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Décisions | Chambre des baux et loyers

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C/15361/2022

ACJC/1569/2023 du 27.11.2023 ( SBL )

RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

C/15361/2022 ACJC/1569/2023

ARRÊT

DE LA COUR DE JUSTICE

Chambre des baux et loyers

DU LUNDI 27 NOVEMBRE 2023

 

Entre

1) A______ SA,

2) B______ SA,

3) C______ & CIE SA,

4) D______ SA, sises ______ [GE], recourantes contre une ordonnance rendue par le Tribunal des baux et loyers le 7 novembre 2023, représentées par Me Karin GROBET THORENS, avocate, rue Verdaine 13, case postale, 1211 Genève 3,

et

E______ ANLAGESTIFTUNG, sise ______ [ZH], intimée, représentée par
Me Christian TAMISIER, avocat, rue Saint-Léger 8, 1205 Genève.

 


Vu, EN FAIT, la procédure C/15361/2022, pendante devant le Tribunal des baux et loyers, en validation de la consignation du loyer, en exécution de travaux, en réduction de loyer, et en paiement de dommages-intérêts;

Que dans leur demande du 17 février 2023, A______ SA, B______ SA,
C______ & CIE SA et D______ SA ont conclu, notamment, principalement, à ce que le Tribunal dise et constate que la locataire des locaux loués sis dans le Centre commercial F______ sis rue 2______ nos. ______-______ à Genève, est D______ SA, à l'exclusion de B______ SA, C______ & CIE SA et A______ SA, valide la consignation du loyer opérée, ordonne à la bailleresse de procéder à l'exécution de travaux, réduise de loyer de 30%, de 50% et de 10% dès le 1er juillet 2022, selon les objets loués, et condamne la bailleresse au paiement de dommages et intérêts chiffrés;

Vu l'ordonnance du Tribunal du 6 mars 2023, transmettant la demande à E______ ANLAGESTIFTUNG et impartissant aux parties des délais pour se déterminer sur la valeur litigieuse des conclusions prises par A______ SA, B______ SA,
C______ & CIE SA et D______ SA, la procédure applicable à ces conclusions et les conséquences procédurales en découlant;

Vu les écritures des parties du 31 mars 2023;

Vu les déterminations subséquentes des parties des 20 avril et 1er mai 2023;

Vu l'ordonnance du 7 novembre 2023 rendue par le Tribunal, reçue le 10 novembre suivant, ordonnant la division de la cause C/15361/2022 sous causes C/15361/2022 et C/1______/2023, disant que la cause C/15361/2022 serait instruite en procédure simplifiée et la cause C/1______/2023 en procédure ordinaire, et impartissant à A______ SA, B______ SA, C______ & CIE SA et D______ SA un délai au 15 décembre 2023 pour déposer une nouvelle demande dans chaque cause, formée respectivement des conclusions soumises à la procédure simplifiée et à la procédure ordinaire;

Vu "l'appel" formé en temps opportun par A______ SA, B______ SA,
C______ & CIE SA et D______ SA contre cette décision, sollicitant l'annulation de la décision déférée; qu'elles ont conclu, en tout état, au renvoi de la cause au Tribunal, et, sur appel et sur recours, à l'admission du cumul d'actions résultant de la demande introduite le 17 février 2023 et à ce qu'il soit dit que les prétentions en résultant seraient instruites en procédure simplifiée; qu'elles ont également préalablement requis, s'agissant du recours, la suspension du caractère exécutoire de l'ordonnance entreprise; qu'elles ont fait valoir que l'entrée en force de la décision querellée aurait pour conséquence la poursuite de deux procès distincts, de même que des frais importants, des démarches procédurales supplémentaires, et, en cas d'admission de l'appel par la Cour, de l'annulation de tous les actes d'instruction réalisés dans l'intervalle par le Tribunal; qu'une telle solution allait à l'encontre du principe d'économie de procédure;

Que par écritures du 27 novembre 2023, E______ ANLAGESTIFTUNG a conclu au rejet de la requête d'effet suspensif;

Que les parties ont été avisées par plis du greffe du 27 novembre 2023 de ce que la cause était gardée à juger sur effet suspensif;

Considérant, EN DROIT, que l'appel est recevable contre les décisions finales ou incidentes de première instance, dans les causes non patrimoniales ou dont la valeur litigieuse, au dernier état des conclusions devant l'autorité inférieure, est supérieure à 10'000 fr. (art. 308 al. 1 let. a et al. 2 CPC);

Que la décision finale est celle qui met un terme à l'instance, qu'il s'agisse d'un prononcé sur le fond ou d'une décision reposant sur le droit de procédure;

Que la décision partielle est celle qui, sans terminer l'instance, règle définitivement le sort de certaines des prétentions en cause (art. 90 let. a LTF), ou termine l'instance seulement à l'égard de certaines des parties à la cause (art. 91 let. b LTF);

Que les décisions qui ne sont ni finales ni partielles d'après ces critères sont des décisions incidentes (ATF 141 III 395 consid. 2.2); qu'il s'agit notamment des prononcés par lesquels l'autorité règle préalablement et séparément une question juridique qui sera déterminante pour l'issue de la cause (ATF 142 III 653 consid. 1.4; 142 II 20 consid. 1.2);

Que le juge rend une décision incidente lorsque l'instance de recours pourrait prendre une décision contraire qui mettrait fin au procès et permettrait de réaliser une économie de temps ou de frais appréciable (art. 237 al. 1 CPC); que la décision incidente est sujette à recours immédiat; qu'elle ne peut être attaquée ultérieurement dans le recours contre la décision finale (art. 237 al. 2 CPC);

Qu'une décision incidente selon l'art. 237 CPC ne déploie pas de façon générale d'effet de chose jugée, qui n'appartiendra qu'à la décision finale encore à intervenir dans le procès concerné; que cependant, le tribunal lui-même est lié par sa propre décision incidente et ne saurait la remettre en cause en rendant la décision finale (arrêt du Tribunal fédéral 4A_545/2014 du 10 avril 2015 consid. 2.1, in SJ 2015 I 381; Tappy, Commentaire Romand, Code de procédure civile, 2ème éd. 2019, n. 12 ad art. 237 CPC); Staehelin, Kommentar ZPO, n. 14 ad art. 237 CPC);

Que le recours est recevable contre les autres décisions et ordonnances d'instruction de première instance lorsqu'elles peuvent causer un préjudice difficilement réparable (art. 319 let. b. ch. 2 CPC); qu'une ordonnance d'instruction constitue une décision d'ordre procédural, qui entre dans la catégorie des autres décisions et ordonnances d'instruction de première instance (art. 319 let. b CPC) et qui est, par nature, exclue du champ de l'appel (Jeandin, Commentaire Romand, Code de procédure civile, 2ème éd. 2019, n. 10, 14 et 15 ad art. 319 CPC; Tappy, op. cit., n. 15 ad art. 229 CPC);

Que le recours ne suspend pas la force de chose jugée et le caractère exécutoire de la décision entreprise, l'autorité de recours (soit la Cour de céans) pouvant suspendre le caractère exécutoire en ordonnant au besoin des mesures conservatoires ou le dépôt de sûretés (art. 325 CPC);

Que, saisie d'une demande de suspension de l'effet exécutoire, l'autorité de recours doit faire preuve de retenue et ne modifier la décision de première instance que dans des cas exceptionnels; qu'elle dispose cependant d'un large pouvoir d'appréciation permettant de tenir compte des circonstances concrètes du cas d'espèce (ATF 137 III 475 consid. 4.1);

Que, selon les principes généraux, l'autorité procède à une pesée des intérêts en présence et doit se demander, en particulier, si la décision est de nature à provoquer une situation irréversible; qu'elle prend également en considération les chances de succès du recours (arrêts du Tribunal fédéral 4A_337/2014 du 14 juillet 2014 consid. 3.1; 4D_30/2010 du 25 mars 2010 consid. 2.3);

Qu'en la matière, l'instance d'appel dispose d'un large pouvoir d'appréciation
(ATF 137 III 475 consid. 4.1; arrêts du Tribunal fédéral 5A_403/2015 du 28 août 2015 consid. 5; 5A_419/2014 du 9 octobre 2014 consid. 7.1.2);

Que selon l'art. 90 CPC, la demande peut réunir dans la même action plusieurs prétentions contre le même défendeur pour autant que le même tribunal soit compétent à raison de la matière et qu'elles soient soumises à la même procédure;

Que le Tribunal fédéral a retenu, dans un arrêt de 2020, qu'un jugement d'irrecevabilité complète de la demande en justice, en cas de cumul d'actions contraire à l'art. 90 let. a ou b CPC, était certes préconisé dans trois contributions doctrinales, sans que les auteurs n'expliquent cependant pourquoi une solution éventuellement moins rigoureuse devrait être exclue (Mohs, in Myriam Gehri et al., ZPO Kommentar, 2e éd., n° 1d ad art. 90 CPC; Trezzini, in Commentario pratico al Codice di diritto processuale civile svizzero, 2e éd., n° 6 ad art. 90 CPC; Zürcher, in Thomas Sutter-Somm et al., Kommentar zur schweizerischen Zivilprozessordnung, 3e éd., n° 77 ad art. 59 CPC); que selon les autres contributions qui abordaient le sujet, plus nombreuses, un cumul d'actions contraire aux conditions de l'art. 90 CPC n'entraînait qu'une irrecevabilité partielle de la demande en justice, limitée aux conclusions qui ne ressortissaient pas au tribunal saisi (Grobéty, Le cumul objectif d'actions en procédure civile suisse, 2018, nos 495 et 496; Bessenich/Bopp, in Thomas Sutter-Somm et al., op. cit., n° 10 ad art. 90 CPC; Klaus, in Commentaire bâlois, 3e éd., n° 35 ad art. 90 CPC; Markus, in Commentaire bernois, 2012, n° 9 ad art. 90 CPC; Bohnet, in Commentaire romand, 2e éd., n° 11 ad art. 90 CPC); qu'il était par ailleurs enseigné que le tribunal saisi pouvait même d'office ordonner une disjonction de causes selon l'art. 125 let b CPC lorsque le cumul d'action répondait certes aux conditions de l'art. 90 CPC, mais se révélait inopportun du point de vue d'une conduite rapide et efficace du procès (Grobéty, op. cit., n° 510; Markus, op. cit., n° 3 ad art. 90 CPC; Bohnet, ibid.; Trezzini, op. cit., n° 4 ad art. 90 CPC); qu'à supposer que le cumul doive être jugé contraire à l'art. 90 let. b CPC, une disjonction de ces actions serait à première vue une solution adéquate, propre à remédier à l'irrégularité, et exempte de formalisme excessif; qu'aucune des contributions doctrinales ci-rapportées n'expliquait pourquoi une disjonction des actions devrait être exclue; qu'on ne discernait pas en quoi il serait nécessaire d'adopter une mesure plus rigoureuse, consistant dans un jugement d'irrecevabilité même seulement partielle de la demande en justice (arrêt du Tribunal fédéral 4A_522/2019 du 7 avril 2020 consid. 4);

Considérant en l'espèce, que, prima facie, l'ordonnance querellée semble être une décision d'instruction, sujette à recours pour autant qu'elle puisse causer un préjudice difficilement réparable; qu'il n'apparaît en effet pas, sous l'angle de la vraisemblance, que la Cour puisse rendre une décision finale qui mette fin au procès, de sorte qu'il ne s'agit ainsi, selon toute vraisemblance, pas d'un jugement incident;

Que la qualification de la décision entreprise sera tranchée dans la décision au fond;

Que la doctrine est partagée sur les conséquences de l'absence des conditions du cumul d'actions au sens de l'art. 90 CPC;

Que le Tribunal a d'ores et déjà fixé des délais (proches) aux parties recourantes pour déposer deux nouvelles demandes, instruites selon deux procédures différentes; que les procédures simplifiées et celles ordinaires poursuivent des voies différentes; que les maximes qui leur sont applicables sont également différentes (maxime inquisitoire versus maxime de disposition; art 55 et 247 al. 2 let. a CPC);

Qu'ainsi, l'existence d'un préjudice difficilement réparable est, sous l'angle de la vraisemblance, rendu vraisemblable;

Que le recours n'est, pour le surplus, prima facie et sans préjudice de l'examen au fond, pas dénué de chances de succès;

Que pour sa part, la partie intimée ne subit aucun préjudice en cas de prononcé de l'effet suspensif;

Qu'en conséquence, il se justifie de faire droit à la requête d'effet suspensif.

* * * * *



PAR CES MOTIFS,
La Présidente de la Chambre des baux et loyers :

Statuant sur la suspension de l'effet exécutoire :

Suspend l'effet exécutoire attaché à l'ordonnance rendue le 7 novembre 2023 par le Tribunal des baux et loyers dans la cause C/15361/2022-1.

Siégeant :

Madame Nathalie LANDRY-BARTHE, présidente; Madame Maïté VALENTE, greffière.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Indications des voies de recours :

 

La présente décision, incidente et de nature provisionnelle (137 III 475 consid. 1) est susceptible d'un recours en matière civile, les griefs pouvant être invoqués étant toutefois limités (art. 98 LTF), respectivement d'un recours constitutionnel subsidiaire
(art. 113 à 119 et 90 ss LTF). Dans les deux cas, le recours motivé doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14.