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Décisions | Chambre des prud'hommes

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C/21445/2020

CAPH/6/2022 du 03.01.2022 sur JTPH/300/2021 ( OS ) , REFORME

En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

C/21445/2020-4 CAPH/6/2022

ARRÊT

DE LA COUR DE JUSTICE

Chambre des prud'hommes

DU 3 JANVIER 2022

 

Entre

A______ (SWITZERLAND) SA, sise ______, appelante d'un jugement rendu par le Tribunal des prud'hommes le 10 août 2021 (JTPH/300/2021), comparant par Me Serge FASEL, avocat, rue du 31-Décembre 47, case postale 6120, 1211 Genève 6, en l'étude duquel elle fait élection de domicile,

et

Monsieur B______, domicilié ______, intimé, comparant par Me Andres MARTINEZ, avocat, rue du Vieux-Collège 10, 1204 Genève, en l'étude duquel il fait élection de domicile.

 


EN FAIT

A.           Par jugement JTPH/300/2021 du 10 août 2021, reçu par A______ (SWITZERLAND) SA le 13 août 2021, le Tribunal des prud'hommes, statuant par voie de procédure simplifiée, a notamment condamné A______ (SWITZERLAND) SA à verser à B______ la somme brute de 24'888 fr., plus intérêts moratoires à 5% l'an à compter du 18 mai 2020 (ch. 2 du dispositif), invité la partie qui en avait la charge à opérer les déductions sociales et légales usuelle (ch. 3) et débouté les parties de toute autre conclusion (ch. 4).

B.            a. Le 14 septembre 2021, A______ (SWITZERLAND) SA a formé appel contre le jugement précité, avec suite de frais et dépens de première instance et d'appel, concluant, principalement, à ce que la Cour l'annule dans son intégralité et, subsidiairement, à ce qu'elle annule le chiffre 2 du dispositif et réduise le montant de la gratification octroyée à B______ à 14'518 fr. 55, avec intérêts à 5% à partir du 18 mai 2020.

b. Dans sa réponse, B______ conclut à la confirmation du jugement entrepris avec suite de frais judiciaires et dépens.

c. Les parties ont répliqué, respectivement dupliqué, persistant dans leurs conclusions.

d. Elles ont été informées par plis du greffe de la Cour du 17 novembre 2021 de ce que la cause était gardée à juger.

C.           Les faits pertinents suivants résultent du dossier:

a. A______ (SWITZERLAND) SA, dont le siège est à Genève, est une société de droit suisse dont le but est l'exploitation d'une banque (ci-après également: la banque).

b. B______, né le ______ 1954, (ci-après également: le travailleur) a été engagé par la banque C______ en qualité de juriste, à partir de juin 1983. Son contrat de travail a été repris successivement par divers établissements bancaires, au fil des années, suite à des rachats et fusions.

A compter de 2005, la relation contractuelle a été reprise par A______ (SWITZERLAND) SA.

Son dernier salaire annuel s'est élevé à 225'010 fr. brut, frais de représentation inclus.

c. À compter du 1er octobre 2007, le taux d'occupation de B______ a été de 90%.

d. En juillet 2019, B______ a atteint l'âge de la retraite. Dans la mesure où il était en charge du volet américain auprès de la banque, le travailleur a proposé de prolonger son contrat, ce que la banque a accepté, le Service juridique étant alors "surchargé".

e. Le taux d'occupation de B______ est passé à 50%, à compter du 1er août 2019. Dès le 1er décembre 2019, son taux d'occupation s'est élevé à 25%.

f. B______ a perçu, en sus de son salaire, un bonus annuel, en tous cas depuis 1989.

f.a Le montant du bonus a augmenté avec les années jusqu'à atteindre 70'000 fr. puis, il a régulièrement diminué. Il s'est élevé à 43'000 fr. en 2015, à 39'000 fr. en 2016, à 36'000 fr. en 2017 et à 32'000 fr. en 2018. En 2019, il n'en a reçu aucun. D______, employé de la banque, responsable des ressources humaines, entendu en qualité de témoin, a déclaré que pour l'exercice 2019, environ 10% des collaborateurs n'avaient pas perçu de bonus en raison du fait qu'il s'agissait d'une année difficile.

f.b A partir de 1995, l'annonce du bonus a été accompagnée de l'indication qu'il était discrétionnaire et que même s'il était versé durant plusieurs années consécutives, aucun droit ne pouvait en être déduit. Le témoin précité a déclaré à ce sujet que le caractère discrétionnaire du bonus était indiqué par écrit aux bénéficiaires et que les critères étaient multiples, notamment les résultats du groupe, de la banque et du collaborateur. Pour que le bonus soit accordé au collaborateur, il fallait encore que le contrat de travail soit en cours au moment du paiement. Le règlement du personnel ne distinguait pas un licenciement, d'une démission ou d'un départ à la retraite. Il était arrivé à la banque de faire des exceptions, à bien plaire, et de verser tout de même un bonus, lorsqu'un collaborateur partait à la retraite pour des collaborateurs qui avaient presté durant les douze mois.

g. Par courriel du 24 juin 2019 adressé à la banque, B______ a demandé s'il restait éligible pour un bonus pour l'année 2019 si ces objectifs étaient atteints et si ses prestations donnaient satisfaction, vu que son contrat était prolongé, ce que la banque lui a confirmé par courriel du 1er juillet 2019.

h. Par courrier du 8 janvier 2020, la banque a confirmé à B______ que son contrat de travail prendrait fin le 31 janvier 2020 et que sa retraite sera effective dès le 1er février 2020.

i. Par courrier adressé à la banque le 30 mars 2020, B______ a sollicité le versement d'un montant de 25'600 fr. à titre de bonus 2019.

j. Sans réponse claire de la banque, B______ a, par courrier du 18 mai 2020, notamment mis A______ (SWITZERLAND) SA en demeure de lui verser, sous 10 jours, le montant de 25'600 fr. à titre de bonus pour l'année 2019.

k. Par courrier du 9 juin 2020, la banque a indiqué à B______ qu'elle avait pris la décision de ne pas lui octroyer un bonus pour l'année 2019, rappelant que les bonus qui lui avaient été versés les années précédentes étaient discrétionnaires. Les budgets dédiés aux bonus pour l'année 2019 avaient été drastiquement revus à la baisse, de sorte que certains collaborateurs n'en avaient pas perçus. Enfin, la passation de son activité et de ses dossiers au Service juridique et au Département Recentrage ne s'était pas faite de la manière la plus fluide et efficace possible, plusieurs problèmes étant apparus dans certains dossiers dont il avait eu la charge.

l. Par courrier adressé le 17 août 2020 à B______, la banque a réitéré son refus de lui verser un bonus pour l'année 2019 et précisé les raisons de celui-ci. Premièrement, elle a relevé que le travailleur n'avait jamais préparé d'instruction de travail ou de marche à suivre pour le traitement et le suivi des dossiers de recouvrement, bien qu'il lui avait été demandé à plusieurs reprises de le faire. Deuxièmement, B______ avait, dans le cadre d'un dossier en particulier, oublié de renouveler l'hypothèque d'une valeur d'EUR 180'000.- échue au mois de mai 2019. Troisièmement, le travailleur s'était contenté de transmettre les dossier américains "post NPA" au département Recentrage à la dernière minute, sans explications particulières, en laissant entendre que ce n'était plus son problème. Quatrièmement, après le départ à la retraite de B______, ses collègues s'étaient aperçus que pendant plusieurs années, les frais d'avocats n'avaient pas été imputés sur les comptes des clients concernés alors qu'ils auraient dû l'être par le travailleur dans le cadre de son activité.

m. Les parties divergent sur la qualité du travail fourni par B______ durant la dernière année des rapports de travail.

m.a A______ (SWITZERLAND) SA, représenté par E______, a déclaré qu'elle n'avait pas énoncé d'objectifs pour les derniers mois d'activité de B______ mais qu'il était "notoire" que ce dernier devait communiquer les informations sur les dossiers qu'il transmettait et devait accompagner la prise de connaissance de ces dossiers par les juristes qui en reprenaient la charge. Avant son départ, le travailleur avait remis des notes de dossiers. Il avait également discuté des dossiers de recouvrement avec les juristes à qui il les avait transférés. B______ avait eu plusieurs interlocuteurs et cela ne s'était pas très bien passé, dans la mesure où il n'avait pas répondu aux questions qui lui avaient été posées. Il avait encore alourdi la charge existante du Service juridique, en ne répondant pas aux sollicitations. Lors d'une séance à laquelle E______ avait assisté, des compléments d'informations avaient été demandés par des juristes à B______ qui avait répondu "qu'ils étaient des avocats et pouvaient se débrouiller seuls". Alors que certains dossiers nécessitaient de réelles précisions, le travailleur avait démontré une volonté à ne faire que le strict minimum dans la transmission des informations. Parmi les erreurs reprochées au travailleur, il était apparu que l'un des dossiers transmis n'avait pas été traité correctement par B______ qui avait oublié de renouveler un gage sur un bien immobilier à son échéance. Il avait également oublié d'imputer les frais d'avocats sur les comptes de clients concernés et omis des calculs d'intérêts négatifs ou débiteurs.

B______ a déclaré à ce propos que durant sa dernière année d'activité, il s'était occupé de transmettre les dossiers au département juridique. Il avait dû relancer plusieurs fois ses collègues pour qu'il puisse expliciter les dossiers et que ceux-ci reprennent le suivi. E______ lui avait indiqué que l'important était qu'il s'occupe des dossiers jusqu'à la dernière minute. Il avait donné un tableau de bord au service juridique qui contenait la liste de ses dossiers avec leurs caractéristiques. Dans chaque dossier, il avait encore établi et remis aux juristes qui reprenaient ses tâches une fiche historique détaillée contenant tous les éléments qui avaient été traités. S'agissant des erreurs qui lui étaient reprochées, en particulier le gage immobilier échu, il en avait informé immédiatement l'avocat de la banque et sa supérieure hiérarchique. Le département immobilier de la banque ne s'était pas davantage occupé de ce gage. Quant aux honoraires d'avocats non facturés, lorsque les dossiers arrivaient chez lui, les créances étaient déjà en péril car les clients étaient soit insolvables, soit "des escrocs ou des voyous". D'ailleurs, lorsqu'il avait débuté son activité pour la banque, son prédécesseur ne facturait pas les honoraires d'avocat car il savait qu'ils ne seraient pas honorés. Il avait ainsi simplement repris cette façon de travailler, vu qu'il n'y avait pas de directive à cet égard.

Le témoin D______ a déclaré qu'il avait eu des informations indirectes sur le travail de B______. Pendant ses années d'engagement au sein de la banque, il n'y avait jamais eu de problème. Son activité avait été poursuivie durant quelques mois après qu'il avait atteint l'âge de la retraite, certainement car cela arrangeait les deux parties. Le témoin n'était pas en mesure de répondre à la question de savoir quelles étaient les prestations du demandeur durant les derniers mois de son activité. Il n'avait appris que lorsque s'était posée la question du bonus, que les prestations de ce dernier s'étaient avérées insuffisantes.

m.b Selon la grille d'évaluation pour l'année 2019 et la fixation des objectifs, signée par la banque le 8 janvier 2020 et par B______ le lendemain, toutes les compétences (comportementales, professionnelles, managériale et "risques, compliance et sécurité") du travailleur étaient soit maîtrisées, soit confirmées. Les performances étaient conformes ou supérieures aux attentes. Dans la rubrique "Commentaires" figure la mention suivante : "B______ a quitté ______ en juillet 2019 pour accomplir ses 6 derniers mois professionnels au département juridique de la banque sur des missions ponctuelles. Il a veillé à clôturer les dossiers en suspens et à assurer une transition de son activité dans de bonnes conditions".

A______ (SWITZERLAND) SA a allégué à cet égard que cette évaluation concernait uniquement la première moitié de l'année 2019 et n'était pas représentative de la qualité des performances du travailleur durant la totalité de l'exercice litigieux.

Le témoin D______ a déclaré que le signataire de l'évaluation pour la banque n'avait pas les compétences d'évaluer seul les prestations de B______ pour ses derniers mois d'activité car il n'était plus son manager. L'évaluation aurait dû être menée par ledit signataire et par E______. Il ignorait pourquoi le signataire avait fait seul cette évaluation. L'évaluation produite était incomplète car elle ne tenait pas compte des cinq derniers mois d'activité.

n. Par requête de conciliation déposée le 21 octobre 2020, déclarée non conciliée le 23 novembre 2020 et introduite au Tribunal des prud'hommes le 22 décembre 2020, B______ a assigné A______ (SWITZERLAND) SA en paiement de la somme de 25'600 fr., à titre de bonus 2019, plus intérêts moratoires à 5% l'an à compter du 18 mai 2020, sous suite de frais et dépens. Ce montant correspondait au bonus 2018 réduit de 20% pour tenir compte de la réduction du taux d'activité intervenue en 2019.

o. Par mémoire de réponse du 12 avril 2021, A______ (SWITZERLAND) SA a conclu au déboutement de son adverse partie, sous suite de frais judiciaires.

p. Le Tribunal a entendu les parties à l'audience de débats principaux du 17 mai 2021 et un témoin – dont les déclarations ont été intégrés ci-dessus – à celle du 21 juin 2021, à l'issue de laquelle les parties ont plaidé, persistant dans leurs conclusions, et la cause a été gardée à juger.

EN DROIT

1.             1.1 Interjeté contre une décision finale (308 al. 1 let. a CPC), dans une affaire patrimoniale dont la valeur litigieuse au dernier état des conclusions est supérieure à 10'000 fr. (art. 308 al. 2 CPC), auprès de l'autorité compétente (art. 124 let. a LOJ), dans le délai utile de trente jours et selon la forme prescrite par la loi (art. 130 al. 1, 142 al. 1, et 311 CPC), l'appel est recevable.

Sont également recevables la réponse de l'intimée ainsi que les réplique et duplique des parties, déposées dans les délais légaux, respectivement impartis à cet effet (art. 312 al. 2 et 316 al. 2 CPC).

1.2 La Chambre de céans revoit la cause en fait et en droit avec un plein pouvoir d'examen (art. 310 CPC).

1.3 La valeur litigieuse étant inférieure à 30'000 fr., la procédure est soumise aux maximes inquisitoire sociale et de disposition (art. 55 al. 2 CPC, art. 247 al. 2 let. b ch. 2 CPC et art. 58 CPC). La procédure simplifiée est applicable (art. 243 al. 1 CPC).

2.             Le Tribunal a considéré que le bonus était devenu une gratification à laquelle l'intimé avait droit puisqu'il avait été versé durant de nombreuses années, malgré les crises financières, et que l'appelante, ayant fait preuve de manquements organisationnels, n'avait pas rendu vraisemblable la mauvaise qualité des prestations de l'intimé.

L'appelante conteste la qualification du bonus retenue par le Tribunal et soutient qu'il s'agit d'une gratification discrétionnaire, tant sur le principe que sur le montant. Elle conteste également les manquements organisationnels reprochés et fait grief au Tribunal d'avoir mal constaté les faits, l'intimé ayant notamment admis avoir fait des erreurs.

S'agissant du montant du bonus, le Tribunal s'est fondé sur celui perçu en 2018 (32'000 fr. à 90%) qu'il a réduit de 20% compte tenu de la réduction du taux d'activité de l'intimé durant l'année 2019 (70% en moyenne).

L'appelante conteste la base de calcul puisque le bonus de l'intimé avait diminué progressivement depuis 2015, que ses responsabilités étaient moindres durant les derniers mois de collaboration et que l'année 2019 était une période économique difficile.

2.1 La gratification, aux termes de l'art. 322d al. 1 CO, est une rétribution spéciale que l'employeur accorde en sus du salaire à certaines occasions, par exemple une fois par année. Le travailleur y a droit lorsqu'il en a été convenu ainsi.

Il faut distinguer (1) le salaire variable, (2) la gratification à laquelle l'employé a droit et (3) la gratification à laquelle il n'a pas droit (arrêts du Tribunal fédéral 4A_327/2019 du 1er mai 2020 consid. 3.1; 4A_78/2018 du 10 octobre 2018 consid. 4.2).

2.1.1 On se trouve dans le cas n° 1, lorsqu'un montant est déterminé ou objectivement déterminable, c'est-à-dire qu'il a été promis par contrat dans son principe et que son montant est déterminé ou doit l'être sur la base de critères objectifs prédéterminés comme le bénéfice, le chiffre d'affaires ou une participation au résultat de l'exploitation, et qu'il ne dépend pas de l'appréciation de l'employeur. Il s'agit alors d'un élément du salaire que l'employeur est tenu de verser (art. 322 s. CO; ATF 141 III 407 consid. 4.1; 136 III 313 consid. 2.).

2.1.2 On se trouve dans les cas n° 2 et 3, lorsque le bonus est indéterminé ou objectivement indéterminable, c'est-à-dire que son versement dépend du bon vouloir de l'employeur et que sa quotité dépend pour l'essentiel de la marge de manœuvre de celui-ci (ATF 141 III 407 consid. 4.1 et 4.2). L'employeur se voit reconnaître un tel pouvoir d'appréciation lorsque le montant du bonus ne dépend pas seulement de l'atteinte d'un certain résultat d'exploitation, mais aussi de l'appréciation subjective de la prestation du travailleur. Le bonus doit alors être qualifié de gratification (ATF 142 III 381 consid. 2.1; 139 III 155 consid. 3.1).

Il y a un droit à la gratification – cas n° 2 – lorsque, par contrat, les parties sont tombées d'accord sur le principe du versement d'un bonus et n'en ont réservé que le montant. Il s'agit d'une gratification que l'employeur est tenu de verser, mais il jouit d'une certaine liberté dans la fixation de son montant (ATF 136 III 313 consid. 2; 131 III 615 consid. 5.2; arrêt du Tribunal fédéral 4A_463/2017 du 4 mai 2018 consid. 3.1.3.1).

Il n'y a pas de droit à la gratification – cas n° 3 – lorsque, par contrat, les parties ont réservé tant le principe que le montant du bonus. Le bonus n'est pas convenu, de sorte qu'il s'agit d'une gratification facultative (arrêt du Tribunal fédéral 4A_463/2017 précité consid. 3.1.3.2).

Dans ce dernier cas, il faut encore examiner si le bonus revêt un caractère accessoire par rapport au salaire de base. L'application du principe de l'accessoriété peut en effet enlever toute portée à la réserve et le bonus sera dans ce cas requalifié en salaire. Ce principe ne s'applique toutefois pas aux très hauts revenus (ATF 141 III 407 consid. 4.3.2 et 5.3.1; arrêts du Tribunal fédéral 4A_230/2019 du 20 septembre 2019 consid. 3; 4A_463/2017 précité consid. 3.1.4; 3.1.4.1 et 3.1.4.2).

2.1.3 Il a été admis par exception que, en dépit d'une réserve (sur le principe et sur le montant), un engagement tacite peut se déduire du paiement répété de la gratification pendant des décennies, lorsque l'employeur n'a jamais fait usage de la réserve émise, alors même qu'il aurait eu des motifs de l'invoquer, tels qu'une mauvaise marche des affaires ou de mauvaises prestations de certains collaborateurs lorsqu'il l'a versée. Il s'agit alors d'une gratification à laquelle l'employé a droit (ATF 129 III 276 consid. 2.3). La même conclusion s'impose lorsque la réserve du caractère facultatif n'est qu'une formule vide de sens et qu'en vertu du principe de la confiance, il y a lieu d'admettre que l'employeur montre par son comportement qu'il se sent obligé de verser un bonus (arrêts du Tribunal fédéral 4A_230/2019 précité consid. 3.2.2; 4A_463/2017 précité consid. 3.1.3.2).

2.1.4 Pour qualifier un bonus, il faut interpréter les manifestations de volonté des parties lors de la conclusion du contrat ou de leur comportement ultérieur au cours des rapports de travail (accord par actes concluants, c'est-à-dire tacite), selon les règles générales d'interprétation. Le juge doit rechercher, dans un premier temps, la réelle et commune volonté des parties, en se fondant non seulement sur la teneur des déclarations de volonté – écrites ou orales –, mais encore sur le contexte général, soit toutes les circonstances permettant de découvrir la volonté réelle des parties, qu'il s'agisse de déclarations antérieures à la conclusion du contrat ou de faits postérieurs à celle-ci, en particulier le comportement ultérieur des parties établissant quelles étaient à l'époque les conceptions des contractants eux-mêmes. Ce n'est que lorsque la volonté subjective des parties ne peut être établie qu'il y a lieu de recourir au principe de la confiance, à savoir rechercher leur volonté objective, en déterminant le sens que, d'après les règles de la bonne foi, chacune d'elles pouvait et devait raisonnablement prêter aux déclarations de volonté de l'autre (ATF 141 III 407 consid. 4.1; arrêts du Tribunal fédéral 4A_463/2017 précité consid. 4; 4A_714/2016 du 29 août 2017 consid. 3, 5.1 et 5.2).

2.1.5 L'employeur peut subordonner le droit à la gratification à des conditions. Ainsi est-il admissible d'exiger que le travailleur soit effectivement employé dans l'entreprise à l'échéance de la gratification, ou encore de n'allouer aucune gratification, ou une gratification réduite à l'employé qui est encore au service de l'employeur au moment de l'occasion donnant lieu à la gratification, mais dont le rapport de travail a déjà été résilié (arrêts du Tribunal fédéral 4A_158/2019 du 26 février 2020 consid. 4; 4A_513/2017 du 5 septembre 2018 consid. 5.1; 4A_26/2012 du 15 mai 2012 consid. 5.2.2; 4A_502/2010 du 1er décembre 2010 consid. 2.2; 4A_509/2008 du 3 février 2009 consid. 4.1).

L'employeur peut avoir divers motifs de verser une gratification, tels que récompenser le travail accompli ou une fidélité de longue date, motiver l'employé pour l'avenir, éviter que celui-ci résilie le contrat, ou encore lui faire partager les bons résultats de l'entreprise. Dans la mesure où la gratification est destinée uniquement à récompenser l'employé pour le travail effectué, elle ne saurait être réduite ou supprimée au motif que le contrat a été résilié (arrêt du Tribunal fédéral 4A_651/2017 du 4 avril 2018 consid. 3.3).

2.1.6 Selon l'art. 151 CPC, les faits notoires ou notoirement connus du tribunal et les règles d'expérience généralement reconnues ne doivent pas être prouvés.

Il est notoire que dans le cadre de la crise financière de 2008 les cours de la bourse ont chuté sur les places internationales à partir du 15 septembre 2008 (arrêt du Tribunal fédéral 5A_1048/2019 du 30 juin 2021 consid. 3.6.4; ACJC/607/2012 du 27 avril 2012 consid. 9.3).

2.2 En l'espèce, les parties s'opposent sur la question de savoir si l'intimé a droit ou non à la gratification pour l'année 2019. Elles s'accordent toutefois sur la qualification du bonus en gratification, excluant ainsi l'hypothèse que celui-ci constituerait un élément du salaire.

A ce propos, il y a lieu de relever que la gratification a été versée chaque année depuis plusieurs décennies, y compris depuis que le contrat de travail de l'intimé a été repris par l'appelante en 2005, en dépit de la réserve formulée depuis 1995 lors du versement et nonobstant la crise financière dite des "subprimes" en 2008 (fait notoire). Seul le montant du bonus a varié selon les années, soit en fonction des résultats du groupe, de la banque et du collaborateur. Il apparaît ainsi que la variation des marchés – et donc des résultats du groupe et de l'appelante – n'ont pas eu d'impact significatif sur le droit à la gratification. Dans la mesure où la qualité des prestations de l'intimé n'a pas été jugée insatisfaisante pendant plus de trente ans, seule la dernière année étant litigieuse, il y a lieu de retenir qu'un accord tacite est intervenu entre les parties sur le principe du versement d'un bonus. Le fait que l'intimé ait demandé dans son courriel à l'appelante du 24 juin 2019 s'il était éligible au versement d'un bonus pour 2019 "si [ses] objectifs étaient atteints et que [ses] prestations fournies donnaient satisfaction", ne suffit pas à démontrer que le principe du bonus n'était pas acquis entre les parties, l'intimé sachant que ses prestations avaient été jugée satisfaisantes depuis le début de son emploi.

C'est par conséquent à juste titre que le Tribunal a retenu que le bonus versé chaque année à l'intimé constituait une gratification à laquelle l'intimé avait droit.

2.2.1 Dans la mesure où le versement du bonus dépendait de divers critères, soit notamment de la qualité des prestations de l'employé ou des résultats des affaires, il y a lieu d'examiner si l'appelante pouvait refuser de verser à l'intimé une gratification pour l'année 2019.

Afin de déterminer la qualité des prestations, des objectifs clairs devaient être fixés par l'appelante à l'intimé. Or, le Tribunal a retenu que tel n'avait pas été le cas. Ce constat doit être confirmé.

En effet, l'appelante a elle-même admis qu'elle n'avait pas énoncé d'objectifs pour les derniers mois d'activité de l'intimé. En outre, bien que l'intimé ait, de son côté, reconnu qu'il lui avait été indiqué qu'il devait "s'occuper des dossiers jusqu'à la dernière minute", un tel objectif n'est pas suffisamment clair et précis pour fonder une base suffisante à l'évaluation des prestations d'un employé. L'appelante ne peut pas non plus se prévaloir d'une "notoriété" de l'objectif de l'intimé. Il ne ressort ainsi d'aucun élément au dossier que des objectifs clairs aient été communiqués à l'intimé.

2.2.2 Même à supposer que tel ait été le cas, il apparaît que la qualité des prestations fournies par l'intimé était satisfaisante. En effet, la banque a reconnu que l'intimé avait remis des notes de dossiers et discuté des dossiers de recouvrement avec les juristes à qui il les avait transférés. En outre, selon la grille d'évaluation 2019, l'intimé avait "veillé à clôturer les dossiers en suspens et à assurer une transition de son activité dans de bonnes conditions". A ce propos, selon le témoin entendu, le signataire de ce document n'était pas compétent pour évaluer les prestations de l'intimé durant les cinq derniers mois de l'année, de sorte que l'évaluation serait incomplète. Force est de constater que ce document est daté du 8 janvier 2020, soit durant le dernier mois de collaboration des parties, et mentionne également le fait que l'intimé a changé de poste en cours d'année. Comme l'a relevé le Tribunal, l'éventuel défaut d'organisation interne de l'appelante s'agissant de la ou des personnes compétentes pour procéder à ladite évaluation ne peut être imputé à l'intimé. En outre, le fait que l'appelante se soit montrée conciliante sur les prétendues requêtes de l'intimé s'agissant des vacances, de la diminution de son taux d'activité ou des raisons des prolongations du contrat de travail, n'est pas pertinent – ni démontré – pour déterminer la qualité des prestations de l'intimé. Par ailleurs, les prétendues déclarations de celui-ci, rapportées par E______ doivent, dans la mesure où ce dernier représente l'appelante, être appréciés avec circonspection d'une part et, d'autre part, ne démontrent pas une mauvaise qualité des prestations de l'intimé. S'agissant des erreurs reprochées à l'intimé, celui-ci a certes reconnu avoir omis de renouveler le gage immobilier et ne pas avoir facturé les honoraires d'avocats, mais a également apporté des explications convaincantes sur le suivi et les raisons de ses erreurs, lesquelles ne lui ont au demeurant jamais été reprochées par l'appelante avant que l'intimé ne réclame son bonus 2019. Dès lors, il ne peut être retenu que ces deux erreurs impactent négativement et gravement la qualité générale des prestations fournies par l'intimé, ce d'autant plus au vu des propos tenus dans la grille d'évaluation 2019.

Au vu de ce qui précède, c'est à juste titre que le Tribunal a retenu que l'appelante n'était pas parvenue à démontrer que les prestations fournies par l'intimé étaient insatisfaisantes durant la dernière année de collaboration des parties.

2.2.3 L'appelante soutient encore que l'exercice 2019 ne permettait pas de verser un bonus à l'intimé. Or, bien que le témoin entendu ait déclaré qu'environ 10% des employés n'avaient pas perçu de bonus cette année-là en raison du fait qu'il s'agissait d'une année difficile, rien au dossier ne permet de l'accréditer. Par ailleurs, il n'est pas allégué que tous les employés se sont vu refuser leur bonus, ce qui aurait pu justifier un refus de le verser également à l'intimé. Le fait que l'appelante ait choisi, dans l'enveloppe globale dédiée aux bonus, de l'accorder à un autre employé plutôt qu'à l'intimé ne relève que d'un choix interne et ne saurait être opposé à l'intimé puisque les prestations de ce dernier n'étaient pas insatisfaisantes et que le principe du bonus était acquis pour l'intimé.

Ainsi, l'appelante n'a démontré aucun motif de refus du versement d'une gratification pour l'année 2019, étant encore relevé que, le fait que le contrat de travail n'était plus en cours au moment du versement, ne s'opposait en principe pas audit versement et qu'une assurance dans ce sens avait été fournie à l'intimé par l'appelante par courriel du 1er juillet 2019.

2.3 Reste à déterminer le montant de la gratification due à l'intimé.

Comme précédemment relevé (cf. consid. 2.2.3 supra), il n'est pas démontré que l'exercice 2019 était "difficile" comme le prétend l'appelante. Il n'est pas non plus établi que les responsabilités de l'intimé, à savoir le transfert des dossiers aux juristes, étaient moindres que le traitement des dossiers lui-même. En revanche, il est vrai que le montant de la gratification a régulièrement diminué chaque année depuis 2015. Enfin, le motif du versement de la gratification n'est pas déterminé dans le cas d'espèce. Le fait que plusieurs critères entrent en ligne de compte (qualité des prestations et résultats de la banque et du groupe), ne permet pas de réduire le montant du bonus en raison du fait que l'intimé ne sera plus employé à l'avenir.

Il apparaît ainsi justifié de fonder le calcul de la gratification sur une somme de 28'000 fr., soit 4'000 fr. de moins que le montant alloué en 2018, montant sur lequel s'est fondé le Tribunal.

Pour le surplus, les parties ne contestent pas le calcul opéré par le premier juge pour tenir compte de la réduction du temps de travail dont a bénéficié l'intimé, de sorte qu'il peut être repris ici. Le montant du bonus 2019 sera dès lors réduit à 21'777 fr. ([28'000 fr. x 70%] / 90%).

Le taux et la date de départ des intérêts moratoires n'étant pas contestés, ils seront confirmés.

Au vu de ce qui précède, le chiffre 2 du dispositif du jugement entrepris sera annulé et l'appelante sera condamnée à verser à l'intimé la somme brute de 21'777 fr., plus intérêts à 5% l'an à compter du 18 mai 2020, à titre de bonus 2019.

3.             La valeur litigieuse étant inférieure à 50'000 fr., il ne sera pas prélevé de frais judiciaires, ni alloué de dépens (art. 71 RTFMC et 22 al. 2 LaCC).

* * * * *


PAR CES MOTIFS,
La Chambre des prud'hommes, groupe 4 :

A la forme :

Déclare recevable l'appel formé par A______ (SWITZERLAND) SA contre le jugement JTPH/300/2021 du Tribunal des prud'hommes dans la cause C/21445/2020.

Au fond :

Annule le chiffre 2 du dispositif du jugement querellé.

Cela fait et statuant à nouveau sur ce point :

Condamne A______ (SWITZERLAND) SA à verser à B______ la somme brute de 21'777 fr., plus intérêts moratoires à 5% l'an à compter du 18 mai 2020.

Dit que la procédure est gratuite.

Déboute les parties de toutes autres conclusions.

Siégeant :

Madame Fabienne GEISINGER-MARIETHOZ, présidente; Monsieur
Olivier GROMETTO, juge employeur; Monsieur Thierry ZEHNDER, juge salarié; Madame Chloé RAMAT, greffière.

 

 

 

 

 

 

Indication des voies de recours et valeur litigieuse :

 

Conformément aux art. 72 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification avec expédition complète (art. 100 al. 1 LTF) par-devant le Tribunal fédéral par la voie du recours en matière civile.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14.

 

Valeur litigieuse des conclusions pécuniaires au sens de la LTF supérieure ou égale à 15'000 fr.