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Décisions | Chambre des prud'hommes

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C/11825/2021

CAPH/131/2023 du 13.12.2023 sur JTPH/96/2023 ( OS ) , CONFIRME

En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

C/11825/2021 - 1 CAPH/131/2023

ARRÊT

DE LA COUR DE JUSTICE

Chambre des prud’hommes

DU MERCREDI 13 DECEMBRE 2023

 

Entre

A______ SA, sise ______ [GE], partie demanderesse, appelante d’un jugement rendu par le Tribunal des prud’hommes le 29 mars 2023 (JTPH/96/2023), représentée par Me Dalmat PIRA avocat, PBM Avocats, rue du Rhône 118, case postale 3252,
1211 Genève 3,

 

et

Monsieur B______, domicilié ______ [VD], intimé, représenté par
Me Antoine GOLAND, avocat, Etude PEPINET, place Pépinet 4, case postale 6919,
1002 Lausanne.


EN FAIT

A.           a. Par jugement JTPH/96/2023 du 29 mars 2023 le Tribunal des prud’hommes, groupe 1, a, à la forme, déclaré recevable la demande formée le 1er décembre 2021 par A______ SA contre B______ (ch. 1 du dispositif).

Statuant au fond, le Tribunal a condamné B______ à payer à A______ SA la somme nette de Fr. 600.-, plus intérêts moratoires à 5% l’an dès le 1er septembre 2019 (ch. 2) ; cela fait, il a débouté les parties de toute autre conclusion (ch. 3), et dit que la procédure était gratuite et qu’il n’est pas alloué de dépens (ch. 4).

b. Ce jugement a été notifié aux parties, en leurs domiciles élus respectifs, par plis recommandés du 29 mars 2023, et reçu des destinataires le 3 avril 2023 (dossier judiciaire).

B.            a. Par acte expédié le 3 mai 2023 à la Cour de justice et réceptionné au Greffe le 4 mai 2023, A______ SA a formé appel contre le jugement précité dont elle requiert l’annulation, et cela fait, à ce que B______ soit condamné à lui verser le montant de Fr. 29'900.- plus intérêts à 5% l’an dès le 27 septembre 2019, avec suite de frais et dépens, et qu’il soit débouté de toutes autres ou contraires conclusions (liasse I p. 2).

L’acte d’appel était accompagné d’un chargé comprenant le jugement entrepris et la procuration (liasse I a).

b. Dans sa réponse du 5 juin 2023, B______ a conclu au rejet de l’appel formé par A______ SA et à son déboutement de toutes ses conclusions (liasse II p. 6).

c. Par acte du 28 juin 2023, A______ SA a fourni une réplique et persisté (liasse III).

d. Par pli du 26 janvier 2023, B______ a fait parvenir à la Cour une duplique, confirmant ses propres conclusions (liasse IV).

e. Par courrier du 31 août 2023, la Cour a informé les parties que la cause était gardée à juger (dossier judiciaire).

C.           La Cour retient, sur le vu du dossier et des conclusions prises en appel, les éléments de faits pertinents suivants :

a.                      A______ SA a pour but notamment l’étude et la réalisation de travaux de couverture, d’étanchéité, pose de résine de sols, de sanitaires, d’agencement d’intérieur, de ferblanterie, d’isolation, de charpente, façade neuve et rénovation, traitement de façades, travaux pour les collectivités et les ouvrages d’arts ; son siège est à Genève (cf. extrait du Registre du commerce).

A______ SA est surtout spécialisée dans les rénovations de façades, l’effacement de graffitis et de tags (fait admis par les parties).

C______ et D______ sont respectivement administrateur président et administratrice de l’entreprise, chacun des deux étant au bénéfice de la signature individuelle (extrait RegCom).

b.                      B______ a été engagé par A______ SA, en qualité d’ouvrier dans le bâtiment second œuvre, et ce à partir du 7 août 2017, par contrat de travail de durée indéterminée signé le 7 août 2017 (pièce 3 dem ; pièce 101 déf).

Le salaire mensuel convenu était de Fr. 5'000.- brut, versé treize fois l’an.

c.                       Le 27 avril 2018, A______ SA a rédigé et signé une annexe au contrat de travail du 7 août 2017 qui prévoyait une augmentation de salaire de Fr. 400.- par mois en faveur de B______ pour faire suite à sa promotion en qualité de responsable du service du nettoyage des bas de façades, tags et graffitis et de toutes autres salissures (pièce 4 dem).

Ce document, qui n’a pas été signé par B______, contient également une clause de non-concurrence libellée comme suit : « (…) il va de soi que ce poste nécessite un point important sur la clause de non-concurrence durant au moins deux ans si vous deviez rompre le contrat qui nous lie, en effet, vous avez accès à nos fichiers, nos prix, notre relation clientèle par conséquent veuillez-vous conformer à nos desideratas sur la clause de non-concurrence ».

B______ était en charge de la surveillance de près de 300 contrats conclus entre A______ SA et diverses personnes privées et morales (fait admis par les parties).

d.                      Le ______ 2019 a été inscrite au Registre du commerce de Genève l’entreprise individuelle F______, B______, dont le but social est l’exploitation d’une entreprise de nettoyage de graffitis et tags (fait admis par les parties, pièce 6 dem).

Le 8 juillet 2019, B______ a adressé, sur le papier à en-tête de sa raison individuelle F______, deux factures à E______ SA, à G______ [GE], pour travaux de nettoyage réalisés le samedi 6 juillet 2019, l’une sur Fr. 250.-, la seconde sur Fr. 350.-, soit pour un montant de Fr. 600.- au total (pièce 52 déf).

e.                       Le 1er août 2019, F______, B______ a publié des photographies sur sa page facebook d’un chantier sur lequel B______ était intervenu le 20 janvier 2019 pour le compte de A______ SA (pièces 21 à 23 dem).

f.                       En date du 6 août 2019, B______ a adressé à A______ SA, attn. D______, le courrier suivant (pièce 24 dem) : « Madame, Je travaille pour votre entreprise depuis le 7 août 2017, ce qui m’a permis d’acquérir énormément de professionnalisme et de compétence. Cependant, pour des raisons personnelles, j’ai l’immense regret de vous annoncer ma démission en tant qu’ouvrier dans le bâtiment second-œuvre que j’occupe chez vous. Je partirais définitivement le 31 août 2019, avec votre accord. En vous remerciant de votre compréhension, je vous prie de recevoir, Madame, mes salutations distinguées ».

g.                      Par e-mail du 29 août 2019, H______ SA a confirmé à A______ SA son accord pour que celle-ci procède à des travaux de nettoyage au chemin 1______ au I______ [GE] (fait admis par les parties, pièce 19 dem).

h.                      Ce même jour, B______ a commis un excès de vitesse de 38 km/h a volant du véhicule de A______ SA (pièce 10 dem).

i. A partir du 1er septembre 2019, B______ n’a plus travaillé pour A______ SA (PV 18. 10. 2022 p. 1 ; appréciation des preuves).

j.                        Le 1er septembre 2019, B______ a demandé son affiliation auprès de la Caisse cantonale vaudoise de compensation AVS en qualité d’indépendant dans les domaines du sablage et de l’hydrogommage (pièce 102 déf).

k.                      Le 17 septembre 2019, B______ s’est vu verser sur son compte auprès de [la banque] J______ un montant de Fr. 3'000.-, en provenance d’un virement de D______ (liasse 23, pièce-liasse 51 déf.). Ce versement n’était pas assorti d’une communication, mais il correspondait à un acompte sur le salaire dû pour le mois d’août 2019 (cf. liasse 21, pièce-liasse 29 dem : « Bulletin de salaire 01.08. 2019 – 31.08. 2019 »). Et le 24 septembre 2019, il s’est vu créditer sur son compte auprès de [la banque] K______ le montant de Fr. 1'704,88 net, versé par A______ SA à titre de « solde salaire août 2019 » (liasse 23, pièce-liasse 53 déf ; cf. aussi pièce 25 dem, partie supérieure : capture d’écran d’un ordre de virement du 24. 9. 2019).

l. En 2019, A______ SA versait à B______ son salaire souvent avec du retard, et toujours en plusieurs tranches (liasse 23, liasse-pièce 53 déf). Pour la période du 1er janvier 2019 au 31 août 2019, l’employé a touché, au total un montant de Fr. 36'920,50 net – ce qui, réparti sur 8 mois, correspondait à un montant mensuel de Fr. 4'615,06 net, soit au salaire mensuel brut de Fr. 5’400.- (liasse 22 ; liasse-pièce 53 déf). Les versements effectués par l’employeuse les 17 septembre 2019 et 24 septembre 2019, soit Fr. 3'000.- + Fr. 1'704,88 pour le mois d’août 2019 totalisent un montant net de Fr. 4'704,88. (ibid) ; ce montant inclut une indemnité de Fr. 144,88 (liasse 21, pièce 29 dem).

m.                    Par courrier recommandé du 27 septembre 2019, A______ SA a informé B______ qu’elle mettait un terme à son contrat de travail avec effet immédiat pour les raisons suivantes (pièce 7 dem) :

« 1. Vous nous avez envoyé une lettre recommandée en date du 24 septembre, pour rompre votre contrat avec effet immédiat soit pour le 30 septembre, raisons invoquées des problèmes graves au Portugal ;

2. Vous revenez le 19 août, et venez trouver la Direction en disant, que vous ne vouliez pas partir mais que vous aviez besoin de 10 jours pour régler des problèmes graves avec votre oncle ;

3. On concède bien malgré nous mais avec une certaine prudence ;

4. Nous avons attendu et vous nous faites savoir que vous alliez revenir le 23 puis le 25 puis le 26 et là se compliquent les événements. On vous demande que se
passe-t-il ? A notre grand étonnement, nous ne sommes plus dans l’aide à une personne mais tout simplement (votre réponse : j’ai des travaux à faire chez moi...) nous pouvons aussi penser que vous pouvez effectuer des travaux pour un tiers.

Croyez bien que c’est inacceptable. Vous avez par ce fait désorganisé la partie qui vous incombait, à savoir la tournée des contrats et tags ; nous avons d’u faire revenir en urgence un de vos collègues.

Ceci est un manquement avéré d’un licenciement immédiat et selon la convention collective, il ne vous sera pas versé un prorata de 13ème salaire (art. 19 de la convention collective du second-œuvre).

Par ailleurs, vous avez demandé à M. L______ de porter à sa charge l’infraction que vous avez commise en dépassant la limite de vitesse à plus de 40 à l’heure ; nous verrons qu’elle décision nous prendrons à cet effet.

Je vous prie de prendre note de ce qui précède ».

n.                      Le même jour, A______ SA a rédigé un certificat de travail à l’attention de B______ dans lequel elle lui rappelait notamment qu’il était soumis à une « clause de non-concurrence déloyale » (pièce 5 dem).

o.                      Le ______ 2020, M______ Sàrl, dont le but est le nettoyage urbain et de bureaux, l’entretien d’espaces ainsi que le service de conciergerie, a été inscrite au Registre du commerce du canton de Vaud (fait admis par les parties, pièce 26 dem).

B______ en est l’associé gérant.

p.                      Par courrier recommandé du 21 avril 2021 de son conseil, A______ SA a informé B______ avoir appris qu’il exerçait, depuis le 10 mai 2019, une activité concurrentielle ; elle lui a rappelé l’existence d’une clause de non-concurrence, et l’a mis en demeure de la respecter en cessant, avec immédiat ces agissements, ajoutant qu’elle lui réclamera en justice réparation intégrale du dommage subi (pièce 27 dem).

Il ressort de la procédure ce qui suit :

A.           Par Requête de conciliation déposée à l’office postal le 15 juin 2021 et reçue du Greffe du Tribunal des prud’hommes le 16 juin 2021, A______ SA a assigné B______ en paiement d’un « montant encore à définir ».

B.            Une audience de conciliation s’est tenue le 1er septembre 2021, sans succès, de sorte qu’à l’issue de celle-ci, une autorisation de procéder a été délivrée à A______ SA.

C.           a. Par demande motivée déposée à l’office postal le 1er décembre 2021 et reçue du Greffe du Tribunal le 3 décembre 2021, A______ SA a assigné B______, avec suite de frais et de dépens, en paiement de la somme totale de Fr. 26'139.- net, avec intérêts moratoires à 5% l’an, dès le 10 mars 2021, à titre de dommages-intérêts résultant de la violation de la clause de non-concurrence (art. 340 ss CO) et du devoir de fidélité (art. 321 a CO).

La demanderesse a préalablement conclu à ce que B______ soit condamné à produire l’intégralité des comptes relatifs aux mandats acquis durant ses activités au sein des sociétés F______ [sic] et M______ Sàrl. Elle a ensuite conclu à ce qu’il soit constaté que le défendeur avait violé la clause de non-concurrence du 27 avril 2018.

b.                      A l’appui de ses conclusions, la demanderesse a en substance allégué que, du fait de sa position dans l’entreprise, le défendeur était en possession de l’intégralité de ses prix, de son savoir-faire, de son portefeuille clients et de ses mandats. Certes, la clause de non-concurrence n’avait pas été signée par le défendeur ; cela étant, ce dernier n’avait ni contesté sa promotion ni l’obligation de non-concurrence.

Au mois de mai 2019, alors qu’il était toujours son employé, le défendeur avait créé une entreprise individuelle dont le but était le nettoyage de graffitis et de tags. Elle n’avait appris l’existence de cette entreprise que le 10 mars 2021, lorsqu’elle avait reçu un extrait du Registre du commerce de cette société de façon anonyme (se référant à sa pièce 9 dem). Le 6 août 2019, le défendeur l’avait informée qu’il mettait un terme à ses rapports de travail. Quelques jours plus tard, celui-ci était revenu vers elle pour lui demander d’annuler sa résiliation, ce qu’elle avait accepté de faire – se référant à sa pièce 24 dem (lettre de démission du demandeur du 6 août 2019 portant la mention manuscrite de Mme D______ : « Erreur. Entendu, le 8. 8. 2019 »). Le 29 août 2019, le défendeur avait commis un excès de vitesse de 38 km/h au volant du véhicule de l’entreprise. C’était finalement L______, un autre de ses employés, qui avait endossé la responsabilité de cette infraction, ce qu’elle n’avait découvert que le 10 mars 2021 quand elle avait retrouvé les relevés d’horaires de ses employés, pour la période concernée, qui avaient disparu.

Le 24 septembre 2019, le défendeur avait cessé d’assurer ses fonctions en raison de travaux qu’il devait effectuer chez lui, ce qui avait compromis les activités de la demanderesse. Malgré sa promesse de reprendre son travail le 26 septembre 2019 – promesse figurant dans un message WhatsApp du 24 septembre 2024 (= pièce 24 dem) – le défendeur n’avait plus donné signe de vie. Elle avait donc pris la décision de le licencier avec effet immédiat.

Elle avait des raisons de penser que le défendeur avait détourné, à son profit, des mandats lui appartenant. A titre d’exemple, elle mentionnait un mandat confié par H______ SA dont elle s’était ensuite départie en raison des explications que le défendeur lui avait données. Elle avait ensuite découvert des photographies, publiées sur la page facebook de F______, B______, que les travaux qui avaient été requis par H______ SA avaient finalement été réalisés par le défendeur. Celui-ci s’était également accaparé des photographies de travaux qu’il avait réalisés quand il était encore son employé, pour les faire figurer sur la page facebook de son entreprise. Ces agissements lui avaient causé un dommage.

D.            Dans son mémoire-réponse du 1er mars 2022, le défendeur a notamment allégué que le seul contrat qu’il avait signé avec la demanderesse était celui du 7 août 2017 et qu’il n’avait, en particulier, jamais vu le contrat de travail tel qu’il était produit en pièce 3 dem., qui lui paraissait suspect à plusieurs égards. Il n’avait pas non plus signé la clause de non-concurrence produite en pièce 4 dem. – ce que la demanderesse admettait – qui ne lui avait jamais été présentée. Il en allait de même du certificat de travail produit en pièce 5 dem. Si son salaire avait été augmenté à Fr. 5'400.- bruts par mois, ce n’était pas en raison d’un changement de poste comme la demanderesse le soutenait, mais parce que son frère, qui travaillait dans l’entreprise depuis moins longtemps que lui, avait été augmenté.

Il avait démissionné le 6 août 2019 avec effet au 31 août 2019 et il n’était jamais revenu sur cette décision. Il a contesté avoir eu un entretien, le 8 août 2019, avec D______, à l’issue duquel il serait revenu sur sa décision de démissionner pour le 31 août 2019 (cf. mémoire-réponse p. 2 ad allégués 45 à 49 et p. 7). Il avait effectivement constitué F______, B______, raison individuelle qui avait été inscrite au Registre du commerce du canton de Vaud le ______ 2019, dans le but de préparer son activité en tant qu’indépendant une fois qu’il aurait démissionné. Cette entreprise n’avait, du reste, jamais eu d’activité avant le 1er septembre 2019. Il contestait s’être accaparé le mandat de l’entreprise H______ SA. Cette dernière l’avait directement contacté, postérieurement au 1er septembre 2019, pour lui demander de se charger de ce travail, ce qu’il avait accepté de faire puisqu’il n’était pas tenu par une clause de non-concurrence. Quant à M______ Sàrl, elle avait été créée bien après la résiliation des rapports de travail.

Le défendeur reconnaissait avoir commis un excès de vitesse qui avait immédiatement été annoncé à la demanderesse. Il en voulait pour preuve que le courrier daté du 27 septembre 2019 (= pièce 7 dem) mentionnait l’existence de cet excès de vitesse. Dans la mesure où il avait fait l’objet d’un retrait de permis, il avait été convenu, d’entente avec D______ que ce serait L______ qui endosserait la responsabilité de cette infraction.

Le défendeur a enfin expliqué qu’il reconnaissait avoir utilisé des photographies de travaux réalisés par A______ SA pour son site Internet, ne sachant pas qu’il lui était interdit de le faire. Aussitôt que la demanderesse l’avait mis en demeure de ne pas se servir de telles photographies, il les avait supprimées.

E.            A l’audience de débats du 12 juillet 2022, la demanderesse a précisé que sa pièce 4 dem. avait été « refaite en 2018, en complément du contrat de 2017 ». Elle avait décidé d’inclure une clause de non-concurrence pour se protéger suite au débauchage de l’un de ses employés. Ainsi, lorsque le demandeur avait pris le poste de responsable des façades, elle avait ajouté une clause de non-concurrence à son contrat (PV 12. 7. 2022 p. 2).

Par Ordonnance d’instruction jointe au Procès-verbal, le Tribunal a ordonné au défendeur de produire l’intégralité des comptes détaillés relatifs aux mandats acquis entre le 10 mai et le 31 décembre 2019 mentionnant les clients. Le Tribunal a ordonné à la demanderesse de produire tous les contrats de travail originaux, signés par les parties, ainsi que les relevés de salaire pour la période allant du mois d’août 2017 au mois de septembre 2019 ou les fiches de salaire relatives à cette période.

F.             Le 31 août 2022, la demanderesse a fait parvenir au Tribunal un chargé de pièces complémentaires qui contenait notamment les relevés de salaire du défendeur pour la période du mois d’août 2017 au mois de septembre 2019 (liasse 21, pièces-liasses 29 à 31 dem).

Le même jour, le défendeur a fait parvenir au Tribunal un chargé de pièces complémentaires qui contenait un extrait de son compte J______ pour la période allant du 30 janvier 2019 au 31 décembre 2019 (liasse 23, pièce-liasse 51 déf), les factures et contrats relatifs aux mandats de F______, B______ pour la période allant du 30 janvier 2019 au 31 décembre 2019 (liasse 23, pièce-liasse 52 déf), et l’extrait de son compte K______ pour la période du 1er janvier 2019 au 31 décembre 2019 (liasse 23, pièce-liasse 53 déf).

G.           Deux autres audiences de débats se sont tenues les 18 octobre 2022 et le 8 décembre 2022. Lors de celles-ci, mais déjà à l’occasion de l’audience du 12 juillet 2022, A______ SA, représentée par C______, président du conseil d’administration, et le défendeur ont été entendus en qualité de parties. Le Tribunal a également auditionné L______, témoin commun aux deux parties et N______, témoin cité par le défendeur.

a. Interrogée, la société demanderesse a déclaré augmenter ses conclusions de Fr. 3'761.- pour prendre en compte les activités du défendeur, telles qu’elles ressortaient de la pièce 52 déf, alors qu’il était toujours son employé (PV 18. 10. 2022, p. 4).

La demanderesse a ensuite expliqué que le défendeur avait démissionné le 6 août 2019 pour le 31 août 2019. Toutefois, celui-ci était revenu sur sa décision lors d’une discussion qui avait eu lieu le 8 août 2019 – ce que le défendeur a contesté. Elle avait décidé de licencier le défendeur avec effet immédiat en raison de ses absences pour des motifs personnels, pour lesquels elle n’avait pas reçu de justificatifs valables, d’une part, et en raison de l’excès de vitesse qu’il avait commis, d’autre part.

b. Le défendeur a contesté devoir le montant réclamé par la demanderesse. Il a, en outre, expliqué qu’il n’avait pas compris pourquoi il avait reçu le courrier de licenciement immédiat produit en pièce 7 dem., puisqu’il n’avait jamais demandé à être réintégré. Il n’avait, par ailleurs, pas perçu de salaire pour le mois de septembre 2019. En particulier, il n’avait jamais perçu la somme nette de Fr. 542.98 qui figurait sur le « Bulletin de salaire. Période 01.09.2019 – 30. 09. 2019 » produit en pièce 29 dem.

Le défendeur a ajouté que les photographies qui étaient produites en pièce 8 dem., et qui étaient datées du 1er août 2019, avaient été prises pour préparer la création de son entreprise. Il avait également utilisé des photographies qui appartenaient à la demanderesse, mais qui représentaient des travaux qu’il avait lui-même effectués. Il a enfin indiqué n’avoir jamais été nommé « responsable de chantier ». A cet égard, le témoin L______ a expliqué que le défendeur avait toujours travaillé seul au nettoyage de graffitis et qu’il ne gérait pas d’équipe. A sa connaissance, le défendeur n’était pas devenu « chef ». Le défendeur a encore précisé que la facturation de son entreprise avait démarré au No. 70 pour démontrer que cette dernière avait déjà déployé une activité. La date du « 12 janvier 2019 » qui figurait sur la facture No. 77, adressée à la Mairie de S______ [VD], résultait d’une erreur de frappe (PV 18. 10. 2022 p. 4).

S’agissant de l’excès de vitesse commis le 29 août 2019, le défendeur a confirmé en avoir été l’auteur. Il avait demandé à D______ que L______ se dénonce à sa place, ce que ce dernier a confirmé en précisant qu’il n’avait pas bien réfléchi aux conséquences que cela pouvait avoir sur lui. Selon ce témoin, D______ a été informée, mais elle n’était pas d’accord avec ce procédé (PV19. 10. 2022 p. 2). Pour le témoin N______ en revanche, le défendeur et L______ en avaient discuté avec D______ qui avait été d’accord (PV 18. 10. 2022, p. 3).

A l’issue de l’administration des preuves, les parties ont plaidé et le Tribunal a gardé la cause à juger (PV 8. 12. 2022 p. 1).

H.            a. Dans son jugement du 29 mars 2023 (liasse I), le Tribunal a d’abord déterminé la date de fin des rapports de travail. Il a retenu la date du 31 août 2019 – et ce au motif que la demanderesse n’avait pas apporté la preuve que le défendeur serait revenu sur sa décision du 6 août 2019 quelques jours après. Le seul courrier du 6 août 2019 ( = pièce 24 dem) – dont l’original n’a pas été produit – qui est tracé et sur lequel figure une annotation manuscrite, ne suffit pas à emporter la conviction qu’un entretien se serait bien tenu le 8 août 2019 et durant lequel le défendeur serait revenu sur sa décision de quitter l’entreprise le 31 août 2019, ce d’autant moins que ce dernier contestait qu’une telle réunion ait eu lieu.

A cela s’ajoutait qu’il était établi que le défendeur avait requis son inscription auprès de la Caisse cantonale vaudoise de compensation AVS en qualité d’indépendant à compter du 1er septembre 2019 (= pièce 102 déf). Pour le Tribunal, ce fait tendait à démontrer que le défendeur considérait bien que ses rapports de travail avec la demanderesse avaient pris fin le 31 août 2019.

De plus, la demanderesse n’avait pas prouvé – alors qu’il lui incombait de le faire – que le défendeur aurait déployé une activité pour son compte à elle durant le mois de septembre 2019. Si elle affirme que le message produit en pièce 25 dem lui aurait été envoyé par le défendeur le « 24 septembre 2019 », rien ne permet de l’affirmer dès lors que cette date était contestée et qu’elle ne figure pas sur le message en question. Par ailleurs, le Tribunal a considéré que la question de la crédibilité de la demanderesse se posait, notamment au regard de l’épisode de l’excès de vitesse commis par le défendeur. En effet, la demanderesse avait affirmé que ce n’était que le 10 mars 2021 qu’elle aurait appris que L______ avait accepté d’endosser la responsabilité de cette infraction à la place du défendeur. Or, à teneur des explications des témoins, D______, administratrice, avait été informée à l’époque de l’intention du défendeur, même si les explications de ces témoins divergeaient quant à la réaction de cette dernière.

Le Tribunal a encore relevé que le défendeur avait déclaré ne pas avoir perçu un salaire pour le mois de septembre 2019, et qu’il avait contesté avoir reçu la somme nette de Fr. 542.98 dont le libellé, sur la fiche de salaire du mois de septembre 2019 = liasse 21, pièce-liasse 29 dem), est difficilement compréhensible. En tous les cas, les extraits de compte K______ du défendeur (liasse 23, pièce-liasse 53 déf), ne contiennent aucun versement en provenance de la demanderesse postérieurement à un paiement effectué le 24 septembre 2019 et dont le libellé est « solde salaire août 2019 ». Quant aux relevés de compte J______ (liasse 23, pièce-liasse 51 déf), ceux-ci ne font état que d’un virement de Fr. 3'000.- du compte personnel de D______, effectué le 17 septembre 2019.

b. S’agissant de la conclusion de la demanderesse tendant à la condamnation du défendeur au paiement de Fr. 29'900.- (Fr. 26'139.- + Fr. 3'761.-) à titre de dommages-intérêts pour violation du devoir de fidélité (art. 321 a CO) et de la clause de non-concurrence (art. 340 a CO), le Tribunal a retenu que cette prétention n’était pas fondée, en tant qu’elle s’appuyait sur les arts. 340 ss. CO, faute de validité formelle de la clause alléguée : il manquait la signature du travailleur. Or, une clause de non-concurrence orale ou non signée par le travailleur n'était pas opposable à ce dernier (cf. art. 340 al. 1 CO cum art. 11 et art. 13 CO ; cf. aussi ATF 145 III 365 consid. 3. 2 = JdT 2020 II 295).

c. En revanche, la prétention en dommages-intérêts était très partiellement fondée, dans la mesure où elle se fondait sur la violation de l’art. 321 a CO, respectivement l’obligation du travailleur de réparer le dommage causé intentionnellement ou par négligence à l’employeur (art. 321 e CO).

En l’espèce, le défendeur avait, en effet, violé son devoir de fidélité (art. 321 a CO) en déployant une activité concurrentielle déjà au mois de juillet 2019, soit encore durant les rapports de travail. Le Tribunal a retenu que le dommage infligé à la demanderesse correspondait au montant que le demandeur avait pu facturer et encaisser en juillet 2019, pour des travaux effectués auprès de tiers, et ce pour un montant de Fr. 600.- (liasse I, p. 14 – 15). Il l’a donc condamné à verser ce montant à titre de dommages-intérêts à la demanderesse.

I.               Dans son appel de ce jugement, l’appelante fait d’abord grief au Tribunal d’avoir procédé à une constatation inexacte des faits : la fin des rapports de travail serait survenue non pas le 31 août 2019, mais le 27 septembre 2019, date de son licenciement immédiat. En effet, contrairement à ce que le Tribunal avait retenu, l’intimé n’avait jamais obtenu son accord de pouvoir partir déjà fin août 2019. Par ailleurs, il était revenu sur sa décision de démissionner, et ce le 8 août 2019 – ce qu’attestent les pièces 24 et 25 dem, et la pièce 51 déf, ainsi que le Procès-verbal d’audience du 18 octobre 2022). Du reste, il ressort de la pièce 25 dem que l’intimé avait lui-même indiqué, lors de l’échange WhatsApp du [mardi] 24 septembre 2019, qu’il reviendrait travailler à son poste auprès de l’appelante « le jeudi matin » (liasse I, p. 5 et 6).

Dans son deuxième grief, l’appelante reproche au Tribunal d’avoir constaté, de façon inexacte également, l’étendue du dommage qu’elle avait subi du fait de l’activité concurrentielle de l’intimé pour la période antérieure au 27 septembre 2019, soit donc durant les rapports de travail encore (liasse I, p. 6). Il fallait prendre en considération non seulement les factures No. 70 et 71 du 8 juillet 2019 de l’intimé (Fr. 600.--), mais en outre la facture No. 73 du 26 septembre 2019 d’un montant total de Fr. 12'500.- (liasse 23, pièce 52 déf p. 3), la facture du 1er octobre 2019 relative à une activité déployée le 15 septembre 2019 d’un montant de Fr. 300.- (pièce 52 déf., p. 5), le contrat de sous-traitance du 24 septembre 2019 d’un montant de Fr. 6'000.- (pièce 52 déf, avant-dernier document), et le contrat du 20 septembre 2019 d’un montant total (annualisé) de Fr. 10'800.- (Fr. 900.- X 12 mois) (pièce 52 déf, dernier document). Il était ainsi établi que jusqu’au 27 septembre 2019, l’intimé lui avait provoqué un dommage d’un montant total de Fr. 29'900.- (liasse I, p. 7).

Enfin, l’appelant a fait grief au Tribunal d’avoir, en droit, violé les articles 335 et 337 CO en retenant que les rapports de travail auraient pris fin le 31 août 2019, ainsi que les arts. 321 a CO et 321 e CO (liasse I, p. 7 – 8).

L’appelante n’a plus, dans son acte d’appel, thématisé l’existence d’une clause de non – concurrence (liasse I, passim).

J.              Dans sa réponse du 5 juin 2023, l’intimé relève, en fait, et à l’instar des premiers juges, qu’il avait démissionné le 6 août 2019, avec l’accord de l’employeur, pour l’échéance du 31 août 2019, et qu’il n’est plus revenu sur cette décision. D’ailleurs, l’appelante n’a pas contesté, à l’époque, la fin des rapports de travail au 31 août 2019 ; elle ne l’a pas sommé de reprendre son travail : elle ne lui a pas versé de salaire pour le mois de septembre 2019. En outre, quel eût été son intérêt de revenir sur sa décision de démissionner pour fin août 2019 ? (liasse II, p. 3 – 4).

L’intimé a réitéré considérer comme « suspectes » les pièces 3 et 30 dem (contrat d’engagement du 7. 8. 2017 portant la mention manuscrite d’une annexe à ce contrat avec une clause de non-concurrence datée du 27.4. 2018 [sic] et la pièce 4 dem (« l’annexe du 27. 4. 2018 au contrat établi le 7. 8. 2017 »), et il a répété contester la véracité des annotations manuscrites figurant sur la pièce 24 dem = 31 dem (lettre de démission du 6. 8. 2019 actant, en date du 8. 8. 2019, un revenir sur sa décision de démissionner par les mots : « Erreur Entendu le 8. 8. 2019 »).

Dans sa réplique du 28 juin 2023, l’appelante a contesté avoir falsifié des documents (liasse III p. 2), et elle a, à nouveau, insisté sur le fait que l’appelant était bel et bien revenu, le 8 août 2019, sur sa décision de démissionner pour l’échéance du 31 août 2019 ; à cet effet, elle a relevé la présence, à deux fois, de la signature de l’intimé sur la pièce 24 dem (liasse III, p. 2) ; ce fait serait, par ailleurs corroboré par le message WhatsApp (= pièce 25 dem) : « Je reviens jeudi matin » (liasse III, p. 3).

Dans sa Duplique du 3 août 2023, l’intimé relève, s’agissant de la pièce 25 dem, que l’échange WhatsApp en question n’était pas daté, et que, par ailleurs, sa teneur ne constitue pas la preuve qu’il travaillait encore pour l’appelante en septembre 2019. Il a encore confirmé ne pas contester le jugement à propos des Fr. 600.- qu’il a été condamné à verser sur la base des factures 70 et 71 (liasse IV p. 2-3).


 

EN DROIT

1.      Recevabilité

1.1.            Interjeté contre une décision finale (art. 308 al. 1 let. a CPC) auprès de l’autorité compétente (art. 124 let. a LOJ) dans le délai utile de 30 jours et selon la forme prescrite par la loi (art. 142 al. 1 et 3 et art. 311 CPC), et vu que la valeur litigieuse au dernier état des conclusions (c’est-à-dire en première instance ; TF 5A_261/2013 du 13. 9. 2013 consid. 3.3) dépassait le seuil de Fr. 10'000.—(art. 308 al. 2 CPC), l’appel est recevable.

1.2.            L’appel peut être formé pour a. violation du droit et/ou b. constatation inexacte des faits (art. 310 CPC). Ces mêmes règles s’appliquent à l’appel joint.

1.3.            Le juge d’appel dispose d’un pouvoir d’examen complet et il revoit librement les questions de fait comme les questions de droit (art. 310 CPC). Il n’est pas lié à l’état de faits dressé par l’instance précédente (ATF 144 III 394 consid. 4.1.4. = JdT 2019 II 147 ; Seiler, Die Berufung nach ZPO, Zurich, 2013, p. 206). Il contrôle librement l’appréciation des preuves effectuée par le Tribunal et il vérifie si celui-ci pouvait admettre les faits qu’il a retenus (art. 157 CPC ; ATF 138 III 374 consid. 4.3.1. ; TF 4A_153/2014 du 28 août 2014 consid. 2.2.3). Enfin, il applique le droit d’office (art. 57 CPC).

1.4.            Il incombe à la partie appelante de motiver la démarche, et notamment, la ou les conclusion(s) prise(s) (cf. art. 311 al. 1 CPC). Elle doit indiquer pourquoi et dans quelle mesure, le jugement entrepris doit être annulé ou modifié (ATF 142 III 413 consid. 2.2.4 ; 138 III 374 consid. 4.3.1).

1.5.            La valeur encore litigieuse, en appel, s’élève à Fr. 29'300.- (Fr. 29'900.-
– Fr. 600.-), montant auquel le défendeur (et ci-devant intimé) avait été condamné par le Tribunal à payer à la demanderesse (et ci-devant appelante), condamnation contre laquelle il n’a pas formé appel).

1.6.            Dès lors qu’elle ne dépasse pas le seuil de Fr. 30'000.-, la présente procédure reste, en appel, régie par la procédure simplifiée (art. 243 al. 1 CPC) et soumise à la maxime d’enquête sociale (art. 247 al. 1 let. b ch. 2 CPC ; Seiler, Die Berufung, Zurich, 2013, p. 457 ; Jeandin, in : CR CPC, 2e éd., Bâle, 2019, N. 6 ad art. 316 CPC).

1.7.            Le juge examine d’office la recevabilité des conclusions prises par les parties, y compris de celles prises en appel.

1.7.1.      Le procès prud’homal est régi par la maxime de disposition : le juge ne peut accorder à une partie ni plus ni autre chose que ce qui est demandé, ni moins que ce qui est reconnu par la partie adverse (ne eat iudex ultra petita ; art. 58 al. 1 CPC).

1.7.2.      Lorsqu’une demande tend à l’allocation de divers postes d’un dommage reposant sur la même cause (« gleiche Rechtsgrundlage »), le juge n’est lié que par le montant total réclamé dans la conclusion (TF 5A_924/2013 du 20. 5. 2014 consid. 8.2 = RSPC 2014 p. 419 ; ATF 119 II 396 consid. 2).

1.7.3.      Par contre, lorsqu’une partie a qualifié sa ou ses conclusion (s), c’est-à-dire s’il en a indiqué le ou leur fondement juridique – il n’est pas obligé de le faire (cf. ATF 90 II 34 consid. 6a) - le juge y est lié. Ainsi, lorsqu’une conclusion tend à l’allocation d’un montant à titre d’indemnisation d’heures supplémentaires (art. 321 c CO) et une autre à l’allocation d’un montant à titre d’indemnité pour licenciement abusif (art. 336 a CO), le juge ne saurait allouer plus sur une conclusion et réduire d’autant ce qu’il s’apprêtait à allouer sur l’autre (cf. Dietschy, Droit du travail et procédure civile, 2e éd., Bâle, 2023, p. 64 ; Novier, « Les conclusions dans les procès de droit du travail – Questions choisies », in : Bohnet/Dunand/Mahon (éd), Les procédures en droit du travail, Zurich, 2020, p. 35 ; Bohnet, Note sur l’arrêt TF 4A_307/2011, in : RSPC 2012 p. 296 ; Colombini, Code de procédure civile, Lausanne, 2018, N. 1.3.1 ad art. 58 CPC ; Chabloz, in : Chaloz/Dietschy-Martenet/Heinzmann, Petit commentaire CPC, Bâle, 2021, Nos. 5 ss ad art. 58 CPC).

1.7.4.      En l’espèce, la demanderesse a conclu, en première instance, à la condamnation de sa partie adverse au montant de Fr. 26'900.- pour violation, par le défendeur, de la clause de prohibition de faire concurrence ainsi que – cela ressort du corps de son mémoire-demande – pour violation du devoir de fidélité (art. 321 a CO). Le Tribunal l’a déboutée de cette conclusion en tant qu’elle se fondait sur la clause de prohibition de faire concurrence : la clause invoquée ne satisfaisait pas aux exigences de forme de l’art. 340 al. 1 CO et n’était donc pas valide. Le Tribunal a accueilli la conclusion très partiellement en tant qu’elle se fondait, en outre, sur la violation de l’obligation de fidélité (art. 321 a CO).

1.7.5.      En appel, la demanderesse fonde à présent sa conclusion implicitement sur la violation seulement, par l’intimé, de son devoir de fidélité (art. 321 a CO) et sur son droit, à elle, de lui réclamer réparation pour le dommage en découlant (art. 321 e CO).

1.7.6.      Ce faisant, l’appelante paraît avoir modifié les conclusions, respectivement leur qualification, ce qui est, en principe, prohibé par l’art. 317 CPC.

1.7.7.      Toutefois, une partie peut, en appel, fonder ses conclusions sur une motivation juridique différente de celle alignée en première instance – pour autant que la conclusion se fonde sur le même complexe de fait (« Lebenssachverhalt » ; Seiler, op. cit. p. 594).

1.7.8.      La question de savoir si cette possibilité existe également lorsque, en première instance, la partie appelante avait pris une conclusion qualifiée, peut finalement rester indécise. En effet, dans une procédure prud’homale, les parties souhaitent qu’un litige soit tranché au fond, autant que faire se peut, pour peu que la paix sociale soit rétablie. En tout cas, à Genève, la justice prud’homale est rétive à un formalisme excessif.

2.             La fin du contrat de travail

2.1. Les parties se déchirent au sujet de la date de fin des rapports de travail : l’intimé soutient que ceux-ci ont pris fin le 31 août 2019, suite à une démission pour cette échéance, alors que l’appelante affirme qu’ils ont pris fin, par suite d’un licenciement immédiat, le 27 septembre 2019. De la réponse à cette question dépend la durée du contrat, et partant, du devoir de fidélité du travailleur.

2.2. A teneur de l’art. 335 al. 1 CO, le contrat de durée indéterminée peut être résilié par chacune des parties. Le cas d’un congé donné pour justes motifs excepté, la partie qui résilie le contrat doit respecter un préavis.

2.2.1. Selon l’art. 335 c al. 1 CO, et sous réserve d’une règlementation différente prévue par l’accord des parties ou une Convention collective de travail (CCT), le contrat peut être résilié pour la fin d’un mois moyennant un délai de congé d’un mois pendant la première année de service, et de deux mois de la deuxième à la neuvième année de service.

2.2.2. En l’espèce, les parties sont liées par la Convention collective de travail du Second-œuvre romand 2019 (CCT – SOR) étendue par arrêt du Conseil fédéral du 29 janvier 2019. L’art. 8 al. 1 CCT- SOR diffère de l’art. 335 c al. 1 CO en tant qu’il prévoit un délai de congé d’un mois pour la fin d’un mois à compter de la fin de la période d’essai jusqu’à la 2ème année de service, et d’un délai de congé de deux mois pour la fin d’un mois à compter de la 3ème année de service.

2.2.3. Lorsqu’un congé est donné à cheval entre deux années de services à délais de congé différents, il convient de s’en tenir au principe de la réception du congé : est applicable le délai de congé de l’année de service dans laquelle le destinataire reçoit le congé (Streiff/Von Kaenel/Rudolfph, op. cit., N. 3 ad art. 335 c CO).

2.3. Les parties à un contrat de travail peuvent s’entendre - dans le cadre d’un accord de cessation (Aufhebungsvertrag) explicite ou conclu tacitement; (art. 115 CO ; TF 4C_397/2004 du 15. 3. 2005 consid. 2.1 ; Streiff/Von Kaenel/Rudolplh, Arbeitsvertrag, Zurich, 2012, N. 10 ad art. 335 CO p. 912) - pour mettre fin à leur collaboration en tout temps, que ce soit avec effet immédiat, ou pour une échéance rapprochée (« antizipierte Vertragsauflösung »), pour autant qu’elles ne cherchent pas, par ce biais, à contourner une disposition impérative de la loi ou d’une convention collective qui vise à protéger la partie faible au contrat (cf. art. 341 al. 1 CO ;
ATF 119 II 449 consid. 2a ; Bohnet/Dietschy-Martenet, in : Dunand/Mahon (éd), Commentaire du contrat de travail, 2e éd., Berne, 2023, Nos 17-18 ad art. 341 CO ; Bruchez/Mangold/Schwaab, Commentaire du contrat de travail, 4e éd., Lausanne, 2019, No. 25 – 27 ad art. 335 CO).

2.4. Il arrive également qu’une partie résilie le contrat de travail moyennant un préavis abrégé, et partant, inexact. Ce congé n’est pas nul, mais en l’absence d’accord explicite ou tacite de la partie résiliée, il déploie ses effets à la plus prochaine échéance (TF 4C_230/2005 du 1. 9. 2005, consid. 1 ; Ordoli/Witzig, in : Thévenoz/Werro (éd), Commentaire Romand Code des obligations I, 2021, N. 5 ad art. 335 CO). Par ailleurs, la partie résiliée a droit à ce que la partie qui résilie respecte le délai de congé (rehbinder/stöckli, Berner Kommentar, 2014, N. 2 ad art. 335 CO p. 147).

2.4.1. Si l’employeur licencie le travailleur moyennant un préavis non conforme au contrat ou à la loi, sa démarche ne saurait être interprétée comme offre d’une cessation consensuelle des rapports de travail pour l’échéance inexacte indiquée, ni ne saurait-on, vu l’art. 341 al. 1 CO, déduire du silence du travailleur l’acceptation d’une telle offre (cf. Portmann/Rudolph, Basler Kommentar OR I, 7e éd., 2020, N. 28 ad art. 335 CO, Brühwiler, Einzelarbeitsvertrag, Bâle, 2014, N. 9 b ad art. 335 CO ; TF 4C_22/2000 du 27. 6. 2000, consid. 3 c ; 4C_122/2000 du 17. 7. 2000 consid. 1b ; CAPH GE 2014 414 consid. 7.1).

Si, en revanche, c’est le travailleur qui résilie le contrat pour une date antérieure à l’échéance légale ou contractuelle, sa déclaration s’interprète, selon les circonstances du cas concret, comme offre de conclure un accord de résiliation anticipée - l’art. 341 al. 1 CO ne saurait y faire obstacle (contra : Heinzer, in : Dunand/Mahon, op. cit, N. 19 ad art. 335 CO et id. in : Heinzer/Wyler, Droit du travail, Berne, 2019, p. 639).

2.5. L’initiative de conclure une accord de cessation ou de donner congé pour une échéance « inexacte » émane en règle générale du travailleur lorsqu’il a déjà conclu un contrat avec un nouvel employeur ou lorsque, fin prêt, il entend se mettre à son compte. Dans ce cas, en effet, la protection de la partie faible au contrat prévue par l’art. 341 al. 1 CO ne joue en principe pas (Gremper/Halbeisen, « Aufhebungsvertrag », in : Portmann/Von Kaenel (éd), Fachhandbuch Arbeitsrecht, Zurich, 2018, Rz. 10.29 p. 370).

2.6. En l’espèce, l’intimé a adressé à l’appelante sa lettre de démission par pli recommandé daté du 6 août 2019, soit la veille du changement de la 2ème à la troisième année de service, pour l’échéance du 31 août 2019. A l’évidence, l’échéance des rapports de travail y indiquée n’était pas conforme à l’art. 8 al. 1 CCT-SOR. Le congé étant parvenu à la destinataire au plutôt le 7 août 2019, soit au début de la 3ème année de service, l’intimé aurait dû respecter un délai de préavis de deux mois pour la fin d’un mois, c’est-à-dire résilier les rapports de travail pour l’échéance du 31 octobre 2019.

2.7. L’appelante persiste à soutenir que l’intimé serait, à l’issue d’un entretien du 8 août 2019, revenu sur sa décision de démissionner ; elle en veut, pour preuve, sa pièce 24 dem., c’est-à-dire la copie de la lettre de démission de l’intimée du 6 août 2019 tracée à la main et portant la mention manuscrite de la main de D______ « Erreur. Entendu. Le 8. 8. 2019 » ainsi qu’en marge, la signature de D______ et en bas de la lettre, le paraphe de l’intimé, explicité à droite par « B______ [prénom] ».

2.7.1. Or, à l’instar des premiers juges, la Cour n’est pas convaincue par les annotations figurant sur cette pièce. En effet, l’intimé n’a eu de cesse de contester l’existence, le 8 août 2019, d’une réunion ou entretien avec l’appelante ou ses organes dirigeants à propos de sa lettre de démission du 6 août 2019. Il a également contesté l’authenticité de sa signature.

2.7.1.1. D’ailleurs, fort confusément, dans son courrier de licenciement immédiat du 27 septembre 2019, l’appelante situe cet entretien au 19 août 2019 (cf. pièce 7 dem).

2.7.1.2. L’appelante, à qui incombait le fardeau de la preuve (art. 8 CC), n’a pas établi la réalité de cette réunion/ entretien, et encore moins la réalité d’un revenir, à cette occasion (ou ultérieurement) par l’intimé, sur sa décision de démissionner pour le 31 août 2019.

2.7.2. A cela s’ajoute le fait que l’intimé avait requis son inscription auprès de la Caisse cantonale vaudoise de compensation AVS en qualité d’indépendant, à compter du 1er septembre 2019. Ce fait paraît incompatible avec un revenir sur sa décision de partir le 31 août 2019.

2.7.3. Mais il y a plus encore. A supposer, par impossible, que, comme le soutient l’appelante, l’intimé soit revenu, le 8 août 2019, sur sa décision – et qu’il faille accorder à l’annotation patronale écrite sur son courrier du 6 août 2019 un crédit – il conviendrait alors de s’interroger sur le sens du terme « Erreur ; entendu » : s’agirait-il d’acter un revenir, par l’intimé, sur le principe de sa démission, ou simplement sur l’échéance, qui était inexacte, des rapports de travail résiliés ?

2.7.4. Ensuite, force est de constater que l’intimé n’a plus effectué le mois de septembre 2019. L’on s’étonne que l’appelante, dût-on se placer dans sa thèse, n’ait pas immédiatement sommé l’intimé de réintégrer son poste de travail, lorsque, au début du mois septembre 2019, elle a dû constater l’absence de l’intimé sans motif justifié. Elle eût pu, et, dans son optique, dû, le comminer de revenir travailler, faute de quoi elle retiendrait un abandon de poste au sens de l’art. 337 d CO et les conséquences en découlant. L’on constate également l’absence de tout paiement d’un salaire afférent au mois de septembre 2019 – sans que l’appelante, pour justifier cette omission, ne se fût avisée, à l’époque, de se prévaloir à l’égard de l’intimé, de l’art. 82 CO : pas de travail, pas de salaire.

2.7.5. Enfin, et à supposer qu’il faille accorder du crédit aux allégués de fait alignés dans la lettre de licenciement immédiat du 27 septembre 2019 (= pièce 7 dem), l’on constate la présence de griefs quant à un problème d’absence de l’intimé durant quelques jours au mois d’août 2019, mais aucune thématisation d’une absence fautive au travail à partir du 1er septembre 2019. Enfin, l’existence y affirmée d’un courrier que ce dernier aurait adressé à l’appelante en date du 24 septembre 2019, marquant une volonté de rompre le contrat « avec effet immédiat, soit pour le 30 septembre » (sic) n’a pas été démontrée : l’appelante n’a pas produit ledit courrier.

2.8. Compte tenu de ces indices et éléments, le courrier de l’intimé du 6 août 2019, interprété selon le principe de la confiance (art. 18 CO), valait offre à l’appelante de terminer les rapports de travail, d’entente, pour l’échéance rapprochée du 31 août 2019. Ces indices et éléments montrent ensuite que cette offre avait été tacitement acceptée par l’appelante. En effet, compte tenu des circonstances, il eût appartenu à l’appelante, si elle entendait ne pas accepter la fin des rapports de travail au 31 août 2019, de s’y opposer clairement et dans un délai raisonnable (« innert angemessener Frist », cf. Müller, Berner Kommentar, 2018, N. 59 ad art. 6 CO), en réclamant le respect du contrat jusqu’au 31 octobre 2019. Qui tacet consentire videtur (cf. art. 6 CO). Le silence prolongé de l’appelante à l’époque – justifiait que l’intimé s’estimât délié de ses obligations contractuelles à partir du 1er septembre 2019.

2.8.1. Pour ces raisons, la Cour, à l’instar du Tribunal, retient que les rapports de travail des parties ont pris fin le 31 août 2019.

3.             Violation du devoir de fidélité (art. 321 a CO)

3.1. A teneur de l’art. 321 a al. 1 CO, le travailleur sauvegarde fidèlement les intérêts légitimes de l’employeur. En particulier, il ne doit pas, pendant la durée du contrat, accomplir du travail rémunéré pour un tiers ou, d’une façon générale, faire concurrence à l’employeur. La norme contient une obligation de ne pas faire (« Unterlassungspflicht » ; Wiegand, in : Basler Kommentar OR I, 7e éd., 2020, N. 9 ad art. 98 CO).

3.1.1. Il découle de sa finalité que la disposition prohibe, entre autres, le fait, pour un travailleur, de déployer durant les rapports de travail, en violation des intérêts légitimes de l’employeur, une activité concurrente sur une base indépendante ; en principe, cette règle s’applique également lorsque, durant le préavis, le travailleur a été libéré (cf. Milani, in : Etter/Facincani/Sutter, Arbeitsvertrag, Berne, 2021, Nos 28 – 29 ad art. 321 a CO).

3.1.2. Ne contrevient pas à l’art. 321 a CO le travailleur qui entreprend, alors qu’il est encore sous contrat avec son actuel employeur, de simples préparatifs en vue de se mettre à son compte (ATF 138 III 67 consid. 2.3.5; 117 II 72 c. 4 a = JdT 1992 I 569 = JAR 1992 p. 109 ; TF 26.07. 2004 = JAR 2005 p. 240 ; Streiff/Von Kaenel/Rudolph, op. cit., N. 10 ad art. 321 a CO p. 181; Rehbinder/Stöckli, Berner Kommentar, 2010, N. 9 ad art. 321 a CO).

3.1.3. Sont notamment considérés comme préparatifs admissibles (cf. Räber, Das nachvertragliche Konkurrenzverbot im Arbeitsvertrag, Zurich, 2020, p. 50):

- la fondation d’une société ou la création d’une raison individuelle et l’inscription au Registre du commerce ;

- la préparation de prospectus et matériel de publicité – sans les mettre en circulation ;

- la conclusion d’un bail commercial pour l’entreprise à venir ;

- l’enregistrement d’une adresse Internet et d’une adresse e-mail ;

- le recrutement de personnel, pour autant qu’il ne s’agit pas de personnel débauché de l’employeur.

3.1.4. A cette liste non-exhaustive l’on peut ajouter la conclusion de contrats de fourniture de biens et de services avec des clients non débauchés de l’employeur – contrats qui ne seront exécutés qu’une fois les rapports de travail terminés. En effet, à la différence de l’art. 340 CO, l’art. 321 a CO ne semble pas contenir une interdiction de conclure également ce type de contrats pendente contractu laboris (« Abschlussverbot », Cotti, Das vertragliche Konkurrenzverbot Fribourg, 2001, p. 162).

3.2. En l’espèce, il a été établi que l’intimé avait commencé à concurrencer activement l’appelante avant la fin des rapports de travail, c’est-à-dire avant le 31 août 2019. En effet, le 6 juillet 2019, il avait exécuté deux types de travaux de nettoyage rémunérés, dans le segment de l’employeur, pour E______ SA, et ce pour un montant total de Fr. 600.- (cf. factures du 8. 7. 2019 = pièce 52 déf).

3.2.1. Ce faisant l’intimé a gravement violé son devoir de fidélité. Le fait qu’il ait effectué ce travail un samedi, soit en dehors du temps de travail, et que la rémunération obtenue ait été modique, importe peu ; il en va du principe. Il est allé trop loin. L’incartade, eût-elle été découverte « à temps », aurait justifié son licenciement immédiat (art. 337 CO ; TF 4A_379/2021 du 21. 9. 2021 consid. 5.1 = SJ 2022 p. 212 = DTA/ARV 2021 p. 391 ; CAPH/27/2021 du 9. 2. 2021 consid. 4.1. in : JAR 2022 p. 598 ; Gloor, in : Dunand/Mahon, Commentaire du contrat de travail, 2e éd., Berne, 2022, N. 46 ad art. 337 CO).

4.             Dommage, étendue, réparation

4.1. Le travailleur qui viole son obligation de fidélité engage sa responsabilité contractuelle (art. 97 CO). Celle-ci suppose la réalisation de quatre conditions cumulatives , à savoir un dommage, la violation d’une obligation contractuelle, un lien de causalité entre ladite violation et le dommage, ainsi que faute intentionnelle ou par négligence (ATF 144 III 327 c. 4..2.1 = SJ 2019 I 121[trad]).

4.2. Dans la mesure où l’activité concurrentielle du travailleur a causé un dommage à l’employeur, ce dernier est fondé – en sus d’un recours aux sanctions des arts. 337 et 337 b CO – à en réclamer la réparation (cf. art. 321 e CO ; TF 4A_174/2012 u 22. 8. 2012 consid. 9.1. = JAR 2013 p. 293 ; Dunand, in : Dunand/Mahon, Commentaire du contrat de travail, op. cit., N. 5 ad art. 321 e CO).

4.2.1. En vertu des règles générales (cf. art. 8 CC), l’employeur doit apporter la preuve de la violation contractuelle, du dommage et du lien de causalité. Cependant, quand il est difficile, voire impossible d’apporter la preuve stricte du montant du dommage, le juge le détermine équitablement en considération du cours ordinaire des choses et des mesures prises par la partie lésée (cf. art. 42 al. 2 CO – par renvoi de l’art. 99 al. 2 CO ; ATF 123 III 257 c.. 5 d = JdT 1998 I 176).

4.2.3. L’employeur doit avoir subi un dommage, lequel correspond à la différence entre le montant actuel de son patrimoine et le montant que ce même patrimoine aurait si l’événement dommageable ne s’était pas produit (ATF 144 III 155 c. 2.2. =
JdT 2018 II 287). Le dommage peut se présenter sous forme d’une diminution de l’actif, d’une augmentation du passif, d’une non-augmentation de l’actif ou d’une non-diminution du passif (ATF 133 II 462 c. 4. 4. 2 = JdT 2009 I 47). Lorsque le dommage consiste en une perte de gain (« lucrum cessans »), l’ampleur de cette perte doit, au besoin, être appréciée par le juge sur la base des faits établis par l’employeur (TF 4C_8/2007 du 28. 3. 2007 consid. 2 ; Dunand, op. cit., N. 17 ad art. 321 e CO).

4.2.4. Lorsque, comme en l’espèce, l’on a affaire à une activité concurrentielle du travailleur sous forme de travaux réalisés comme entrepreneur indépendant pour un tiers, dans le même marché, le dommage subi par l’employeur ne saurait être constitué, comme le soutient implicitement l’appelante, par la perte d’un chiffre d’affaires (« Umsatzeinbusse »), mais par le gain manqué (« Gewinneinbusse ») (cf.
ATF 137 III 607 consid. 2.3. = JAR 2012 p. 367, cas d’un fondé de procuration, art. 464 CO) ; CAPH/27/2021 du 9. 2. 2021 consid. 3.2. = JAR 2022 p. 598).

4.2.5. L’employeur lésé peut prétendre à une « Gewinnabschöpfung ». au sens de l’art. 423 al. 1 CO, respectivement de l’art. 464 CO, appliqués par analogie (cf. Cotti, op. cit., p. 203 et p. 225 ss; Fornage, in: Martenet/ Pichonnaz, Loi sur la concurrence déloyale, Commentaire romand, 2017, N. 53 ad art. 9 LCD ; cf. aussi, pour le domaine des brevets : ATF 134 III 306 consid. 4.1.1. = JdT 2008 I 386).

4.2.6. Le gain réalisé indûment consiste dans les avantages pécuniaires résultant de l’activité concurrentielle, soit la différence entre le patrimoine du contrevenant après la violation de l’art. 321 a CO ou de la LCD et le patrimoine de celui-ci sans la violation (ATF 134 III 306 consid. 4.1.1. = JdT 2008 I 386). Le gain en question est le bénéfice net (i. e. chiffre d’affaires moins les charges).

4.2.7. En l’espèce, le Tribunal a alloué à la demanderesse, à titre de dommages-intérêts (et ci-devant : appelante) le montant de Fr. 600.-, soit le chiffre d’affaires réalisé par le demandeur (ci-devant : intimé), du fait de son activité concurrentielle le 6 juillet 2019, survenue alors que le contrat de travail était encore en cours.

4.2.7.1. Vu ce qui précède, le critère retenu par le Tribunal n’était pas le bon. Il aurait dû retenir comme base du dommage allégué le gain manqué qui, logiquement, eût été inférieur au montant de Fr. 600.-. L’intimé n’ayant pas formé appel, ou appel joint, sur cette condamnation, il n’y a pas lieu de procéder à une correction.

4.3. L’appelante, reprenant les moyens développés en première instance, réclame à titre de dommages-intérêts (art. 97 CO ; art. 321 e CO) les montants facturés par l’intimé à des tiers non seulement jusqu’au 31 août 2019, mais jusqu’au 27 septembre 2019 – date qu’elle persiste à considérer comme date de fin des rapports de travail – et ce par suite d’un licenciement immédiat pour justes motifs.

4.3.1. A supposer qu’il faille, avec l’appelante, retenir la date du 27 septembre 2019 comme date de fin des rapports de travail, force serait de retenir ceci – sur la base du listing établi par l’appelante (liasse I, p. 8) :

- la facture F______ No. 73 du 26 septembre 2019 d’un montant de Fr. 12'500.- ne concerne pas des travaux effectués par l’intimé avant le 27 septembre 2019 (pièce 52 déf, 4ème document). Commentaire : Il s’agit plutôt d’un devis pour travaux commandés par le client (H______ SA) et qui seraient à exécuter après le 27 septembre 2019.

- la facture F______ non-numérotée du 1er octobre 2019 d’un montant de Fr. 300.- concerne des travaux exécutés le 15 septembre 2019, pour un client à O______ [VD]. Commentaire : L’appelante ne précise pas, ici, son gain manqué.

- le « contrat de sous-traitance » de F______ du 24 septembre 2019 avec P______ Sàrl, à Q______ [GE], pour un montant de Fr. 6'000.- concernent des travaux de sablage à effectuer dans un délai maximum de 30 jours (pièce 52 déf, avant-dernier document). Commentaire : Ces travaux ne tombent pas vraiment dans la période avant le 27 septembre 2019, ou alors seulement pour une partie infime. Par ailleurs, l’appelante n’a pas indiqué le gain manqué.

- le « contrat du 20 septembre 2019 » de F______ avec R______ SA à O______, pour conclu, rétroactivement, pour une année à compter du 1er septembre 2019, soit donc pour une «valeur annuelle totale » de Fr. 10’800.- (pièce 51 déf, dernier document). Commentaire : ce contrat n’est à prendre en considération que pour la prestation effectuée en septembre 2019, soit pour un montant de Fr. 900.-. Ici, à nouveau, l’appelante omet d’indiquer son gain manqué.

4.3.2. Par conséquent, même à supposer que l’on doive retenir la date du 27 septembre 2019 comme date de fin des rapports de travail, et prendre en considération, pour autant que l’activité concurrentielle alléguée ait été déployée par l’intimé avant le 27 septembre 2019, les postes de dommage allégués dans son listing (liasse I, p. 8), encore fallût-il que l’appelante ait pris soin de substantifier le dommage, c’est-à-dire qu’elle ait indiqué son gain manqué (Domej, in : Heinzmann/Loacker (éd), UWG – Kommentar, Zurich, 2018, N 47 ad art. 9 LCD ; TF 4C_225/2006 du 20. 9. 2006 c. 2.4).

4.3.2.1. Il lui eût suffi à cet effet de faire porter les enquêtes du Tribunal sur ce point, en concluant à ce qu’il ordonne au défendeur de préciser le bénéfice réalisé afférent aux opération ici incriminées. Elle ne l’a pas fait, alors qu’elle assumait non seulement le fardeau de l’allégation (« Behauptungslast ») et de la preuve (« Beweislast ») du dommage, mais aussi, dans ce contexte, le fardeau de le substantifier (« Substanzierungslast »). La Cour n’eût pu réformer le jugement.

4.4. Au final, il s’avère que le jugement entrepris doit être confirmé.

5.             Frais judiciaires et dépens

Vu la valeur litigieuse, la procédure est gratuite (art.116 al. 1 CPC, art. 19 al. 3 let. c LaCC (RS/GE E 105) et art. 69 RTFMC (RS/GE 1. 05. 10). A Genève, il n’est pas alloué de dépens (art. 116 al. 1 CPC et art. 22 al. 2 LaCC).

* * * * *



PAR CES MOTIFS,
La Chambre des prud’hommes, groupe 5 :

 

A la forme :

Déclare recevable l’appel interjeté le 3 mai 2023 par A______ SA contre le jugement JTPH/96/2023 rendu le 29 mars 2023 dans la cause C/11825/2021-1 ;

Au fond :

Confirme le jugement.

Dit qu’il n’est pas alloué de dépens.

Siégeant :

Monsieur Werner GLOOR, président; Monsieur Pierre-Alain L'HOTE, juge employeur; Monsieur Pierre André THORIMBERT, juge salarié ; Madame Fabia CURTI, greffière.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Indication des voies de recours et valeur litigieuse :

Conformément aux art. 72 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification avec expédition complète (art. 100 al. 1 LTF) par-devant le Tribunal fédéral par la voie du recours en matière civile.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14.

 

Valeur litigieuse des conclusions pécuniaires au sens de la LTF supérieure ou égale à 15'000.- fr.