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Décisions | Chambre des baux et loyers

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C/6438/2021

ACJC/1097/2024 du 12.09.2024 sur JTBL/622/2023 ( OBL ) , CONFIRME

En fait
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

C/6438/2021 ACJC/1097/2024

ARRÊT

DE LA COUR DE JUSTICE

Chambre des baux et loyers

DU JEUDI 12 SEPTEMBRE 2024

 

Entre

Madame A______, domiciliée ______, appelante d'un jugement rendu par le Tribunal des baux et loyers le 28 juillet, comparant par Me David VAUCHER, avocat, avenue de Gratta 2, 1018 Lausanne (VD),

 

et

 

B______ SA, ayant son siège ______, intimée, comparant par Me Karin GROBET THORENS, avocate, rue Verdaine 13, case postale 3776, 1211 Genève 3.

 

 

 


EN FAIT

A. Par jugement JTBL/622/2023 du 28 juillet 2023, reçu par les parties le 7 août 2023, le Tribunal des baux et loyers (ci-après : le Tribunal) a déclaré efficace le congé notifié à A______ le 29 mars 2021 pour le 31 mai 2021 concernant l’appartement de trois pièces au troisième étage de l’immeuble sis rue 1______ no. ______ à Genève (ch. 1), condamné A______ à évacuer immédiatement de sa personne et de ses biens, ainsi que toute autre personne faisant ménage commun avec elle, l’appartement susmentionné et ses dépendances, en les laissant en bon état de propreté et de réparations locatives (ch. 2), constaté que l’indemnité mensuelle due pour l’occupation illicite des locaux par A______ était de 1'810 fr. par mois, charges comprises, dès le 1er juin 2021 (ch. 3), déclaré que la cause serait transmise à l’issue du délai d’appel au Tribunal siégeant dans la composition prévue par l’art. 30 LaCC, pour statuer sur les mesures d’exécution forcée sollicitées (ch. 4), débouté les parties de toutes autres conclusions (ch. 5) et dit que la procédure était gratuite (ch. 6).

B. a. Par acte expédié le 14 septembre 2023 à la Cour de justice, A______ forme appel contre ce jugement, dont elle sollicite la réforme. Elle conclut, principalement, à ce que la Cour constate l’inefficacité du congé et, subsidiairement, à son annulation.

b. Dans sa réponse du 19 octobre 2023, B______ SA conclut à la confirmation du jugement entrepris.

c. Les parties ont répliqué et dupliqué, persistant dans leurs conclusions respectives.

d. Par courrier du 9 janvier 2024, B______ SA a transmis à la Cour copie d’un email adressé le 3 janvier 2024 par C______, locataire de l’immeuble, à [la régie immobilière] D______, informant celle-ci que A______ avait pris à partie sa femme de ménage mardi 2 janvier 2023 [recte 2024] alors qu’il était absent. A______ avait insulté sa femme de ménage alors qu’elle se trouvait dans les escaliers utilisant des termes comme « bitch » et « I fuck your mother » en raison du bruit de l’aspirateur. A son retour, C______ avait tenté de discuter avec A______ qui se trouvait alors à la cave. Celle-ci s’était à nouveau montrée agressive et l’avait insulté tout en frappant la porte d’accès aux caves. Trois collaborateurs du restaurant E______ SA (ci-après : le restaurant E______) et le propriétaire du kiosque à proximité avaient été témoins de l’épisode et avaient appelé la police qui avait dû ouvrir à l’aide d’une pince monseigneur la porte d’accès aux caves (derrière laquelle A______ s’était retranchée) qui avait été endommagée à cette occasion; la femme de ménage de C______ avait été tellement intimidée qu’elle refusait de revenir chez celui-ci.

Par courrier du 5 février 2024, A______ a intégralement contesté le courrier du 9 janvier 2024. Celui-ci ne comportait pas d’allégués et l’email annexé relatait des faits invoqués tardivement puisqu’ils se seraient produits le mardi 2 janvier 2023.

Les parties ont été avisées le 15 février 2024 de ce que la cause était gardée à juger.

C. Les faits pertinents suivants résultent de la procédure :

a. A______ et B______ SA ont conclu un contrat de bail portant sur la location d'un appartement de trois pièces au troisième étage de l'immeuble sis rue 1______ no. ______ à Genève. Le contrat a été conclu pour une durée initiale de cinq ans du 1er septembre 2006 au 31 août 2011, renouvelable par la suite d'année en année sauf résiliation avec un préavis de trois mois.

Le loyer était échelonné et a été fixé à 11’232 fr. hors charges par année du 1er septembre 2006 au 31 août 2009 et à 19'200 fr. hors charges du 1er septembre 2009 au 31 août 2011. Il a par la suite été révisé à plusieurs reprises et fixé en dernier lieu à 19'800 fr. hors charges par année dès le 1er septembre 2011 auxquels s’ajoute une provision annuelle pour les frais de chauffage et d’eau chaude de 1'920 fr.

A______ a contesté le dernier avis de majoration envoyé par B______ SA qui l’a retiré lors de l'audience de conciliation du 4 septembre 2012.

L'immeuble est géré par D______ (ci-après : la régie).

b. Le 8 février 2019, une altercation a eu lieu entre A______ et F______, employé du restaurant E______ situé au rez-de-chaussée de l'immeuble. Durant cette altercation, A______ a giflé et porté des coups avec sa main au visage de F______ lui causant un hématome modéré de la face antérieure de la lèvre supérieure, avec des dermabrasions ainsi qu’une coupure sur le nez. Ces lésions ont été constatées par certificat médical.

c. Entre le 15 et le 21 février 2019, A______ a menacé F______ en lui disant que son frère et sa famille allaient s'occuper de lui et que son cousin allait venir le tuer.

F______ a porté plainte contre A______ qui a été déclarée coupable de lésions corporelles simples et de menaces par ordonnance pénale du 29 mai 2019. Ces deux chefs d'accusation ont été confirmés par arrêt du Tribunal fédéral 6B_508/2021 du 14 janvier 2022.

d. Le 12 mars 2019, la régie a mis en demeure A______ de cesser immédiatement ses agissements sous menace de résiliation du bail, à savoir des insultes et menaces fréquentes, des agressions physiques, des jets de seaux d'eau et d'œufs depuis sa fenêtre et des comportements inappropriés.

Le 15 mars 2019, la régie a reçu une nouvelle plainte du restaurant E______ selon laquelle A______ aurait gravé l'inscription "FDP" sur la porte d'entrée des bureaux situés au premier étage.

e. Le 26 mars 2019, la régie a résilié le bail de A______ pour le 31 août 2019 au motif de la rupture définitive du lien de confiance.

Le 2 avril 2019, le restaurant E______ a informé la régie que A______ avait posté un commentaire calomnieux sur la page Google du restaurant en utilisant un pseudonyme.

Par avis officiel du 8 avril 2019, le bail a été résilié pour justes motifs pour le 31 mai 2019 selon la sommation du 12 mars 2019.

Ces congés ont été contestés par A______.

f. Le 16 avril 2019, A______ a envoyé des courriers à la régie, contestant être l'auteure des nuisances ayant mené à la résiliation du bail et indiquant être elle-même la victime des importantes nuisances causées par le bar et le restaurant situés au rez-de-chaussée de l'immeuble.

g. Le 30 décembre 2019, A______ a signalé subir à nouveau des nuisances sonores et vibratoires générées par les extracteurs d'air et les ventilations du restaurant. Elle a demandé l’intervention de la régie pour que ces nuisances cessent.

h. Des conclusions d'accord ont été signées entre les parties le 7 août 2020 aux termes desquelles les congés ont été retirés et une indemnité de 20'000 fr. a été versée à A______.

La presse a fait état de cet accord à l’occasion d’un article publié le 14 décembre 2020.

i. C______, voisin de A______, a fait parvenir plusieurs plaintes à la régie. Le 12 août 2020, il a relevé que A______ se plaignait depuis longtemps qu'il faisait trop de bruit en marchant dans son appartement, ce qu'il contestait. A______ avait depuis lors pris l'habitude de frapper contre le plancher ou contre le radiateur avec du métal afin de faire du bruit. En outre, elle avait renversé son étagère à chaussures située devant sa porte.

j. Les 13 septembre et 2 octobre 2020, C______ a informé la régie qu’il avait été contraint d’appeler la police, car A______ continuait de renverser son étagère à chaussures et insulter son épouse G______ et lui-même.

k. Le 22 décembre 2020, il a informé à la régie que d'autres voisins étaient importunés par les agissements de A______ et qu'il allait recueillir leurs plaintes pour que leur situation soit prise au sérieux.

l. Par courrier du 12 janvier 2021, la régie a informé A______ avoir reçu de nouvelles plaintes des voisins qui souffraient quotidiennement de ses agissements, notamment de ses hurlements, menaces, coups contre les murs, le plafond, et les radiateurs et dégradations dans les étages en renversant les affaires des autres occupants de l'immeuble. Il semblait que la police était intervenue à plusieurs reprises. La régie a mis en demeure A______ de cesser ses agissements à défaut de quoi B______ SA se verrait contrainte de résilier le bail moyennant un délai de 30 jours pour la fin d’un mois.

m. Le 15 mars 2021, la régie a reçu une pétition signée par les représentants du restaurant E______ ainsi que par C______, G______ et H______ habitant l’immeuble. Cette pétition faisait état de plusieurs agissements de A______ dont des insultes, des tapages diurnes et nocturnes, des hurlements, des menaces, de la violence, des appels répétés et injustifiés à la police et du vandalisme dans les communs de l'immeuble (plaquettes de boîtes aux lettres arrachées, portes rouées de coups et endommagées, biens endommagés telle une étagère à chaussures).

n. Par avis officiel du 29 mars 2021, la régie a résilié le bail pour le 31 mai 2021.

o. Par requête déposée le 6 avril 2021 par-devant la Commission de conciliation en matière de baux et loyers, déclarée non conciliée à l’issue de l'audience du 3 juin 2021, et portée devant le Tribunal le 7 juillet 2021, A______ a contesté le congé et subsidiairement demandé son annulation.

p. Par mémoire réponse et demande reconventionnelle du 28 septembre 2021, B______ SA a conclu, sur demande principale, au constat de la validité du congé et sur demande reconventionnelle, à l'évacuation immédiate de A______ avec mesure d'exécution directe et à ce qu'il soit dit que l'indemnité mensuelle pour occupation illicite était de 1'810 fr. par mois dès le 1er juin 2021, dont 160 fr. d'acomptes de charges. Elle a notamment produit de nouvelles plaintes du restaurant E______ des 7 et 21 avril 2021, 5 et 19 mai 2021, 28 juin 2021, 13 juillet 2021, 30 et 31 août 2021 selon lesquelles A______ avait tenu des propos racistes envers les employés du restaurant E______, avait jeté de l'eau et de l'huile sur le camion de livraison, de l'eau sur un livreur et avait endommagé leur boîte aux lettres.

q. Par mémoire de réponse à la demande reconventionnelle du 1er décembre 2021, A______ a conclu au rejet des conclusions reconventionnelles.

r. A______ a produit diverses pièces complémentaires, notamment un courrier, non signé, du 6 janvier 2022 adressé à la régie dans lequel elle se plaint de troubles du voisinage occasionnés par C______ et G______, à savoir des bruits de plancher et de déplacement de meubles ainsi que des disputes conjugales récurrentes en précisant qu'elle était atteinte d'un défaut de l'oreille interne, certificat médical à l'appui, et qu'elle était ainsi sensible aux bruits. Elle a également produit un courrier non signé du 13 janvier 2022 adressé au Service de l'air, du bruit et des rayonnements non-ionisants pour lui demander d'intervenir dans son appartement pour mesurer le bruit engendré par la ventilation du restaurant.

s. A______ a formé des allégués complémentaires en date du 20 mai 2022 selon lesquels elle avait été agressée par une femme le 21 mars 2022 qui l'avait frappée dans l'allée de l'immeuble. Le directeur du restaurant E______ était intervenu, elle avait réussi à regagner son appartement et avait appelé une ambulance. Elle a produit un certificat médical daté du 22 mars 2022 faisant état de ses blessures et d’un dépôt de plainte pénale à l’encontre de la femme qui l'avait agressée.

t. B______ SA a produit des pièces complémentaires durant la suite de la procédure. A teneur de celles-ci, C______ s’était plaint auprès de la régie du comportement de A______ par courrier du 4 novembre 2021, notamment d'insultes et de bruits ayant mené à l'intervention de la police. Le même jour, la concierge de l’immeuble, avait informé la régie que A______ l’avait insultée et avait ensuite renversé son seau qui était dans l’ascenseur. B______ SA a également produit des courriers des 14, 21 et 31 mars 2022, par lesquels le restaurant E______ s'était à nouveau adressé à la régie pour lui faire part du fait que A______ avait violemment agressé une personne vers les boîtes aux lettres, la personne étant partie en ambulance, ainsi que du fait que A______ avait encore endommagé leur boîte aux lettres et leur porte, avait tenu des propos haineux et racistes et jeté de l'eau par la fenêtre. Le 14 septembre 2022, le restaurant avait fait parvenir une nouvelle plainte à la régie selon laquelle A______ s'était présentée avec une batte de baseball et un couteau à leur porte en tenant des propos racistes et haineux. Le 16 janvier 2023, C______ s'était à nouveau plaint à la régie du comportement de A______, soit du fait que celle-ci avait une nouvelle fois frappé contre sa porte pour se plaindre du bruit et lui avait envoyé des messages agressifs en précisant qu'il avait peur qu'elle agresse un jour son épouse qui était enceinte.

u. Au tribunal, A______ a déclaré contester toutes les accusations faites à son encontre, notamment les insultes envers ses voisins. Elle entretenait de bons rapports de voisinage notamment avec C______ et H______. C'était elle qui subissait des nuisances sonores venant du restaurant E______ et des époux C______, notamment de leurs disputes conjugales. Elle a reconnu avoir renversé à une reprise le meuble à chaussures, avoir mis un commentaire sur la page Google du restaurant E______, car elle n'avait pas apprécié son repas sur place et avoir eu plusieurs disputes avec les employés du restaurant et son voisin C______. Certains faits lui étaient imputés à tort, car elle savait qu'il y avait beaucoup de vandalisme dans l'immeuble provenant des anciens employés du restaurant qui travaillaient dans de mauvaises conditions.

v. F______, entendu comme témoin, a confirmé les faits ayant mené à la condamnation pénale de A______. Il avait vu A______ crier par la fenêtre sur ses collègues, s'était souvent fait insulter par cette dernière et avait reçu de l'eau jetée par sa fenêtre.

w. I______, ancienne directrice du restaurant E______, entendue comme témoin, a déclaré avoir signé les nombreux courriers envoyés par le restaurant à la régie tout en admettant ne pas avoir constaté elle-même les actes reprochés, mais les avoir appris par ses employés. Elle a également confirmé ne jamais avoir vu A______ endommager la boîte aux lettres ou la porte du restaurant E______. Finalement, elle a précisé ne jamais avoir reçu de plaintes d'autres personnes concernant le bruit que le restaurant pouvait faire.

x. C______ et G______, entendus comme témoins, ont confirmé la teneur de leurs plaintes à l’encontre de A______, et déclaré avoir été agressés par A______ qui les avait menacés et insultés.

aa. J______, habitant au troisième étage depuis octobre 2012, K______, habitant au troisième étage depuis cinq ans, L______, habitant au quatrième étage depuis juillet 2020 et M______, habitant au premier étage depuis quelques années, entendus comme témoins, ont déclaré ne jamais avoir rencontré de problèmes avec A______; le bruit dans l'immeuble a été qualifié de normal. Ils n’avaient jamais été dérangés par le bruit venant du restaurant E______. M______ a déclaré avoir eu une altercation à une reprise avec A______ qui avait été menaçante et qui avait frappé à toutes les portes de l'étage pour informer ses voisins qu'il ne fallait pas claquer les portes, à la suite de quoi elle avait placardé des affiches en ce sens.

ab. B______ SA a produit des échanges intervenus en octobre 2019 entre les parties. Il en ressort que, selon la régie, plusieurs appartements de remplacement auraient été proposés à A______, mais que ces objets avaient été refusés par cette dernière, notamment pour des questions de budget. Selon A______, la régie ne lui aurait proposé qu'un seul logement à la rue de Lausanne et aurait par la suite refusé de le lui louer.

ac. Lors de l'audience du 20 juin 2023, les parties ont persisté dans leurs conclusions. Sur quoi la cause a été gardée à juger.

EN DROIT

1. 1.1 L'appel est recevable contre les décisions finales et les décisions incidentes de première instance (art. 308 al. 1 let. a CPC). Dans les affaires patrimoniales, l'appel est recevable si la valeur litigieuse au dernier état des conclusions est de 10'000 fr. au moins (art. 308 al. 2 CPC).

Selon la jurisprudence constante du Tribunal fédéral, les contestations portant sur l'usage d'une chose louée sont de nature pécuniaire (arrêt du Tribunal fédéral 4A_388/2016 du 15 mars 2017 consid. 1).

Dans une contestation portant sur la validité d'une résiliation de bail, la valeur litigieuse est égale au loyer de la période minimum pendant laquelle le contrat subsiste nécessairement si la résiliation n'est pas valable, période qui s'étend jusqu'à la date pour laquelle un nouveau congé peut être donné ou l'a effectivement été. Lorsque le bail bénéficie de la protection contre les congés des art. 271 ss CO, il convient, sauf exceptions, de prendre en considération la période de protection de trois ans dès la fin de la procédure judiciaire qui est prévue par l'art. 271a al. 1 let. e CO (ATF 137 III 389 consid. 1.1; 136 III 196 consid. 1.1; arrêt du Tribunal fédéral 4A_388/2016 du 15 mars 2017 consid. 1).

1.2 En l'espèce, le loyer annuel brut du logement s'élève à 21’720 fr. En prenant en compte la période de trois ans précitée, la valeur litigieuse est largement supérieure à 10'000 fr. (21'720 fr. x 3 ans = 65’160 fr.).

1.3 L'appel a été interjeté dans le délai et suivant la forme prescrit par la loi (art. 130, 131, 311 al. 1 CPC). Il est ainsi recevable.

1.4 L'appel peut être formé pour violation du droit (art. 310 let. a CPC) et constatation inexacte des faits (art. 310 let. b CPC). L'instance d'appel dispose ainsi d'un plein pouvoir d'examen de la cause en fait et en droit; en particulier, le juge d'appel contrôle librement l'appréciation des preuves effectuée par le juge de première instance (art. 157 CPC en relation avec l'art. 310 let. b CPC) et vérifie si celui-ci pouvait admettre les faits qu'il a retenus (ATF 138 III 374 consid. 4.3.1).

2. L’intimée a produit une pièce nouvelle selon laquelle l’appelante avait une nouvelle fois fait preuve d’un comportement particulièrement agressif le 2 janvier 2024.

2.1 Selon l'art. 317 al. 1 CPC, les faits et les moyens de preuve nouveaux ne sont pris en considération en appel que s'ils sont invoqués ou produits sans retard (let. a) et s'ils ne pouvaient pas être invoqués ou produits devant la première instance bien que la partie qui s'en prévaut ait fait preuve de la diligence requise (let. b). Les deux conditions sont cumulatives (Jeandin, Commentaire Romand, Code de procédure civile 2ème éd., 2019, n. 6 ad art. 317 CPC).

2.2 L’appelante conclut à l’irrecevabilité de cette pièce nouvelle, dans la mesure où les faits qui y sont dénoncés se seraient produits mardi 2 janvier 2023 soit plus d’une année auparavant.

Il est admis que cet email a été adressé par C______ à la régie le 3 janvier 2024, et produit à la procédure le 9 janvier 2024, soit sans retard.

La Cour retient que les faits dénoncés par C______ ont eu lieu le mardi 2 janvier 2024 et non 2023, mention résultant d’une erreur de plume. En effet, cet email fait suite à un autre courriel adressé par la régie le 6 novembre 2023 et le 2 janvier 2023 n’était pas un mardi.

L’intimée n’aurait donc pas pu invoquer ce nouvel épisode d’agressivité de l’appelante survenu le 2 janvier 2024 en première instance et aucun manque de diligence ne peut lui être reproché.

La pièce nouvelle est donc recevable.

3. L’appelante reproche au Tribunal d’avoir violé son droit d’être entendue au sens de l’art. 29 al. 2 Cst. en motivant insuffisamment le jugement entrepris. Selon l’appelante, le jugement ne permettrait pas de comprendre par quels manquements l’appelante aurait violé son devoir d’égards envers les voisins avant, mais également après, la mise en demeure du 12 janvier 2021. Cette violation du droit d’être entendu emporterait également une violation de l’art. 257f al. 3 CO, car on ne parviendrait pas à la lecture du jugement entrepris à saisir en quoi les cinq conditions cumulatives de l’art. 257f al. 3 CO seraient satisfaites.

3.1. Le droit d'être entendu consacré à l'art. 29 al. 2 Cst. implique pour l'autorité l'obligation de motiver sa décision, afin que le destinataire puisse en saisir la portée, l'attaquer utilement s'il y a lieu et que l'autorité de recours puisse exercer son contrôle. Pour répondre à ces exigences, il suffit que le juge mentionne, au moins brièvement, les motifs qui l'ont guidé et sur lesquels il a fondé sa décision. Dès lors que l'on peut discerner les motifs qui ont guidé la décision de l'autorité, le droit à une décision motivée est respecté même si la motivation présentée est erronée. La motivation peut d'ailleurs être implicite et résulter des différents considérants de la décision (ATF 141 V 557 consid. 3.2.1; arrêt du Tribunal fédéral 5A_567/2019 du 23 janvier 2020 consid. 4.2).

La résiliation prévue par l’art. 257f al. 3 CO suppose la réalisation des cinq conditions cumulatives suivantes : (1) une violation du devoir de diligence incombant au locataire, (2) un avertissement écrit préalable du bailleur, (3) la persistance du locataire à ne pas respecter son devoir en relation avec le manquement évoqué par le bailleur dans sa protestation, (4) le caractère insupportable du maintien du contrat pour le bailleur et, enfin, (5) le respect d'un préavis de trente jours pour la fin d'un mois (arrêt du Tribunal fédéral 4A_227/2017 du 5 septembre 2017 consid. 5.1.1; arrêt du Tribunal fédéral 4A_457/2013 du 4 février 2014 consid. 2; ACJC/469/2015 du 27 avril 2015 consid. 2).

3.2. A teneur du jugement entrepris, la mise en demeure du 12 janvier 2021 faisait suite aux hurlements, menaces, tapage contre les murs, plafonds, radiateurs et dégradations dans les étages en renversant les affaires des autres occupants de l’immeuble. Ces actes étaient graves, car l’appelante avait été condamnée pénalement en raison de l’un des comportements violents dont elle avait fait preuve envers les employés du restaurant T.H.F et de ses voisins. La régie avait alors notifié à la l’appelante la sommation du 12 janvier 2021 mettant celle-ci en demeure de cesser d’importuner ses voisins à défaut de quoi son bail serait résilié moyennant un délai de congé minimum de 30 jours pour la fin d’un mois. Le jugement mentionne tout aussi clairement que la pétition du 15 mars 2021, mais également les plaintes ayant suivi la résiliation du bail, établissaient que l’appelante n’avait nullement modifié son comportement suite de la sommation du 12 janvier 2021.

Ainsi, le jugement entrepris est motivé avec suffisamment de clarté détaillant en quoi l’appelante a manqué d’égards envers ses voisins et occupants de l’immeuble avant l’avertissement écrit du 12 janvier 2021 puis la persistance de l’appelante à transgresser son devoir d’égards envers ceux-ci. Il retient également que le bail a été résilié par l’intimée moyennant un préavis de trente jours pour la fin d’un mois par avis de résiliation du 29 mars 2021 l’appelante reconnaît avoir reçu pour l’avoir contesté en temps utile.

Le grief est ainsi infondé.

4. Le Tribunal a retenu que la résiliation anticipée du bail signifiée le 29 mars 2021 pour le 31 mai 2021 était motivée par la violation par l’intimée de son devoir de diligence et d'égards envers ses voisins en raison de nuisances créées, notamment les hurlements, menaces, heurts contre les murs, les radiateurs et le plafond et les dégradations dans les étages en renversant les affaires des autres occupants de l'immeuble.

Les enquêtes avaient permis de démontrer la réalité du motif invoqué à l'appui du congé, étant précisé que le comportement de l’appelante a perduré sur une longue période, les premières plaintes ayant été enregistrées en février 2019. Les pièces produites et les auditions de témoins avaient établi l'ampleur des nuisances. Enfin, les actes reprochés étaient qualifiés de graves, l’appelante ayant été condamnée pénalement et ayant eu des comportements violents tant verbalement que physiquement envers ses voisins et les employés du restaurant E______.

L'avertissement adressé par l’intimée le 12 janvier 2021 faisant office de mise en demeure faisait état de ces agissements et il était établi, en particulier par la pétition du 15 mars 2021, que ces mêmes comportements avaient perduré quotidiennement après la sommation. Les nombreuses plaintes qui avaient suivi la résiliation du bail démontraient également que la situation ne s'était pas améliorée.

Enfin, les agissements de l’appelante ne gênaient pas tous ses voisins, mais uniquement C______ et sa compagne, H______ et les employés du restaurant E______, les autres voisins ayant déclaré ne jamais avoir été importunés par l’appelante. Toutefois, l'ampleur des nuisances décrites par les personnes importunées suffisait à démontrer que la situation était insupportable pour ceux-ci. Nul n’était besoin que l'ensemble des habitants de l'immeuble aient été touchés pour qu'un congé basé sur l’art. 257f CO soit validé.

4.1 Dans un premier grief, l’appelante reproche au Tribunal une constatation inexacte des faits pertinents. C’est à tort que le Tribunal aurait retenu qu’elle n’avait pas respecté les égards dus à ses voisins. Concernant la période antérieure à la mise en demeure du 12 janvier 2021, l’appelante fait valoir que le Tribunal se serait essentiellement basé sur les plaintes adressées à la régie par C______ et son épouse puis aurait retenu en des termes généraux que les premières plaintes auraient été déposées en 2019. Concernant la période postérieure à la mise en demeure du 12 janvier 2021, le seul élément dont l’intimée disposerait serait la pétition du 15 mars 2021 signée par une minorité de locataires de l’immeuble, soit les gérants du restaurant E______, C______, G______ et H______. Enfin, le Tribunal aurait omis de retenir que de fréquentes disputes des voisins et des bourdonnements de machines industrielles étaient audibles dans l’appartement de l’appelante ce qui l’importunait.

4.2 Au Tribunal, l’appelante a elle-même reconnu que son compagnon avait aspergé de ketchup la porte de C______ et de G______, qu’elle avait renversé le meuble à chaussures et qu’à plusieurs reprises elle s’était disputée avec C______ et des employés du restaurant E______. Selon les pièces produites par l’intimée, l’appelante a effectivement giflé et porté des coups à F______, employé du restaurant E______, puis menacé celui-ci de mort en février 2018. L’appelante a été pénalement condamnée pur ces faits constitutifs de lésions corporelles simples et de menaces. Les très nombreux courriers et emails, principalement de C______ et du restaurant E______ produits à la procédure établissent que le manque d’égards dont l’appelante a fait preuve envers C______ a perduré jusqu’au 12 janvier 2021. Ce manque d’égards a d’ailleurs été confirmé par les déclarations de F______, C______ et de G______ qui ont tous trois témoigné avoir été agressés par A______ qui les avait menacés et insultés.

Le manque d’égards de A______ à l’égard de ses voisins est donc établi pour la période antérieure à la mise en demeure du 12 janvier 2021.

Le 15 mars 2021, soit deux mois après avoir été mise en demeure par la régie de cesser d’occasionner des nuisances auprès de ses voisins notamment par des hurlements, des menaces, des coups contre les murs, les radiateurs et le plafond et par des dégradations dans les étages en reversant les affaires des autres occupants de l’immeuble, quatre locataires de l’immeuble se sont à nouveau plaints auprès de la régie du manque d’égards que leur témoignait l’appelante par des agissements analogues à ceux dont la mise en demeure du 12 janvier 2021 faisait l’objet, notamment par des menaces de violence, des menaces physiques, des insultes ainsi que des tapages diurnes et nocturnes.

Ces événements ont également été confirmés par les témoignages de F______, C______ et de G______. Les très nombreuses plaintes survenues postérieurement à la résiliation, notamment celles du 7 et 21 avril, du 5 et du 19 mai, du 28 juin, du 13 juillet du 30 août du 31 août, du 21 décembre 2021, du 4 janvier, du 20 mars, du 14 septembre et du 4 novembre 2022, du 16 janvier 2023 et du 3 janvier 2024 adressées à la régie par le restaurant E______, C______ et H______ ainsi que par la concierge de l’immeuble démontrent l’incapacité de l’appelante à vivre durablement dans l’immeuble sans manquer régulièrement d’égards envers ses voisins, ce qui renforce encore la crédibilité des reproches adressés par C______, H______ et par les représentants du restaurant E______ à l’occasion de leur courrier collectif du 15 mars 2021.

C’est donc à raison que le Tribunal a constaté que la mise en demeure du 12 janvier 2021 était restée sans effet puisque ces mêmes comportements avaient perduré après la sommation. Ces manques d’égards ne sauraient être justifiés par d’éventuels bruits de machines industrielles perceptibles dans l’appartement de l’appelante ni par des bruits de disputes provenant du voisinage. Même si ces nuisances étaient avérées, elles ne seraient pas pertinentes. Le Tribunal n’avait donc pas à les retenir.

5. Enfin, l’appelante reproche au Tribunal d’avoir omis d’annuler le congé du 29 mars 2021 qui serait contraire à la bonne foi au sens de l’art 271 al. 1 CO. Selon elle, le bail aurait en réalité été résilié premièrement en raison de l’accord qu’elle avait passé avec l’intimée le 7 août 2020 et dont elle avait ensuite fait état à la presse qui avait publié un article à ce propos le 14 décembre 2020 et deuxièmement, en raison des prétentions en réduction de loyers mentionnés par les représentants du restaurant E______ ainsi que par H______, C______ et G______ à l’occasion de leur courrier du 15 mars 2021 et troisièmement en raison des plaintes que celle-ci avait élevées en lien avec les nuisances sonores provenant du voisinage.

5.1. Dans le cas d'une résiliation de bail en application de l'article 257f al. 3 CO, l'admissibilité de l'annulation du congé n'est envisageable que dans des cas très exceptionnels, par exemple lorsque le bailleur a imparti au locataire un
délai pour se conformer au contrat et qu'il résilie avant l'échéance fixée (BOHNET/CARRON/MONTINI, Droit du bail à loyer et à ferme, 2017, no 48 ad art. 257f CO).

C'est à la partie qui demande l'annulation du congé qu'il incombe de démontrer que celui-ci contrevient aux règles de la bonne foi (ATF 120 III 105 consid. 3c).

5.2. En l’espèce, comme le relève le Tribunal, aucune des pièces produites ni aucun témoignage recueilli en audience n’évoque une résiliation-prétexte. La proximité temporelle entre la publication du 14 décembre 2020 et la résiliation du bail de l’appelante du 29 mars 2021 ne suffit pas à prouver que cet article serait la réelle cause de la résiliation vu les nombreuses pièces et les nombreux témoignages prouvant le manque d’égards dont l’appelante a fait preuve envers C______ et sa compagne, H______ et les employés du restaurant E______ auxquels l’avis de résiliation du 29 mars 2021 se réfère expressément en mentionnant la sommation du 12 janvier 2021.

Le grief se révèle également infondé.

Au vu de ce qui précède, le jugement entrepris sera donc confirmé.

6. A teneur de l'art. 22 al. 1 LaCC, il n'est pas prélevé de frais dans les causes soumises à la juridiction des baux et loyers (ATF 139 III 182 consid. 2.6).

* * * * *


PAR CES MOTIFS,
La Chambre des baux et loyers :


A la forme :

Déclare recevable l'appel interjeté le 14 septembre 2023 par A______ contre le jugement JTBL/622/2023 rendu le 28 juillet 2023 par le Tribunal des baux et loyers dans la cause C/6438/2021.

Au fond :

Confirme le jugement entrepris.

Dit que la procédure est gratuite.

Déboute les parties de toutes autres conclusions.

Siégeant :

Monsieur Ivo BUETTI président; Madame Sylvie DROIN et Monsieur
Laurent RIEBEN juges; Monsieur Damien TOURNAIRE et Madame Sibel UZUN, juges assesseurs; Madame Maïté VALENTE, greffière.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Indication des voies de recours :

 

Conformément aux art. 72 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF ; RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification avec expédition complète (art. 100 al. 1 LTF) par devant le Tribunal fédéral par la voie du recours en matière civile.

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14.

Valeur litigieuse des conclusions pécuniaires au sens de la LTF supérieure ou égale à 15'000 fr.