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Décisions | Chambre des prud'hommes

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C/6338/2020

CAPH/209/2021 du 06.11.2021 sur OTPH/931/2021 ( OS ) , IRRECEVABLE

Recours TF déposé le 20.12.2021, rendu le 11.01.2022, IRRECEVABLE, 4A_635/2021
En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

C/6338/2020-4 CAPH/209/2021

ARRÊT

DE LA COUR DE JUSTICE

Chambre des prud'hommes

DU 6 NOVEMBRE 2021

 

Entre

Monsieur A______, domicilié ______ [GE], recourant contre les décisions du Tribunal des prud'hommes du 10 mai 2021, comparant par Me Romain JORDAN, avocat, rue Général-Dufour 15, case postale , 1211 Genève 4, en l'Étude duquel il fait élection de domicile,

Et

 

B______ SA, sise ______ [GE], intimée, comparant par Me C______, avocat, rue ______ Genève, en l'Étude duquel elle fait élection de domicile.


EN FAIT

A. a. Le 16 septembre 2020, B______ SA, comparant par Me D______, avocat, a saisi le Tribunal des prud'hommes d'une demande en paiement de 17'306 fr. 41, intérêts en sus, à l'encontre de A______, auquel il était reproché, en sa qualité d'employé de la demanderesse, d'avoir indûment utilisé la carte de crédit de la société.

b. Par ordonnance du 24 septembre 2020, le Tribunal des prud'hommes a imparti à A______ un délai de 30 jours pour répondre, lequel a été prolongé à deux reprises à la demande de ce dernier.

c. Dans son écriture du 17 décembre 2020, A______ a conclu préalablement à l'incompétence ratione materiae du Tribunal des Prud'hommes et à ce qu'il soit constaté que Me D______ se trouvait en situation de conflit d'intérêts, dès lors qu'il était l'associé de Me E______, lequel était administrateur de B______ SA, avait notamment signé le contrat de travail de A______ et siégé avec lui au sein du conseil d'administration de la société. Me E______ était aussi l'avocat et conseiller de F______, actionnaire final de B______ SA.

Sur le fond, A______ a conclu au déboutement de B______ SA de ses prétentions.

d. Par écriture du 26 janvier 2021, B______ SA a conclu au rejet de l'exception d'incompétence du Tribunal et contesté l'existence d'un quelconque conflit d'intérêts de l'Etude de Me D______.

A l'audience du 13 avril 2021, après audition de A______ et de Me E______, le Tribunal a admis l'existence d'un conflit d'intérêts entre l'Etude de Me D______ et A______ et invité B______ SA à constituer un nouvel avocat.

e. Par courrier du 21 avril 2021, Me C______, avocat, s'est constitué pour la défense des intérêts de B______ SA dans la procédure C/6338/2020.

f. Le 10 mai 2021, A______ a déposé un courrier par lequel il invoquait plusieurs incidents de procédure.

Le Tribunal des Prud'hommes devait faire interdiction à Me E______ de représenter B______ SA (en sa qualité d'administrateur).

Par ailleurs, le nouvel avocat de B______ SA, Me C______, se trouvait aussi en situation de conflit d'intérêt, dès lors qu'il était l'avocat de F______ dans une affaire qui l'opposait à A______, F______ faisant par ailleurs partie des témoins dont A______ avait requis l'audition.

Enfin, le Tribunal des Prud'hommes était invité à suspendre l'instruction de la cause, jusqu'à droit connu par le Tribunal de première instance du litige l'opposant à F______ dans la cause C/1______/2021. A______ a produit à cet égard la première page de la requête en conciliation déposée par F______, ainsi que le procès-verbal de l'audience de conciliation du 14 avril 2021, à l'issue de laquelle l'autorisation de procéder a été délivrée.

g. A l'audience qui s'est tenue le 10 mai 2021, après avoir entendu les parties sur les incidents soulevés par A______, le Tribunal des Prud'hommes s'est prononcé comme suit :

"1. Me E______ est vice-président de B______ SA et représente valablement la société. Il n'a pas de conflit d'intérêt en cette qualité.

2. Me C______ n'a pas de conflit d'intérêt dans cette affaire par le simple fait qu'il défend un tiers contre la partie défenderesse. Il n'a aucun lien avec la défenderesse autre que l'exercice de son métier en tant qu'avocat.

3. Le Tribunal est compétent pour juger de la présente affaire qui relève clairement d'un contrat de travail. A______ était lié à B______ par un contrat de travail et B______ SA formule des prétentions à l'encontre de A______ sur la base de ce contrat de travail.

4. Un litige commercial entre F______ et A______ n'a pas d'incident sur la présente cause. La présente procédure ne sera pas suspendue jusqu'au jugement de la cause C/1______/2021-22-C."

A______ ayant indiqué qu'il considérait la décision précitée erronée et que la continuation de la procédure lui causerait un préjudice irréparable, le Tribunal des Prud'hommes a prononcé une seconde décision, intitulée "ordonnance d'instruction", par laquelle il a rejeté la demande de A______ de suspendre la procédure, en raison de l'existence d'un conflit d'intérêt de Me E______ et de Me C______, d'une part, et de l'existence d'une cause pendante devant le Tribunal de première instance entre F______ et A______, d'autre part.

B. a. Le 20 mai 2021, A______ a formé recours contre ces décisions, concluant à ce que la Cour les annule, ordonne la suspension de la procédure jusqu'à droit connu sur la cause C/1______/2021 et ordonne la récusation de Me E______ et de Me C______.

b. B______ SA a conclu à l'irrecevabilité du recours, subsidiairement à son rejet, A______ devant être condamné en tous les frais.

c. Par courrier du 9 juin 2021, reçu le lendemain par le mandataire de A______, la Chambre des Prud'hommes de la Cour de justice lui a transmis la réponse de B______ SA.

d. Par courrier du 22 juin 2021, les parties ont été avisées de ce que la cause était gardée à juger.

e. Par écriture postée le 23 juin 2021, A______ a répliqué, persistant dans ses conclusions.

f. B______ SA, à laquelle la réplique spontanée de A______ a été transmise, a relevé que celle-ci avait été déposée douze jours après la réception par le mandataire de A______ du mémoire-réponse, alors que la cause avait été gardée à juger dans l'intervalle. L'écriture était par conséquent irrecevable.

EN DROIT

1.             1.1.1 Le recours est recevable contre les décisions finales, incidentes et provisionnelles de première instance qui ne peuvent pas faire l'objet d'un appel (art. 319 let. a CPC) et contre les autres décisions et ordonnances d'instruction de première instance dans les cas prévus par la loi (art. 319 let. b ch. 1 CPC) ou lorsqu'elles peuvent causer un préjudice difficilement réparable (ch. 2).

1.1.2 Par définition, les décisions visées à l’art.319 let.b CPC ne sont ni finales, ni partielles, ni incidentes, ni provisionnelles. Il s’agit de décisions d’ordre procédural par lesquelles le tribunal détermine le déroulement formel et l’organisation matérielle de l’instance, qu’on désigne de façon éparse (et imprécise) au gré de la culture procédurale du lieu par des vocables du type "ordonnance d’instruction", "ordonnance préparatoire" ou "décision sur incident" (Jeandin, CR CPC, 2019, n° 11 ad art. 309 CPC).

A l'inverse de la décision ordonnant la suspension de la procédure (art. 126 CPC), la décision de refus de suspension ne peut faire l'objet que du recours de l'art. 319 let. b ch. 2 CPC, le recourant devant démontrer le préjudice difficilement réparable résultant du refus de suspendre (Haldy, CR CPC, 2019, n° 9 ad art. 126 CPC; Gschwend, BSK ZPO, 2017, n° 17a ad art. 126 CPC).

1.2 En l'espèce, le recours est dirigé contre les décisions prises par le Tribunal des Prud'hommes à l'audience du 10 mai 2021. Déposé dans la forme prescrite auprès de l'instance de recours dans un délai de dix jours à compter de la notification de ces décisions (art. 321 al. 1 et 2 CPC), le recours est recevable sous cet angle.

Indépendamment de leur qualification juridique (ordonnances d'instruction ou autres décisions), les décisions attaquées ne sont susceptibles d'un recours immédiat que si elles peuvent causer un préjudice difficilement réparable au recourant. Il convient donc d'examiner, pour chacune d'entre elles, si cette condition est réalisée.

2 2.1.1 La notion de "préjudice difficilement réparable" est plus large que celle de préjudice irréparable au sens de l'art. 93 al. 1 let. a LTF relatif aux recours dirigés contre des décisions préjudicielles ou incidentes, dès lors qu'elle ne vise pas seulement un inconvénient de nature juridique, mais toute incidence dommageable (y compris financière ou temporelle), pourvu qu'elle soit difficilement réparable. L'instance supérieure doit se montrer exigeante, voire restrictive, avant d'admettre l'accomplissement de cette dernière condition, sous peine d'ouvrir le recours à toute décision ou ordonnance d'instruction, ce que le législateur a clairement exclu (cf. ATF 138 III 378 consid. 6.3; 137 III 380 consid. 2, SJ 2012 I 73; ACJC/327/2012 du 9 mars 2012, consid. 2.4; JEANDIN, Code de procédure civile commenté, 2011, n° 22 ad art. 319 CPC; HOHL, Procédure civile, Tome II, 2010, n° 2485; BLICKENSTORFER, Kommentar Schweizerische Zivilprozessordnung, BRUNNER/GASSER/SCHWANDER [éd.], 2011, n° 39 ad art. 319 CPC).

Le préjudice sera ainsi considéré comme difficilement réparable s'il ne peut pas être supprimé ou seulement partiellement, même dans l'hypothèse d'une décision finale favorable au recourant (Reich, Schweizerische Zivilrpozessordnung [ZPO], 2010, n. 8 ad art. 319 CPC).

2.1.2 La décision qui interdit à l'avocat mandaté par une partie de procéder en justice en tant que représentant de celle-ci, en raison d'un conflit d'intérêts prohibé par la LLCA, ne pourra plus être réparée par la décision finale, après que le procès se sera entièrement déroulé avec un autre mandataire. Elle cause donc un préjudice difficilement réparable (arrêt du Tribunal fédéral 4D_58/2014 du 17 octobre 2014 consid. 1.3 et 2, et la référence citée).

Lorsque le juge nie l'existence d'un conflit d'intérêts et autorise l'avocat d'une partie à poursuivre sa représentation, une telle décision n'est en principe pas susceptible de causer un préjudice irréparable à la partie adverse : l'art. 12 LLCA vise au premier chef à protéger les intérêts du client de l'avocat (arrêts du Tribunal fédéral 4A_436/2015 du 17 mai 2016, consid. 1.2.2; 5A_47/2014 du 27 mai 2014 consid. 4.4; 1B_420/2011 du 21 novembre 2011 consid. 1.2.2).

2.1.3 La décision par laquelle le juge refuse d'admettre comme représentant d'une personne morale une personne habilitée est susceptible de causer à la société un préjudice irréparable et donc, a fortiori, un préjudice difficilement réparable (ATF 141 III 80 consid. 1.2 – 1.4).

2.2.1 En l'espèce, le Tribunal a en premier lieu considéré que Me E______ était admis à représenter la société demanderesse, en sa qualité de membre du conseil d'administration. Cette décision concerne la capacité de la société anonyme d'ester en justice par le truchement de ses organes et non pas la représentation conventionnelle des parties. Il ne s'agit pas d'une décision qui porte sur la capacité de postuler de l'avocat en tant que mandataire, et donc sur la question d'un éventuel conflit d'intérêt, de sorte qu'en tant que telle elle ne concerne pas directement le recourant, lequel n'a par conséquent pas d'intérêt à la contester.

De plus, à l'inverse de la décision par laquelle le juge interdit à une personne habilitée de représenter la société, la décision qui admet cette représentation ne cause pas un préjudice difficilement réparable, ni à la société, ni en principe à la partie adverse. Partant, faute de causer un préjudice irréparable, le recours est irrecevable en tant qu'il vise la décision du Tribunal de permettre au vice-président de la société demanderesse de la représenter dans la procédure.

2.2.2 Dans une seconde décision, le Tribunal a nié l'existence d'un conflit d'intérêt entre Me C______, avocat de la société demanderesse nouvellement constitué, et le recourant.

A cet égard, il sera d'abord rappelé que la décision du juge qui nie l'existence d'un conflit d'intérêt d'un avocat n'est en principe pas susceptible de causer un préjudice irréparable (au sens de la LTF) à la partie adverse, à l'inverse de la décision qui interdit à un avocat de postuler.

Quand bien même la notion de préjudice difficilement réparable est plus large de celle de préjudice irréparable, il n'en demeure pas moins qu'il appartient au recourant d'alléguer et d'établir la possibilité que la décision incidente lui cause un tel préjudice, à moins que cela ne fasse d'emblée aucun doute (ATF 134 III 426 consid. 1.2 par analogie; ACJC/729/2021du 28 mai 2021, consid. 2.1.1).

Or, en l'espèce, dans son acte de recours, le recourant s'est borné à affirmer que "de toute évidence", la constatation par le Tribunal des Prud'hommes de l'absence d'un conflit d'intérêt de l'avocat de la partie demanderesse lui porte gravement préjudice, sans faire référence à un quelconque fait précis ni se prévaloir d'éléments concrets pouvant soutenir sa position. Il n'a pas été plus précis dans la réplique spontanée - en admettant que cette écriture soit recevable, quand bien même elle a été déposée plus de dix jours après la réception de la réponse. En effet, il s'est limité à indiquer, de manière générale, qu'un conflit d'intérêt permet à l'une des parties d'exploiter des informations dont elle n'aurait pas eu connaissance sans ledit conflit, sans soutenir que dans le cas d'espèce tel pourrait être le cas, en raison par exemple du fait que le recourant aurait par le passé consulté ou mandaté le conseil de la partie adverse, ce qui n'est pas allégué.

Dans son courrier au Tribunal des Prud'hommes du 10 mai 2021, le recourant a indiqué que le nouvel avocat de la demanderesse ne présentait pas l'indépendance suffisante pour défendre les intérêts de cette dernière, du fait qu'il était aussi l'avocat de l'un des ayants droit économiques de la société. Or, on ne discerne pas quel est l'intérêt du recourant à se plaindre de l'existence d'un éventuel conflit d'intérêt de l'avocat de la partie adverse avec cette dernière.

Le recourant n'ayant pas allégué à satisfaction la possibilité que la décision entreprise soit susceptible de lui causer un préjudice difficilement réparable, le recours sera déclaré irrecevable sur ce point également.

2.3 Le recourant reproche au Tribunal des Prud'hommes d'avoir refusé de suspendre la cause jusqu'à droit connu sur la procédure civile C/1______/2021 l'opposant à F______.

Il sera tout d'abord relevé que le recourant fait référence, de manière toute générale, au risque de jugements contradictoires, sans fournir d'explications plus précises à cet égard permettant de comprendre en quoi la procédure devant le Tribunal de première instance pourrait trancher les mêmes prétentions, alors que les parties qui s'opposent ne sont pas les mêmes. Le recourant n'expose par ailleurs pas quel préjudice difficilement réparable il risquerait de subir dans l'hypothèse où il ne serait admis à remettre en cause le refus de suspension qu'à l'issue de la procédure avec le jugement sur le fond. Il ne rend en particulier pas vraisemblable qu'il ne pourrait alors pas obtenir la prise en compte d'éléments ou de moyens de preuve qu'il aurait, par hypothèse, été empêché de faire valoir en raison du refus de suspendre la procédure.

Le recourant n'a par conséquent pas établi que la décision refusant la suspension est susceptible de lui causer un préjudice difficilement réparable. Son recours sera, partant, déclaré irrecevable sur ce point également.

2.4 Au bénéfice des explications qui précèdent, le recours contre les décisions prises par le Tribunal des Prud'hommes à l'audience du 10 mai 2021 est irrecevable.

3. La valeur litigieuse étant inférieure à 50'000 fr., la procédure est gratuite devant l'instance d'appel (art. 116 al. 1 CPC; art. 19 al. 3 let. c LaCC; art. 71 RTFMC). Aucun dépens n'est alloué s'agissant d'un litige de droit du travail (art. 22 al. 2 LaCC).

* * * * *


PAR CES MOTIFS,
La Chambre des prud'hommes, groupe 4:

Déclare irrecevable le recours formé le 20 mai 2021 par A______ contre les décisions prises le 10 mai 2021 par le Tribunal des prud'hommes dans la cause C/6338/2021.

Siégeant :

Madame Verena PEDRAZZINI RIZZI, présidente; Madame Nadia FAVRE, juge employeur; Madame Ana ROUX, juge salariée; Madame Chloé RAMAT, greffière.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Indication des voies de recours et valeur litigieuse :

 

Conformément aux art. 72 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification avec expédition complète (art. 100 al. 1 LTF) par-devant le Tribunal fédéral par la voie du recours en matière civile.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14.

 

Valeur litigieuse des conclusions pécuniaires au sens de la LTF supérieure ou égale à 15'000 fr.