 du 20 septembre 2018, consid. 2).

 

Dans une procédure de cette nature, la seule qualité de plaignant ou de dénonciateur ne donne ainsi pas le droit de recourir contre la décision prise par l’autorité disciplinaire, en l’occurrence le CSM : pour être en droit d’agir, il faut que le plaignant ou le dénonciateur réunisse les deux conditions cumulatives prévues à l’art. 60 al. 1 let. b LPA précité, à savoir, être touché directement par la décision querellée et avoir un intérêt personnel digne de protection à ce que cette décision soit annulée ou modifiée.

 

Sur la base de ces principes, le Tribunal fédéral a confirmé une décision de la Commission du barreau genevoise qui avait dénié la qualité pour recourir au plaignant dans le cadre d'une procédure disciplinaire dirigée contre un avocat, considérant que le plaignant n'avait pas un intérêt propre et digne de protection à demander une sanction disciplinaire à l'encontre de cet avocat pour une éventuelle violation de ses obligations professionnelles. Le Tribunal fédéral a ainsi considéré que la procédure de surveillance disciplinaire des avocats avait pour but d'assurer l'exercice correct de la profession par les avocats et de préserver la confiance du public à leur égard, et non pas de défendre les intérêts privés des particuliers (ATF 135 II 145, consid. 6.1 ; 132 II 250, consid. 4.4 ; 108 Ia 230, consid. 2b).

 

Cette jurisprudence a été également appliquée, dans le cadre d'une procédure disciplinaire dirigée contre un notaire vaudois (ATF 133 II 468, consid. 2) ainsi que contre des magistrats du Pouvoir judiciaire vaudois (cf. arrêt du Tribunal fédéral 1D_2/2016 du 7 juin 2016, consid. 2, avec références aux arrêts du Tribunal fédéral 1C_408/2011 du 7 octobre 2011, consid. 1, et 1B_273/2008 du 16 octobre 2008, consid. 3.1) et genevois (arrêt du Tribunal fédéral 1C_365/2018 du 20 septembre 2018, consid. 2 in fine). Dans la décision du 7 juin 2016, le Tribunal fédéral a rappelé que « selon la jurisprudence, ni le dénonciateur ni les tiers intéressés n’ont qualité pour recourir auprès du Tribunal fédéral contre le refus de l’autorité cantonale de surveillance de donner suite à une dénonciation visant l’ordre judiciaire en général ou l’un de ses membres faute de pouvoir se prévaloir d’un intérêt digne de protection à son annulation au sens de l’article 89, alinéa 1, lettre c LTF ou d’un intérêt juridique au sens l’article 115, lettre b LTF. La surveillance des magistrats vise en effet à assurer un exercice correct de leur charge et à préserver la confiance des justiciables et non à défendre les intérêts privés des particuliers » (arrêt du Tribunal fédéral 1D_2/2016, consid. 2).

 

5.2. Au vu de l’ensemble des principes sus-énoncés le recourant n’est pas – et ne peut pas être – partie à la procédure concernant la magistrate qu’il a dénoncée, faute d’avoir un intérêt direct et concret digne de protection à l’annulation ou à la modification de la décision entreprise au sens de la jurisprudence précitée. En effet, A______ ne conteste pas, à juste titre, que la procédure prévue par l’art. 19 LOJ ait été respectée à son égard.

 

Il s’ensuit que le recourant, simple dénonciateur, n’est pas habilité à recourir contre la décision du CSM, de sorte que son recours doit être déclaré irrecevable (art. 72 LPA).

 

6. La Cour de céans se doit, néanmoins, d’observer que le résultat de l’analyse qui précède peut s’avérer insatisfaisant, dans la mesure où le CSM, en présence d’arguments relevant du domaine disciplinaire, soit en particulier un retard excessif de la part de la magistrate mise en cause, n’a pas déterminé, par une instruction et une appréciation, si ce grief était fondé ou non, mais l’a écarté sans examen. Le dénonciateur, respectivement le recourant, était en droit de comprendre ce qui avait conduit le CSM à considérer qu’il n’existait en l’occurrence aucun manquement justifiant une intervention de sa part. Cette manière de procéder pourrait aussi engendrer des inégalités de traitement, dans la mesure où un manque de diligence dans la conduite de procédures, par exemple par des retards excessifs, pourrait déboucher sur une sanction d’une/un magistrat/e, mais exonérer une/un autre magistrat/e de toute responsabilité, même celle de devoir expliquer un manquement à la loi, tel par exemple le non-respect des règles relatives à la procédure simplifiée.

 

La Cour de céans ne saurait adhérer non plus au postulat du CSM selon lequel le retrait d’un recours pour déni de justice serait la preuve que le/la magistrat/e visé/e agirait avec diligence.

 

7. Au vu des circonstances du cas d’espèce, un émolument de CHF 500 sera mis à la charge du recourant (art. 87 al. 1 LPA).

 

 

***

 

 

PAR CES MOTIFS

 

 

LA COUR D’APPEL DU POUVOIR JUDICIAIRE

 

 

- Déclare irrecevable le recours formé le 14 août 2020 par A______ contre la décision du Conseil supérieur de la magistrature du 3 juillet 2020.

 

- Met à la charge du recourant un émolument de CHF 500.

 

- Dit que, conformément aux articles 82 et suivants de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF – RS 173.110) le présent arrêt peut être porté dans les 30 jours qui suivent sa notification par devant le Tribunal fédéral par la voie du recours en matière de droit public. Le délai est suspendu pendant les périodes prévues à l’article 46 LTF. Le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuves et porter la signature du recourant ou de son mandataire. Il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’article 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recours invoquées comme moyens de preuves doivent être joints à l’envoi.

 

- Communique le présent arrêt à A______ et au Conseil supérieur de la magistrature.

 

 

 

Siégeant : M. Matteo PEDRAZZINI, Président, Mme Renate PFISTER-LIECHTI, Vice-Présidente, Mme Marie-Laure PAPAUX VAN DELDEN, Juge titulaire.

 

 

 

 

 

AU NOM DE LA COUR D’APPEL DU POUVOIR JUDICIAIRE

 

 

Sonia NAINA Matteo PEDRAZZINI

Greffière Président

 

 

Copie conforme du présent arrêt a été communiquée à A______ et au Conseil supérieur de la magistrature, par pli recommandé.