Décisions | Chambre des prud'hommes
ACJC/696/2025 du 27.05.2025 ( OO ) , JUGE
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE | ||
POUVOIR JUDICIAIRE C/8856/2024 ACJC/696/2025 ARRÊT DE LA COUR DE JUSTICE Chambre des prud'hommes DU LUNDI 26 MAI 2025 |
Entre
A______ SA, sise ______ (BS), recourante contre une ordonnance rendue par le Tribunal des prud'hommes le 26 novembre 2024, représentée par
Me Vincent CARRON, avocat, Schellenberg Wittmer SA, rue des Alpes 15bis, case postale 2088, 1211 Genève 1,
et
Monsieur B______, domicilié ______ (FR), intimé, représenté par
Me Yvan JEANNERET, avocat, Keppeler Avocats, rue Ferdinand-Hodler 15, case postale 6090, 1211 Genève 6.
A. Par ordonnance du 26 novembre 2024, le Tribunal des prud'hommes a notamment ordonné la production par A______ SA de l'intégralité du dossier personnel de B______, lequel devrait contenir notamment une copie non caviardée du rapport d'investigation "Investigation Summary Report" du 17 novembre 2023 et a imparti un délai à la précitée pour s'exécuter (ch. 1 et 2).
Il a retenu que ce rapport serait pertinent pour l'issue du litige, dans la mesure où l'employeur lui accorderait "une grande importance quant à la légitimité et [au] sérieux de sa prise de décision", que certains des témoins cités pourraient être auteurs de déclarations dans ce rapport, lequel concernerait "directement et exclusivement" B______ et ne comporterait pas de secrets d'affaires.
B. Par acte du 6 décembre 2024, A______ SA a formé recours contre les chiffres 1 et 2 du dispositif de l'ordonnance précitée. Elle a conclu à l'annulation de ceux-ci, cela fait au rejet de la conclusion préalable de B______ portant sur la production de son dossier personnel dont ledit rapport, subsidiairement au renvoi de la cause au Tribunal pour nouvelle décision, sous suite de frais.
A titre préalable, elle a requis la suspension du caractère exécutoire de l'ordonnance, ce à quoi la Cour a fait droit par arrêt du 16 décembre 2024.
B______ a conclu à l'irrecevabilité du recours, subsidiairement à son rejet, avec suite de frais et dépens.
Les parties ont répliqué et dupliqué, puis se sont encore déterminées, persistant dans leurs conclusions respectives.
C. Il résulte de la procédure de première instance les faits pertinents suivants :
a. A compter du 1er décembre 2021, B______ s'est engagé au service de A______ SA en qualité de consultant au département de fiscalité internationale et des services financiers de la succursale genevoise.
b. Le 16 juin 2023 a eu lieu une soirée organisée par A______ SA dans un établissement public, laquelle s'est prolongée au petit matin du 17 juin 2023. Une altercation y est survenue entre des employés, dont B______. Les deux parties en présentent des versions non concordantes.
c. Alerté par un employé le 20 juin 2023, le service des ressources humaines de A______ SA est intervenu, et, à compter du 28 juin 2023, a entretenu des contacts avec B______. Le 24 août 2023, lors d'une réunion, il lui a fait part de l'intention de l'employeur de procéder à son endroit à un licenciement ordinaire, et le lendemain, lui a transmis un lien internet conduisant à la "Ethics Hotline" de A______ SA.
d. Le 15 septembre 2023, B______ a déposé une plainte pénale pour "agression et calomnie" contre un collaborateur de A______ SA présent lors de la soirée du 16 au 17 juillet 2023.
Le 18 septembre 2023, il s'est adressé au comité d'éthique de A______ SA.
Celui-ci a, du 29 septembre au 17 novembre 2023, conduit une enquête dont les objectifs étaient: "Est-ce que M. B______ s'est fait refuser injustement une promotion par A______ SA? Est-ce que M. B______ a subi du mobbing au travail? Est-ce que M. B______ a été victime d'une agression ou de voies de fait? Est-ce que les ressources humaines de A______ SA ont pris les mesures adéquates pour traiter ce problème?". Dans le cadre de l'enquête, neuf collaborateurs, dont B______, ont été entendus.
Le 14 novembre 2023, B______ a été informé du résultat final de l'investigation.
Le rapport établi le 17 novembre 2023 par le comité précité a répondu par la négative aux premières questions ci-dessus, la dernière ayant reçu une réponse affirmative.
e. Par courrier du 20 novembre 2023, A______ SA a licencié B______ pour le 31 janvier 2024 (terme ultérieurement repoussé au 19 février 2024, à la suite d'une incapacité de travail de l'intéressé), en précisant: "We refer to the conversation with […] on 24 August 2023 and the communication of […] regarding the result of the investigation on 14 November 2023".
Par courriel du lendemain, elle lui a transmis notamment copie du rapport du 17 novembre 2023, en version caviardée.
Par lettre de son avocat du 30 novembre 2023, B______ a requis de A______ SA la remise d'un exemplaire non caviardé de ce rapport, ce à quoi il n'a pas été donné suite. Après relance de son conseil du 14 décembre 2023, A______ SA a refusé la transmission sollicitée, motif pris des art. 25 et 26 LPD.
f. Par demande déposée au Tribunal le 9 juillet 2024, B______ a conclu à la condamnation de A______ SA à lui verser 31'200 fr. avec suite d'intérêts moratoires et à lui remettre un certificat de travail modifié.
Il a conclu préalablement à la transmission, sous la menace de la peine de l'art. 292 CP, de l'intégralité de son dossier personnel (comprenant notamment une copie non caviardée du rapport "Investigation summary report" du 17 novembre 2023).
La prétention financière qu'il a élevée représente une indemnité pour licenciement abusif. Il soutient qu'il lui aurait été implicitement reproché sa personnalité, laquelle aurait empêché le maintien de bonnes relations avec ses collègues.
S'agissant de sa conclusion préalable, il affirme qu'il a été licencié sur la base du rapport résumant l'enquête interne conduite à son encontre, dont il n'a reçu copie que "caviardée à outrance de sorte qu'il lui a été impossible de formuler la moindre observation". Il soutient qu'il serait fondé à en obtenir un exemplaire comportant l'identité des personnes entendues dans le cadre de l'enquête, pour valoir ses droits protégés par la LPD.
Il a formulé neuf allégués (n. 60, et 62 à 69), pour lesquels il a offert en preuve le rapport susmentionné (n. 66 à 69) ou un procès-verbal de l'enquête. Les allégués 62 à 66 font en outre l'objet d'offres de preuve supplémentaires, soit sa propre déclaration (n. 62 à 65) ou celles de témoins désignés ou "à déterminer" (n. 62 à 66). Ces allégués portent sur son propre récit des faits aux comité d'éthique le 29 septembre 2023 (n. 62 à 64) et le 19 octobre 2023 (n. 65), ainsi que sur le mode d'établissement (n. 67) et le caviardage (n. 68) du rapport du 17 novembre 2023, avec une appréciation (n. 69); aucune allégation ne porte sur le contenu d'une audition d'une tierce personne figurant dans ledit rapport.
g. A______ SA a conclu au déboutement de B______ des fins de ses conclusions, la conclusion préalable devant être déclarée irrecevable, subsidiairement rejetée, de même que l'offre de preuve par "audition de témoins à déterminer".
Elle a notamment fait valoir qu'elle avait décidé de procéder au licenciement de B______ "sur la base de ce rapport [du 17 novembre 2023] et faute de toute remise en question de la part" du précité. Le licenciement n'était pas lié à une raison inhérente à la personnalité de l'employé mais à des fautes commises, à une absence de remise en question et à la perte de confiance définitive qui en était résulté. Elle a offert en preuve de ses allégués y relatifs le rapport, et des auditions de témoins.
Elle a admis les allégués 60, 65 et 66 formulés par B______, renvoyé au rapport pour les déclarations du précité objets des allégués 61 à 64 (tout en contestant "la réalité des faits"), et contesté les allégués 67 à 69, tout en admettant le caviardage du rapport, et s'en référant audit rapport.
h. Par détermination, B______ a persisté dans ses conclusions.
i. A l'audience du Tribunal du 26 novembre 2024, B______ a déposé une liste de témoins et observé que la connaissance des identités des auteurs de déclarations recueillies dans le rapport précité lui permettrait de déterminer si des témoins appelés par les parties dans la présente procédure étaient concernés, et de rattacher ou non "leurs propos à [s]a ligne de défense".
A______ SA a précisé que la déclaration du co-auteur du rapport était requise, et qu'elle avait un devoir de protection en faveur de ses collaborateurs qui s'étaient exprimés dans le cadre de l'enquête interne, dont certains seraient entendus comme témoins. Les mentions caviardées consistaient dans les noms des personnes "ayant participé à l'enquête".
Sur quoi, le Tribunal a, sur le siège, rendu l'ordonnance attaquée
1. Le recours est recevable contre les décisions et ordonnances d'instruction de première instance dans les cas prévus par la loi (art. 319 let. b ch. 1 CPC) ou lorsqu'elles peuvent causer un préjudice difficilement réparable (art. 319 let. b ch. 2 CPC).
2. Les ordonnances d'instruction se rapportent à la préparation et à la conduite des débats; elles statuent en particulier sur l'opportunité et les modalités de l'administration des preuves, ne déploient ni autorité ni force de chose jugée et peuvent en conséquence être modifiées ou complétées en tout temps. Il en va ainsi notamment lorsque le tribunal fixe des délais ou ordonne des échanges d'écritures (Jeandin, in Commentaire romand, Code de procédure civile, 2019, n. 14 ad art. 319 CPC).
Quant aux "autres décisions", leur prononcé marque définitivement le cours des débats et déploie – dans cette seule mesure – autorité et force de chose jugée à l'encontre des parties ou des tiers concernés. Une telle qualification échoit par exemple aux décisions statuant sur une récusation, une suspension ou sur l'admission de faits et moyens de preuve nouveaux (Jeandin, op. cit., n. 15 ad art. 319 CPC).
La distinction entre "autres décisions" et "ordonnances d'instruction" – qui n'est pas toujours aisée – ne joue véritablement de rôle qu'en vue de calculer le délai de recours (Jeandin, op. cit., n. 16 ad art. 319 CPC). Le recours, écrit et motivé, est en effet introduit auprès de l'instance de recours dans les trente jours à compter de la notification de la décision motivée (art. 321 al. 1 CPC), alors que le délai est de dix jours pour les ordonnances d'instruction (art. 321 al. 2 CPC).
3. En l'espèce, l'ordonnance querellée ordonne la production d'une pièce. Le recours a été formé dans le délai de dix jours, auprès de l'autorité compétente (art. 120 al. 1 let. a LOJ), par une partie qui y a intérêt (art. 59 al. 2 let. a CPC) et en suivant la forme prévue par la loi (art. 130, 131 et 321 al. 1 CPC), de sorte qu'il est recevable à cet égard.
Le recours n'étant pas prévu par la loi, reste à déterminer si l'ordonnance querellée est susceptible de causer un préjudice difficilement réparable au recourant au sens de l'art. 319 let. b ch. 2 CPC.
4. 4.1 Constitue un "préjudice difficilement réparable" au sens de l'art. 319 let. b ch. 2 CPC toute incidence dommageable, y compris financière ou temporelle, qui ne peut être que difficilement réparée dans le cours ultérieur de la procédure. L'instance supérieure devra se montrer exigeante, voire restrictive, avant d'admettre l'accomplissement de cette dernière condition, sous peine d'ouvrir le recours à toute décision ou ordonnance d'instruction, ce que le législateur a clairement exclu : il s'agit de se prémunir contre le risque d'un prolongement sans fin du procès (ACJC/416/2022 du 22 mars 2022 consid. 3.1; ACJC/1827/2018 du 13 décembre 2018 consid. 2.1.1; ACJC/580/2017 du 19 mai 2017 consid. 2.1 et les références citées).
En résumé, la notion de préjudice difficilement réparable doit être interprétée restrictivement puisque la personne touchée disposera le moment venu de la faculté de remettre en cause la décision ou ordonnance en même temps que la décision au fond : il incombe au recourant d'établir que sa situation procédurale serait rendue notablement plus difficile et péjorée si la décision querellée était mise en œuvre, étant souligné qu'une simple prolongation de la procédure ou un accroissement des frais ne suffisent pas. On retiendra l'existence d'un préjudice difficilement réparable lorsque ledit préjudice ne pourra plus être réparé par un jugement au fond favorable au recourant, ce qui surviendra par exemple lorsque des secrets d'affaires sont révélés ou qu'il y a atteinte à des droits absolus à l'instar de la réputation, de la propriété et du droit à la sphère privée (Jeandin, op. cit., n. 22a ad art. 319).
Si la condition du préjudice difficilement réparable n'est pas remplie, le recours est irrecevable et la partie doit attaquer la décision incidente avec la décision finale sur le fond (ACJC/728/2022 du 31 mai 2022 consid. 2.1; CAPH/35/2018 du 19 mars 2018 consid. 2.1; CAPH/172/2017 du 3 novembre 2017 consid. 2.1; Message du Conseil fédéral du 28 juin 2006 relatif au code de procédure civile suisse [CPC], FF 2006 6841, p. 6984).
Il appartient au recourant d'alléguer et d'établir la possibilité que la décision incidente lui cause un préjudice difficilement réparable, à moins que cela ne fasse d'emblée aucun doute (par analogie ATF 141 III 80 consid. 1.2; 134 III 426 consid. 1.2; 133 III 629 consid. 2.3.1).
4.2 En l'occurrence, en ce qui concerne l'obligation faite à la recourante de produire un rapport comportant l'identité de collaborateurs, il est manifeste qu'une fois celle-ci mise en œuvre, aucun retour en arrière ne sera possible. Le devoir de protection de la personnalité de l'employeur serait ainsi atteint, causant de la sorte un préjudice difficilement réparable.
Le recours est dès lors recevable.
5. La recourante reproche au Tribunal d'avoir violé diverses dispositions du CPC et de ne pas s'être conformée à son obligation de motivation.
5.1 La procédure simplifiée s'applique aux affaires patrimoniales dont la valeur litigieuse ne dépasse pas 30'000 francs (art. 243 al. 1 CPC).
Le tribunal établit les faits d'office lorsque la valeur litigieuse ne dépasse pas 30'000 francs dans les litiges portant sur un contrat de travail (art. 247 al. 2 let. b ch. 2 CPC).
5.2 En vertu de la maxime des débats de l'art. 55 al. 1 CPC, il incombe aux parties, et non au juge, de rassembler les faits du procès. Les parties doivent alléguer les faits sur lesquels elles fondent leurs prétentions (fardeau de l'allégation subjectif), produire les moyens de preuve qui s'y rapportent (fardeau de l'administration des preuves) et contester les faits allégués par la partie adverse (fardeau de la contestation), le juge ne devant administrer les moyens de preuve que sur les faits pertinents et contestés (art. 150 al. 1 CPC) (ATF 149 III 105 consid. 5.1; 144 III 519 consid. 5.1).
5.3 Le droit d'être entendu garanti par les art. 29 al. 2 Cst. et 53 CPC, qui ont à cet égard la même portée, comprend notamment l'obligation pour l'autorité de motiver sa décision, afin que le justiciable puisse apprécier la portée de celle-ci et exercer son droit de recours à bon escient. Pour satisfaire à cette exigence, il lui suffit d'exposer, au moins brièvement, les motifs qui l'ont guidée et sur lesquels elle a fondé son raisonnement (ATF 142 II 154 consid. 4.2; 138 I 232 consid. 5.1 et les arrêts cités; 133 III 439 consid. 3.3 et les arrêts cités).
5.4 L'art. 2 al. 3 LPD prévoit que les traitements de données personnelles effectués dans le cadre de procédures devant des tribunaux ou dans le cadre de procédures régies par des dispositions fédérales de procédure, ainsi que les droits des personnes concernées, obéissent au droit de procédure applicable.
Une personne impliquée dans une procédure judiciaire ne peut pas se fonder sur la LPD pour demander l'accès à ses données personnelles (Message, FF 2017 6635; Francey, PC-LPD, ad art. 2 n. 50; Metille/Di Tria, CR-LPD, ad art. 2 n. 61ss).
5.5 Savoir si une partie a, ou non, rendu vraisemblable un élément factuel litigieux, soit si le degré de preuve exigé par le droit fédéral est atteint dans le cas particulier, relève du fait et ressortit à l'appréciation des preuves (ATF 130 III 321 consid. 5; cf. ég. ATF 140 III 466 consid. 4.2.2; arrêt du Tribunal fédéral 5A_203/2023 consid. 4.1.3 et les références citées).
5.6 La partie qui résilie abusivement le contrat de travail doit verser à l'autre une indemnité pouvant atteindre six mois de salaire (art. 336a al. 1 et 2 CO). L'art. 336 CO cite des exemples de licenciement abusif tout en laissant la porte ouverte à d'autres hypothèses, qui doivent cependant présenter une gravité comparable. Il faut s'en référer aux principes gouvernant l'interdiction de l'abus de droit (à ce sujet, cf. par ex. ATF 135 III 162 consid. 3.3.1). Celui-ci peut découler entre autres de la manière dont le congé a été donné (ATF 136 III 513 consid. 2.3; 132 III 115 consid. 2.2; 131 III 535 consid. 4.2). Pour résoudre la question juridique d'un éventuel abus de droit, il faut établir au préalable le motif réel du congé, opération qui relève de l'appréciation des preuves (ATF 136 III 513 consid. 2.3 i.f).
En vertu de l'art. 8 CC, la partie congédiée doit prouver le caractère abusif du congé (ATF 123 III 246 consid. 4b; arrêt 4A_437/2015 du 4 décembre 2015 consid. 2.2.5). En ce domaine, la jurisprudence a tenu compte des difficultés qu'il pouvait y avoir à apporter la preuve d'un élément subjectif, à savoir le motif réel de celui qui a donné le congé. Selon le Tribunal fédéral, le juge peut présumer en fait l'existence d'un congé abusif lorsque le travailleur parvient à présenter des indices suffisants pour faire apparaître comme non réel le motif avancé par l'employeur. Si elle facilite la preuve, cette présomption de fait n'a pas pour résultat d'en renverser le fardeau. Elle constitue, en définitive, une forme de "preuve par indices". De son côté, l'employeur ne peut rester inactif; il n'a pas d'autre issue que de fournir des preuves à l'appui de ses propres allégations quant au motif du congé (ATF 130 III 699 consid. 4.1; arrêt 4A_437/2015 précité consid. 2.2.5).
5.7 En l'espèce, il est constant que la valeur litigieuse est supérieure à 30'000 fr., de sorte que la cause est soumise à la procédure ordinaire et à la maxime des débats.
L'intimé a formulé une conclusion préalable en remise de son dossier personnel, lequel devrait comprendre une version intégrale du rapport du 17 novembre 2023.
Il n'a motivé sa conclusion qu'en ce qu'elle porte sur la production d'un tirage non caviardé dudit rapport, à l'exclusion de tout autre élément de son dossier personnel. Il n'a pas fait valoir d'intérêt à la remise de ces éléments autres de son dossier personnel ni offert ceux-ci en preuve d'un de ses allégués.
Le Tribunal a pourtant fait droit à l'entier de la conclusion, sans examiner l'objet de celle-ci (sinon s'agissant du rapport) et sans motiver sa décision sur les éléments du dossier personnel autres que le rapport.
En ce qui concerne ledit rapport, il est constant que l'intimé dispose d'une version complète de celui-ci, sous réserve de l'identité des collaborateurs qui ont été entendus dans l'enquête interne.
Il a offert ce titre en preuve de certains de ses allégués, sans faire valoir que son absence de connaissance du nom des personnes entendues l'empêchait de formuler une offre de preuve adéquate et complète.
Dans sa demande, il n'a, en effet, fondé sa conclusion de remise d'un rapport complet que sur les droits conférés, selon lui, par la LPD. A l'audience du Tribunal, il a ajouté que déterminer si figuraient au nombre des témoins dont l'audition était requise par les parties des personnes entendues dans l'enquête interne contribuerait à sa ligne de défense.
La motivation de l'ordonnance du Tribunal n'aborde aucun de ces deux points.
Or, comme le relève à juste titre la recourante, et comme n'en disconvient pas l'intimé lui-même dans sa réponse au recours, la LPD ne permet pas de fonder une demande d'accès à des données personnelles lorsqu'une procédure judiciaire est en cours, la production de pièces étant alors gouvernée par la loi de procédure applicable.
Quant à la pertinence de l'argument évoqué par l'intimé après le dépôt de sa requête, soit lors de l'audience du Tribunal du 26 novembre 2024, elle n'apparaît pas. L'intimé ne se réfère d'ailleurs à aucune disposition de procédure à cet égard.
Au demeurant, les allégués 60, 65 et 66 de sa demande ont été admis par la recourante, de sorte que les moyens de preuve offerts n'ont pas à être administrés, les faits en question n'étant pas contestés. Les allégués 62 à 64 se réfèrent à la propre déclaration, au comité d'éthique, de l'intimé, laquelle n'est pas contestée en tant que telle (référence étant faite au rapport) par la recourante, si bien qu'il ne se justifie pas non plus d'entendre des témoins sur ce point. Dès lors, l'offre de preuve sous forme de "témoins à déterminer" (à supposer qu'il s'agisse, ce qui n'était pas développé dans la demande, des personnes dont l'identité était caviardée dans le rapport) n'a pas à recevoir de suite. Quant aux allégués 67 à 69, ils ne comportent pas d'offre de preuve sous forme de témoignage. Les développements de l'intimé, dans sa réponse au recours, relatifs à une supposée démonstration, par l'audition de témoins, de ce que le rapport serait "peu fiable", sont tardifs et tombent ainsi à faux.
Pour le surplus, le caractère probant ou non du titre que représente le rapport, dans l'état où il figure à la procédure et est invoqué par la recourante au titre des motifs du congé signifié à l'intimé, relève de l'appréciation des preuves. Le Tribunal s'y livrera ultérieurement, étant rappelé que le fardeau de la preuve du caractère abusif du licenciement demeure à la charge de l'employé, l'employeur devant pour sa part fournir des preuves à l'appui de ses propres allégations quant au motif du congé.
En définitive, au vu de ce qui précède, la décision attaquée consacre une violation des art. 55 et 150 CPC, de même qu'une violation du droit d'être entendu, sous la forme d'une absence partielle de motivation.
Il s'ensuit que le recours est fondé. Les chiffres 1 et 2 du dispositif de l'ordonnance attaquée seront annulés. La cause étant en état d'être jugée (art. 327 al. 3 let. b CPC), il sera statué à nouveau dans le sens que la conclusion préalable de l'intimé en production de son dossier personnel comportant une copie non caviardée du rapport d'investigation du 17 novembre 2023 sera rejetée.
6. Il n'est pas perçu de frais judiciaires (art. 71 RTFMC) ni alloué de dépens (art. 22 al. 2 LaCC).
* * * * *
PAR CES MOTIFS,
La Chambre des prud'hommes :
A la forme :
Déclare recevable le recours formé par A______ SA contre les chiffres 1 et 2 du dispositif de l'ordonnance rendue le 26 novembre 2024 par le Tribunal des prud'hommes.
Au fond :
Annule les chiffres 1 et 2 du dispositif de ladite ordonnance. Statuant à nouveau sur ce point:
Rejette la conclusion de B______ tendant à la production par A______ SA de l'intégralité de son dossier personnel comportant notamment une copie non caviardée du rapport d'investigation "Investigation Summary Report" du 17 novembre 2023.
Déboute les parties de toute autre conclusion de recours.
Dit qu'il n'est pas perçu de frais judiciaires ni alloué de dépens.
Siégeant :
Madame Sylvie DROIN, présidente; Madame Marie-Noëlle FAVARGER SCHMIDT, Monsieur Thierry ZEHNDER, juges assesseurs; Madame Fabia CURTI, greffière.
Indication des voies de recours et valeur litigieuse :
Conformément aux art. 72 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification avec expédition complète (art. 100 al. 1 LTF) par-devant le Tribunal fédéral par la voie du recours en matière civile.
Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14.
Valeur litigieuse des conclusions pécuniaires au sens de la LTF supérieure ou égale à 15'000 fr.