Décisions | Chambre des baux et loyers
ACJC/71/2025 du 16.01.2025 sur JTBL/1054/2024 ( SBL ) , CONFIRME
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE | ||
POUVOIR JUDICIAIRE C/16541/2024 ACJC/71/2025 ARRÊT DE LA COUR DE JUSTICE Chambre des baux et loyers DU JEUDI 16 JANVIER 2025 |
Entre
Monsieur A______, domicilié ______ [GE], appelant d'un jugement rendu par le Tribunal des baux et loyers le 14 octobre 2024, représenté par l'ASLOCA, rue du Lac 12, case postale 6150, 1211 Genève 6,
et
B______, sise c/o C______, ______ [ZH], intimée, représentée par Me Olivier ADLER, avocat, quai Gustave-Ador 26, case postale 6253, 1211 Genève 6.
A. Par jugement JTBL/1054/2024 du 14 octobre 2024, le Tribunal des baux et loyers (ci-après : le Tribunal), statuant par voie de procédure sommaire en protection des cas clairs, a condamné A______ à évacuer immédiatement de sa personne et de ses biens ainsi que de toute autre personne faisant ménage commun avec lui l'appartement de 5 pièces au 6ème étage, ainsi que la cave n° 20, situés dans l'immeuble sis rue 1______ no. ______ à Genève (ch. 1 du dispositif), autorisé B______ à requérir l'évacuation par la force publique de A______ dès l'entrée en force du jugement (ch. 2), condamné A______ à verser à B______ la somme de 25'239 fr. 80 avec intérêts à 5% dès le 1er juin 2024 (date moyenne) (ch. 3), autorisé la libération de la garantie de loyer constituée auprès de D______ sous certificat de garantie de loyer n° 2______ le 26 septembre 2023 par A______ d'un montant de 8'514 fr., en faveur de B______, le montant ainsi libéré venant en déduction de la somme due figurant sous chiffre 3 du dispositif (ch. 4), débouté les parties de toutes autres conclusions (ch. 5) et dit que la procédure était gratuite (ch. 6).
En substance, les premiers juges ont retenu que les conditions d'une résiliation selon l'article 257d al. 1 CO étaient réunies, A______ n'ayant pas rendu vraisemblable que l'une ou l'autre d'entre elles ferait défaut. Depuis l'expiration du terme fixé, le précité ne disposait plus d'aucun titre juridique l'autorisant à rester dans les locaux, de sorte que son évacuation devait être prononcée. Eu égard au montant du loyer, de l'arriéré dû à titre d'indemnités pour occupation illicite qui augmentait mensuellement et de l'absence de motifs humanitaires, il ne pouvait être entré en matière sur l'octroi d'un sursis humanitaire. Enfin, aucun élément concret dans le dossier ne permettait de retenir, comme le soutenait A______, que les arriérés seraient payés au moment de son évacuation. Enfin, le droit au logement ne conférait pas de droit directement invocable dans un litige de droit privé (ATF 107 Ia 277 consid. 3a; arrêt du Tribunal fédéral 5A_252/2017 du 21 juin 2017 consid. 5) et sa seule invocation ne justifiait donc pas de surseoir à l'exécution de l'évacuation.
B. a. Par acte déposé le 1er novembre 2024 à la Cour de justice, A______ (ci‑après : le locataire ou l'appelant) a formé appel et recours de ce jugement, sollicitant son annulation. Cela fait, il a conclu, principalement, à ce que soit déclarée irrecevable la requête en évacuation et en paiement et libération de la garantie du 15 juillet 2024, et, subsidiairement, à l'annulation du chiffre 2 du dispositif du jugement entrepris, et à l'octroi d'un sursis à l'évacuation, venant à échéance le 31 mars 2025.
b. Par réponse du 15 novembre 2024, B______ (ci-après : la bailleresse ou l'intimée) a conclu respectivement à l'irrecevabilité de l'appel et à son rejet, ainsi qu'à la confirmation du jugement entrepris.
c. Par arrêts présidentiels des 11 et 22 novembre 2024, la Cour a d'abord constaté la suspension de force jugée et du caractère exécutoire du jugement entrepris, puis admis la requête de B______ d'exécution anticipée dudit jugement.
d. Les parties ont été avisées par plis du greffe de la Cour du 9 décembre 2024 de ce que la cause était gardée à juger.
C. Les faits pertinents suivants résultent de la procédure :
a. Les parties ont conclu le 16 août 2018 un contrat de bail à loyer portant sur la location d'un appartement de 5 pièces au 6ème étage de l'immeuble sis rue 1______ no. ______ à Genève.
Le montant du loyer et des charges a été fixé en dernier lieu à 5'050 fr. par mois.
Un dépôt de garantie n° 2______ daté du 26 septembre 2023 a été effectué auprès de D______ à hauteur de 8'514 fr.
b. Par avis comminatoire du 13 février 2024, la bailleresse a mis le locataire en demeure de lui régler dans les 30 jours le montant de 15'150 fr., à titre d'arriéré de loyers et de charges pour la période du 1er janvier au 31 mars 2024, et l'a informé de son intention, à défaut du paiement intégral de la somme réclamée dans le délai imparti, de résilier le bail conformément à l'art. 257d CO.
c. Considérant que la somme susmentionnée n'avait pas été intégralement réglée dans le délai imparti, la bailleresse a, par avis officiel du 26 mars 2024, résilié le bail pour le 31 mai 2024.
d. Par requête déposée le 15 juillet 2024, la bailleresse a introduit action en évacuation devant le Tribunal des baux et loyers et a en outre sollicité l'exécution directe de l'évacuation du locataire et le paiement de la somme de 10'179 fr. 80, avec intérêts à 5% l'an dès le 15 juin 2024, ainsi que la libération de la garantie.
e. Lors de l'audience du 14 octobre 2024, le locataire a expliqué que ses revenus étaient irréguliers et l'année 2024 difficile, ayant des charges envers ses enfants majeurs et son ex-épouse, lesquels avaient un autre logement. Il a ajouté être prêt à solder l'entier de sa dette au moment où il serait évacué. Il vivait seul dans l'appartement, mais ses enfants lui rendaient régulièrement visite.
Il a sollicité un délai de départ au 28 février 2025, ne sachant pas où aller et ayant fait des recherches d'autres logements non sans difficultés. Il a enfin précisé avoir une petite résidence à E______ [VS], vivre entre Genève et E______. Son conseil a invoqué le droit au logement (art. 38 Cst et sa mise en œuvre art. 41 Cst.). Le conseil de la bailleresse s'est opposé à un délai de départ aussi long que celui sollicité, étant prêt à accepter un délai à mi-novembre, fin novembre tout au plus. Il a persisté dans la requête et amplifié les conclusions en paiement au montant de l'arriéré au jour de l'audience.
A l'issue de l'audience le Tribunal a gardé la cause à juger.
1. 1.1 La voie de l'appel est ouverte contre les décisions d'évacuation, lorsque la valeur litigieuse est supérieure à 10'000 fr. (art. 308 al. 2 CPC).
Les contestations portant sur l'usage d'une chose louée sont de nature pécuniaire (arrêts du Tribunal fédéral 4A_388/2016 du 15 mars 2017 consid. 1; 4A_72/2007 du 22 août 2007 consid. 2).
Pour calculer la valeur litigieuse dans les actions en expulsion initiées selon la procédure de l'art. 257 CPC, il faut distinguer les cas où seule est litigieuse l'expulsion en tant que telle, de ceux où la résiliation l'est également à titre de question préjudicielle. S'il ne s'agit que de la question de l'expulsion, l'intérêt économique des parties réside dans la valeur que représente l'usage des locaux pendant la période de prolongation résultant de la procédure sommaire elle-même, laquelle est estimée à six mois. Si en revanche la résiliation des rapports de bail est également contestée, la valeur litigieuse est égale au loyer pour la période minimale pendant laquelle le contrat subsiste si la résiliation n'est pas valable, période qui s'étend jusqu'à la date pour laquelle une nouvelle résiliation peut être signifiée; comme il faut prendre en considération la période de protection de trois ans prévue à l'art. 271a al. 1 let. e CO, la valeur litigieuse correspondra en principe au montant du loyer brut (charges et frais accessoires compris) pendant trois ans (ATF
144 III 346 consid. 1.2.1 et 1.2.2.3 - JdT 2019 II 235 pp. 236 et 239; arrêt du Tribunal fédéral 4A_376/2021 du 7 janvier 2022 consid.1; Lachat, Procédure civile en matière de baux et loyers, Lausanne 2019, pp. 69-70).
En l'espèce, la valeur litigieuse est supérieure à 10'000 fr. La voie de l'appel est donc ouverte contre le prononcé de l'évacuation.
En revanche, contre les mesures d'exécution, seule la voie du recours est ouverte (art. 309 let. a CPC).
1.2 L'appel et le recours, écrits et motivés, doivent être introduits auprès de la deuxième instance dans les trente jours à compter de la notification de la décision motivée (art. 311 al. 1 et 321 al. 1 CPC). Le délai est de dix jours pour les décisions prises en procédure sommaire (art. 314 al. 1 et 321 al. 2 CPC), ce qui est le cas des procédures en protection des cas clairs (art. 248 let. b et 257 CPC).
En l'espèce, l'appel et le recours, formés dans le délai et la forme prescrits par la loi, sont recevables.
1.3 Dans le cadre d'un appel, la Cour revoit la cause en fait et en droit avec un plein pouvoir d'examen (art. 310 CPC), dans la limite des griefs suffisamment motivés qui sont formulés (art. 321 al. 1 CPC; cf. arrêts du Tribunal fédéral 4A_290/2014 du 1er septembre 2014 consid. 5; 5A_89/2014 du 15 avril 2011 consid. 5.3.2).
Le juge d'appel contrôle librement l'appréciation des preuves effectuée par le juge de première instance (art. 157 CPC en relation avec l'art. 310 let. b CPC) et vérifie si celui-ci pouvait admettre les faits qu'il a retenus (ATF 138 III 374 consid. 4.3.1).
Le recours n'est recevable que pour violation du droit et constatation manifestement inexacte des faits (art 320 CPC).
2. Les conclusions nouvelles du recours tendant à l'octroi d'un délai humanitaire au 31 mars 2025 (au lieu du 28 février 2025) sont irrecevables (art. 326 al. 1 CPC).
3. L'appelant fait grief au Tribunal d'avoir violé son droit au logement en prononçant son évacuation. Il ne soutient pas que les conditions des art. 257 CPC et 257d CO ne seraient pas réalisées.
3.1 Les rapports entre particuliers relèvent directement des seules lois civiles et pénales et c'est donc par celles-ci que l'individu est protégé contre les atteintes que d'autres sujets de droit privé pourraient porter à ses droits constitutionnels (ATF 107 Ia 277 consid. 3a p. 280 s.; arrêt du Tribunal fédéral 5A_252/2017 du 21 juin 2017 consid. 5; 4A_265/2011 du 8 juillet 2011 consid. 3.2.1).
Le Tribunal fédéral a laissé ouvert le point de savoir si l'article 38 de la Constitution de la République et canton de Genève du 14 octobre 2012 (Cst./GE – A 2 00) constituerait une disposition constitutionnelle conférant un droit directement invocable en justice. Dans la mesure où les locataires n'étaient pas parvenus à établir qu'ils n'avaient pas la possibilité d'obtenir un logement, l'on ne saisissait pas d'emblée en quoi la garantie déduite de cette disposition s'appliquerait (arrêt du Tribunal fédéral 5A_232/2020 du 14 mai 2020 consid. 5.2).
S'agissant en particulier du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels du 16 décembre 1966 (Pacte I ONU – RS 0.103.1), ses dispositions se bornent à prescrire aux Etats, sous la forme d'idées directrices, des objectifs à atteindre dans les divers domaines considérés. Elles leur laissent la plus grande latitude quant aux moyens à mettre en œuvre pour réaliser ces objectifs. Dès lors, elles ne revêtent pas, sauf exception (par exemple l'art. 8 al. 1 let. a, relatif au droit de former des syndicats et de s'affilier au syndicat de son choix), le caractère de normes directement applicables (cf. ATF 121 V 246 consid. 2c; 121 V 229 consid. 3b et les références citées; arrêt du Tribunal fédéral 4C_15/2001 du 22 mai 2001 consid. 4).
3.2 En l'espèce, les dispositions précitées ne sauraient cependant faire obstacle au prononcé de l'évacuation de l'appelant. Celui-ci n'a pas rendu vraisemblable qu'il serait dans l'impossibilité de se reloger, admettant au contraire disposer d'une résidence à E______. Dans la mesure où les articles 38 Cst./GE ainsi que 11 Pacte I ONU n'ont pas vocation à s'appliquer directement au litige de droit privé qui oppose les parties, c'est en vain que l'appelant se prévaut du droit au logement garanti par ces dispositions.
Par conséquent, c'est à bon droit que les premiers juges ont condamné l'appelant à évacuer le logement en cause. Partant, le jugement entrepris sera confirmé sur ce point.
4. Le recourant sollicite l'octroi d'un sursis humanitaire.
4.1 L'exécution forcée d'un jugement ordonnant l'expulsion d'un locataire est réglée par le droit fédéral (cf. art. 335 et ss CPC).
En procédant à l'exécution forcée d'une décision judiciaire, l'autorité doit tenir compte du principe de la proportionnalité. L'expulsion ne saurait être conduite sans ménagement, notamment si des motifs humanitaires exigent un sursis, ou lorsque des indices sérieux et concrets font prévoir que l'occupant se soumettra spontanément au jugement d'évacuation dans un délai raisonnable. En tout état de cause, l'ajournement ne peut être que relativement bref et ne doit pas équivaloir en fait à une prolongation de bail (ATF 117 Ia 336 consid. 2b; arrêts du Tribunal fédéral 4A_232/2018 du 23 mai 2018 consid. 7; 4A_207/2014 du 19 mai 2019 consid. 3.1).
L'art. 30 al. 4 LaCC concrétise le principe de la proportionnalité en cas d'évacuation d'un logement, en prévoyant que le tribunal peut, pour des motifs humanitaires, surseoir à l'exécution du jugement dans la mesure nécessaire pour permettre le relogement du locataire ou du fermier. Cette disposition s'applique, selon ses propres termes, aux logements, c'est-à-dire aux habitations (arrêt du Tribunal fédéral 4A_207/2014 du 19 mai 2014 précité consid. 3.1).
S'agissant des motifs de sursis, différents de cas en cas, ils doivent être dictés par des "raisons élémentaires d'humanité"; sont notamment des motifs de ce genre la maladie grave ou le décès de l'expulsé ou d'un membre de sa famille, le grand âge ou la situation modeste de l'expulsé; en revanche, la pénurie de logements ou le fait que l'expulsé entretient de bons rapports avec ses voisins ne sont pas des motifs d'octroi d'un sursis (ACJC/422/2014 du 7 avril 2014 consid. 4.2; ACJC/187/2014 du 10 février 2014 consid. 5.2.1; arrêt du Tribunal fédéral du 20 septembre 1990, in Droit du bail 3/1990 p. 30 et réf. cit.).
Le juge ne peut pas différer longuement l'exécution forcée et, ainsi, au détriment de la partie obtenant gain de cause, éluder le droit qui a déterminé l'issue du procès. Le délai d'exécution ne doit notamment pas remplacer la prolongation d'un contrat de bail à loyer lorsque cette prolongation ne peut pas être légalement accordée à la partie condamnée (arrêts du Tribunal fédéral 4A_232/2018 du 23 mai 2018 consid. 7; 4A_389/2017 du 26 septembre 2017 consid. 8; 4A_207/2014 du 19 mai 2014 consid. 3.1).
4.2 En l'espèce, le Tribunal a procédé à une juste appréciation des intérêts en présence, en prononçant l'évacuation de l'appelant dès l'entrée en force du jugement, au vu du montant des arriérés de loyer, de l'absence de preuve des démarches entreprises en vue de se reloger, et du fait que l'appelant possède une résidence à E______ dans laquelle il admet vivre, fut-ce à temps partiel.
Le seul fait que les enfants de l'appelant lui rendent visite dans le logement litigieux est insuffisant à justifier l'octroi d'un sursis humanitaire.
5. A teneur de l'art. 22 al. 1 LaCC, il n'est pas prélevé de frais ni alloué de dépens dans les causes soumises à la juridiction des baux et loyers.
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PAR CES MOTIFS,
La Chambre des baux et loyers :
A la forme :
Déclare recevables l'appel et le recours interjetés le 1er novembre 2024 par A______ contre le jugement JTBL/1054/2024 rendu le 14 octobre 2024 par le Tribunal des baux et loyers dans la cause C/16541/2024.
Au fond :
Confirme ce jugement.
Dit que la procédure est gratuite.
Déboute les parties de toutes autres conclusions.
Siégeant :
Monsieur Ivo BUETTI, président; Madame Pauline ERARD, Madame
Fabienne GEISINGER-MARIETHOZ, juges; Monsieur Jean-Philippe ANTHONIOZ, Monsieur Damien TOURNAIRE, juges assesseurs; Madame Victoria PALAZZETTI, greffière.
Indication des voies de recours :
Conformément aux art. 72 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification avec expédition complète (art. 100 al. 1 LTF) par-devant le Tribunal fédéral par la voie du recours en matière civile.
Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14.
Valeur litigieuse des conclusions pécuniaires au sens de la LTF supérieure ou égale à 15'000 fr.