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Décisions | Chambre des baux et loyers

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C/19464/2018

ACJC/1495/2023 du 13.11.2023 sur JTBL/984/2022 ( OBL ) , CONFIRME

Recours TF déposé le 15.12.2023, 4A_611/23
Normes : CO.273; CO.257d; CO.256
En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

C/19464/2018 ACJC/1495/2023

ARRÊT

DE LA COUR DE JUSTICE

Chambre des baux et loyers

DU LUNDI 13 NOVEMBRE 2023

 

Entre

A______ SARL, sise ______ [GE], appelante d'un jugement rendu par le Tribunal des baux et loyers le 21 décembre 2022, représentée par Me Hervé CRAUSAZ, avocat, rue du Rhône 40, case postale 1363, 1211 Genève 1,

et

B______ AG, sise ______ [SZ], intimée, représentée par Me Olivier WEHRLI, avocat, rue de Hesse 8, case postale, 1211 Genève 4.

 


EN FAIT

A. Par jugement JTBL/984/2022 du 21 décembre 2022, le Tribunal des baux et loyers a déclaré inefficace le congé notifié le 23 juillet 2018 pour le 31 août 2018 concernant les locaux de l'HÔTEL C______, sis no. ______ avenue 1______ [au quartier de] D______ (ch. 1 du dispositif), déclaré efficace le congé notifié le 28 décembre 2018 pour le 31 janvier 2019 concernant les même locaux (ch. 2), déclaré irrecevables les conclusions reconventionnelles d'B______ AG (ch. 3), débouté les parties de toutes autres conclusions (ch. 4) et dit que la procédure était gratuite (ch. 5).

B. a. Par acte expédié le 1er février 2023 à la Cour de justice, A______ SARL forme appel contre ce jugement. Elle conclut, avec suite de frais, à l'annulation du chiffre 2 de son dispositif et à ce que le congé du 26 décembre 2018 soit déclaré nul, subsidiairement inefficace.

b. Dans sa réponse du 6 mars 2023, B______ AG conclut au déboutement de A______ SARL de toutes ses conclusions, avec suite de frais.

c. En l'absence de réplique, les parties ont été avisées le 1er mai 2023 par la Cour de ce que la cause était gardée à juger.

C. Les faits pertinents suivants résultent de la procédure :

a. A______ SARL a pour but le courtage dans le domaine de l'immobilier, le développement de projets immobiliers et de conseil dans ce domaine.

E______ et F______ en sont respectivement l'associé-gérant Président et l'associé-gérant. Ils disposent d'un nombre égal de parts sociales et ont chacun la signature individuelle.

E______ est également associé gérant et propriétaire de toutes les parts sociales de G______ SARL, société qui a pour but le conseil en entreprise, le courtage, les assurances, les produits financiers et toutes activités relatives à l'immobilier.

Le siège social de ces deux sociétés se situe rue 2______, à Genève.

b. H______ SA, dont le siège se situe à Genève, a pour but l'achat et la gestion d'établissements publics (hôtels, restaurants, magasins).

Entre mai 2017 et mars 2018, le siège social de H______ SA était situé à la même adresse que celle de A______ SARL et G______ SARL.

L'actionnariat est composé de quatre actionnaires : le couple I______ (1 voix) et J______ (5'004 voix), ainsi que leurs filles K______ (3'330 voix) et L______ (1'665 voix).

E______ en a été l'administrateur unique, avec signature individuelle du 31 mai 2017 au 27 mars 2018, date à laquelle son mandat a été révoqué avec effet immédiat lors d'une assemblée générale extraordinaire (cf. let. C.k infra).

M______ a succédé à E______ jusqu'en novembre 2021.

c. H______ SA était propriétaire de deux établissements hôteliers à Genève.

-     L'HÔTEL C______ sis no. ______, avenue 1______ ([code postal] D______ [GE]), qui disposait de ______ chambres au total;

-     L'AUBERGE N______, sise no. ______ rue 3______ ([code postal] O______ [GE]), qui disposait de ______ chambres et un restaurant.

Ces hôtels étaient fermés depuis juin 2016.

Selon une étude de faisabilité réalisée par un cabinet d'architecte la même année, la rénovation totale de l'HÔTEL C______ était à envisager compte tenu d'un état de vétusté avancé. Il était relevé que le bâtiment, construit au début des années 1970, n'avait fait l'objet d'aucun entretien particulier mis à part quelques éléments superficiels. Les installations techniques devaient a priori être entièrement remplacées. Il en allait ainsi des fenêtres, des protections solaires des façades, de l'installation de chauffage. La présence d'infiltration d'eau due à l'étanchéité de la toiture ou de la corrosion des conduites d'eau laissait également présager une aggravation générale à court terme. Enfin, les équipements intérieurs (appareils sanitaires) et les finitions (revêtement des sols, carrelage, menuiseries) étaient anciens.

d. Lors de son assemblée générale extraordinaire du 31 mai 2017, H______ SA a confié à G______ SARL le mandat de trouver des solutions de financement ou des acheteurs pour ces deux établissements. Elle a, en outre, nommé E______ administrateur. Les actionnaires minoritaires [K______ et L______] s'y sont opposées en raison du fait qu'elles ne le connaissaient pas et du risque d'un conflit d'intérêts puisque l'intéressé avait une possibilité de refinancer le prêt de la banque et se proposait de relancer l'activité des deux établissements.

e. A la suite de cette assemblée générale, G______ SARL et H______ SA ont conclu deux contrats, signés au mois de juillet 2017, à savoir un mandat dit de recherche de solutions et de financement en lien avec les deux établissements hôteliers et un contrat de courtage exclusif [de vente] pour l'hypothèse où aucun financement ne serait trouvé.

f. Dans le courant de la même année, E______ est entré en contact avec l'association P______ en vue d'examiner les possibilités pour cette dernière de louer des chambres dans ces établissements.

f.a Par courrier du 29 novembre 2017, P______ a confirmé à G______ SARL sa volonté de prendre en charge la gestion des établissements, leur maintenance, et leur rafraîchissement. L'association proposait de lui louer les deux établissements hôteliers pour une durée de dix ans à compter du 1er décembre 2017, à certaines conditions.

En ce qui concerne l'HÔTEL C______, il s'agissait d'obtenir une participation financière tierce pour les travaux de rénovation intérieure du bâtiment que l'association prendrait à sa charge (aménagement des chambres, literie, lustrerie, buanderie, réception et des équipements de bureautique). Le coût estimé se situait entre 700'000 fr. et 800'000 fr.

Elle proposait de verser dès la fin des travaux de rénovation et de la mise en conformité du bâtiment, un loyer annuel, charges comprises, de 420'000 fr. pour la première année, 480'000 fr. dès la deuxième année puis 550'000 fr. dès la troisième année.

f.b Le 20 décembre 2017, P______ et G______ SARL ont signé un accord de confidentialité d'une durée de cinq ans leur faisant interdiction réciproque d'entrer en contact, de négocier ou de conclure des transactions, notamment avec H______ SA.

Le même jour, H______ SA et A______ SARL ont signé un texte identique qui désignait P______ comme objet d'une interdiction de même nature.

g.a Par contrat du 5 janvier 2018, H______ SA (la bailleresse), d'une part, et A______ SARL (la locataire), d'autre part, ont conclu un "Bail à loyer pour un local commercial" portant sur la location de la surface commerciale de l'immeuble sis avenue 1______ no. ______ (HÔTEL C______), à usage hôtelier exclusivement d'une durée de 10 ans du 1er janvier 2018 au 31 décembre 2027.

La locataire, qui déclarait bien connaître les locaux, acceptait de les prendre en location dans leur état. Elle s'engageait à réaliser des travaux d'aménagement comprenant l'ameublement, la literie, la lustrerie, et les revêtements intérieurs (peinture, moquette, etc.). En contrepartie de son investissement et des travaux de rénovation, la bailleresse lui accordait un bail de durée de dix ans (clause II).

Le loyer annuel d'un montant de 400'000 fr., charges comprises, payable par trimestre, était exigible pour la première fois après la réalisation des travaux de rénovation par le locataire, mais au plus tard le 30 septembre 2018 (clause IV).

Sous le chapitre "VI Usage de la chose louée" et la section "Sous-location", la locataire sollicitait le consentement de la bailleresse de sous-louer tout ou partie de la chose dans le respect de l'article 262 CO, ce à quoi celle-ci consentait, déclarant disposer de tous les renseignements utiles (conditions de la sous-location, durée, renseignements utiles sur le sous-locataire et sur l'activité commerciale projetée dans les locaux, prix convenu) (clause VI, sous-location ch. 2 et 3).

g.b E______ a déclaré en audience devant le Tribunal que malgré le fait que cela n'apparaissait pas dans le contrat de bail conclu entre H______ SA et A______ SARL, les travaux de mise en conformité (en lien avec la structure du bâtiment) étaient à la charge de H______ SA. Les travaux expressément désignés dans le contrat consistaient en des travaux mineurs de rafraîchissement.

g.c Le même jour, H______ SA et A______ SARL ont conclu un contrat similaire portant sur la location de la surface commerciale de l'immeuble sis rue 3______ no. ______, à savoir l'AUBERGE N______.

h. Dans un courrier du 8 janvier 2018, E______, en sa qualité d'administrateur de H______ SA, a autorisé A______ SARL à sous-louer "librement" dès le 1er janvier 2018 les deux établissements à P______ "selon convention convenue entre les parties".

Entendus comme témoins devant le Tribunal, Q______ et R______, respectivement fondateur-président et directeur et de l'association P______, ont déclaré que l'association avait loué des chambres à l'AUBERGE N______ de janvier 2019 à mi-mai 2019. En revanche, elle n'avait jamais occupé de chambre à l'HÔTEL C______. L'association avait commencé à entreprendre des travaux de peinture, de nettoyage et de réparation de mobilier en fin d'année 2018 afin que l'établissement puisse fonctionner comme un hôtel pour un montant de l'ordre de 200'000 fr. Le projet avait cependant été abandonné en raison du fait que les importants travaux de rénovation à la charge du propriétaire pour rendre les locaux habitables n'avait finalement pas été réalisés.

Le témoin Q______ a ajouté que E______ avait été le seul interlocuteur de l'association, intervenant soit pour A______ SARL soit pour G______ SARL. Le témoin n'avait jamais entendu parler de F______.

i. Le 15 mars 2018, A______ SARL, soit pour elle F______, gérant, s'est adressée à H______ SA pour l'informer être, ainsi que son architecte, toujours en attente de son accord pour démarrer les travaux de rénovation des deux établissements. Elle demandait à pouvoir différer le premier versement du loyer après la réalisation des travaux de rénovation et la mise en conformité du bâtiment.

j. Par courrier du 21 mars 2018, H______ SA, soit pour elle E______, administrateur, a accepté la demande de A______ SARL de reporter le paiement de la première échéance de loyer qui devait ainsi "entr(er) en vigueur dès la réalisation des travaux de rénovation de notre part et la mise en conformité du bâtiment".

k. H______ SA a tenu une assemblée générale extraordinaire le 27 mars 2018 au cours de laquelle elle a révoqué E______ de son mandat d'administrateur, sollicitant qu'il remette l'ensemble des contrats conclus au nom de la société, notamment ceux concernant les établissements hôteliers.

Le témoin S______, expert en matière d'immobilier international, a déclaré au tribunal avoir assisté à cette assemblée générale à la demande de l'un des actionnaires, soit I______. Il avait préalablement été sollicité pour des conseils par ce dernier qui se plaignait du manque de transparence de E______ quant à ses activités en lien avec le refinancement des hôtels. Le témoin avait participé à une réunion organisée aux alentours de février 2018 entre l'actionnaire et E______ lors de laquelle ce dernier avait indiqué ne rien pouvoir divulguer au sujet du refinancement dès lors qu'il avait externalisé cette mission à un tiers avec lequel sa société était tenue par un accord de confidentialité. Peu de temps après, soit en mars ou avril, un représentant de P______ lui avait révélé l'existence d'un accord verbal entre l'association et A______ SARL concernant l'AUBERGE N______ ainsi que l'HÔTEL C______ sans pouvoir en dire plus au vu de la clause de confidentialité.

l. Le 2 mai 2018, H______ SA a interpellé P______ lui faisant savoir qu'elle considérait "comme nuls et non avenus" tous les accords que cette dernière - ou une société apparentée - auraient conclus par le biais de E______. Elle a exigé de P______ qu'elle cessât immédiatement le paiement des loyers en mains de l'une ou l'autre des sociétés présentées par E______, faute de quoi elle solliciterait une expulsion judiciaire. Néanmoins, H______ SA se déclarait prête à envisager une collaboration directe future avec l'association.

m. Par courrier du 22 juin 2018, H______ SA a mis en demeure A______ SARL de mettre fin aux contrats de sous-location qui la liaient à P______ ou de les rendre conformes aux exigences de l'art. 262 al. 2 CO. Elle déduisait du refus de A______ SARL de lui communiquer une copie des contrats la liant à P______ qu'il existait une différence significative de loyer entre les baux principaux (considérés comme nuls) et les contras de sous-location.

En réponse, A______ SARL a fait savoir que le contrat de bail principal était un contrat de bail à ferme, ce qui rendait inopérante la mise en demeure. En outre, elle a affirmé que les actionnaires de H______ SA avaient été informés des sous-locations par E______.

n.a Après quelques échanges épistolaires, H______ SA a, par courrier recommandé du 20 juillet 2018, reçu le 23 juillet suivant par A______ SARL, résilié le bail concernant l'HÔTEL C______ de manière anticipée pour le 31 août 2018 au motif d'une sous-location non autorisée, subsidiairement en raison des conditions abusives de celle-ci. L'avis de résiliation, établi sur formule officielle, était joint au courrier.

n.b Par pli séparé du même jour, H______ SA a résilié le bail concernant l'AUBERGE N______ pour les mêmes motifs.

o.a En juillet 2018, H______ SA a déposé plainte pénale contre son ancien administrateur, E______, et G______ SARL des chefs de gestion déloyale et abus de confiance.

o.b A la suite de cette plainte et d'autres faits dénoncés par des tiers, E______ et F______ ont été mis en détention préventive pendant plusieurs mois à compter du 5 décembre 2018.

o.c Le 5 décembre 2018, Me T______ a informé le Conseil de H______ SA, par deux plis séparés, être chargé de la défense de A______ SARL, avec élection de domicile en son étude, en lieu et place du précédent avocat, référence faite aux procédures pendantes en annulation des résiliations fondées sur l'existence des sous-location non autorisées. Une procuration était jointe à chacune des lettres de constitution, laquelle mentionnait "Procédure contre H______ SA".

o.d H______ SA a eu connaissance de la détention provisoire des représentants de A______ SARL mi-décembre 2018.

p.a Par courrier du 23 octobre 2018, H______ SA a mis en demeure A______ SARL de régler dans un délai de 60 jours le loyer de 100'000 fr. correspondant au premier trimestre pour la location de l'HÔTEL C______ dû le 30 septembre 2018, précisant ne pas être liée par le courrier reportant cette échéance, signé par E______.

p.b Quelques jours plus tard, H______ SA a adressé à A______ SARL la résiliation dudit bail portant sur les locaux de l'AUBERGE N______, en raison du non-paiement des arriérés de loyer.

p.c Par pli recommandé du 26 décembre 2018 adressé à A______ SARL, H______ SA a résilié le contrat de bail concernant les locaux de l'HÔTEL C______ pour le 31 janvier 2019 en raison du défaut de paiement, l'avis de résiliation établi sur la formule officielle étant joint. Le courrier faisait notamment mention d'un envoi par pli simple et d'une copie réservée [par courriel] à E______ et au Conseil, alors constitué pour A______ SARL dans le cadre des deux procédures judiciaires en contestation du premier congé extraordinaire, Me T______.

Il ressort du suivi postal que l'avis de retrait de l'envoi recommandé a été remis le vendredi 28 décembre 2018. Le pli n'a pas été retiré à l'issue du délai de garde.

Entendu comme témoin devant le Tribunal, U______ a déclaré qu'au moment de l'envoi du courriel de résiliation précité, il était l'informaticien mandaté comme ressource externe par l'Etude du conseil de H______ SA. Selon lui, le courriel avait été reçu par son destinataire (soit Me T______) car il y avait eu une communication entre les serveurs des deux Etudes d'avocats concernées et aucun message d'erreur n'avait été généré. Cela étant, l'existence d'une communication entre les deux serveurs ne garantissait pas - dans l'absolu - la réception du message. Il était toutefois peu concevable qu'un courriel fût redirigé vers les messages indésirables lorsqu'il existait une habitude de communication entre les utilisateurs. En tout état de cause, selon le témoin, si un message se trouvait dans les courriers indésirables il était techniquement dans la boîte de réception du destinataire, à charge pour lui de les contrôler.

Selon l'attestation de la Commission de conciliation en matière de baux et loyers, aucune requête en contestation dudit congé n'était parvenue au 22 février 2019.

q. Invitée à rendre les clefs de l'HÔTEL C______ par courrier du 3 mars 2019, reçu le lendemain par Me T______, A______ SARL a fait savoir que le congé portant sur cet objet était nul et non avenu, faute d'avoir été reçu par elle-même ou les représentants de la société qui se trouvaient alors en détention préventive.

r. A la suite de cet échange de courriers des 3 et 5 mars 2019, H______ SA a procédé au changement de l'ensemble des serrures de l'HÔTEL C______.

s. Les locaux de l'HÔTEL C______ sont actuellement libres de tout occupant.

D. a.a Par requêtes séparées du 22 août 2018, déclarées non-conciliés et portées par-devant le Tribunal, A______ SARL a contesté les deux résiliations anticipées de bail signifiées au motif d'une sous-location non autorisée de l'HÔTEL C______ (C/19464/2018) et de l'AUBERGE N______ (C/4______/2018).

a.b Par requête des 30 novembre 2018 et 3 avril 2019, déclarées non-conciliées et portées devant le Tribunal, A______ SARL a contesté les deux congés notifiés pour non-paiement des loyers de l'AUBERGE N______ (C/5______/2018) et de l'HÔTEL C______ (C/6______/2019).

a.c A la suite de l'acquisition le 16 février 2021 par B______ AG de la parcelle sur laquelle est érigé L'HÔTEL C______, le Tribunal a ordonné la substitution de partie en faveur de cette dernière s'agissant des causes concernant les locaux de cet établissement.

a.d Le Tribunal a enregistré sous la cause C/19464/2018 les faits relatifs à l'HÔTEL C______ et sous la cause C/4______/2018 les faits relatifs à l'AUBERGE N______.

La cause C/4______/2018 concernant les locaux de l'AUBERGE N______ a finalement fait l'objet d'un accord transactionnel et a été rayée du rôle (JTBL/373/2022 du 16 mai 2022).

En définitive, le litige qui demeure entre les parties a trait uniquement aux résiliations anticipées qui concernent les locaux de l'HÔTEL C______.

b. Dans ses écritures introductives d'instance des 17 janvier et 12 juin 2019, A______ SARL a contesté les deux résiliations de bail portant sur les locaux de l'HÔTEL C______.

Concernant le projet de sous-location, A______ SARL a soutenu que la bailleresse avait donné son accord à une sous-location à deux reprises, à savoir lors de la signature du bail, puis dans un courrier du 8 janvier 2018. P______ avait finalement refusé de devenir "locataire" préférant louer des chambres, relation contractuelle qui s'apparentait à un contrat hôtelier. Quoi qu'il en soit, les travaux de rénovation n'ayant pas été exécutés par la propriétaire, l'HÔTEL C______ n'avait pas pu être exploité et aucune chambre n'avait été louée. En définitive, aucun contrat de bail n'avait été conclu avec P______, ce que confirmait l'association dans une attestation du 21 août 2018 versée à la procédure.

Concernant le défaut de paiement allégué, A______ SARL a soutenu que le paiement de la première échéance de loyer avait été reporté avec l'accord de la bailleresse et devait ainsi entrer en vigueur dès la réalisation des travaux de rénovation et la mise en conformité du bâtiment, travaux qui n'avaient jamais eu lieu. Ainsi, lors de la mise en demeure du 23 novembre 2018, le loyer n'était pas exigible. Au surplus, la notification du 26 décembre 2018 était abusive dès lors que la bailleresse savait pertinemment que les représentants de la locataire n'étaient pas en mesure d'être atteints en raison de leur détention. La résiliation devait être considérée comme nulle et non avenue également car elle n'avait pas été adressée au domicile élu de la société, soit en l'étude de son conseil de l'époque. Il était contesté que celui-ci en ait reçu une copie.

c. Dans ses mémoires de réponse des 11 mars 2019 et 23 août 2019, H______ SA a conclu au fond, à ce que le Tribunal constate la validité du congé donné le 20 juillet 2018 pour le 31 août 2018 ainsi que du congé donné le 26 décembre 2019 pour le 31 janvier 2019 concernant les locaux de l'HÔTEL C______, fondés, d'une part, sur la sous-location non-autorisée et, d'autre part, sur la demeure du locataire.

Sur demande reconventionnelle, H______ SA a conclu à l'évacuation de la locataire et la remise des clés d'accès sous la menace de la peine prévue à l'art. 292 CP et à des mesures d'exécution directes.

H______ SA a affirmé avoir eu connaissance de l'existence de A______ SARL et du bail à loyer principal à la mi-avril 2018, seulement, par le biais de [son conseiller] S______. L'existence et les conditions d'une sous-location à P______ (et non d'un contrat hôtelier comme soutenu par son adverse partie) n'avaient pas non plus été portées à sa connaissance. Selon la bailleresse, la lettre du 21 mars 2018 par laquelle E______ acceptait - à quelques jours de sa révocation - de reporter le paiement de loyer n'avait aucune portée. En effet, ce dernier ne pouvait établir l'accord des actionnaires à cet acte, qui, au surplus, privilégiait ses intérêts propres, ainsi que ceux de sociétés tierces, au détriment de la santé financière de la bailleresse. H______ SA a souligné qu'elle ne s'était jamais engagée à rénover les locaux de l'HÔTEL C______. Ainsi, au moment de la mise en demeure, le paiement du loyer était bel et bien exigible. Comme il était resté impayé à l'échéance du délai comminatoire, la résiliation était efficace.

La notification du 26 décembre 2018 était, au demeurant, valable dans la mesure où les représentants de A______ SARL devaient prendre - et avaient pris - des mesures pour s'assurer du suivi des affaires de la société pendant leur détention provisoire en instruisant la comptable de la société et mère de E______, V______. Celle-ci avait pris contact avec le conseil de H______ SA à la mi-mars 2019 afin de l'inviter "à discuter de l'HÔTEL C______" avec le conseil de l'époque de A______ SARL, ce qui laissait inférer qu'elle avait pris connaissance des envois litigieux (du moins ceux adressés par pli simple et par courriel à l'adresse professionnelle de E______). Quand bien même H______ SA n'avait aucune obligation d'adresser la résiliation litigieuse au conseil de l'époque de A______ SARL, elle lui en avait adressé une copie par courriel à titre confraternel, laquelle était bien parvenue à son destinataire selon les recherches effectuées par un informaticien.

d. Par mémoire de réponse à la demande reconventionnelle du 1er novembre 2019, A______ SARL a conclu au déboutement de sa partie adverse.

Elle a exposé avoir opéré une élection [générale] de domicile en l'Etude de Me T______, ce que la procuration jointe dans tous les dossiers [judiciaires] et la lettre de constitution mentionnaient dans les termes suivants "litige opposant A______ contre H______". Les avis de résiliation originaux n'étaient jamais parvenus à son domicile élu et leur réception par courriel était contestée. En même temps qu'elle réaffirmait que les chambres étaient inexploitables, A______ SARL a admis avoir remis l'usage de plusieurs chambres de l'HÔTEL C______ à P______ en janvier [2018] à la suite de quelques travaux. A______ SARL facturait les chambres occupées par P______ par jour, ce qui devait conduire non seulement à exclure l'existence d'un contrat de sous-location mais aussi justifier le fait qu'elle conserve ces revenus conformément au contrat principal qu'elle qualifiait de bail à ferme. Faute pour H______ SA d'avoir rempli ses obligations, A______ SARL avait été - et était encore - empêchée d'exploiter l'HÔTEL C______. Elle se plaignait également du fait que les nouveaux administrateurs de H______ SA avaient mis "dehors" les occupants des chambres de l'HÔTEL C______ et empêché la mise à disposition de celles-ci par A______ SARL à P______.

e. Invitée à se déterminer sur cette écriture, H______ SA y a renoncé.

f. A l'audience de plaidoiries finales du 1er novembre 2022, les parties ont persisté dans leurs conclusions.

g. Dans le jugement entrepris du 21 décembre 2022, le Tribunal a considéré, s'agissant de l'établissement de l'HÔTEL C______, que les parties étaient liées par un contrat de bail à loyer, et non par un bail à ferme, dès lors que les locaux ne permettaient pas, en l'état, l'exploitation commerciale d'un hôtel compte tenu de la pauvreté et de la vétusté des aménagements et installations.

Les enquêtes avaient permis d'établir qu'à aucun moment les locaux de l'HÔTEL C______ n'avaient été donnés en sous-location, même partiellement. Partant, le congé donné en raison d'une sous-location des locaux litigieux apparaissait inefficace.

Quant au congé signifié fondé sur le défaut de paiement du loyer par la locataire, l'avis de résiliation y relatif adressé le 26 décembre 2018 au siège de la locataire était valable d'un point de vue formel. D'une part, au moment de la résiliation, la locataire n'était pas représentée par Me T______ pour recevoir le congé litigieux. La constitution du 5 décembre 2018 de ce dernier auprès de son confrère se référait expressément aux deux autres procédures alors pendantes en contestation de la résiliation donnée pour sous-location non autorisée et n'indiquait pas qu'elle valait pour l'intégralité des questions liées au rapport de bail ni que l'élection devait valoir adresse de notification pour toutes les correspondances ultérieures. D'autre part, les dirigeants et représentants de la locataire se trouvaient en détention préventive depuis trois semaines lors de l'envoi de l'avis de résiliation litigieux. Il leur appartenait dans cette situation d'organiser les affaires de la société afin d'être à même de prendre connaissance en temps voulu de tous les courriers et avis recommandés qui pouvaient être notifiés, ce d'autant plus qu'ils pouvaient s'y attendre au vu de la mise en demeure adressée le 23 octobre 2018 fixant le délai comminatoire de 60 jours pour s'exécuter. Le congé examiné n'était donc pas nul.

L'avis étant entré dans la sphère d'influence de la locataire le lendemain (i.e le 29 décembre 2018), le dernier jour du délai pour contester le congé arrivait à échéance le 28 janvier 2019. Déposée le 3 avril 2019, l'action en annulation du congé avait été introduite tardivement.

Enfin, l'accord signé le 21 mars 2018 par E______ en qualité d'administrateur de la bailleresse afin de reporter l'exigibilité de la créance de loyer en faveur de la société locataire dont il était économiquement le propriétaire consistait en un contrat conclu avec lui-même au sens large (Insichgeschäfte). Il existait un risque de conflit d'intérêts qui était non seulement avéré mais lésait effectivement les intérêts de la bailleresse en la privant du loyer prévu et initialement fixé au 30 septembre 2018, exigible indépendamment de l'avancement des travaux à cette date, au profit de la société locataire, et partant, pour son propriétaire, E______. L'assemblée générale de la société bailleresse, en tant qu'organe de rang supérieur, n'avait ni approuvé ni validé a posteriori l'acte litigieux. Partant, l'accord du 21 mars 2018, faute d'avoir été ratifié par l'organe compétent de la bailleresse, n'était pas valable et ne liait pas la bailleresse. Dans la mesure où la locataire ne s'était pas acquittée dans le délai comminatoire du loyer de 100'000 fr. échéant valablement au 30 septembre 2018 à teneur du contrat de bail, le congé donné pour ce motif était valable. La résiliation était donc efficace.

EN DROIT

1. 1.1 L'appel est recevable contre les décisions finales et les décisions incidentes de première instance (art. 308 al. 1 let. a CPC). Dans les affaires patrimoniales, l'appel est recevable si la valeur litigieuse au dernier état des conclusions est de 10'000 fr. au moins (art. 308 al. 2 CPC).

Dans une contestation portant sur la validité d'une résiliation de bail, la valeur litigieuse est égale au loyer de la période minimum pendant laquelle le contrat subsiste nécessairement si la résiliation n'est pas valable, période qui s'étend jusqu'à la date pour laquelle un nouveau congé peut être donné ou l'a effectivement été. Lorsque le bail bénéficie de la protection contre les congés des art. 271 ss CO, il convient, sauf exceptions, de prendre en considération la période de protection de trois ans dès la fin de la procédure judiciaire qui est prévue par l'art. 271a al. 1 let. e CO (ATF 137 III 389 consid. 1.1; 136 III 196 consid. 1.1; arrêt du Tribunal fédéral 4A_388/2016 du 15 mars 2017 consid. 1).

1.2 En l'espèce, le loyer annuel, charges comprises, s'élève à 400'000 fr. La valeur litigieuse (400'000 fr. x 3) est largement supérieure à 10'000 fr., de sorte que la voie de l'appel est ouverte.

1.3 L'appel a été interjeté en temps utile, compte tenu des féries judiciaires (art. 145 al. 1 let. c CPC), et suivant la forme prescrite par la loi (art. 130, 131, 311 al. 1 CPC). Il est ainsi recevable.

1.4 L'appel peut être formé pour violation du droit (art. 310 let. a CPC) et constatation inexacte des faits (art. 310 let. b CPC). L'instance d'appel dispose ainsi d'un plein pouvoir d'examen de la cause en fait et en droit; en particulier, le juge d'appel contrôle librement l'appréciation des preuves effectuée par le juge de première instance (art. 157 CPC en relation avec l'art. 310 let. b CPC) et vérifie si celui-ci pouvait admettre les faits qu'il a retenus (ATF 138 III 374 consid. 4.3.1).

2. L'appelante soutient que la résiliation de bail du 26 décembre 2018 serait nulle au motif qu'elle serait contraire à la bonne foi dans la mesure où l'intimée savait que les deux gérants de la société se trouvaient en détention et qu'elle ne pouvait dès lors adresser ladite résiliation au siège de la société. Elle était, en outre, alors représentée par Me T______.

2.1 Selon l'art. 273 al. 1 CO, la partie qui veut contester le congé doit saisir l'autorité de conciliation dans les 30 jours qui suivent la réception du congé. La communication du congé obéit en droit du bail à la théorie de la réception absolue (ATF 143 III 15 consid. 4.1; 140 III 244 consid. 5; 137 III 208 consid. 3.1.2;
118 II 42 consid. 3; 107 II 189 consid. 2).

La résiliation du bail est une décision unilatérale de volonté de l'une des parties au contrat, qui est soumise à réception. La théorie de la réception absolue implique que le point de départ du délai correspond au moment où la manifestation de volonté, soit la résiliation du bail, est parvenue dans la sphère d'influence du destinataire, de telle sorte qu'en organisant normalement ses affaires, celui-ci est à même d'en prendre connaissance. Lorsque la manifestation de volonté est communiquée par pli recommandé, si l'agent postal n'a pas pu le remettre effectivement au destinataire et qu'il laisse un avis de retrait dans sa boîte aux lettres ou sa case postale, le pli est reçu dès que le destinataire est en mesure d'en prendre connaissance au bureau de la poste selon l'avis de retrait. Il s'agit soit du jour même où l'avis de retrait est déposé dans la boîte aux lettres si l'on peut attendre du destinataire qu'il le retire aussitôt, sinon, en règle générale, le lendemain de ce jour (ATF 143 III 15 consid. 4.1; 137 III 208 consid. 3.1.2).

En principe, le congé est valablement notifié par le bailleur à l'adresse de correspondance indiquée dans le contrat de bail, laquelle correspond en général à l'adresse de l'objet loué dans les baux d'habitation. En cas d'absence de longue durée, il revient au locataire de s'organiser afin de pouvoir prendre connaissance de sa correspondance, et, le cas échéant, d'informer le bailleur de l'adresse à laquelle il peut être atteint. Dans ce cas, le bailleur qui sait que le locataire n'est pas atteignable à l'adresse du bail mais à une autre adresse de notification et que cette adresse lui a été communiquée par le locataire, commet en règle générale un abus de droit (art. 2 al. 2 CC) s'il se prévaut néanmoins d'une notification à l'adresse du bail (arrêt du Tribunal fédéral 4A_67/2021 du 8 avril 2021 consid. 5.2; 4A_74/2011 du 2 mai 2011 consid. 3; Bohnet, Bail et notification viciée, in: Newsletter Bail.ch juillet 2011).

2.2 En l'espèce, la bailleresse a adressé la résiliation de bail du 26 décembre 2018 à l'appelante à l'adresse des locaux loués, comme elle devait le faire en application du principe général applicable en la matière. H______ SA avait certes connaissance de la détention provisoire des représentants de la locataire à cette date. Ladite détention durait toutefois, à cette date, depuis une vingtaine de jours, soit un délai suffisant pour permettre aux précités et à l'appelante de s'organiser pour réceptionner son courrier. De plus, les représentants de la locataire devaient s'attendre, avant même leur mise en détention, à ce que des actes soient notifiés à la société locataire de la part de la bailleresse. En effet, cette dernière l'avait mise en demeure, par courrier du 23 octobre 2018, soit avant la mise en détention de ses représentants intervenue le 5 décembre 2018, de s'acquitter dans un délai de 60 jours du loyer en 100'000 fr. correspondant au premier trimestre pour la location de l'HÔTEL C______ dû le 30 septembre 2018, précisant ne pas être liée par le courrier reportant cette échéance. Quelques jours plus tard, la bailleresse a procédé à la résiliation du bail portant cette fois sur les locaux de l'AUBERGE N______, en raison du non-paiement des arriérés de loyer. Dès lors, les représentants de la locataire connaissaient la position de la bailleresse quant au paiement du loyer de l'HÔTEL C______ et du fait qu'à défaut de paiement, elle engagerait une procédure judiciaire puisqu'elle l'avait fait pour l'autre établissement. En tout état de cause, la détention des gérants de la société n'excluait pas, même sans que des mesures particulières soient prises, que d'autres personnes soient habilitées à recevoir le courrier recommandé contenant la résiliation de bail, telle une employée, soit en l'occurrence la comptable de la société et mère de E______. Le Tribunal l'a d'ailleurs relevé, sans que l'appelante ne le conteste de manière motivée.

Concernant une éventuelle obligation d'adresser la résiliation de bail à Me T______, celui-ci avait informé la bailleresse, le 5 décembre 2018, par deux plis séparés, être chargé de la défense de l'appelante, avec élection de domicile en son étude, référence faite aux procédures pendantes en annulation des résiliations fondées sur l'existence d'une sous-location non autorisée (causes C/19464/2018 et C/4______/2018). L'élection de domicile ne concernait dès lors pas la résiliation de bail pour défaut de paiement, alors même que celle-ci avait été précédée par l'envoi, le 23 octobre 2018, soit antérieurement au courrier de Me T______ du 5 décembre 2018, d'un avis comminatoire.

Au vu de ce qui précède, c'est à bon droit que le Tribunal a considéré que la résiliation de bail du 26 décembre 2018 était valable.

3. 3.1 L'appelante conteste l'exigibilité du loyer en se prévalant du courrier du 21 mars 2018 signé par la bailleresse en vue de reporter l'échéance du premier loyer. A cet égard, elle conteste l'existence d'un conflit d'intérêts entre E______ et la bailleresse, celui-ci ne pouvant être assimilé à A______ SARL ou à H______ SA. La modification était, en outre, conforme aux intérêts des deux parties, et notamment de la bailleresse.

3.1.1 En vertu de l'art. 257d al. 1 CO, lorsque le locataire d'un bail d'habitation ou de locaux commerciaux est en retard dans le paiement de loyers ou frais accessoires échus, le bailleur peut lui fixer par écrit un délai, de 30 jours au moins, et lui signifier qu'à défaut de paiement dans ce délai, il résiliera le bail.

En cas de non-paiement dans le délai, il peut, moyennant un délai de congé de 30 jours pour la fin d'un mois, résilier le bail en application de l'article 257d al. 2 CO.

3.1.2 Dans un arrêt récent, le Tribunal fédéral a rappelé les principes gouvernant l'admissibilité d'un acte juridique conclu avec soi-même, situation dans laquelle une même personne est doublement partie à l'acte juridique, d'un côté pour son propre compte, de l'autre comme représentante d'autrui (arrêt du Tribunal fédéral 4A_488/2021 du 8 mars 2022 consid. 5.1 et 5.3.2).

Le Tribunal fédéral a ainsi réaffirmé que bien que le droit suisse ne contienne aucune règle générale spécifique sur le contrat conclu avec soi-même stricto sensu (Selbstvertrag; contratto con se stesso), cette figure, à l'instar de la double représentation (Doppelvertretung, doppia rappresentanza), recèle un risque de conflit d'intérêts. De jurisprudence constante, ce type de contrat est inadmissible (unzulässig), et partant dépourvu de validité (ungültig), sous réserve de deux exceptions : (1) La nature même de l'affaire exclut tout risque de léser le représenté. Tel est notamment le cas lorsque l'acte est conclu aux conditions du marché. (2) Le représenté y a consenti par avance ou a ratifié l'acte (ATF 144 III 388 consid. 5.1; 127 III 332 consid. 2a; 126 III 361 consid. 3a; arrêt du Tribunal fédéral 4A_488/2021 du 8 mars 2022 consid. 5.3.2).

Ces principes valent aussi pour la représentation légale d'une personne morale par ses organes. La personne morale est présumée tacitement exclure le pouvoir de représentation pour tout acte comportant un risque de conflit entre ses propres intérêts et celui de son représentant. Le consentement ou la ratification doit émaner d'un organe de même rang, ou de rang plus élevé (ATF 144 III 388 consid. 5.1; 126 III 361 consid. 3a; arrêt du Tribunal fédéral 4A_488/2021 du 8 mars 2022 consid. 5.3.2).

La doctrine met en garde contre les mécanismes visant à éluder l'interdiction de contracter avec soi-même, notamment lorsque l'administrateur pris dans un conflit d'intérêts habilite un autre administrateur doté, comme lui, de la signature collective, à signer seul l'acte dans lequel il a un intérêt. En ce cas, l'acte doit être tenu pour nul (arrêt du Tribunal fédéral 4A_488/2021 du 8 mars 2022 consid. 5.3.4 et les références doctrinales citées).

La nullité d'un acte juridique en raison d'une double-représentation ou d'un contrat avec soi-même est une nullité relative. Il appartient donc à la partie protégée de faire valoir ce moyen (Fournier, in L'imputation de la connaissance - Etude de droit privé suisse, 2021 (Ed. Dubey/ Stöckli), p. 47-81, n. 167; Engel, Traité du droit des obligations en droit suisse, 1997, p. 415).

3.2 En l'espèce, le contrat de bail du 5 janvier 2018 prévoit que le loyer correspondant au premier trimestre était exigible au plus tard le 30 septembre 2018 (clause IV).

Par courrier du 21 mars 2018, E______ a autorisé, seul, en qualité d'administrateur de la bailleresse, le report de l'exigibilité du loyer dû par la société locataire dont il est économiquement partiellement propriétaire, étant rappelé qu'il est associé-gérant avec signature individuelle et propriétaire de la moitié de l'actionnariat de A______ SARL en faveur de laquelle l'acte a été conclu. De plus, il ressort du dossier que seul E______ intervenait pour A______ SARL, ses partenaires tels que l'association P______ n'ayant jamais entendu parler de F______, qui figure également comme gérant de A______ SARL au Registre du commerce. Dans ces circonstances, E______ est doublement partie à l'acte juridique litigieux, d'un côté comme représentant de la bailleresse et, de l'autre côté, au travers de la société A______ SARL qu'il dirige de manière effective et dont il est propriétaire.

Le fait que l'accord ait été adressé par E______ à la locataire, soit pour elle, son autre propriétaire (et associé-gérant), F______, demeure sans incidence et, au vu des circonstances telles que décrites ci-dessus, ne constituerait qu'une opération visant à éluder l'interdiction de contracter avec soi-même. Par ailleurs, cela pas d'effet sur l'existence du conflit d'intérêts dans lequel se trouvait E______. Il était placé entre les intérêts de la bailleresse à percevoir les loyers dus et ceux, opposés, de A______ SARL et, partant, ses propres intérêts, qui commandaient de reporter le paiement du loyer le plus longtemps possible.

Il y a ainsi lieu d'admettre, avec le Tribunal, qu'il s'agit d'un contrat conclu avec soi-même, en principe inadmissible selon la jurisprudence constante du Tribunal fédéral.

Quoi qu'en dise l'appelante, l'accord litigieux ne correspond pas à des conditions usuelles du marché dans la mesure où le délai de paiement accordé dépendait de travaux qui n'étaient ni acceptés - les parties divergeant sur le financement de ces travaux - ni même planifiés au moment de la signature de l'acte. Dit accord conduirait ainsi à priver la bailleresse de loyers pendant une période indéterminée, au profit de la locataire et, partant, de E______, ce qui paraît déraisonnable.

En l'absence de toute approbation ou ratification de l'accord du 21 mars 2018 par l'assemblée générale de la société bailleresse, ce qui n'est pas contesté, aucune des exceptions admises par la jurisprudence en la matière n'est en l'espèce réalisée.

Dès lors, la clause du 21 mars 2018 visant à prolonger l'échéance du loyer n'est pas valable et ne déploie pas d'effet juridique.

Le loyer de 100'000 fr. était donc dû au 30 septembre 2018, conformément au contrat de bail. A défaut de paiement à l'échéance du délai comminatoire, le congé donné pour ce motif est valable.

Ce grief est infondé et sera rejeté.

4. L'appelante soutient que le loyer n'était pas exigible en raison du fait que l'intimée n'avait pas pris toutes les mesures préparatoires pour mettre à disposition les locaux conformément au contrat. Aucun état des lieux d'entrée n'avait été effectué et elle n'avait jamais été en mesure d'exploiter les locaux. Elle ne pouvait dès lors être mise en demeure de payer le loyer.

4.1
4.1.1
En vertu de l'art. 253 CO, le bail à loyer est un contrat par lequel le bailleur s'oblige à céder l'usage d'une chose au locataire, moyennant un loyer.

L'art. 257 CO précise que le loyer est la rémunération due par le locataire au bailleur en contrepartie de la cession de l'usage de la chose. Cette disposition, qui complète l'art. 253 CO, rappelle la nature synallagmatique du contrat de bail (CPra Bail, 2ème éd. 2017 - Bieri, art. 257 n. 1).

4.1.2 Selon l'art. 256 al. 1 CO, le bailleur doit remettre et maintenir, tout au long du contrat, la chose louée dans un état approprié à l'usage convenu.

L'usage convenu se détermine prioritairement en fonction des termes du contrat de bail et de ses annexes. Le contrat peut prévoir la destination des locaux (Gebrauchszweck), qui sont affectés par exemple à l'habitation ou à des bureaux; il peut également spécifier les modalités de cet usage (Gebrauchsmodalitäten), à savoir la manière dont la chose louée doit être utilisée, comme par exemple l'intensité de l'usage. Si le bail ne précise pas clairement l'usage convenu, celui-ci doit être dégagé à partir des règles régissant l'interprétation des contrats (ATF 136 III 186 consid. 3.1.1 et les références citées; arrêt du Tribunal fédéral 4A_208/2015 du 12 février 2016 consid. 3.1 et références citées).

Tout ce qui s'écarte de l'état conforme à l'usage convenu constitue un défaut de la chose louée (art. 258 al. 1 CO; ATF 135 III 345 consid. 3.2; arrêt du Tribunal fédéral 4A_395/2017 du 11 octobre 2018 consid. 5.2 et les références citées).

4.1.3 Aux termes de l'art. 259g al. 1 CO, le locataire d'un immeuble qui exige la réparation d'un défaut doit fixer par écrit au bailleur un délai raisonnable à cet effet; il peut lui signifier qu'à défaut de réparation dans ce délai, il consignera auprès d'un office désigné par le canton les loyers à échoir. Le locataire avisera par écrit le bailleur de son intention de consigner les loyers. Les loyers consignés sont réputés payés (art. 259g al. 2 CO).

La consignation constitue une lex specialis par rapport à l'art. 82 CO (exception d'inexécution). Le locataire ne peut dès lors pas se prévaloir de l'art. 82 CO en cas de défaut. Il doit exiger la réparation et le cas échéant consigner le loyer s'il veut se mettre à l'abri d'une résiliation anticipée de son bail. S'il se limite à une déclaration de réduction du loyer et retient la quote-part correspondante, il s'expose selon les circonstances à un congé abrupt (Lachat/Bohnet, in Commentaire romand CO I, art. 253-529 CO, 3ème éd. 2021, n. 4b ad art. 259d CO; n. 2 ad art. 259g CO et les références citées).

4.2 En l'espèce, l'appelante prétend que la bailleresse aurait dû effectuer des travaux de remise en état et qu'à défaut elle n'a pas exécuté son obligation de remettre les locaux conformément au contrat.

Or, l'usage convenu de la chose louée se détermine en premier lieu selon le contrat de bail, lequel est, en l'espèce, clair à ce sujet. Il en ressort, de manière explicite et non équivoque, que l'appelante connaissait bien l'état des locaux et acceptait de les prendre en location "en l'état" en contrepartie du loyer convenu, à charge pour elle d'entreprendre des travaux d'aménagement (clause II du contrat). Il n'y est pas question d'une obligation d'effectuer de quelconques travaux à la charge de la bailleresse. Les allégations en ce sens de l'appelante ne reposent sur aucun élément concret du dossier, étant précisé que les déclarations faites en audience par les représentants de l'association P______ se fondent en définitive sur ces seules allégations de l'appelante puisqu'elle ne traitait qu'avec cette dernière.

De surcroît, même dans l'hypothèse où les locaux n'auraient pas été remis conformément à l'usage convenu, ils auraient été affectés d'un défaut, de sorte qu'il appartenait à l'appelante d'adresser un avis des défauts à l'intimée et de consigner le loyer, ce qu'elle n'a pas fait. La consignation du loyer au sens de l'art. 259g CO étant une lex specialis par rapport à l'exception d'inexécution de l'art. 82 CO, l'appelante ne peut se limiter à ne pas fournir sa contre prestation.

Infondé, le grief sera rejeté.

5. Au vu de ce qui précède, le jugement sera confirmé dans son intégralité.

6. A teneur de l'art. 22 al. 1 LaCC, il n'est pas prélevé de frais dans les causes soumises à la juridiction des baux et loyers (ATF 139 III 182 consid. 2.6).

* * * * *



PAR CES MOTIFS,
La Chambre des baux et loyers :

A la forme :

Déclare recevable l'appel interjeté le 1er février 2023 par A______ SARL contre le jugement JTBL/984/2022 rendu le 21 décembre 2022 par le Tribunal des baux et loyers dans la cause C/19464/2018.

Au fond :

Confirme ce jugement.

Dit que la procédure est gratuite.

Déboute les parties de toutes autres conclusions.

Siégeant :

Madame Nathalie LANDRY-BARTHE, présidente; Madame Sylvie DROIN et Monsieur Laurent RIEBEN, juges; Madame Laurence MIZRAHI et Monsieur Serge PATEK, juges assesseurs; Madame Maïté VALENTE, greffière.

La présidente :

Nathalie LANDRY-BARTHE

 

La greffière :

Maïté VALENTE

 

 

 

Indication des voies de recours :

 

Conformément aux art. 72 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification avec expédition complète (art. 100 al. 1 LTF) par-devant le Tribunal fédéral par la voie du recours en matière civile.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14.

 

Valeur litigieuse des conclusions pécuniaires au sens de la LTF supérieure ou égale à 15'000 fr.