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Décisions | Chambre des baux et loyers

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C/26243/2022

ACJC/1624/2023 du 11.12.2023 ( SBL ) , JUGE

Normes : CPC.150; CPC.319
En fait
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

C/26243/2022 ACJC/1624/2023

ARRÊT

DE LA COUR DE JUSTICE

Chambre des baux et loyers

DU LUNDI 11 DECEMBRE 2023

 

Entre

A______, ayant son siège ______ [ZH], recourante contre une ordonnance rendue par le Tribunal des baux et loyers le 8 septembre 2023, représentée par Me Jean-François MARTI, avocat, BM Avocats, quai Gustave-Ador 26, case postale 6253, 1211 Genève 6,

et

Monsieur B______ et Madame C______, domiciliés ______ [GE], intimés, tous deux représentés par l'ASLOCA, rue du Lac 12, case postale 6150, 1211 Genève 6.

 


EN FAIT

A. Par ordonnance de preuve du 8 septembre 2023, reçue par les parties le 12 septembre 2023, le Tribunal des baux et loyers a ordonné à A______ de produire les documents suivants : l'acte d'acquisition de l'immeuble sis no. ______, rue 1______ à Genève, le détail de son financement, à savoir le montant des fonds empruntés, des fonds propres et le détail des amortissements intervenus, l'état des charges immobilières sur les cinq dernières années, l'état locatif de l'immeuble et tous documents permettant de procéder à une ventilation admissible de celui-ci, l'état des lieux du locataire précédent, à savoir D______, le contrat et l'avis de fixation du loyer initial et/ou le dernier avis ayant modifié le loyer du précédent locataire, les contrats et avis de fixation du loyer initial de tous les précédents locataires de l'appartement ces dix dernières années ainsi que toutes les factures des travaux effectués dans l'appartement ces dix dernières années et a réservé la suite de la procédure.

B. a. Le 22 septembre 2023, A______ a formé recours contre cette ordonnance, concluant principalement à ce que la Cour de justice l'annule et déboute B______ et C______ de toutes leurs conclusions.

b. Ces derniers ont conclu à l'irrecevabilité du recours, subsidiairement à son rejet.

c. Les parties ont été informées le 7 novembre 2023 de ce que la cause était gardée à juger.

C. Les faits pertinents suivants résultent du dossier.

a. Le 28 juin 2021, A______, en tant que bailleresse, d'une part, et B______ et C______ en tant que locataires, d'autre part, ont signé un contrat de bail portant sur la location d'un appartement de 3 pièces situé au 2ème étage de l'immeuble sis no. ______, rue 1______, [code postal] Genève.

Le bail a été conclu dès le 16 juillet 2021 pour une durée déterminée échéant le 31 juillet 2026. Le loyer initial a été fixé à 22'200 fr. plus 3'240 fr. de frais accessoires. La formule officielle indique sous la rubrique "Motif des prétentions", "Bail à terme fixe de 5 ans indexé à 100% de l'ISPC. Adaptation du loyer au loyer usuel dans la localité ou dans le quartier selon l'art. 269a let. a CO et l'art. 11 OBLF".

Le dernier loyer annuel était de 21'060 fr. depuis le 1er avril 2019, plus 3'240 fr. de frais accessoires.

Le bail prévoit que le loyer est indexé à 100% de l'indice suisse des prix à la consommation (ISPC) et qu'il peut être adapté une fois par an moyennant un préavis d'un mois dès le 1er janvier 2022.

b. Selon l'état des lieux d'entrée, l'ancien locataire était D______. Ce document mentionne que la plupart des installations était en état d'usure normale, aucune n'étant désignée comme neuve. La baignoire devait être réémaillée aux frais de la bailleresse.

c. Le 10 novembre 2022, la bailleresse a notifié aux locataires un avis officiel de majoration du loyer, indexant le loyer initial de 22'200 fr. à 22'992 fr. dès le 1er janvier 2023, les charges et frais accessoires demeurant inchangés.

La hausse de loyer était motivée de la manière suivante : "Compensation renchérissement de 101.0 pt au 31.05.2021 à 104.6 pt. au 31.10.2022".

d.a Par acte du 19 décembre 2022, introduit en temps utile devant le Tribunal, les locataires ont déposé une "requête en contestation de hausse de loyer, en fixation judiciaire du loyer et en requalification du contrat de bail" (cause C/26244/2022).

Ils ont conclu, à titre préalable, à ce que le Tribunal procède à un calcul de rendement et ordonne à la bailleresse ou à des tiers de produire notamment l'acte d'acquisition de l'immeuble litigieux, le détail de son financement, à savoir le montant des fonds empruntés, des fonds propres et le détail des amortissements intervenus, l'état des charges immobilières sur les cinq dernières années, l'état locatif de l'immeuble et tous documents permettant de procéder à une ventilation admissible de celui-ci, l'état des lieux d'entrée du locataire précédent, le contrat et l'avis de fixation du loyer initial et/ou le dernier avis ayant modifié le loyer du précédent locataire, les contrats et avis de fixation du loyer initial de tous les précédents locataires des dix dernières années ainsi que toutes les factures des travaux effectués dans l'appartement ces dix dernières années.

A titre principal, ils ont en particulier conclu à ce que le Tribunal constate la nullité du loyer initial, de l'avis de majoration de loyer du 10 novembre 2022 et de l'introduction des "frais accessoires étendus", fixe le loyer à 1'755 fr. par mois, soit 21'060 fr. par an, charges non comprises, dès le 16 juillet 2021, sous réserve d'amplification à la suite du calcul de rendement, condamne la bailleresse à leur rembourser le trop-perçu de loyer, frais accessoires, "rendement" et intérêts en sus, réduise la garantie bancaire à 5'265 fr. et constate que le bail est de durée indéterminée et qu'il se renouvellera d'année en année ou, à tout le moins, chaque trimestre de bail.

Ils allèguent notamment que, à teneur de l'état des lieux, l'appartement a "manifestement" fait l'objet de travaux de rénovation dans la cuisine, la salle de bain et les toilettes. Ces travaux avaient été effectués à l'entrée du précédent locataire, à savoir avant le 1er avril 2019 et celui-ci avait vu son loyer augmenter par rapport à celui-de son prédécesseur. Or selon le "registre SAD Consultation" aucune autorisation de construire n'avait été requise pour l'appartement litigieux auprès du département compétent. Il s'agissait de "lourds travaux de rénovation" qui étaient soumis à autorisation, laquelle n'avait pas été obtenue. Le loyer initial était dès lors nul, car établi "en violation de la LDTR" (Loi sur les démolitions, transformations et rénovations de maisons d'habitation). Si l'autorisation avait été demandée, le département compétent aurait fixé le nouveau loyer au montant du loyer du précédent locataire, soit 21'060 fr., sans les charges, pour une période oscillant entre 3 et 5 ans. Ils sollicitaient l'établissement d'un calcul de rendement, dans la mesure où ils avaient été "privés de le faire, puisqu'ils ignoraient que leur loyer était nul". L'avis de majoration du 11 novembre 2022 était nul, de même que la clause d'indexation qui ne pouvait être valablement "formulée dans le cadre d'un loyer contrôlé par l'Etat." Le contrat avait été conclu pour une durée déterminée du fait d'une "fraude à la loi" et devait être "requalifié".

d.b Le 22 juin 2023, la bailleresse a conclu au déboutement des locataires de toutes leurs conclusions.

Elle a fait valoir que l'appartement n'avait pas fait l'objet de travaux soumis à la LDTR avant l'entrée des locataires. Il ressortait de l'état de lieux et des photographies annexées à celui-ci que les installations étaient en état d'usure normale et qu'il n'y avait pas eu de travaux de transformation ou rénovation. Le loyer initial était valable.

e.a Parallèlement, la bailleresse a déposé une requête en validation de hausse de loyer le 20 avril 2023 (C/26243/2022). Elle a conclu à ce que le Tribunal dise que le pourcentage de hausse de loyer dû par les locataires est de 3,75% dès le 1er janvier 2023, que le loyer annuel de l'appartement a été valablement fixé à 22'992 fr., hors charges et frais accessoires, et déboute les locataires de toutes leurs conclusions.

e.b Par réponse du 22 juin 2023, les locataires ont conclu à ce que le Tribunal constate la nullité de l'avis de majoration de loyer, se référant aux arguments exposés dans leur requête du 19 décembre 2022.

f. Les causes ont été jointe sous le numéro C/26243/2022.

g. Lors de l'audience de débats d'instruction du Tribunal du 1er septembre 2023, les locataires ont requis l'audition des parties, de E______, employée de la régie en charge de la gestion de l'immeuble, qui était présente à l'état des lieux d'entrée et de D______, locataire précédent. Ils ont persisté dans leur requête en production de pièces.

La bailleresse s'est opposée à ces mesures d'instruction, faisant valoir que l'appartement n'avait pas fait l'objet de travaux soumis à la LDTR. Les mesures requises n'étaient pas pertinentes pour statuer sur la hausse de loyer, uniquement motivée par la hausse de l'ISPC.

Le Tribunal a ouvert les débats principaux à l'issue de l’audience et les parties ont persisté dans leurs conclusions.

EN DROIT

1. 1.1 Le recours est recevable contre les ordonnances d'instruction dans les cas prévus par la loi (art. 319 let. b ch. 1 CPC) ou lorsqu'elles peuvent causer un préjudice difficilement réparable (art. 319 let. b ch. 2 CPC).

Le recours, écrit et motivé, est introduit auprès de l'instance de recours dans les dix jours pour les décisions prises en procédure sommaire et les ordonnances d'instruction, à moins que la loi n'en dispose autrement (art. 321 al. 1 et 2 CPC).

En l'espèce, le recours est dirigé contre une ordonnance de preuve, soit une ordonnance d'instruction au sens des dispositions susvisées.

Introduit dans le délai de dix jours et selon la forme prescrite par la loi (art. 130, 131 et 142 al. 3 CPC), il est recevable de ces points de vue.

1.2 Reste à déterminer si l'ordonnance attaquée est susceptible de causer à la recourante un préjudice difficilement réparable.

1.2.1 La notion de "préjudice difficilement réparable" est plus large que celle de préjudice irréparable au sens de l'art. 93 al. 1 let. a LTF relatif aux recours dirigés contre des décisions préjudicielles ou incidentes, dès lors qu'elle ne vise pas seulement un inconvénient de nature juridique, mais toute incidence dommageable (y compris financière ou temporelle), pourvu qu'elle soit difficilement réparable. L'instance supérieure doit se montrer exigeante, voire restrictive, avant d'admettre l'accomplissement de cette dernière condition, sous peine d'ouvrir le recours à toute décision ou ordonnance d'instruction, ce que le législateur a clairement exclu (ATF 138 III 378 consid. 6.3; 137 III 380 consid. 2, in SJ 2012 I 73; Jeandin, CR-CPC, 2019, n. 22 ad art. 319 CPC; Hohl, Procédure civile, Tome II, 2010, n. 2485).

Cela suppose que la partie recourante soit exposée à un préjudice de nature juridique, qui ne puisse pas être ultérieurement réparé ou entièrement réparé par une décision finale qui lui serait favorable; un dommage économique ou de pur fait n'est pas considéré comme un dommage irréparable de ce point de vue (ATF 138 III 333 consid. 1.3.1; 134 III 188 consid. 2.1 et 2.2). Ainsi, une simple prolongation de la procédure ou un accroissement des frais de celle-ci ne constitue pas un préjudice difficilement réparable (Spühler, Basler Kommentar, Schweizerische Zivilprozessordnung, 2017, n. 7 ad art. 319 CPC; Hoffmann-Nowotny, ZPO-Rechtsmittel, Berufung und Beschwerde, 2013, n. 25 ad
art. 319 CPC).

Dans un arrêt où l'obligation pour la bailleresse de produire les pièces nécessaires à un calcul du rendement net était en jeu, le Tribunal fédéral a considéré que si la bailleresse devait être contrainte de fournir immédiatement lesdites pièces, cela entraînerait pour elle un inconvénient qui ne pourrait pas être réparé à l'issue de la procédure d'appel, puisque, une fois qu'elle aurait produit ces pièces, les parties adverses en auraient pris connaissance et la bailleresse n'aurait alors plus aucun intérêt à faire valoir qu'elle n'avait pas l'obligation de les produire. Le Tribunal fédéral a alors admis que l'existence d'un préjudice irréparable au sens de l'art. 93 al. 1 let. a LTF était réalisée (arrêt du Tribunal fédéral 4A_400/2017 du 13 septembre 2018 consid. 1.1 non publié aux ATF 144 III 514).

La Cour a appliqué cette jurisprudence dans un arrêt ACJC/1104/2021 du 6 septembre 2021.

1.2.2 In casu, le Tribunal a ordonné à la recourante de produire les pièces nécessaires pour procéder à un calcul de rendement. Au regard de la jurisprudence précitée, il convient d'admettre que celle-ci risque de subir un inconvénient qui ne pourrait pas être réparé à l'issue de la procédure d'appel, même en cas de décision favorable, puisqu'elle n'aurait plus d'intérêt à contester l'obligation de produire les pièces litigieuses.

L'existence d'un préjudice difficilement réparable doit dès lors être admise et le recours sera déclaré recevable.

1.3 Le pouvoir d'examen de la Cour est limité à la violation du droit et à la constatation manifestement inexacte des faits (art. 320 CPC).

2. Le Tribunal, se référant notamment aux art. 269 et 270 CO, 8 CC et 150 à 154 CPC, a retenu que "compte tenu de l'année d'acquisition de l'immeuble, un calcul de rendement était possible" de sorte qu'il se justifiait d'ordonner à la recourante de produire les documents nécessaires pour ce faire. Il y avait en outre lieu d'ordonner la production d'autres documents requis par les intimés.

La recourante fait valoir que son droit d'être entendue a été violé car le Tribunal n'a pas suffisamment expliqué les motifs justifiant la production des pièces ordonnées. L'art. 270 CO n'était pas pertinent pour l'issue du litige car il concernait la contestation du loyer initial. Les intimés n'avaient apporté aucun indice permettant de penser que l'appartement litigieux aurait fait l'objet de travaux soumis à la LDTR. Ils n'étaient pas autorisés à remettre en cause le loyer initial qu'ils n'avaient pas contesté en temps utile, à l'occasion d'une hausse de loyer ultérieure. L'objet du litige était limité à la question de la validité de cette hausse. S'agissant d'un bail à loyer indexé, la contestation ne pouvait porter que sur un motif lié à la variation du taux de l'ISPC. Les locataires pourraient tout au plus avoir droit à la production de pièces pouvant démontrer la prétendue nullité du loyer, à savoir les factures des travaux effectués dans l'appartement avant l'entrée des locataires, mais non des pièces relatives à un calcul de rendement car, en sus d'être prématurée, la production de ces pièces n'était pas justifiée. La requête de production de pièces était exploratoire et abusive.

2.1
2.1.1
Le locataire d'un bail indexé au sens de l'art. 269b CO peut contester le montant du loyer initial aux conditions prévues par l'art. 270 CO, soit en saisissant l'autorité de conciliation dans les 30 jours qui suivent la réception de la chose. Ce droit est d'autant plus important pour le locataire que le loyer ne pourra par la suite plus être remis en cause pendant toute la durée du bail, quand bien même il apparaîtrait abusif en regard des art. 269 et 269a CO (art. 270c CO; Lachat/Stasny, Le bail à loyer, 2019, chap. 22, ch. 2.2.9, p. 651).

A réception d'un avis de hausse de loyer fondé sur la clause d'indexation, le locataire peut contester celle-ci dans les 30 jours en s'adressant à l'autorité de conciliation. La contestation du locataire n'est recevable que s'il s'en prend à l'évolution de l'indice ou à son incidence sur le loyer (art. 270c CO). La marge de manœuvre du locataire est ainsi extrêmement faible. Il peut toutefois arriver que le bailleur se trompe sur l'indice de départ ou sur celui qui prétendument justifie la hausse; le bailleur peut aussi commettre une erreur de calcul, ou omettre de prendre en considération une modalité de l'indexation favorable au locataire (Lachat/Stasny, op. cit., chap. 22, ch. 2.2.11, p. 652 et 653).

2.1.2 Le Tribunal fédéral distingue deux méthodes d'examen du loyer: la méthode absolue et la méthode relative. Selon la méthode absolue, le juge se contente de vérifier si le loyer, examiné à un moment donné, est en soi abusif. Il mesure ce loyer à la seule aune du rendement de la chose louée (art. 269 et 269a let, c CO) ou des loyers usuels (art. 269a let. a CO). Les accords des parties sont ignorés. Selon la méthode relative, le juge ne fait qu'examiner si le loyer est devenu abusif depuis sa dernière fixation, en raison d'une modification des paramètres invoqués par les parties (Lachat/Stasny, op. cit., chap. 23, ch. 3.1 à 3.3, p. 678).

Une demande de baisse de loyer s'apprécie, en règle générale, selon la méthode relative. Exceptionnellement, le locataire peut se prévaloir directement des facteurs absolus pour solliciter une baisse de loyer, à savoir lorsque l'immeuble sort d'un contrôle étatique des loyers, à l'échéance d'un bail indexé ou échelonné, après la vente de l'immeuble, ou lorsqu'une longue période s'est écoulée depuis la dernière fixation du loyer selon la méthode absolue et que le locataire a épuisé tous les facteurs relatifs de baisse de loyer (Lachat/Stasny, op. cit., chap. 23, ch. 5.4.1 et 5.4.2, p. 698 et 699).

2.1.3 Il appartient à la partie demanderesse de prouver les faits qu'elle allègue pour en déduire son droit (art. 8 CC). Ainsi, le locataire doit démontrer le caractère abusif du loyer initial; le bailleur doit prouver la réalisation des motifs qu'il invoque à l'appui de la majoration; et enfin le locataire les facteurs dont il se prévaut en vue d'une baisse de loyer. La partie défenderesse doit collaborer loyalement à l'établissement de cette preuve et en particulier fournir au juge les renseignements, (surtout les pièces comptables) en sa possession (art. 20 al. 1
et 2 OBLF; art. 160 al. 1 let. b CPC) (Lachat/Stasny, op. cit., chap. 23, ch. 5.5.1, p. 700).

L'art. 20 al. 2 OBLF prévoit en particulier que le locataire peut exiger la présentation des pièces justificatives pour tous les motifs que le bailleur fait valoir.

2.1.4 Selon l'art. 150 CPC, la preuve a pour objet les faits pertinents et contestés.

Les allégués de fait doivent être formulés de manière suffisamment concrète pour qu’une contestation motivée soit possible ou que la preuve contraire puisse être recueillie (arrêt du Tribunal fédéral 4C.166/2006 du 25 août 2006 consid. 3).

A teneur de l'art. 160 al. 1 let. b CPC, les parties sont tenues de collaborer à l’administration des preuves; elles ont en particulier l’obligation de produire les titres requis.

Une recherche "ad explorandum" (fishing expedition) est contraire aux principes régissant le droit de procédure, selon lesquels l'obligation de production ne peut porter que sur les documents destinés à prouver des faits connus et allégués par la partie requérante (arrêt du Tribunal fédéral 5A_295/2009 du 23 décembre 2009 consid. 2, SJ 2010 I 401).

Afin que l'administration des preuves ne se transforme pas en une recherche de preuves prohibée ou en une véritable "fishing expedition", il faut exiger des parties qu'elles exposent, lorsque cela n'est pas évident, pourquoi on peut s'attendre avec une certaine vraisemblance à ce qu'un moyen de preuve offert fournisse un résultat probant (arrêt du Tribunal fédéral 4A_494/2020 du 24 juin 2022 consid. 5.3).

2.2 En l'espèce, la présente procédure fait suite à la notification d'un avis de hausse de loyer motivé par la hausse de l'ISPC dans le cadre d'un contrat de bail prévoyant une clause d'indexation.

Conformément aux principes juridiques exposés ci-dessus, la contestation des intimés n'est en principe recevable qu'à la condition qu'ils s'en prennent à l'évolution de l'indice ou à son incidence sur le loyer. Or les intimés ne contestent aucun de ces éléments.

Au lieu de cela, ils font valoir qu'ils seraient en droit d'invoquer, en cours de bail, une baisse de loyer calculée selon la méthode absolue, au moyen d'un calcul de rendement.

Cependant, aucune des hypothèses exceptionnelles prévues pour l'admissibilité d'une demande de baisse de loyer fondée sur des facteurs absolus en cours de bail ne paraît réalisée en l'espèce. L'immeuble ne sort pas d'un contrôle étatique des loyers, il n'a pas été vendu, le bail indexé n'est pas arrivé à échéance et il n'est pas allégué qu'une longue période se serait écoulée depuis la dernière fixation du loyer selon la méthode absolue.

Les intimés soutiennent, au fil d'une argumentation peu claire, que le loyer initial de l'appartement litigieux serait nul car il aurait dû être soumis à un contrôle de la part de l'Etat.

Ce faisant, ils entendent élargir le cadre des débats, lequel devrait être limité à la question de la validité de la hausse de loyer fondée sur l'évolution de l'ISPC.

Cet élargissement ne paraît pas justifié au regard des éléments du dossier.

Pour qu'il soit nécessaire d'effectuer un calcul de rendement, il conviendrait, à titre préalable, que la nullité du loyer initial soit retenue. Or les intimés n'ont, en l'état, apporté aucun indice concret permettant que penser que le loyer initial pourrait être nul, ne serait-ce qu'au stade de la vraisemblance.

En requérant de leur partie adverse la production de pièces destinées à établir leurs propres allégations, les intimés perdent de vue que la charge de la preuve de la nullité du loyer initial leur incombe au premier chef.

Cette requête de production de pièces constitue une recherche "ad explorandum" au sens de la jurisprudence mentionnée ci-dessus, ce qui la rend contraire aux principes régissant le droit de procédure.

Ladite requête ne porte en effet pas sur des faits connus et allégués de manière précise par les intimées. Leurs allégations concernant d'éventuels travaux qui auraient eu lieu de manière non conforme à la LDTR ne sont pas suffisamment circonstanciées pour fonder une obligation de production de pièces de la part de leur partie adverse. Les intimés ne donnent en particulier aucune indication précise sur les dates des travaux en question, leur ampleur et les raisons pour lesquelles il y aurait lieu de retenir qu'ils ont été effectués en contravention avec les dispositions de la LDTR. Ils n'expliquent pas en quoi une telle contravention rendrait nul le loyer initial. Ils n'allèguent au demeurant pas avoir dénoncé le cas au département étatique compétent.

A cela s'ajoute que l'état de lieux d'entrée indique que la plupart des installations étaient en état d'usure normale au moment de l'emménagement des intimés. Aucun aménagement neuf n'est mentionné. Il ne ressort pas non plus des photographies produites par les parties que l'appartement aurait fait l'objet de travaux de rénovation et/ou de travaux soumis à autorisation au sens de la LDTR.

Les intimés n'ont ainsi pas respecté leur obligation d'exposer pourquoi l'on pourrait s'attendre avec une certaine vraisemblance à ce que la production des pièces requises de la part de la recourante fournisse un résultat probant. Dans ces conditions, l'obligation de collaborer prévue par l'art 160 al. 1 let. b CPC ne permet pas de contraindre la recourante à fournir une quantité aussi importante de pièces que celle prévue par l'ordonnance querellée.

Il résulte de ce qui précède que l'ordonnance querellée doit être annulée. Les intimés seront, en l'état, déboutés de leurs conclusions en production de pièces, lesquelles sont, à tout le moins, prématurées.

S'il devait s'avérer, après administration des autres mesures d'instruction sollicitées par les intimés, notamment l'audition de témoins, que des éléments concrets permettent de retenir que le loyer initial serait nul au motif que des travaux ont été effectués en violation des dispositions de la LDTR, la situation pourra éventuellement être réexaminée. L'on rappellera à cet égard que les ordonnances de preuve n'ont pas force de chose jugée et peuvent être modifiées ou complétées en tout temps (art. 154 CPC).

3. Il n'est pas prélevé de frais ni alloué de dépens, s'agissant d'une cause soumise à la juridiction des baux et loyers (art. 22 al. 1 LaCC).

 

* * * * *


PAR CES MOTIFS,
La Chambre des baux et loyers :

A la forme :

Déclare recevable le recours interjeté par A______ contre l'ordonnance de preuves rendue le 8 septembre 2023 par le Tribunal des baux et loyers dans la cause C/26243/2022.

Au fond :

Annule l'ordonnance querellée.

Dit que la procédure est gratuite.

Déboute les parties de toutes autres conclusions de recours.

Siégeant :

Madame Nathalie RAPP, présidente; Madame Pauline ERARD et Madame Fabienne GEISINGER-MARIETHOZ, juges; Monsieur Jean-Philippe ANTHONIOZ et Monsieur Damien TOURNAIRE, juges assesseurs; Madame Maïté VALENTE, greffière.

 

La présidente :

Nathalie RAPP

 

La greffière :

Maïté VALENTE

 

 

Indication des voies de recours :

 

Conformément aux art. 72 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification avec expédition complète (art. 100 al. 1 LTF) par-devant le Tribunal fédéral par la voie du recours en matière civile.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14.

 

Valeur litigieuse des conclusions pécuniaires au sens de la LTF supérieure ou égale à 15'000 fr.