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Décisions | Chambre des prud'hommes

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C/3973/2022

CAPH/99/2023 du 04.10.2023 ( SS ) , IRRECEVABLE

En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

C/3973/2022 CAPH/99/2023

ARRÊT

DE LA COUR DE JUSTICE

Chambre des prud'hommes

DU MERCREDI 4 OCTOBRE 2023

 

Entre

Monsieur A______, domicilié ______, recourante contre une ordonnance rendue par le Tribunal des prud'hommes le 4 mai 2023, représenté par Me Romain JORDAN, avocat, Merkt & Associés, rue Général-Dufour 15, case postale , 1211 Genève 4,

et

B______ SA, sise ______, intimée, représentée d'abord par Me C______ et Me D______, avocates, puis en personne,


EN FAIT

A. a. Le 21 juillet 2022, A______ a assigné B______ SA par devant le Tribunal des prud'hommes en paiement de différents montants pour un total de 72'568 fr. 65, intérêts en sus, ainsi qu'en délivrance d'un certificat de travail.

Dans sa demande, il a indiqué que sa partie adverse était représentée par Mes C______ et E______, avocates au sein de l'étude F______ SARL.

b. Par réponse du 27 octobre 2022, B______ SA a reconnu devoir un montant de 8'273 fr. 76 à A______ pour 28,5 jours de vacances non prises, et conclu au déboutement de ce dernier pour le surplus.

c. Le 29 novembre 2022, le Tribunal des prud'hommes a ordonné un second échange d'écritures.

Les parties ont répliqué et dupliqué, persistant dans leurs conclusions respectives.

d. Le Tribunal des prud'hommes a tenu une audience le 4 mai 2023.

B______ SA était assistée de Me D______, avocate, excusant Me G______, avocat.

A______ s'est prévalu de l'incapacité de Me G______ de postuler pour B______ SA en raison d'un conflit d'intérêt ou d'un manque d'indépendance découlant de sa double fonction d'administrateur de cette société et d'avocat chargé de la défense des intérêts de celle-ci dans la présente procédure.

B______ SA a indiqué que la duplique avait été réalisée par Me C______ et que cette dernière était chargée de ce dossier.

A______ a persisté dans sa requête tendant à ce que l'Etude F______ Sàrl ne puisse pas représenter B______ SA dans la procédure.

B. Par ordonnance rendue sur le siège le 4 mai 2023, le Tribunal des prud'hommes a admis la représentation de B______ SA par l'étude F______ SARL, représentée par Mes C______ et D______ (ch. 1 du dispositif), rejeté en conséquence l'incident soulevé par A______ lors de l'audience (ch. 2) et statué sur l'administration des preuves (ch. 3 à 20).

Le Tribunal des prud'hommes a notamment relevé l'inexistence d'intérêts contradictoires dans la représentation de la société intimée par l'Etude F______ Sàrl, l'existence d'une procuration valable de Me C______, la prolongation de la durée de la procédure qu'engendrerait un changement de mandataire, contraire à l'exigence de célérité et enfin la tardiveté de la requête en incapacité de postuler, formulée après deux échanges d'écritures.

C. a. Par acte expédié le 15 mai 2023, A______ recourt contre cette ordonnance, concluant à ce que la Cour l'annule et, cela fait, dénie la capacité de postuler à Me G______ et tous autres membres de son étude F______ SARL en faveur de B______ SA dans la présente procédure et ordonne à cette dernière de constituer un nouvel avocat dans la procédure prud'homale.

Il fait valoir que Me G______ est administrateur de B______ SA, de sorte que les collaborateurs de cette étude ne peuvent pas représenter cette société en raison d'un conflit d'intérêts, que la représentation de la société par Me G______ ou ses collaborateurs lui porterait gravement préjudice, que la continuation de la procédure en dépit de l'existence de conflits d'intérêts constituait une atteinte grave et irrémédiable à ses droits, qu'il ne pouvait lui être imposé de tolérer que sa partie adverse soit représentée par l'avocat administrateur ayant siégé avec les deux autres administrateurs et que si le recours était admis, il pourrait s'avérer nécessaire de refaire certains actes de la procédure, avec la conséquence de retarder outre mesure l'avancement de celle-ci.

b. Sa requête tendant à la suspension de l'effet exécutoire attaché à l'ordonnance querellée a été rejetée par arrêt du 6 juin 2023.

c. B______ SA a conclu au rejet du recours, sous suite de frais et dépens.

d. Les parties ont fait usage de leur droit de répliquer de manière spontanée.

e. Par avis du 28 août 2023, les parties ont été informées de ce que la cause était gardée à juger.

EN DROIT

1.             1.1 Le recours est recevable contre les décisions finales, incidentes et provisionnelles de première instance qui ne peuvent pas faire l'objet d'un appel (art. 319 let. a CPC) et contre les autres décisions et ordonnances d'instruction de première instance dans les cas prévus par la loi (art. 319 let. b ch. 1 CPC) ou lorsqu'elles peuvent causer un préjudice difficilement réparable (art. 319 let. b ch. 2 CPC).

Par définition, les décisions visées à l'art. 319 let. b CPC ne sont ni finales, ni partielles, ni incidentes, ni provisionnelles; il s'agit de décisions d'ordre procédural par lesquelles le tribunal détermine le déroulement formel et l'organisation matérielle de l'instance (Freiburghaus/Afheldt, Kommentar zur Schweizerischen Zivilprozessordnung, 2013, n. 11 ad art. 319 CPC; Jeandin, in Code de procédure civile commenté, 2011, n. 11 ad art. 319 CPC).

1.2 En l'espèce, le recours est dirigé contre la décision rendue sur le siège par le Tribunal des prud'hommes lors de son audience du 4 mai 2023, rejetant la requête du recourant en interdiction de postuler du conseil de sa partie adverse.

Déposé dans la forme prescrite auprès de l'instance de recours dans un délai de 10 jours à compter de la notification de la décision (art 321 al. 1 et 2 CPC), le recours est recevable sous cet angle.

Reste à déterminer si la décision entreprise est susceptible de causer au recourant un préjudice difficilement réparable.

2 2.1.1 La notion de "préjudice difficilement réparable" est plus large que celle de préjudice irréparable au sens de l'art. 93 al. 1 let. a LTF relatif aux recours dirigés contre des décisions préjudicielles ou incidentes, dès lors qu'elle ne vise pas seulement un inconvénient de nature juridique, mais toute incidence dommageable (y compris financière ou temporelle), pourvu qu'elle soit difficilement réparable. L'instance supérieure doit se montrer exigeante, voire restrictive, avant d'admettre l'accomplissement de cette dernière condition, sous peine d'ouvrir le recours à toute décision ou ordonnance d'instruction, ce que le législateur a clairement exclu (cf. ATF 138 III 378 consid. 6.3; 137 III 380 consid. 2, SJ 2012 I 73; ACJC/327/2012 du 9 mars 2012, consid. 2.4; Jeandin, Code de procédure civile commenté, 2011, n° 22 ad art. 319 CPC; Hohl, Procédure civile, Tome II, 2010, n° 2485; Blickenstorfer, Kommentar Schweizerische Zivilprozessordnung, Brunner/Gasser/Schwander [éd.], 2011, n° 39 ad art. 319 CPC).

Le préjudice sera ainsi considéré comme difficilement réparable s'il ne peut pas être supprimé ou seulement partiellement, même dans l'hypothèse d'une décision finale favorable au recourant (Reich, Schweizerische Zivilrpozessordnung [ZPO], 2010, n. 8 ad art. 319 CPC).

2.1.2 La décision qui interdit à l'avocat mandaté par une partie de procéder en justice en tant que représentant de celle-ci, en raison d'un conflit d'intérêts prohibé par la LLCA, ne pourra plus être réparée par la décision finale, après que le procès se sera entièrement déroulé avec un autre mandataire. Elle cause donc un préjudice difficilement réparable (arrêt du Tribunal fédéral 4D_58/2014 du 17 octobre 2014 consid. 1.3 et 2, et la référence citée).

Lorsque le juge nie l'existence d'un conflit d'intérêts et autorise l'avocat d'une partie à poursuivre sa représentation, une telle décision n'est en principe pas susceptible de causer un préjudice irréparable à la partie adverse : l'art. 12 LLCA vise au premier chef à protéger les intérêts du client de l'avocat (arrêts du Tribunal fédéral 4A_436/2015 du 17 mai 2016, consid. 1.2.2; 5A_47/2014 du 27 mai 2014 consid. 4.4; 1B_420/2011 du 21 novembre 2011 consid. 1.2.2).

2.1.3 Il appartient au recourant d'alléguer et d'établir la possibilité que la décision incidente lui cause un préjudice difficilement réparable, à moins que cela ne fasse d'emblée aucun doute (ATF 134 III 426 consid. 1.2 par analogie; CAPH/102/2022 du 5 juillet 2022 consid 1.1; ACJC/729/2021du 28 mai 2021, consid. 2.1.1).

2.2 En l'espèce, le Tribunal des prud'hommes a rejeté la requête du recourant tendant à ce que la capacité de l'Etude F______ Sàrl pour représenter la société intimée lui soit déniée. Les premiers juges ont retenu qu'aucun conflit d'intérêts ne s'opposait à ce que l'Etude de Me G______, occupant la fonction d'administrateur de la société intimée, représente cette dernière dans la présente procédure prud'homale.

Dans son recours, le recourant se borne à affirmer que cette décision lui porte de toute évidence gravement préjudice pour la suite de la procédure, que la représentation la société intimée par des avocats de l'Etude de son administrateur lui porte gravement préjudice, que la continuation de la procédure en dépit de l'existence de tels conflits d'intérêts constitue une atteinte grave et irrémédiable à ses droits, que les principes de bonne foi, de l'indépendance ou des règles professionnelles de l'avocat seraient gravement bafoués ou encore que des actes de procédure ou des moyens de preuve viciés si la capacité des conseils de la société intimée ne leur était pas déniée. Il n'expose toutefois aucun élément concret permettant de détecter en quoi ses propres intérêts seraient susceptibles d'être lésés par la représentation de sa partie adverse par l'un des avocats de l'Etude F______ Sàrl, dont il n'allègue pas qu'ils auraient défendu ses intérêts par le passé. Il en va de même du manque d'indépendance dont il se prévaut, dès lors que l'on ne discerne pas l'intérêt du recourant à se plaindre d'un éventuel manque d'indépendance entre la partie adverse et le conseil de celle-ci.

Le recourant n'allègue enfin pas à satisfaction en quoi d'éventuels actes de procédure ou moyens de preuve prononcés ou administrés dans une procédure menée avec une partie par hypothèse indûment représentée constituent un préjudice qui ne pourrait être réparé dans le cadre d'un recours contre la décision à rendre sur le fond.

Son recours sera en conséquence déclaré irrecevable.

3. Les frais judiciaires de recours seront arrêtés à 300 fr. (art. 3 let. c LaCC; art. 71 RTFMC), compensés avec l'avance fournie par le recourant (art. 111 al. 1 CPC) et mis à la charge de ce dernier, qui succombe (art. 106 al. 1 CPC).

Aucun dépens n'est alloué s'agissant d'un litige de droit du travail (art. 22
al. 2 LaCC).

* * * * *

PAR CES MOTIFS,
La Chambre des prud'hommes, groupe 1 :

Déclare irrecevable le recours formé le 15 mai 2023 par A______ contre l'ordonnance rendue le 4 mai 2023 par le Tribunal des prud'hommes dans la cause
C/3973/2022.

Arrête les frais judiciaires de recours à 300 fr., les met à la charge de A______ et les compense avec l'avance fournie, qui reste acquise à l'Etat de Genève.

Siégeant :

Madame Ursula ZEHETBAUER GHAVAMI, présidente; Monsieur Christian PITTET, juge employeur; Monsieur Roger EMMENEGGER, juge salarié; Madame Fabia CURTI, greffière.

 

 

La présidente :

Ursula ZEHETBAUER GHAVAMI

 

 

La greffière :

Fabia CURTI

 

 

 

 

 

 

 

Indication des voies de recours et valeur litigieuse :

 

Conformément aux art. 72 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification avec expédition complète (art. 100 al. 1 LTF) par-devant le Tribunal fédéral par la voie du recours en matière civile.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14.

 

Valeur litigieuse des conclusions pécuniaires au sens de la LTF supérieure ou égale à 15'000 fr.