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Décisions | Chambre des baux et loyers

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C/10239/2021

ACJC/950/2024 du 24.07.2024 sur JTBL/470/2023 ( OBL ) , CONFIRME

En fait
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

C/10239/2021 ACJC/950/2024

ARRÊT

DE LA COUR DE JUSTICE

Chambre des baux et loyers

DU MERCREDI 24 JUILLET 2024

 

Entre

Monsieur A______, ______ [GE], appelant d'un jugement rendu par le Tribunal des baux et loyers le 8 juin 2023, représenté par l’ASLOCA, rue du Lac 12, case postale 6150, 1211 Genève 6,

 

et

B______, sise auprès de la C______, ______ [GE], intimée, représentée par [la régie] D______, ______ [GE].

 

 

 

 


EN FAIT

A. Par jugement JTBL/470/2023 du 8 juin 2023, reçu par les parties le 13 juin 2023, le Tribunal des baux et loyers a débouté A______ de toutes ses conclusions (ch. 1 du dispositif), ordonné la libération des loyers consignés auprès des Services financiers du Pouvoir judiciaire (ch. 2), débouté les parties de toutes autres conclusions (ch. 3) et dit que la procédure était gratuite (ch. 4).

B. a. Par acte expédié le 13 juillet 2023 à la Cour de justice, A______ a formé appel contre ce jugement, dont il a sollicité l'annulation. Il a conclu, cela fait, à ce que la Cour valide la consignation du loyer, ordonne à la B______, bailleresse, de rechercher l’origine du bruit entendu depuis les locaux litigieux et, cela fait, à la bailleresse de procéder à tous les travaux utiles pour le supprimer, à l’autoriser à consigner son loyer aussi longtemps que le défaut persistera et lui octroyer une réduction de loyer de 50 % dès le 1er janvier 2021 jusqu’à la suppression du bruit.

b. Dans sa réponse du 14 septembre 2023, la bailleresse a conclu à la confirmation du jugement entrepris.

c. Les parties ont répliqué le 19 octobre 2023 et dupliqué le 24 novembre 2023, persistant dans leurs conclusions respectives.

d. Les parties ont été avisées le 18 décembre 2023 par le greffe de la Cour de ce que la cause était gardée à juger.

C. Les faits pertinents suivants résultent de la procédure :

a. Par contrat du 9 mai 2016, A______, locataire, a pris à bail un local commercial de 102 m2, à destination d’un cabinet médical, au 1er étage de l’immeuble sis à la rue 1______ no. ______, à Genève, propriété de la B______, bailleresse.

b. Le contrat a été conclu pour une durée initiale de cinq ans, du 1er décembre 2016 au 30 novembre 2021, renouvelable tacitement de cinq ans en cinq ans, le préavis de résiliation étant de douze mois.

c. Le loyer annuel a été fixé à 36'720 fr., charges annuelles à 1'680 fr. non comprises.

d. Par courriel du 17 décembre 2020, le locataire s'est plaint auprès de la régie d’un bruit insupportable provenant de la chaufferie et de la colonne d'eau : le bruit était audible toute la journée et en augmentation le soir, il lui était impossible d'effectuer des examens d'audition ou neurologiques, lesquels nécessitaient du silence.

e. Le 15 janvier 2021, un bon de travail a été émis par la régie en faveur de E______ SA, pour un contrôle des radiateurs en raison d’un important sifflement provenant de ceux-ci.

Dans son rapport d’intervention, le technicien de E______ SA a constaté un bruit de ventilation et a conseillé l'intervention d’une entreprise spécialisée.

f. Le 21 janvier 2021, le locataire a informé la régie que le problème n'était pas résolu, le bruit était toujours présent et affectait son travail et ses capacités de concentration : ses oreilles « sifflaient » en fin de journée et il ne pouvait plus travailler.

g. Le 26 janvier 2021, un deuxième bon de travail a été émis par la régie en faveur de F______ SA, afin de rechercher si le bruit provenait de la ventilation.

Lors de son intervention du 3 février 2021, le technicien de F______ SA n'a constaté aucun dysfonctionnement de l'installation de ventilation de l'immeuble et du garage, ni aucun bruit chez le locataire.

h. Le 25 février 2021, la régie a émis un troisième bon de travail en faveur de G______ SA, avec la mention suivante : « Dans la pièce côté terrasse, il y a un caisson d'où provient le bruit persistant. Ouvrir ce caisson, voir si une identification de la cause serait possible […] et isoler phoniquement ce caisson avant de le refermer ».

Lors de son intervention, le technicien de G______ SA a procédé, dans la pièce côté terrasse, à une ouverture du caisson vertical et a mis en place de la laine de roche sur la partie supérieure; la mention « aucun changement » figure entre parenthèses dans le rapport d’intervention à destination de la régie. Le technicien a également procédé à une ouverture du caisson horizontal et a constaté que le bruit était encore plus audible et que des vibrations étaient ressenties en touchant les tuyaux de chauffage. La source du bruit n'avait pas pu être identifiée. Le locataire a déclaré que les bruits avaient commencé depuis des changements effectués dans la chaufferie de l’immeuble.

i. Le 14 avril 2021, le locataire a informé la régie de la persistance du bruit dans les locaux, lequel avait été constaté par des tiers. La situation rendait la pratique de son activité professionnelle difficile, dans la mesure où les nuisances sonores étaient audibles dans l’ensemble du cabinet médical. Les examens médicaux qu’il pratiquait (auscultation cardio-pulmonaire, ORL ou en neurologie) n’étaient plus exécutables. Il ne supportait plus de rester dans la pièce et devenait irritable en fin de journée. La régie était mise en demeure de mettre les locaux en conformité d’ici le 30 avril 2021 au plus tard, faute de quoi le loyer serait consigné.

j. Le 28 avril 2021, un quatrième bon de travail a été émis par la régie en faveur de E______ SA pour déposer des caissons de store et isoler les tuyaux ou prendre toutes les mesures nécessaires pour atténuer les vibrations potentiellement à l’origine du bruit.

Le 20 mai 2021, lors de son intervention, le technicien de E______ SA a réduit l'ouverture des retours des radiateurs, dans la mesure où un fort bruit de circulation avait été entendu quand ils étaient ouverts lors de son intervention.

Par courriels du 26 mai 2021, H______, employé de E______ SA, a informé la régie que le caisson avait été démonté et remonté et qu'il y avait un bruit de ventilation. Le monteur avait coupé le chauffage en totalité, ainsi que les ordinateurs du locataire, dont une des tours d’ordinateur faisait autant de bruit que la ventilation. Pour entendre le bruit, il était nécessaire de mettre hors tension les ordinateurs. Il n'y avait pas de gaine de ventilation apparente dans le caisson démonté. Il n'avait pas réussi à détecter la provenance du bruit, mais avait constaté que le local de ventilation au sous-sol était très bruyant. Aucune problématique n'était signalée en lien avec le chauffage.

k. À compter du mois de mai 2021, le locataire a procédé à la consignation du loyer auprès des Services financiers du Pouvoir judiciaire (compte n° 2______).

l. Par courrier du 16 juin 2021, la régie a informé le locataire qu'elle clôturait le dossier, les contrôles et les mesures prises afin de résoudre le problème relatif au bruit faiblement perceptible dans l'une des pièces du cabinet étant terminés. Aucune des entreprises mandatées n'avait pu identifier une anomalie au niveau des conduites de chauffage passant dans le caisson de stores et aucune gaine de ventilation ne passait dans cette pièce; l'installation ne présentait aucun dysfonctionnement. L'entreprise G______ SA avait isolé la gaine technique et l'entreprise E______ SA avait procédé à une vérification de son installation incluant la tuyauterie passant dans ledit caisson. Dans le cadre de cette dernière intervention, il avait été nécessaire de couper l'installation de chauffage ainsi qu'une tour d'ordinateur se trouvant dans la pièce, afin de percevoir un très faible bruit résiduel. Celui-ci n'entravait en rien la complète jouissance de cette pièce. Le locataire était ainsi prié de reprendre le paiement du loyer et de mettre un terme à la consignation.

m. Le 14 juillet 2021, le locataire a répondu que le bruit était toujours présent, même avec son ordinateur éteint, et qu’il était perceptible également par les patients du cabinet. Trois salles techniques se trouvaient sous son local et le bruit était perçu ailleurs dans ses locaux. Aucune mesure sonore n'avait été pratiquée par les techniciens envoyés par la régie et aucune réponse technique sur l’origine du bruit n'avait été apportée par ces derniers.

n. Le 29 juillet 2021, la régie a observé que la problématique relevait davantage de la notion de bruit et de son intensité que des solutions apportées. L'ensemble des intervenants, bien qu'admettant la perception d’un bruit, mentionnaient tous une intensité très faible, à peine audible sans un silence complet dans la pièce. Tous les corps de métier pouvant répondre d'une cause potentielle de bruit avaient effectué des recherches et pris certaines mesures. Au jour du courrier, ce qui pouvait être fait l'avait été. Aucune autre mesure n'avait été proposée à la régie, laquelle n'avait pas de solution permettant une meilleure résolution du litige. La régie a précisé qu’elle avait mandaté la société I______ SARL pour une expertise phonique, afin de connaître quelles mesures étaient encore envisageables.

o. I______ SARL a rendu le 14 septembre 2021 son rapport acoustique relatif au bruit mesuré chez le locataire.

Le niveau du bruit perçu, mesuré dans le bureau du locataire, soit 27 décibels, respectait les normes applicables. Ce niveau de bruit correspondait au bruit de fond, ainsi qu’au bruit des installations techniques en fonctionnement au moment des mesures. Malgré le respect de l'exigence applicable, lors des mesures, un bruit provenant probablement d'une installation technique était très légèrement audible. Il n'était pas possible de déterminer l'origine précise du bruit, d'autant plus que, d’après les déclarations du locataire, la localisation du bruit avait changé d’emplacement. Pour tenter d'améliorer la situation, il conviendrait, dans un premier temps, de pouvoir arrêter l'ensemble des installations techniques du bâtiment, y compris la climatisation privative visible deux étages au-dessus du cabinet médical, et pouvoir les faire fonctionner les unes après les autres, afin de déterminer laquelle ou lesquelles pourraient provoquer la gêne occasionnée.

p. Par courrier du 3 novembre 2021, le locataire a informé la régie que le bruit avait augmenté et que la situation était devenue insupportable. Une application sur son téléphone portable pour mesurer les décibels montrait que le bruit atteignait 65 à 70 décibels dans les deux angles de la chambre de consultation, avec une moyenne de 60 décibels au centre de ladite chambre. Un sifflement insupportable était également audible du côté du secrétariat. Il lui avait été nécessaire de quitter précipitamment le cabinet quelques jours auparavant et il était contraint de travailler avec des boules Quies.

q. La régie a sollicité le 10 novembre 2021 du locataire que le relevé des décibels lui soit transmis, en indiquant que le responsable technique de l'immeuble le contacterait, afin de procéder à un ultime constat.

r. Le 3 décembre 2021, à la suite de la visite de son responsable technique, la régie a informé le locataire qu'aucun bruit environnant dépassant les normes ni aucun sifflement n’avaient été constatés. Au vu de ce constat et de l'absence de remise du relevé de bruit, il ne pouvait être attendu de la bailleresse qu'elle mène des investigations supplémentaires.

s. Le 22 décembre 2021, à la demande du locataire, J______ a transmis à celui-ci son analyse relative au bruit perçu dans les locaux.

Lors de sa visite sur place, le technicien avait pu constater qu'un bruit était nettement audible dans le bureau et que celui-ci provenait d'un élément extérieur au cabinet médical. Les niveaux sonores correspondant à ce bruit avaient été mesurés en trois points dans le bureau. Lors des mesures, les deux tours d’ordinateurs étaient éteintes et aucun autre équipement appartenant au cabinet ne produisait de bruit. Le niveau sonore moyen mesuré était de 30.1 décibels, correspondant à la moyenne des trois points de mesure réalisés dans la pièce. Selon les observations sur place, la courette technique située à proximité de la fenêtre émettait une part importante du bruit perçu dans la pièce. La part restante du bruit était rayonnée par les galandages et la structure du bâtiment. Il pourrait s'agir d'un bruit lié au fonctionnement d'une installation technique, potentiellement du bâtiment (chauffage, ventilation, etc.). Pour vérifier s'il s'agissait d'un bruit produit par les installations fixes du bâtiment, des mesures devaient être réalisées en faisant fonctionner à la demande ces équipements.

t. Par requête de conciliation déposée le 28 mai 2021, déclarée non conciliée le 14 septembre 2021 et portée devant le Tribunal le 14 octobre 2021, le locataire a conclu à la validité de la consignation de loyer, à ce qu’il soit ordonné à la bailleresse de procéder à ses frais à tous les travaux utiles afin de supprimer le défaut, à l’autoriser à consigner le loyer aussi longtemps que le nécessaire n’avait pas été fait et à lui octroyer une réduction de loyer de 50 % dès le 1er janvier 2021 jusqu’à la suppression du défaut.

u. Dans sa réponse du 21 janvier 2022, la bailleresse a conclu à l’absence de validité de la consignation du loyer et au rejet de l’ensemble des prétentions du locataire. Le bruit résiduel respectait les normes SIA, était faible et n’entravait pas l’usage des locaux. Ce bruit était lié au fonctionnement des installations techniques indispensables de l’immeuble et ne constituait pas un défaut.

v. Entendu par le Tribunal le 15 mars 2022, le locataire a déclaré qu’un premier épisode de bruit avait eu lieu en 2009-2010, lequel avait été réglé à la suite de l’intervention d’un technicien sur la chaufferie. Par la suite, à une date indéterminée, le chauffage était passé du mazout au gaz. Fin 2020, il avait à nouveau entendu un bruit dérangeant, soit un bruit continu de 8 h à 22 h, parfois même la nuit. Ce bruit était difficile à décrire et l’épuisait. Dans la partie gauche de la salle de consultation du cabinet, laquelle se situait côté cour, il s'agissait d'un bruit plutôt profond et grave, plus perceptible en été. Dans la partie droite de cette salle, où le locataire procédait à ses consultations, le bruit était plus intense et permanent, il ressemblait à une sorte de ronronnement. Dans la salle d'attente, située côté rue et où se trouvait le bureau de sa secrétaire, le bruit avait plutôt la forme d'un sifflement très aigu. Le bruit était ainsi permanent, quelle que soit la saison. Dans le cadre de son travail, ce bruit était dérangeant, car il perturbait les examens effectués sur les patients. Les examens neuro-ORL consistaient à faire marcher les patients les yeux fermés et voir comment ils réagissaient. Or, les patients repéraient ce bruit de fond et étaient influencés par celui-ci. Le locataire n'avait pas de chambre capitonnée spécifique pour des tests d'audition. Lors de l'ouverture du caisson par l'entreprise mandatée par la régie, une nette augmentation du bruit avait été entendue. Tous les techniciens envoyés par la régie avaient constaté du bruit, mais il n'avait pas été possible de résoudre le problème. La mention d’une mesure de 70 décibels dans ses écritures ne devait pas être prise en compte, ayant été effectuée avec une application mobile erronée.

w. Le Tribunal a procédé à l’audition des témoins suivants :

K______, secrétaire au service du locataire, a déclaré qu'elle avait entendu depuis l'année précédente un bruit provenant du côté de la salle d'attente en haut de la fenêtre vers la gauche et un autre bruit dans la salle du docteur, également vers la fenêtre en haut à droite. Depuis son poste de travail, elle était dérangée par le bruit provenant de la salle d'attente, soit un sifflement continu, lequel n'était pas perceptible s'il y avait des gens dans la salle d'attente ou si la fenêtre était ouverte. Dans la salle de consultation, elle entendait un bruit de sifflement, mais ignorait s'il était continu ou non. Elle ne devait pas mettre de boules Quies pour travailler et n'avait pas entendu de patient se plaindre de ce bruit.

L______, patiente du locataire se décrivant comme très sensible au bruit, a déclaré avoir entendu du bruit ressemblant à une sorte de soufflerie du côté de la fenêtre de la salle de consultation, vers une colonne sur la droite, pour la première fois en octobre 2021. Ce bruit ne l'avait pas dérangée et n'avait pas eu d'influence sur ses consultations. Il était couvert par une simple conversation ou par les bruits extérieurs lorsque la fenêtre était ouverte.

M______, patient du locataire, a déclaré qu'il avait entendu l'année précédente, lors d'une consultation, un bruit ressemblant à un moteur de ventilation. Le bruit n'était pas fort, mais était audible si la pièce était silencieuse. Lors de discussion avec le locataire, un petit arrière-bruit était entendu. L'ordinateur du locataire était alors débranché. Le témoin n'a pas été capable de situer la source du bruit.

N______, gérant technique auprès de la régie, a déclaré qu'il avait entendu, lorsque tout le monde faisait silence dans les locaux, un petit bruit faible dont il n'avait pas réussi à déterminer l'origine. Le bruit perçu ressemblait à un petit claquement intervenant à intervalle régulier. Il n'avait pas senti de différence après les travaux de l'entreprise G______ SA. L'installation de chauffage et celle de ventilation avaient été mises à l'arrêt séparément et à des moments différents, afin d'entendre si le bruit persistait. Selon les entrepreneurs concernés, le locataire entendait toujours le bruit litigieux. Le témoin s'était à nouveau rendu sur place en novembre 2021 et avait entendu le même bruit, qu'il ne considérait pas comme dérangeant. À la suite du rapport de l'acousticien, aucune mesure en vue de supprimer le bruit n'avait été entreprise, car la régie ne savait pas que faire afin d'éliminer ce bruit. Une recherche avait été entreprise afin de déterminer si le bruit trouvait son origine dans des travaux exécutés quelque temps auparavant, mais rien de concluant n'avait pu être établi. Toutes les mesures techniques avaient été prises pour éliminer le bruit.

O______, technicien en acoustique auprès de I______ SARL, a déclaré que le bruit était perceptible sans être hors norme. Il se propageait de manière continue et avait une intensité de 27 décibels, alors qu'un homme qui parlait émettait 70 décibels. Les ordinateurs avaient été éteints pour effectuer les mesures, car le bruit en question pouvait être couvert par le bruit émis par les ordinateurs eux-mêmes. Si les locaux avaient été situés côté rue, le bruit en question n'aurait peut-être pas été audible, car le bruit ambiant en résultant aurait été supérieur. Aucune mesure n'avait été préconisée dans la mesure où le bruit se situait dans les normes. Il avait le sentiment que le bruit litigieux pouvait provenir d'une installation technique. Afin de déterminer l'origine d'un bruit, il était usuel d'éteindre toutes les installations susceptibles de produire du bruit, puis de les redémarrer une à une pour en déterminer l’origine.

P______, acousticien auprès de J______, a déclaré qu'il avait constaté l'existence d'un bruit chez le locataire, sans pouvoir déterminer son origine. Le bruit provenait selon le témoin d'une courette technique. L'intensité de 30 décibels mesurée serait élevée s'agissant d'une installation technique commune. Il aurait fallu également mesurer l'intensité du bruit ambiant, c'est-à-dire toute installation technique à l'arrêt. Les facteurs de réduction n'avaient pas été pris en compte dans le rapport. L'intensité de 28 décibels prévue par la norme SIA 181 pour un bruit continu fixait les limites des bruits pour chaque installation. Afin de déterminer la source du bruit, il était possible, soit d'éteindre toutes les installations communes puis les rallumer une à une, soit de les éteindre une à une jusqu'à l'extinction totale du bruit.

Q______, technicien en ventilation auprès de F______ SA, a déclaré qu'il avait entendu un petit bruit, dont l'intensité était très faible. Le bruit avait persisté malgré l'arrêt de la ventilation, de sorte qu'il en avait déduit que la ventilation n'était pas la source du bruit. Le terme « aucun bruit constaté » figurant dans son rapport signifiait que le bruit n'était pas causé par la ventilation qu’il avait contrôlée.

R______, plâtrier-peintre auprès de G______ SA, a déclaré qu'il n'avait pas entendu de bruit avant de commencer les travaux, soit avant l'ouverture du caisson horizontal situé au-dessus de la fenêtre, dans lequel se trouvaient des tuyaux de chauffage. Selon le locataire, l'introduction de laine de verre dans la partie du caisson vertical proche de la dalle où sortaient les tuyaux de chauffage n'avait rien changé à la perception du bruit.

S______, dépanneur en chauffage auprès de E______ SA, a déclaré qu'il n'avait pas entendu le bruit dont se plaignait le locataire, lequel ne provenait pas du chauffage. L'endroit incriminé par le locataire étant un caisson, le témoin avait émis l’hypothèse de l'existence d'une ventilation à l'intérieur pouvant produire le bruit litigieux.

x. Dans leurs plaidoiries finales écrites, la bailleresse a persisté dans ses conclusions, tandis que le locataire a persisté dans ses conclusions, tout en formulant une conclusion nouvelle, à savoir qu’il soit ordonné à la bailleresse de rechercher l’origine du bruit en procédant à la mise hors tension de toutes les installations techniques du bâtiment et en les rallumant une par une, ou de réaliser toute autre démarche permettant d’arriver au même résultat.

y. La cause a été gardée à juger par le Tribunal le 2 février 2023.

EN DROIT

1. 1.1 L'appel est recevable contre les décisions finales et les décisions incidentes de première instance (art. 308 al. 1 let. a CPC). Dans les affaires patrimoniales, l'appel est recevable si la valeur litigieuse au dernier état des conclusions est de 10'000 fr. au moins (art. 308 al. 2 CPC).

La valeur litigieuse est déterminée par les dernières conclusions de première instance (art. 91 al. 1 CPC; Jeandin, Commentaire Romand, Code de procédure civile, 2e éd., 2019, n. 13 ad art. 308 CPC; arrêt du Tribunal fédéral 4A_594/2012 du 28 février 2013, consid. 1).

1.2 En l'espèce, le loyer annuel des locaux loués, hors charges, s'élève à 36'720 fr.

En prenant en compte la réduction de loyer sollicitée de 50 % pour une durée indéterminée (art. 92 al. 2 CPC), la valeur litigieuse est largement supérieure à 10'000 fr. (18'360 fr. × 20 = 367'200 fr.).

1.3 L'appel a été interjeté dans le délai et suivant la forme prescrits par la loi (art. 130, 131, 311 al. 1 CPC). Il est ainsi recevable.

1.4 L'appel peut être formé pour violation du droit (art. 310 let. a CPC) et constatation inexacte des faits (art. 310 let. b CPC). L'instance d'appel dispose ainsi d'un plein pouvoir d'examen de la cause en fait et en droit; en particulier, le juge d'appel contrôle librement l'appréciation des preuves effectuée par le juge de première instance (art. 157 CPC en relation avec l'art. 310 let. b CPC) et vérifie si celui-ci pouvait admettre les faits qu'il a retenus (ATF 138 III 374 consid. 4.3.1).

2.             Dans un grief d’ordre formel qu’il convient d’examiner en premier lieu, l’appelant reproche au Tribunal de ne pas avoir motivé suffisamment son jugement.

2.1 Le droit d'être entendu implique en outre pour l'autorité l'obligation de motiver sa décision. Il suffit que le juge mentionne, au moins brièvement, les motifs qui l'ont guidé et sur lesquels il a fondé sa décision, de manière que l'intéressé puisse se rendre compte de la portée de celle-ci et l'attaquer en connaissance de cause (ATF 133 I 270 consid. 3.1; arrêt du Tribunal fédéral 4A_193/2014 du 31 octobre 2014 consid. 2).

Le juge n'a toutefois pas l'obligation d'exposer et de discuter tous les faits, moyens de preuve et griefs invoqués par les parties, mais peut au contraire se limiter à l'examen des questions décisives pour l'issue du litige. Dès lors que l'on peut discerner les motifs qui ont guidé la décision de l'autorité, le droit à une décision motivée est respecté même si la motivation présentée est erronée. La motivation peut d'ailleurs être implicite et résulter des différents considérants de la décision. En revanche, une autorité se rend coupable d'un déni de justice formel si elle omet de se prononcer sur des griefs qui présentent une certaine pertinence ou de prendre en considération des allégués et arguments importants pour la décision à rendre (arrêt du Tribunal fédéral 5A_111/2015 du 20 octobre 2015 consid. 3.1).

Selon la jurisprudence, lorsque la recourante est en mesure d'attaquer le raisonnement de l'arrêt attaqué, la violation de son droit d'être entendue sous l'angle d'une motivation lacunaire doit être exclue (arrêt du Tribunal fédéral 5A_134/2013 du 23 mai 2013 consid. 4.2).

2.2 En l’espèce, bien que la motivation des premiers juges soit succincte, il apparait que l’appelant a compris que ces derniers avaient nié la qualité de défaut du bruit litigieux, se fondant notamment sur les déclarations d’un témoin qui, bien qu’indiquant être particulièrement sensible en matière de bruit, avait déclaré n’avoir pas été dérangé par ledit bruit. Preuve en est que cet élément est précisément l’objet de son appel.

Au vu de ce qui précède, le grief de l’appelant est infondé.

3.             L'appelant fait grief au Tribunal d'avoir nié de manière arbitraire l’existence du défaut dans les locaux litigieux, alors que le bruit en cause avait été perçu par l’ensemble des intervenants dans la procédure.

3.1.1 À teneur de l’art. 256 al. 1 CO, le bailleur est tenu de délivrer la chose à la date convenue, dans un état approprié à l’usage pour lequel elle a été louée, et de l’entretenir en cet état. Constitue ainsi un défaut tout ce qui s’écarte d’un état que la loi qualifie « d’approprié », bien que celle-ci ne définisse pas ce terme. La chose louée est ainsi défectueuse si elle ne présente pas une qualité qui lui a été promise par le bailleur ou sur laquelle le locataire pouvait légitiment compter (Lachat, Le bail à loyer, 2019, p. 256 et références citées). Le caractère approprié doit se déterminer à l’aune de plusieurs critères, notamment le but et l’usage prévu ou convenu de la location, le montant du loyer, l’âge du bâtiment, le lieu de situation de l’immeuble, les normes usuelles de qualité, les règles de droit public et le caractère évitable ou non d’éventuelles nuisances (Montini/Bouverat in Commentaire pratique : Droit du bail à loyer et à ferme [CPra bail], 2e éd., 2019, n. 10 et 29). Au regard de la notion relative du défaut de la chose louée, celui-ci dépendra essentiellement des circonstances du cas particulier (ATF 135 III
consid. 3.3; arrêt du Tribunal fédéral 3A_395/2017 du 11 octobre 2018 consid. 5.2).

Le bailleur répond en principe des défauts qui lui sont imputables, même en cas de méconnaissance ou de comportement irréprochable, ou d’un défaut irréparable, puisqu’il assume une obligation de garantie en lien avec l’objet loué (Montini/Bouverat in CPra Bail, op. cit., n. 1, 11 et 12 ad art. 256 CO; Lachat, op. cit., p. 268 ss; Tercier/Favre, Les contrats spéciaux, 4e éd., 2009 n. 2096 ss; arrêt du Tribunal fédéral 4A_208/2015 du 12 février 2016 consid. 3.1).

3.1.2 La question de savoir dans quelle mesure la chose louée doit être exempte de nuisances (bruit, odeurs, poussière, etc.) possède une grande importance pratique. Certaines nuisances sont telles que le locataire ne peut plus faire l’usage convenu ou habituel de la chose louée (Montini/Bouverat in CPra Bail, op. cit., n. 40 et 41 ad art. 256 CO; Burkhalter/Martinez-Favre, Commentaire SVIT : Le droit suisse du bail à loyer, 2011. n. 19 ss ad art. 256 CO). La durée des nuisances est un critère important pour déterminer si celles-ci constituent un défaut, de même que l’intensité, la fréquence ou le moment (diurne ou nocturne) où elles surviennent, ainsi que les normes usuelles de qualités, les règles de droit public applicables ou les usages courants (Lachat, op. cit., p. 259 ss; Montini/Bouverat in CPra Bail, op. cit., n. 41 in fine et 44 ad art. 256 CO).

Le locataire ne saurait toutefois s'attendre, sauf promesse spéciale, à un silence absolu. Il est plus ou moins inévitable que des bruits provenant de l'extérieur puissent être perçus à l'intérieur des locaux. Que l'on entende un bruit dans un appartement ne suffit pas pour conclure à l'existence d'un défaut. On ne sort des limites de ce à quoi le locataire doit s'attendre que si le bruit, compte tenu de sa durée, de son intensité et du moment où il se manifeste, dépasse un certain seuil et entrave l'usage normal de la chose louée, par exemple en perturbant le sommeil. La nuisance sonore doit ainsi dépasser les limites que le locataire doit nécessairement supporter en fonction de l'usage normal de la chose louée. Pour dire quels sont les bruits avec lesquels le locataire doit normalement compter (et qui ne constituent donc pas un défaut par rapport à l'usage convenu), il faut tenir compte du lieu de situation de l'immeuble, de la qualité de son aménagement, de son degré de vétusté, ainsi que des activités exercées dans l'immeuble et du comportement normalement prévisible des autres occupants. La notion de seuil de tolérance implique un certain pouvoir d'appréciation qui est laissé au juge du fait. En revanche, savoir si le seuil de tolérance est dépassé est une question de droit (arrêt du Tribunal fédéral 4A_281/2009 du 31 juillet 2009 consid 3.2; ACJC/1398/2019 du 30 septembre 2019 consid. 4.1.3; Lachat, op. cit., p. 269).

3.1.3 Pendant le bail, le locataire qui reproche au bailleur une mauvaise exécution du contrat doit démontrer en quoi consiste le défaut (Montini/Bouverat in CPra Bail, op. cit., n. 55 ad art. 256 CO; Burkhalter/Martinez-Favre, op. cit., n. 25 ad art. 256 CO). Ainsi, le locataire possède le fardeau de la preuve (art. 8 CC) des faits dont on peut déduire l’existence d’un défaut, soit notamment l’état réel ou actuel de la chose (p. ex. la présence, dans le logement, d’une inondation, de parasites ou d’autres nuisances excessives) et les restrictions de l’usage convenu qu’il subit de ce fait (Bohnet/Jeannin, « Le fardeau de la preuve en droit du bail » in 19e Séminaire sur droit du bail, 2016, n. 97, p. 44 et 45), notamment en produisant le cas échéant les photographies requises ou faire constater le défaut par un tiers ou un expert, de même que solliciter les mesures probatoires pertinentes dans la procédure civile (ACJC/497/2013 déjà cité, consid 6.2).

3.2 En l’espèce, le Tribunal a considéré que le bruit en cause ne constituait pas un défaut, se fondant sur les déclarations du témoin L______ qui, bien que se décrivant comme « très sensible au bruit », n’avait pas qualifié celui-ci de dérangeant.

Les parties divergent ainsi sur l’existence ou non d’un défaut. S’agissant du bruit et comme déjà indiqué, le Tribunal a admis l’existence de celui-ci, mais a nié que les caractéristiques de celui-ci constituaient un défaut.

3.3 Il convient de se référer aux déclarations des parties et des témoins, seules preuves offertes par l'appelant, pour déterminer si celui-ci est parvenu à démontrer le caractère défectueux de la chose louée, étant rappelé qu’il supporte le fardeau de la preuve à ce sujet.

3.3.1 Si l’origine du bruit n’a pas pu être déterminée, les témoins ont décrit celui-ci de façon divergente, à savoir un sifflement, un soufflement ou un bruit de ventilation, avec un claquement régulier. L’appelant a, quant à lui, déclaré que le bruit en cause n’était pas perceptible de la même façon selon les différentes pièces des locaux.

Le bruit litigieux a cependant été qualifié de manière concordante par les témoins de faible intensité, ce que confirment également les deux expertises privées sollicitées par les parties, qui ont mesuré un bruit compris entre 27 et 30 décibels, soit situé dans les normes SIA applicables.

Plusieurs témoins ont relevé que le bruit litigieux n’était perceptible que lorsqu'un silence absolu prévalait dans les locaux et qu’il était en revanche masqué en présence de patients dans la salle d’attente, d’une discussion orale, du bruit extérieur en ouvrant les fenêtres ou de celui provenant du fonctionnement d’une tour d’ordinateur. Le témoin O______ a déclaré que le bruit n’aurait pas été perceptible si les locaux avaient été situés côté rue, car il aurait été couvert par le bruit ambiant, ce qui plaide également en faveur d'un bruit d'une intensité relative.

3.3.2 Contrairement à ce que soutient l’appelant, faute d'une garantie contractuelle en ce sens, l’absence d’un silence absolu dans des locaux ne constitue pas un défaut. Lorsque le bruit en cause est masqué ou devient objectivement imperceptible du fait du bruit ambiant ou environnant habituel lié à une utilisation usuelle des locaux, conformément à leur destination, ce qui est le cas en l’espèce selon les déclarations concordantes des témoins, il ne constitue pas un défaut.

3.3.3 Quant à l’affirmation de l’appelant selon laquelle il ne lui était plus possible de réaliser, en raison du bruit et de sa présence permanente dans les locaux, certaines tâches médicales dans son cabinet – ce qui pourrait constituer un défaut au regard de la destination des locaux – celle-ci n’est pas démontrée.

En effet, la seule patiente de l’appelant interrogée sur le sujet a affirmé que ses consultations n’avaient pas été perturbées par le bruit litigieux. Quant à la secrétaire de l’appelant interrogée en qualité de témoin, elle n’a pas déclaré que le bruit l’empêcherait de travailler.

3.3.4 L’appelant a ainsi échoué à démontrer le caractère défectueux des locaux litigieux.

Dès lors, le jugement querellé sera confirmé.

4.             A teneur de l'art. 22 al. 1 LaCC, il n'est pas prélevé de frais dans les causes soumises à la juridiction des baux et loyers (ATF 139 III 182 consid. 2.6).

* * * * *


PAR CES MOTIFS,
La Chambre des baux et loyers :

À la forme :

Déclare recevable l'appel interjeté le 13 juillet 2023 par A______ contre le jugement rendu le 8 juin 2023 par le Tribunal des baux et loyers dans la cause C/10239/2021.

Au fond :

Confirme le jugement entrepris.

Dit que la procédure est gratuite.

Déboute les parties de toutes autres conclusions.

Siégeant :

Madame Nathalie LANDRY‐BARTHE, présidente; Madame Sylvie DROIN et
Monsieur Laurent RIEBEN, juges; Monsieur Damien TOURNAIRE et
Monsieur Jean‑Philippe ANTHONIOZ, juges assesseurs; Madame Maïté VALENTE, greffière

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Indication des voies de recours :

 

Conformément aux art. 72 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF ; RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification avec expédition complète (art. 100 al. 1 LTF) par devant le Tribunal fédéral par la voie du recours en matière civile.

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14.

Valeur litigieuse des conclusions pécuniaires au sens de la LTF supérieure ou égale à 15'000 fr.