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Décisions | Chambre civile

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C/14293/2017

ACJC/1827/2018 du 13.12.2018 sur ORTPI/762/2018 ( OO ) , IRRECEVABLE

Descripteurs : RECOURS(CPC) ; CONDITION DE RECEVABILITÉ ; DOMMAGE IRRÉPARABLE
En fait
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

C/14293/2017 ACJC/1827/2018

ARRÊT

DE LA COUR DE JUSTICE

Chambre civile

du JEUDI 13 DECEMBRE 2018

 

Entre

A______ SA, sise ______, recourante contre une ordonnace rendue par la 20ème Chambre du Tribunal de première instance de ce canton le 21 septembre 2018, comparant par Me Serge Rouvinet, avocat, rue De-Candolle 6, case postale 5256,
1211 Genève 11, en l'étude duquel elle fait élection de domicile,

et

Madame B______, domiciliée ______, intimée, comparant par Me Gabriel Raggenbass, avocat, place de Longemalle 1, 1204 Genève, en l'étude duquel elle fait élection de domicile.

 


EN FAIT

A. a. Le 19 janvier 2008, B______ circulait à scooter et a été heurtée par une voiture conduite par C______ et assurée auprès de A______ SA.

b. Par demande du 21 décembre 2017, B______ a assigné devant le Tribunal
de première instance A______ SA en paiement de 256'962 fr. 30, avec suite d'intérêts, ce montant représentait des dommages-intérêts dus à divers titres, en lien avec l'accident de circulation susvisé.

c. Dans sa réponse du 8 mai 2018, A______ SA a conclu, avec suite de frais, à ce qu'une expertise médicale orthopédique de l'état de santé de B______ soit ordonnée et à ce que la précitée soit déboutée de toutes ses conclusions. A______ SA a notamment fait valoir qu'il n'existait aucun lien de causalité entre l'accident et l'état de santé actuel de B______, de sorte que sa responsabilité n'était pas engagée.

d. Par réplique du 11 juin 2018, B______ a persisté dans ses conclusions en paiement et requis du Tribunal qu'il ordonne une expertise s'agissant de son préjudice ménager.

e. Dans sa duplique du 6 août 2018, A______ SA a sollicité que la réplique
de B______ soit déclarée irrecevable et persisté, pour le surplus, dans ses conclusions.

f. Lors de l'audience du 19 septembre 2018, les parties se sont mises d'accord sur le fait qu'une expertise soit ordonnée.

B. Par ordonnance de preuve ORTPI/762/2018 rendue le 21 septembre 2018, le Tribunal a notamment autorisé les parties à apporter la preuve des faits qu'elles alléguaient (ch. 1 du dispositif), admis l'audition des témoins F______, D______ et E______ sollicitée par B______ (ch. 2 let. a), ainsi que l'interrogatoire, respectivement la déposition de cette dernière (ch. 2 let. b), n'a admis aucun moyen de preuve pour A______ SA (ch. 3) et ordonné une audience de débats principaux pour procéder à l'audition de B______ et du premier témoin (ch. 5).

Le Tribunal a retenu que l'expertise sollicitée par les parties ne figurait sous aucun allégué de leurs écritures et que les moyens de preuve nouveaux ne pouvaient être admis qu'aux conditions strictes de l'art. 229 al. 1 CPC, non remplies dans le cas d'espèce, de sorte que ce moyen de preuve devait être écarté, faute d'avoir été régulièrement offert.

C. a. Par acte expédié le 4 octobre 2018 au greffe de la Cour de justice, A______ SA a recouru contre cette ordonnance, reçue le 25 septembre 2018, dont elle sollicite l'annulation du chiffre 3. Cela fait, elle requiert que la Cour admette l'expertise médicale orthopédique de l'état de santé de B______ comme moyen de preuve et ordonne au Tribunal de la mettre en oeuvre.

A titre subsidiaire, elle conclut à ce que la cause soit renvoyée au Tribunal pour nouvelle décision dans le sens des considérants.

b. Dans sa réponse du 29 octobre 2018, B______ s'en est rapportée à justice.

c. La cause a été gardée à juger le 31 octobre 2018.

EN DROIT

1. 1.1 Selon l'art. 319 let. b CPC, le recours est recevable contre les autres décisions et ordonnances d'instruction de première instance dans les cas prévus par la loi (ch. 1) ou lorsqu'elles peuvent causer un préjudice difficilement réparable (ch. 2).

L'ordonnance de preuve étant une ordonnance d'instruction (Jeandin, Code de procédure civile commenté, Bohnet/Haldy/Jeandin/Schweizer/ Tappy [éd.], 2011, n. 14 ad art. 319 CPC), le délai de recours est de dix jours à compter de sa notification (art. 321 al. 2 CPC).

1.2 En l'espèce, le recours, introduit dans le délai et la forme prescrits par la loi (art. 130, 131 et 321 CPC), est recevable de ce point de vue.

2. Reste à savoir si sa recevabilité peut être admise eu égard à la condition posée par l'art. 319 let. b ch. 2 CPC, soit celle du préjudice difficilement réparable que serait susceptible de causer à la recourante l'ordonnance querellée.

2.1.1 La notion de "préjudice difficilement réparable" est plus large que celle du "préjudice irréparable" au sens de l'art. 93 al. 1 let. a LTF (ATF 138 III 378 consid. 6.3; ACJC/1294/2018 du 25 septembre 2018 consid. 2.2.1). Constitue un "préjudice difficilement réparable" toute incidence dommageable y compris financière ou temporelle qui ne peut être que difficilement réparée dans le cours ultérieur de la procédure. L'instance supérieure doit se montrer exigeante, voire restrictive avant d'admettre l'accomplissement de cette condition, sous peine d'ouvrir le recours à toute décision ou ordonnance d'instruction, ce que le législateur a clairement exclu : il s'agit de se prémunir contre le risque d'un prolongement sans fin du procès (ACJC/1294/2018 du 25 septembre 2018
consid. 2.2.1; ACJC/1311/2015 du 30 octobre 2015 consid. 1.1; Jeandin, op. cit., n. 22 ad art. 319 CPC).

Le préjudice sera ainsi considéré comme difficilement réparable s'il ne peut pas être supprimé ou seulement partiellement, même dans l'hypothèse d'une décision finale favorable au recourant (ACJC/1294/2018 du 25 septembre 2018
consid. 2.2.1; Reich, Schweizerische Zivilprozessordnung, 2010, n. 8 ad art. 319 CPC).

Une simple prolongation de la procédure ou un accroissement des frais de celle-ci ne constitue pas un préjudice difficilement réparable. De même, le seul fait que la partie ne puisse se plaindre d'une administration des preuves contraire à la loi qu'à l'occasion d'un recours sur le fond, n'est pas suffisant pour retenir que la décision attaquée est susceptible de lui causer un préjudice difficilement réparable (ACJC/1294/2018 du 25 septembre 2018 consid. 2.2.1; Colombini, Condensé de la jurisprudence fédérale et vaudoise relative à l'appel et au recours en matière civile, in JdT 2013 III p. 131 ss, p. 155). Retenir le contraire équivaudrait à permettre à un plaideur de contester immédiatement toute ordonnance d'instruction pouvant avoir un effet sur le sort de la cause, ce que le législateur a justement voulu éviter (ACJC/1294/2018 du 25 septembre 2018 consid. 2.2.1; ACJC/943/2015 du 28 août 2015 consid. 2.2).

La condition du préjudice difficilement réparable est réalisée dans des circonstances particulières, par exemple dans le cas où l'ordonnance de preuve porterait sur l'audition de vingt-cinq témoins, dont une dizaine par voie de commission rogatoire en vue d'instruire sur un fait mineur et, de surcroît, dans un pays connu pour sa lenteur en matière d'entraide, ou en cas d'admission d'une preuve contraire à la loi, ou encore dans le cas de la mise en oeuvre d'une expertise qui pourrait causer une augmentation importante des frais de la procédure (Colombini, op. cit., p. 155).

2.1.2 Il appartient au recourant d'alléguer et d'établir la possibilité que
la décision incidente lui cause un préjudice difficilement réparable, à moins
que cela ne fasse d'emblée aucun doute (par analogie : ATF 134 III 426 consid. 1.2; ACJC/1294/2018 du 25 septembre 2018 consid. 2.2.1).

Si la condition du préjudice difficilement réparable n'est pas remplie, le recours est irrecevable et la partie doit attaquer la décision incidente avec la décision finale sur le fond (ACJC/1294/2018 du 25 septembre 2018 consid. 2.2.1; Reich, op.cit., n. 11 ad art. 319 CPC).

2.2 En l'espèce, la recourante considère que le refus du Tribunal de procéder à l'expertise sollicitée est susceptible de lui causer un préjudice difficilement réparable. Elle fait valoir qu'un tel refus l'empêcherait de prouver ses allégations de faits, de sorte que le jugement au fond lui sera forcément défavorable, la contraignant ainsi à former appel et à solliciter, dans ce cadre, la mise en oeuvre d'une expertise médicale. Cas échéant, elle devra endurer une prolongation importante de la durée de la procédure et un accroissement considérable de ses frais d'avocat notamment.

Au vu de la jurisprudence rappelée ci-dessus, ces inconvénients ne sont pas de nature à occasionner un préjudice difficilement réparable. En effet, si la recourante persiste à considérer que le Tribunal a refusé à tort l'expertise médicale requise, elle pourra diriger ses griefs contre la décision finale par la voie de l'appel prévue à l'art. 308 CPC, l'instance d'appel ayant la possibilité d'administrer des preuves (art. 316 al. 3 CPC) ou de renvoyer la cause en première instance pour complément d'instruction (art. 318 al. 1 let. c CPC), ce qui garantirait à la recourante un double degré de juridiction.

Cette manière de procéder entraînerait certes un allongement de la durée de la procédure et un accroissement des frais, mais cela ne constitue pas, en tant que tel, un préjudice difficilement réparable au sens de la jurisprudence précitée, puisque la recourante conserve ses moyens dans le cadre de l'appel contre le jugement au fond. Au vu de ce qui précède, sa crainte que ladite expertise ne soit jamais réalisée n'est pas objectivement fondée, a fortiori si cette dernière revêt effectivement l'importance que lui prête la recourante.

Par son argumentation, la recourante perd en outre de vue que l'ordonnance entreprise ne statue pas définitivement sur l'instruction de la cause. En effet, le Tribunal ayant la faculté de modifier et compléter les ordonnances d'instruction en tout temps (art. 154 CPC), la possibilité qu'il y procède dans le cas présent n'est pas à exclure, en particulier vu l'accord des parties sur la question de l'ordonnance de l'expertise.

Finalement, la recourante n'allègue ni ne démontre que l'expertise sollicitée présenterait un caractère urgent ou que ce moyen de preuve pourrait être mis en danger s'il n'était pas rapidement administré.

En l'absence d'un préjudice difficilement réparable, le recours doit être déclaré irrecevable.

Il n'y a dès lors pas lieu d'examiner les autres griefs soulevés par la recourante.

3. Les frais judiciaires, fixés à 800 fr. (art. 105 al. 1 CPC; art. 41 RTFMC), seront mis à la charge de la recourante qui succombe (art. 106 al. 1 CPC) et compensés avec l'avance de frais du même montant qu'elle avait fournie, laquelle reste acquise à l'Etat de Genève (art. 111 al. 1 CPC).

Il n'y a pas lieu d'allouer de dépens de recours à l'intimée, qui n'en a pas requis (art. 105 al. 2 CPC; ATF 139 III 334 consid 4.3).

* * * * *


PAR CES MOTIFS,
La Chambre civile :

Déclare irrecevable le recours interjeté le 4 octobre 2018 par A______ SA contre l'ordonnance ORTPI/762/2018 rendue le 21 septembre 2018 par le Tribunal de première instance dans la cause C/14293/2017-20.

Arrête les frais du recours à 800 fr., les met à la charge de A______ SA et dit qu'ils sont compensés avec l'avance fournie du même montant, qui reste acquise à l'Etat de Genève.

Siégeant :

Monsieur Cédric-Laurent MICHEL, président; Mesdames Pauline ERARD et Paola CAMPOMAGNANI, juges; Madame Sandra MILLET, greffière.

Le Président :

Cédric-Laurent MICHEL

 

La greffière :

Sandra MILLET

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Indication des voies de recours :

 

Conformément aux art. 72 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification avec expédition complète (art. 100 al. 1 LTF) par-devant le Tribunal fédéral par la voie du recours en matière civile.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14.

 

Valeur litigieuse des conclusions pécuniaires au sens de la LTF supérieure ou égale à 30'000 fr.