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Décisions | Chambre des prud'hommes

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C/10617/2020

CAPH/119/2022 du 26.07.2022 sur JTPH/135/2021 ( OO ) , ARRET/CONTRA

Recours TF déposé le 14.09.2022, rendu le 09.05.2023, ADMIS, 4A_393/2022
En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

C/10617/2020-4 CAPH/119/2022

ARRÊT

DE LA COUR DE JUSTICE

Chambre des prud'hommes

DU 26 juillet 2022

 

Entre

Monsieur A______, domicilié ______, France, appelant d'un jugement rendu par le Tribunal des prud'hommes le 21 avril 2021 (JTPH/135/2021), comparant par Me O______, Genève, en l'Étude duquel il fait élection de domicile,

et

B______ SA, sise ______[ZH], intimée, comparant par Me Heinrich HEMPEL, avocat, Kasinostrasse 2, case postale 1507, 8401 Winterthur, en l'Étude duquel elle fait élection de domicile.

 


EN FAIT

A.           Par jugement JTPH/135/2021 du 21 avril 2021, le Tribunal des prud'hommes a déclaré irrecevable la demande en paiement formée le 13 novembre 2020 par A______ contre B______ SA (chiffre 1 du dispositif), invité A______ à mieux agir s'il s'y estime fondé (ch. 2), mis à sa charge les frais judiciaires, arrêtés à 2'500 fr., en les laissant provisoirement à la charge de l'Etat de Genève (ch. 3 et 4) et débouté les parties de toute autre conclusion.

En substance, le Tribunal a retenu que les parties n'étaient pas liées par un contrat de travail, de sorte qu'il n'était pas compétent à raison de la matière. Il n'était pas non plus compétent en raison du lieu compte tenu de l'élection de for contenue dans le contrat conclu entre les parties.

B.            a. Par acte, de quelque septante pages, déposé au greffe de la Cour de justice le 25 mai 2021, A______ forme appel contre ce jugement.

Il conclut à son annulation et, cela fait, à ce qu'il soit dit et constaté que les juridictions des prud'hommes de Genève sont compétentes pour connaître de sa demande en paiement dirigée contre B______ SA et au renvoi de la cause au Tribunal pour qu'il entre en matière sur le fond du litige.

Il soutient que les parties sont bien liées par un contrat de travail, contrairement à ce qu'a retenu le Tribunal.

b. Dans sa réponse, d'environ cinquante pages, B______ SA conclut au rejet de l'appel et à la confirmation du jugement entrepris.

c. Par réplique et duplique, les parties ont persisté dans leurs conclusions respectives.

d. Elles ont été informées par avis de la Cour du 20 janvier 2022 de ce que la cause était gardée à juger.

C.           Les faits pertinents suivants résultent de la procédure.

a. B______ SA est une société, basée à N______[ZH], dont le but est notamment la fourniture de différentes prestations en matière d'assurance.

b. Fin 2010, A______ est entré en relation contractuelle avec B______ SA, la nature de celle-ci est disputée entre les parties.

Ainsi, du 3 janvier 2011 au 30 avril 2014, A______ était titulaire de l'entreprise individuelle C______, A______.

c. A la base de leur relation, les parties ont signé un contrat intitulé "contrat de C______" (ci-après : le contrat), ainsi qu'un "avenant à durée limitée" prévoyant quatre versements de garanties durant l'année 2011. Faisaient également partie intégrante au contrat, divers annexes et documents.

Les termes contractuels comprenaient notamment les dispositions suivantes.

-     Selon l'art. 1 du contrat, A______ devait gérer C______ en qualité d'entrepreneur indépendant, pour son propre compte, s'inscrire au Registre du commerce, être membre de l'Association D______, agir sous sa propre responsabilité, se conformer aux directives de B______ SA et s'engager à fidéliser la clientèle existante et à démarcher de nouveaux clients.

-     A______ devait développer le portefeuille de clients de B______ SA et promouvoir sa réputation (art. 2).

Il était également prévu que B______ SA fournisse à A______ les tarifs, formulaires et autres documents nécessaires et était en droit d'étendre ou de réduire son activité commerciale. Les frais liés à l'agence générale (salaires, loyer, etc.) étaient à la charge de A______.

-     Le contrat était conclu pour une durée indéterminée et résiliable moyennant un délai de trois mois (art. 3).

-     L'agence générale devait être située à Genève. L'accord de B______ SA était nécessaire avant tout changement de site, A______ devait louer les locaux de l'agence et son nom devait être "Agence générale A______" (art. 4).

Cet article indiquait également la manière dont A______ devait utiliser la dénomination de sa fonction, en interne et en externe.

-     B______ SA attribuait un secteur à A______, à qui il était fait interdiction de prospecter à l'extérieur de ce secteur (art. 5).

-     Un portefeuille de clients était confié à A______ par B______ SA (art. 6).

-     A______ et ses collaborateurs travaillaient exclusivement pour B______ SA. Il devait obtenir le consentement écrit de cette dernière pour exercer d'autres activités lucratives ou assumer des mandats politiques, culturels ou autres (art. 7).

-     A______ et ses collaborateurs du service externe étaient tenus de s'inscrire au registre des intermédiaires de l'autorité de surveillance des intermédiaires, B______ SA prenant en charge les frais de formation internes et contractant à ses frais l'assurances responsabilité civile professionnelle requise pour cette inscription (art. 8).

-     A______ était l'employeur de ses collaborateurs qu'il était libre de choisir. B______ SA pouvait toutefois donner des instructions de recrutement et fournissait un modèle de contrat de travail, que A______ devait lui remettre une fois signé. Il était précisé qu'il n'existait aucune relation contractuelle entre les collaborateurs de A______ et B______ SA (art. 9).

-     C'était B______ SA qui choisissait la fiduciaire (art. 10).

-     L'art. 11 relatif à la rémunération renvoyait à un complément s'agissant des éléments de rémunération et à des règlements concernant le calcul des commissions.

-     En tant que travailleur indépendant et employeur, A______ devait verser ses cotisations aux assurances sociales (AVS, AI, AC, APG) ainsi que celles de ses collaborateurs directement à la caisse de compensation.

-     A______ était tenu de s'affilier, lui et ses collaborateurs, aux institutions de prévoyance de B______ SA (caisse de pension, assurance-accidents et assurance d'une indemnité journalière en cas de maladie) (art. 12).

-     A______ devait accorder à B______ SA un droit de surveillance et de consultation illimité (art. 13).

-     B______ SA disposait de modèles pour les contrats d'intermédiaires (art. 14).

-     L'art. 15 prévoyait un droit de subrogation de B______ SA en cas de résiliation du contrat.

-     Le décompte entre B______ SA et A______ s'effectuait à un rythme mensuel au moyen d'un compte courant tenu par la société (art. 16).

-     A______ devait toujours se conformer au "corporate design" ainsi qu'aux directives en matière d'identité d'entreprise de B______ SA (art. 17) et était tenu de garder le secret sur toutes les affaires (art. 18).

-     Des réductions sur les produits d'assurances de B______ SA étaient prévues pour A______ et ses collaborateurs (art. 19).

-     L'art. 20 mentionnait les appuis que B______ SA fournissait à A______ s'agissant des installations informatiques, du marketing et de la formation notamment.

-     B______ SA disposait d'un droit d'accès à toutes les données nécessaires (art. 21).

-     L'art. 22 réglait les conséquences de la résiliation du contrat s'agissant de la rémunération (art. 22.1), de l'indemnité selon l'art. 418u CO (art. 22.2), des restitutions (art. 22.3) et des procurations (art. 22.4).

-     A______ devait s'engager à respecter un devoir de fidélité envers B______ SA (art. 23).

-     Enfin, l'art. 24 contenait des dispositions finales concernant la responsabilité de A______ (art. 24.1), son obligation d'informer (art. 24.2), les droits de propriété intellectuelle (art. 24.3), la modification du contrat (art. 24.4), les anniversaires de service (art. 24.5), l'indication des annexes faisant partie intégrante du contrat (art. 24.6), les instructions de B______ SA portant sur l'application des normes juridiques suisses et étrangères que A______ reconnaissait et s'engageait à respecter impérativement (art. 24.7), le droit applicable, à savoir le droit suisse et notamment les art. 418a ss du Code des obligations (art. 24.8) et le for, à savoir au siège de B______ SA (art. 24.9).

d. Par courrier du 10 janvier 2014, B______ SA a résilié le contrat la liant à A______, la fin des rapports intervenant au 30 avril 2014.

e. Le 13 novembre 2020, A______ a formé une demande en paiement, de près de nonante pages et accompagnée de trois classeurs de pièces, par-devant le Tribunal des prud'hommes à l'encontre de B______ SA, concluant au paiement de la somme totale de 2'303'731 fr. à titre de remboursement de frais, d'indemnité pour travail supplémentaire, d'indemnité pour vacances non prises et de dommage, ainsi qu'à la remise d'un certificat de travail.

A l'appui de sa demande, A______ a notamment allégué ce qui suit:

Il avait travaillé en tant que "conseiller en prévoyance" auprès de B______ SA du 1er septembre au 31 décembre 2010, avant d'accéder au poste d'agent général P&P (Prévoyance et Patrimoine). Ce dernier poste était totalement intégré à l'activité commerciale de B______ SA et au package qui lui était proposé, ce qui impliquait qu'il reprenne la structure déjà existante de la partie "Vie", personnel compris, et gérée alors par F______.

B______ SA disposait d'un large pouvoir d'ingérence dans son activité et, pendant toute la durée des rapports contractuels, elle lui avait imposé des modifications unilatérales de son contrat sur des aspects opérationnels et concrets de son agence.

S'agissant de l'organisation et du déroulement de ses activités, A______ a notamment exposé qu'il avait dû reprendre des locaux imposés, qu'il était complétement dépendant de B______ SA sur les plans de la communication externe et du marketing, que l'accès aux données des polices se faisait de manière centralisée au moyen du programme G______ fourni par B______ SA et que l'infrastructure et les outils de travail étaient ainsi fournis par B______ SA.

Hiérarchiquement, il dépendait de H______, chef pour la région Suisse romande, de I______, chef suisse pour la Prévoyance et le Patrimoine et de J______, chef des ventes. Par ailleurs, il s'était vu attribuer un "chef de ligne", soit un supérieur hiérarchique direct, un "HRBP", un HR Manager" et un "HR Admin. Officer", soit un responsable RH et son adjoint, tous ces répondants travaillant pour B______ SA sur la base de rapports de travail. A______ devait ainsi rendre compte à H______ pour les activités commerciales et opérationnelles et à K______ et L______ pour les ressources humaines. Au travers d'entretiens réguliers, H______ encadrait très étroitement son activité.

A______ a ajouté que B______ SA imposait le nombre des membres du personnel de l'agence générale ainsi que la manière dont il devait fixer les objectifs de ses collaborateurs du service externe. En outre, elle plaçait des apprentis dans les différentes agences, dont la sienne, avec obligation de les former. Il devait aussi donner des formations aux nouveaux conseillers d'B______ SA venant d'autres agences.

Selon les explications de A______, il devait se rendre une fois par mois au siège de la société pour la Suisse romande, à des entretiens mensuels durant lesquels il devait rendre compte de ses activités et durant lesquels ses objectifs étaient examinés et de nouveaux objectifs lui étaient fixés, ainsi qu'à des séances de travail avec les agents généraux organisées par I______. D'une manière générale, B______ SA fixait l'ensemble des objectifs à atteindre par A______ chaque année.

Toujours selon A______, c'était également B______ SA qui fixait le budget alloué à son agence. Elle prenait en charge 100% des salaires et charges sociales patronales et salariales des employés du service interne ainsi que 75% des salaires fixes et frais professionnels et 20% des charges sociales des employés du service externe. En outre, elle lui versait une indemnisation pour les activités de gestion de son personnel.

B______ SA avait conclu une assurance-accidents, une assurance perte de gain maladie et une assurance responsabilité civile pour A______ et payait cette dernière assurance.

Lorsque B______ SA avait résilié le contrat les liant, A______ avait contacté son assurance de protection juridique, à savoir M______ SA, laquelle avait refusé d'intervenir au motif que le "litige [relevait] d'un potentiel conflit en tant qu'employé", l'assurance conclue couvrant les litiges en tant qu'indépendant.

En conclusion, A______ a allégué avoir, de fait, exercé une activité professionnelle dans le seul intérêt de B______ SA en ne disposant d'aucune marge de manœuvre propre à une activité indépendante, étant au contraire complètement tributaire des conditions strictes et instructions dictées par B______ SA.

f. Après perception d'une avance de frais, le Tribunal a transmis la demande en paiement à B______ SA, en lui impartissant un délai pour y répondre par écrit.

g. Le 20 janvier 2021, B______ SA a déposé une requête en déclinatoire de compétence, de quarante pages, aux termes de laquelle elle a exposé que les parties étaient liées par un contrat d'agence et non par un contrat de travail, ce qui échappait à la compétence des juridictions des prud'hommes.

h. Les parties se sont encore déterminées par des écritures spontanées des 9 et 19 février 2021, avant que la cause ne soit gardée à juger.

EN DROIT

1.             1.1 Le jugement attaqué constitue une décision finale rendue dans une cause patrimoniale dont la valeur litigieuse est supérieure à 10'000 fr., de sorte que la voie de l'appel est ouverte (art. 308 al. 1 let. a et al. 2 CPC).

1.2 Interjeté dans le délai et la forme prévus par la loi (art. 130, 131, 142 al. 3 et 311 CPC), l'appel est recevable.

1.3 La Cour revoit la cause avec un plein pouvoir d'examen (art. 310 CPC), en appliquant la maxime des débats et le principe de disposition (art. 55 al. 1 cum art. 247 al. 2 let. b ch. 2 CPC a contrario et 58 al. 1 CPC). Elle applique le droit d'office (art. 57 CPC).

2.             Invoquant la théorie des faits de double pertinence, l'appelant soutient que le Tribunal aurait dû entrer en matière sur sa demande.

2.1. La compétence matérielle des tribunaux est du ressort des cantons (art. 4 al. 1 CPC). Selon l'art. 1 al. 1 let. a de la Loi sur le Tribunal des prud'hommes (ci-après: LTPH), ledit Tribunal est compétent pour connaître des litiges découlant d'un contrat de travail, au sens du titre dixième du Code des obligations.

2.1.1 Les faits doublement pertinents sont des faits déterminants non seulement pour la compétence du tribunal mais aussi pour le bien-fondé de l'action (ATF 142 III 466 consid. 4.1; arrêt du Tribunal fédéral 4A_619/2020 du 17 février 2021 consid. 2.1.2). Lorsqu'un canton institue une juridiction spécialisée pour connaître des litiges découlant d'un contrat de travail, ledit contrat constitue un fait doublement pertinent (ATF 141 III 294 consid. 5.2; arrêt du Tribunal fédéral 4A_360/2021 du 6 janvier 2022 consid. 5.1.2).

Les faits doublement pertinents ne doivent pas être prouvés, mais sont présumés établis sur la seule base des écritures du demandeur. Ainsi, le tribunal saisi examine sa compétence sur la seule base des allégués, moyens et conclusions de la demande, sans tenir compte des contestations du défendeur et sans procéder à aucune administration de preuves. Il faut et il suffit que le demandeur allègue correctement les faits doublement pertinents, c'est-à-dire de telle façon que leur contenu permette au tribunal d'apprécier sa compétence. L'administration des preuves sur les faits doublement pertinents est renvoyée à la phase du procès au cours de laquelle est examiné le bien-fondé de la prétention au fond (ATF 141 III 294 consid. 5.2 et 6.1; 137 II 32 consid. 2.2 et les références citées). Si le demandeur invoque l'existence d'un contrat de travail, il s'agit d'évaluer si ses allégations permettent de conclure à l'existence d'un tel contrat de travail. Cela ne dispense cependant pas le tribunal, dans le cadre de l'examen de sa compétence, d'examiner si les faits à double pertinence allégués par le demandeur - qui sont réputés établis - sont concluants et permettent juridiquement de fonder sa compétence (ATF 141 III 294 consid. 5.2; arrêts du Tribunal fédéral 4A_360/2021 précité consid. 5.1.2; 4A_510/2019 du 29 octobre 2019 consid. 2).

S'il se pose une question délicate de délimitation (par exemple s'il est possible, sur la base des éléments allégués, de désigner aussi bien un contrat de travail qu'un autre contrat), elle devra être tranchée lors de l'examen du bien-fondé de la prétention au fond, en même temps que celle de savoir si un contrat a réellement été passé (ATF 137 III 32 consid. 2.4.2; arrêts du Tribunal fédéral 4A_510/2019 précité consid. 2, 4A_573/2015 du 3 mai 2016 consid. 5.2.2).

Si, en fonction de l'examen restreint aux éléments précités, le tribunal arrive à la conclusion qu'il n'est pas compétent, il doit rendre une décision d'irrecevabilité (ATF 141 III 294 consid. 5.2; arrêt du Tribunal fédéral 4A_484/2018 précité consid. 5.2).

En revanche, s'il admet sa compétence au regard des allégations du demandeur, le tribunal procède alors à l'administration des preuves puis à l'examen du bien-fondé de la prétention au fond (ATF 142 III 467 consid. 4.1; 141 III 294 consid. 5.2; arrêts du Tribunal fédéral 4A_84/2020 du 27 août 2020 consid. 5.2; 4A_484/2018 précité consid. 5.4 et les références citées).

Il est fait exception à l'application de la théorie de la double pertinence qu'en cas d'abus de droit de la part du demandeur, par exemple lorsque la demande est présentée sous une forme destinée à en déguiser la nature véritable ou lorsque les allégués sont manifestement faux (ATF 141 III 294 consid. 5.3; 136 III 486 consid. 4; arrêt du Tribunal fédéral 4A_619/2020 précité consid. 2.2).

2.1.2 Par le contrat individuel de travail, le travailleur s'engage, pour une durée déterminée ou indéterminée, à travailler au service de l'employeur et celui-ci à payer un salaire fixe d'après le temps ou le travail fourni (art. 319 al. 1 CO).

Les éléments caractéristiques de ce contrat sont donc une prestation de travail, un rapport de subordination, un élément de durée et une rémunération (arrêts du Tribunal fédéral 4A_360/2021 précité consid. 5.3; 4A_64/2020 du 6 août 2020 consid. 6.1 ; 4A_500/2018 du 11 avril 2019 consid. 4.1 et les références citées).

Le contrat de travail se distingue avant tout des autres contrats de prestation de services, en particulier du mandat, par l'existence d'un lien de subordination (ATF 125 III 78 consid. 4 ; 121 I 259 consid. 3a; 112 II 41 consid. 1a), qui place le travailleur dans la dépendance de l'employeur sous l'angle personnel, organisationnel et temporel ainsi que, dans une certaine mesure, économique. Le travailleur est assujetti à la surveillance, aux ordres et instructions contraignantes de l'employeur. Il est intégré dans l'organisation de travail d'autrui et y reçoit une place déterminée (arrêts du Tribunal fédéral 4A_366/2021 du 28 janvier 2022 consid. 4.1.2.1; 4A_64/2020 précité consid. 6.3.1; 4A_500/2018 précité consid. 4.1).

Le critère de la subordination doit toutefois être relativisé en ce qui concerne les personnes exerçant des professions typiquement libérales ou ayant des fonctions dirigeantes. Comme l'indépendance de l'employé est beaucoup plus grande, la subordination est alors essentiellement organisationnelle. Dans un tel cas, plaident notamment en faveur du contrat de travail la rémunération fixe ou périodique, la mise à disposition d'une place de travail et des outils de travail, ainsi que la prise en charge par l'employeur du risque de l'entreprise. Le travailleur renonce à participer au marché comme entrepreneur assumant le risque économique et abandonne à un tiers l'exploitation de sa prestation, en contrepartie d'un revenu assuré (arrêts du Tribunal fédéral 4A_366/2021 précité consid. 4.1.2.1; 4A_592/2016 du 16 mars 2017 consid. 2.1).

Il convient de privilégier les critères matériels relatifs à la manière dont la prestation de travail est effectivement exécutée, tels le degré de liberté dans l'organisation du travail et du temps, l'existence ou non d'une obligation de rendre compte de l'activité et/ou de suivre les instructions ou encore l'identification de la partie qui supporte le risque économique. En principe, des instructions qui ne se limitent pas à de simples directives générales sur la manière d'exécuter la tâche, mais qui influent sur l'objet et l'organisation du travail et instaurent un droit de contrôle de l'ayant droit, révèlent l'existence d'un contrat de travail plutôt que d'un mandat (arrêt du Tribunal fédéral 4A_500/2018 précité consid. 4.1 et les références citées).

En cas de doute sur la qualification du contrat, d'autres indices sont à disposition. Ainsi, les clauses prévoyant un délai de congé, un temps d'essai, des vacances, un salaire en cas de maladie, une interdiction de concurrence sont des clauses typiques du contrat de travail (Meier, in Commentaire romand, CO I, 3e éd. 2021, n. 15 ad art. 319 CO). Sont également considérés comme des indices de la conclusion d'un contrat de travail : l'existence d'un traitement fixe ou de rapports contractuels d'une certaine durée; le fait de devoir respecter le même horaire que les collaborateurs et d'annoncer ses absences, ou encore d'exercer son activité dans les locaux de l'employeur et d'utiliser le matériel fourni par celui-ci, son papier à lettres ou son adresse électronique; l'obligation de remettre des rapports périodiques d'activité, de devoir participer à des réunions hebdomadaires ou de devoir visiter un certain nombre de clients; le devoir du travailleur de mettre en oeuvre toutes ses forces au service de son employeur ou encore, le prélèvement de cotisations sociales sur la rémunération due, ainsi que la qualification d'activité lucrative dépendante, opérée par les autorités fiscales ou en matière d'assurances sociales (Dunand, in Commentaire du contrat de travail, 2013, n. 31 ad art. 319 CO, pp. 8 s. et les références citées), étant précisé que ce dernier critère n'est pas déterminant à lui seul (arrêts du Tribunal fédéral 4A_713/2016 du 21 avril 2017 consid. 4.2 ; 4A_592/2016 du 16 mars 2017 consid. 2.1.).

2.1.3 Se distingue du contrat de travail, le contrat d'agence régi aux art. 418a ss CO.

Selon l'art. 418a al. 1 CO, l'agent est celui qui prend à titre permanent l'engagement de négocier la conclusion d'affaires pour un ou plusieurs mandants ou d'en conclure en leur nom et pour leur compte, sans être lié envers eux par un contrat de travail. Selon la jurisprudence, l'agent est un représentant qui doit établir ou maintenir la liaison entre l'entreprise qu'il représente et la clientèle (ATF 137 III 32 consid. 2.4.2; 129 III 664 consid. 3.2).

L'agent peut organiser son travail comme il l'entend, disposer de son temps à sa guise et n'est pas lié par les instructions et directives de son cocontractant. Le fait de devoir visiter un certain nombre de clients, d'avoir à justifier un chiffre d'affaires minimum, l'obligation d'adresser des rapports périodiques à la maison représentée sont des indices permettant d'inférer l'existence d'un contrat d'engagement des voyageurs de commerce, qui est un contrat individuel de travail à caractère spécial (ATF 129 III 664 consid. 3.2; arrêt du Tribunal fédéral 4A_533/2012 du 6 février 2013 consid. 2.4.

2.1.4 La qualification juridique d'un contrat se base sur le contenu de celui-ci (ATF 144 III 43 consid. 3.3), déterminé en recherchant la réelle et commune intention des parties (art. 18 al. 1 CO) ou, si une telle intention ne peut être constatée, selon le principe de la confiance (ATF 145 III 365 consid. 3.2.1; 144 III 43 consid. 3.3; 140 III 134 consid. 3.2).

Pour déterminer la nature du contrat, qui est une question de droit, le juge n'est lié ni par la qualification effectuée par les parties ni par les expressions ou dénominations inexactes dont les parties ont pu se servir soit par erreur, soit pour déguiser la nature véritable de la convention (art. 18 al. 1 CO; ATF 131 III 217 consid. 3; 129 III 664 consid. 3.1; arrêt du Tribunal fédéral 4A_53/2021 du 21 septembre 2021 consid. 5.1.1).

2.2 En l'espèce, il n'est pas contesté que l'existence du contrat de travail allégué par l'appelant constitue un fait doublement pertinent puisque celui-ci est pertinent tant pour la compétence que pour le fond. Cet élément doit donc être examiné, dans un premier temps, sur la seule base de la demande.

Dans sa demande du 13 novembre 2020, l'appelant a soutenu que le contrat conclu entre les parties, intitulé "contrat d'agence", devait être requalifié en contrat de travail et a formé des prétentions typiques de ce contrat (indemnités pour travail supplémentaire, pour des frais imposés par l'exécution du travail ou encore pour vacances non prises et en remise d'un certificat de travail). Il a allégué que malgré l'intitulé du contrat, l'intimée avait une mainmise complète sur son activité et la manière dont il la menait, ne disposant ainsi d'aucune liberté inhérente à une activité indépendante. L'intimée lui avait imposé les locaux de l'agence, la manière de communiquer ainsi que les outils de marketing et s'ingérait dans l'accomplissement de son activité, notamment dans la gestion de son personnel. De plus, il dépendait d'une ligne hiérarchique qui encadrait étroitement son activité et à qui il devait régulièrement rendre des comptes, sans compter le contrôle illimité dont l'intimée disposait sur son agence. Par ailleurs, il dépendait du budget annuel alloué par l'intimée et de la prise en charge par celle-ci d'une partie importante des charges de son agence. Selon sa version des faits, l'appelant était soumis à une dépendance complète, aussi bien d'un point de vue logistique, organisationnel que financier, vis-à-vis de l'intimée.

L'appelant a ainsi allégué les éléments susceptibles d'être constitutifs d'un contrat de travail, en particulier un fort lien de subordination, sans qu'aucun élément ne permette de retenir que les faits invoqués seraient manifestement faux, étant relevé que ses allégués sont en partie étayés par les pièces produites, dont la documentation contractuelle.

Dans l'examen de sa compétence à raison de la matière, le Tribunal ne s'est pas limité à un examen prima facie des allégués, moyens et conclusions de la demande, comme l'impose la théorie de la double pertinence. Il s'est livré à un examen sur la nature juridique du contrat litigieux conclu entre les parties en procédant à une appréciation, à tout le moins partielle, des faits et des preuves sur la question du lien de subordination et du caractère indépendant de l'activité de l'appelant et en s'écartant des allégués de l'appelant. Il a, en effet, retenu des faits qui n'étaient pas allégués et certains critères formels, tels que les termes et la teneur du contrat ou le versement de cotisations sociales, alors même que l'appelant plaidait que cela ne représentait pas la manière dont son activité était effectivement menée, citant divers exemples à l'appui. Ce faisant, le Tribunal a méconnu la théorie des faits de double pertinence, qui lui imposait à ce stade, sous réserve d'un abus de droit, s'en tenir aux allégués de la demande, qui n'avaient pas à être prouvés.

La délimitation entre un contrat de travail et un contrat d'agence, compte tenu de l'ensemble des éléments allégués, n'apparaît en l'occurrence pas si évidente. Le Tribunal a d'ailleurs procédé sans réserve à réception de la demande, en requérant une demande de frais et en transmettant l'écriture et ses pièces à l'intimée en l'invitant à y répondre par écrit sur le fond. Les écritures des parties, qui comprennent respectivement environ nonante et quarante pages en première instance et plus de septante et cinquante pages en seconde instance, sans compter les trois classeurs de pièces, reflètent d'elles-mêmes la complexité de la distinction à effectuer.

Au vu de ce qui précède, l'existence d'un contrat de travail ne saurait être d'emblée exclue au vu des allégations de l'appelant. La question de l'existence d'un contrat de travail devra être tranchée lors de l'examen du bien-fondé de la prétention au fond.

A ce stade de la procédure, en application de la théorie de la double pertinence, il n'y pas lieu de tenir compte des contestations ni des allégations de sa partie adverse. La position du défendeur ne joue, en effet, aucun rôle pour les faits doublement pertinents, ceux-ci étant présumés établis sur la seule base des allégués du demandeur. L'intimée ne peut être suivie lorsqu'elle soutient qu'il y aurait lieu de faire exception à l'application de la théorie de la double pertinence en raison d'un abus de droit commis de la part de l'appelant. En effet, attendu que le contrat de travail et celui d'agence présentent certaines similitudes ainsi que des critères communs et que leur distinction n'est, dans le cas présent, pas d'une facilité flagrante, on ne saurait reprocher à l'appelant de considérer être lié à l'intimée par un contrat de travail et, partant, d'avoir saisi les juridictions spécialisées en la matière.

La compétence ratione materiae des juridictions des prud'hommes doit dès lors être admise à ce stade, indépendamment des contestations de l'intimée et sans préjudice quant à la décision à rendre sur le fond, sur la qualification du contrat notamment.

Le jugement sera annulé et la cause renvoyée au Tribunal pour qu'il entre en matière sur la demande formée par l'appelant.

3. Compte tenu du renvoi de la cause au Tribunal, le sort des frais de première instance sera réglé avec le jugement final de première instance (art. 104 al. 1 CPC).

Les frais judiciaires d'appel seront arrêtés à 5'000 fr., tenant compte de la valeur litigieuse mais également du fait que la procédure s'est limitée à la recevabilité de la demande sous l'angle de la théorie de la double pertinence (art. 7 et 71 RTFMC). Ces frais seront mis à la charge de l'intimée qui succombe (art. 106 al. 1 CPC) et entièrement compensés avec l'avance fournie à hauteur de 10'000 fr. par l'appelant, laquelle demeure acquise à l'Etat de Genève à due concurrence (art. 111 al. 1 CPC). L'intimée sera en conséquence condamnée à verser 5'000 fr. à l'appelant à titre de restitution partielle de l'avance versée. Les Services financiers seront, quant à eux, invités à verser le même montant de 5'000 fr. à l'appelant à titre de restitution du solde des frais.

L'intimée sera, en outre, condamnée à verser à l'appelant la somme de 5'000 fr., débours compris (art. 25 LaCC), mais sans TVA compte tenu du domicile de celui-ci à l'étranger (ATF 141 IV 344 consid. 4.1), à titre de dépens d'appel (art. 84, 85, 87 et 90 RTFMC; art. 23 al. 1 LaCC).

 

* * * * *

 


PAR CES MOTIFS,
La Chambre des prud'hommes, groupe 4 :

A la forme :

Déclare recevable l'appel interjeté le 25 mai 2021 par A______ contre le jugement JTPH/135/2021 rendu le 21 avril 2021 par le Tribunal des prud'hommes dans la cause C/10617/2020 – 4.

Au fond :

Annule ce jugement.

Renvoie la cause au Tribunal des prud'hommes pour qu'il entre en matière sur la demande formée le 13 novembre 2020 par A______ contre B______ SA.

Déboute les parties de toutes autres conclusions.

Sur les frais :

Arrête les frais judiciaires d'appel à 5'000 fr., dit qu'ils sont entièrement compensés avec l'avance de frais fournie qui demeure acquise à l'Etat de Genève à due concurrence et les met à la charge d'B______ SA.

Condamne B______ SA à verser 5'000 fr. à A______ à titre de frais judiciaire d'appel.

Invite les Services financiers du Pouvoir judiciaire à verser 5'000 fr. à l'appelant à titre de restitution du solde des frais.

Condamne B______ SA à verser 5'000 fr. à A______ à titre de dépens d'appel.

Siégeant :

Monsieur Laurent RIEBEN, président; Madame Ana ROUX, juge salarié, Madame Nadia FAVRE, juge employeur; Madame Chloé RAMAT, greffière.

 

 


Indication des voies de recours et valeur litigieuse :

 

Conformément aux art. 72 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification avec expédition complète (art. 100 al. 1 LTF) par-devant le Tribunal fédéral par la voie du recours en matière civile.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14.

 

Valeur litigieuse des conclusions pécuniaires au sens de la LTF supérieure ou égale à 15'000 fr.