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Décisions | Chambre des baux et loyers

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C/11349/2022

ACJC/352/2023 du 13.03.2023 sur JTBL/842/2022 ( SBL ) , CONFIRME

Normes : CPC.257; CO.266h
En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

C/11349/2022 ACJC/352/2023

ARRÊT

DE LA COUR DE JUSTICE

Chambre des baux et loyers

DU LUNDI 13 MARS 2023

 

Entre

1) Monsieur A______, domicilié ______,

2) Madame B______, domiciliée ______, appelants d'un jugement rendu par le Tribunal des baux et loyers le 3 novembre 2022, tous deux représentés par H______ SA, ______, en les bureaux de laquelle ils font élection de domicile,

et

Monsieur C______, Monsieur D______, Madame E______ et F______ SÀRL, sise ______, intimés, comparant par Me Oana STEHLE HALAUCESCU, avocate, rue de la Tour 2, 1205 Genève, en l'étude de laquelle ils font élection de domicile.

 


EN FAIT

A. Par jugement JTBL/842/2022 du 3 novembre 2022, le Tribunal des baux et loyers a déclaré irrecevable la requête en évacuation déposée par B______ et A______ contre C______ le 14 juin 2022 (ch. 1 du dispositif) débouté les parties de toutes autres conclusions (ch. 2) et dit que la procédure était gratuite (ch. 3).

B. a. Par acte expédié le 2 décembre 2022 à la Cour de justice, B______ et A______ ont formé appel contre ce jugement. Ils ont conclu à son annulation et, cela fait, à ce que C______, D______, E______ et F______ Sàrl, pris conjointement et solidairement, soient condamnés à évacuer immédiatement l'arcade qu'ils occupent au rez de l'immeuble sis route 1______ no. ______, ainsi que ses dépendances en les laissant en bon état de propreté et de réparation locative, à ce que l'exécution immédiate du jugement soit ordonnée et à ce qu'elle soit autorisée à faire exécuter le jugement par la force publique.

b. Dans leur réponse du 19 décembre 2022, C______, D______, E______ et F______ Sàrl ont conclu au rejet de l'appel et à la confirmation du jugement entrepris.

c. Les parties ont répliqué et dupliqué, persistant dans leurs conclusions respectives.

B______ et A______ ont soutenu que la réponse reposait essentiellement sur des faits nouveaux, irrecevables. C______, D______, E______ et F______ Sàrl ont relevé pour leur part que l'unique signataire de la réplique ne bénéficiait pas d'un pouvoir de signature individuelle.

d. Les parties ont été avisées le 2 février 2023 par la Cour de ce que la cause était gardée à juger.

C. Les faits pertinents suivants résultent de la procédure :

a. Le 31 décembre 2009, B______ et A______, bailleurs, et C______, locataire, ont conclu un contrat de bail à loyer portant sur la location de locaux commerciaux de 120 m2 environ sis no. ______, route 1______ à G______ [GE], et sur des places de parking extérieur et un emplacement sous la montée d'escalier. Ce bail a été conclu pour une durée de cinq ans, du 1er janvier 2010 au 31 décembre 2014, renouvelable de cinq ans en cinq ans. Le loyer était de 2'400 fr. par mois hors charges.

b. Un second contrat de bail à loyer débutant le 1er mai 2011, portant sur les locaux commerciaux susvisés ainsi que l'emplacement sous la montée d'escalier a été conclu le 31 mai 2011 entre les mêmes parties, les circonstances et la date de sa signature n'étant pas établies. Ce bail prévoit une durée de cinq ans, du 1er mai 2011 au 30 avril 2016, renouvelable de cinq ans en cinq ans. Le loyer est de 2'000 fr. par mois hors charges.

c. Il ressort du courrier de l'Office des faillites du 30 novembre 2021 que les locaux étaient occupés par des tiers, à savoir D______ et E______ en sous-location. B______ et A______ ont exposé qu'ils avaient autorisé le locataire à sous-louer les locaux à E______ et que par ailleurs la société F______ Sàrl, dont D______ est l'associé-gérant, avait son siège à l'adresse des locaux loués.

d.a Le 20 août 2020, les bailleurs ont résilié le bail pour défaut de paiement suite à un avis comminatoire du 10 juillet 2020. Cette résiliation a été contestée et fait l'objet d'une procédure pendante par devant le Tribunal des baux et loyers.

d.b Le 4 septembre 2020, les bailleurs ont résilié le bail de manière ordinaire pour le 30 avril 2021. Cette résiliation a été contestée et fait l'objet d'une procédure pendante par devant le Tribunal des baux et loyers.

e.a Le 26 août 2021, C______ a été déclaré en faillite par jugement du Tribunal de première instance.

e.b Le 4 novembre 2021, l'Office des faillites a informé les bailleurs que l'administration de la faillite n'entendait "ni entrer dans le bail ni fournir les sûretés prévues par l'article 266h al. 2 CO".

e.c Par courriers séparés du 24 novembre 2021, les bailleurs ont invité l'Office des faillites et C______ à fournir les sûretés prévues à l'article 266h al. 2 CO, soit 106'000 fr., dans un délai de 15 jours, la somme réclamée correspondant aux loyers de décembre 2021 jusqu'à la fin du bail, soit fin avril 2026. Les bailleurs ont précisé que les loyers étaient à jour à fin novembre 2021.

e.d Considérant que la somme susmentionnée n'avait pas été réglée, les bailleurs ont, par avis du 15 décembre 2021, résilié le bail de manière immédiate pour le 16 décembre 2021.

f. Par acte déposé le 14 juin 2022, dirigé contre C______, D______, E______ et F______ Sàrl, les bailleurs ont introduit action en évacuation devant le Tribunal et ont en outre sollicité l'exécution directe de l'évacuation. Ils ont notamment fait référence au contrat de bail conclu le 31 mai 2011 et exposé que leur requête se fondait sur le congé du 15 décembre 2021.

g. Lors de l'audience du 29 septembre 2022 devant le Tribunal, les bailleurs ont persisté dans leurs conclusions. Ils ont exposé que la demande de sûretés était fondée sur le contrat de 2011, lequel avait remplacé celui de 2009. La demande de sûretés se fondait ainsi sur un loyer de 2'000 fr. et non de 2'400 fr. comme prévu dans le contrat de 2009.

Le locataire a conclu à l'irrecevabilité de la requête. Il a soutenu que le cas n'était pas clair au motif que le contrat conclu entre les parties en 2009 était celui qui faisait foi, et non celui de 2011, cette question étant pendante devant le Tribunal des baux et loyers dans le cadre de la contestation du congé pour défaut de paiement et du congé ordinaire. Il a produit à cet égard des extraits de cette procédure, notamment des procès-verbaux dont il découle que selon lui, le contrat de 2011 n'aurait jamais lié les parties. Cette différence était importante dans le cadre de la présente cause car les baux ne prévoyaient notamment pas les mêmes échéances.

A l'issue de l'audience, la cause a été gardée à juger.

h. Dans son jugement du 3 novembre 2022, le Tribunal a considéré qu'il était établi que le locataire était tombé en faillite et que les bailleurs lui avaient demandé, ainsi qu'à l'Office des faillites, de fournir des sûretés pour les loyers à échoir. La situation n'était cependant pas claire, ni factuellement ni juridiquement. Factuellement, il faudrait déterminer quel était le contrat applicable, ce qui nécessitait l'administration de preuves (actuellement diligentées par le Tribunal dans les contestations de congé). Cette question était pertinente dans la mesure où elle déterminait le montant que les bailleurs étaient autorisés à réclamer au locataire à titre de sûretés. S'il s'avérait que le bail de 2009 était applicable, les bailleurs pouvaient réclamer 88'800 fr. (37 loyers à 2'400 fr., du 1er décembre 2021 au 31 décembre 2024), alors que selon le second contrat, ils pouvaient réclamer 106'000 fr. (53 loyers à 2'000 fr., du 1er décembre 2021 au 30 avril 2026). Juridiquement, si le contrat de 2009 était applicable, il faudrait déterminer l'impact d'une demande de sûretés portant sur un montant trop élevé sur la validité du congé. Ces questions n'étaient pas compatibles avec l'application de la procédure en cas clair. La requête devait donc être déclarée irrecevable.

EN DROIT

1. 1.1 La voie de l'appel est ouverte contre les décisions d'évacuation, lorsque la valeur litigieuse est supérieure à 10'000 fr. (art. 308 al. 2 CPC).

Pour calculer la valeur litigieuse dans les actions en expulsion initiées selon la procédure de l'art. 257 CPC, il faut distinguer les cas où seule est litigieuse l'expulsion en tant que telle, de ceux où la résiliation l'est également à titre de question préjudicielle. S'il ne s'agit que de la question de l'expulsion, l'intérêt économique des parties réside dans la valeur que représente l'usage des locaux pendant la période de prolongation résultant de la procédure sommaire elle-même, laquelle est estimée à six mois. Si en revanche la résiliation des rapports de bail est également contestée, la valeur litigieuse est égale au loyer pour la période minimale pendant laquelle le contrat subsiste si la résiliation n'est pas valable, période qui s'étend jusqu'à la date pour laquelle une nouvelle résiliation peut être signifiée; comme il faut prendre en considération la période de protection de trois ans prévue à l'art. 271a al. 1 let. e CO, la valeur litigieuse correspondra en principe au montant du loyer brut (charges et frais accessoires compris) pendant trois ans (ATF 144 III 346 consid. 1.2.1 et 1.2.2.3 - JdT 2019 II 235 pp. 236 et 239; arrêt du Tribunal fédéral 4A_376/2021 du 7 janvier 2022 consid.1; Lachat, Procédure civile en matière de baux et loyers, Lausanne 2019, pp. 69-70).

En l'espèce, le locataire remet en cause la validité du congé. Eu égard au montant du loyer, la valeur litigieuse est supérieure à 10'000 fr., de sorte que la voie de l'appel est ouverte.

1.2 L'appel a été interjeté dans le délai et la forme prescrits par la loi (art. 130, 131 CPC). Il est ainsi recevable.

Au vu des considérations qui suivent, point n'est besoin d'examiner la recevabilité de la réplique et de la duplique.

1.3 L'appel peut être formé pour violation du droit (art. 310 let. a CPC) et constatation inexacte des faits (art. 310 let. b CPC). L'instance d'appel dispose ainsi d'un plein pouvoir d'examen de la cause en fait et en droit; en particulier, le juge d'appel contrôle librement l'appréciation des preuves effectuée par le juge de première instance (art. 157 CPC en relation avec l'art. 310 let. b CPC) et vérifie si celui-ci pouvait admettre les faits qu'il a retenus (ATF 138 III 374 consid. 4.3.1).

2. Les appelants soutiennent en particulier que le bail de 2011 serait applicable, lequel était plus favorable pour le locataire, qui avait d'ailleurs versé le loyer prévu par ce contrat. Le locataire n'avait en tout état de cause pas versé le montant de 88'000 fr. à titre de sûretés. Il n'était par ailleurs pas contesté que les autres intimés étaient sous-locataires. Le cas était donc clair.

2.1 La procédure de protection dans les cas clairs prévue par l'art. 257 CPC permet à la partie demanderesse d'obtenir rapidement une décision ayant l'autorité de la chose jugée et la force exécutoire, lorsque la situation de fait et de droit n'est pas équivoque (ATF 141 III 23 consid. 3.2 et la référence citée). En vertu de l'art. 257 al. 1 CPC, le tribunal admet l'application de la procédure sommaire lorsque l'état de fait n'est pas litigieux ou est susceptible d'être immédiatement prouvé (let. a) et que la situation juridique est claire (let. b). Le tribunal n'entre pas en matière sur la requête lorsque cette procédure ne peut pas être appliquée (art. 257 al. 3 CPC).

2.1.1 Selon la jurisprudence, l'état de fait n'est pas litigieux lorsqu'il n'est pas contesté par le défendeur. Il est susceptible d'être immédiatement prouvé lorsque les faits peuvent être établis sans retard et sans trop de frais.

Si le défendeur fait valoir des objections et exceptions motivées et concluantes, qui ne peuvent être écartées immédiatement et qui sont de nature à ébranler la conviction du juge, la procédure du cas clair est irrecevable (ATF 144 III 462 consid. 3.1; 141 III 23 consid. 3.2; 138 III 620 consid. 5.1.1 et les arrêts cités). Il faut alors et il suffit qu'elle parvienne à ébranler la conviction du juge quant au bien-fondé de la requête (arrêt du Tribunal fédéral 4A_142/2020 du 3 septembre 2020 consid. 3.1). A l'inverse, le cas clair doit être retenu lorsque sont émises des objections manifestement mal fondées ou inconsistantes sur lesquelles il peut être statué immédiatement (ATF 138 III 620 consid. 5.1.1; arrêt 4A_350/2014 du 16 septembre 2014 consid. 2.1).

La situation juridique est claire lorsque l'application de la norme au cas concret s'impose de façon évidente au regard du texte légal ou sur la base d'une doctrine et d'une jurisprudence éprouvées (ATF 144 III 462 consid. 3.1 et les arrêts cités). En règle générale, la situation juridique n'est pas claire si l'application d'une norme nécessite l'exercice d'un certain pouvoir d'appréciation de la part du juge ou que celui-ci doit rendre une décision en équité, en tenant compte des circonstances concrètes de l'espèce (ATF 144 III 462 consid. 3.1; 141 III 23 consid. 3.2; 138 III 123 consid. 2.1.2; arrêt du Tribunal fédéral 4A_273/2012 du 30 octobre 2012 consid. 5.1.2, non publié in ATF 138 III 620).

2.1.2 Une requête en expulsion d'un locataire selon la procédure sommaire pour les cas clairs est admissible même lorsque le locataire a contesté en justice le congé donné par le bailleur et que cette procédure est pendante. Dans une telle situation, il appartient au juge saisi de la requête d'expulsion d'examiner à titre préjudiciel la validité de la résiliation du bail. Si cette dernière est claire au sens de l'art. 257 CPC, il peut procéder (ATF 144 III 462 consid. 3.3.1; 141 III 262 consid. 3; arrêt du Tribunal fédéral 4A_422/2020 précité consid. 4.3 et les références citées).

2.1.3 Selon l'art. 266h CO, en cas de faillite du locataire après la délivrance de la chose, le bailleur peut exiger que des sûretés lui soient fournies pour les loyers à échoir; à cet effet, il s’adresse par écrit au locataire et à l’administration de la faillite en leur fixant un délai convenable (al. 1); si ces sûretés ne lui sont pas fournies dans ce délai, le bailleur peut résilier le contrat avec effet immédiat (al. 2).

2.2 En l'espèce, il apparaît que deux contrats de bail ont vraisemblablement été signés par les intimés et le locataire, lesquels prévoient des clauses différentes. Comme le Tribunal le relève, il en résulte que le montant des sûretés réclamées n'est pas le même selon que l'un ou l'autre des contrats est applicable. Le locataire n'a certes rien versé, de sorte que le fait que ledit montant s'élève soit à 88'000 fr. soit à 106'000 fr. selon le contrat considéré n'est a priori pas déterminant; il n'en demeure pas moins que, comme le relève le Tribunal, se pose la question de l'impact sur la validité du congé, de l'absence de versement de sûretés, arrêtés par hypothèse à un montant trop élevé.

Les appelants fondent en outre leur requête sur la résiliation du bail pour défaut de versement des sûretés réclamées sur la base de l'art. 266h CO. De telles sûretés peuvent cependant être réclamées si le locataire tombe en faillite en cours de bail. Or, en l'espèce, le bail avait déjà été résilié à la date de la faillite du locataire. Déterminer si des sûretés pouvaient en l'occurrence être exigées n'est pas d'emblée évident, pas plus que déterminer si, par conséquent, le bail pouvait être résilié pour défaut de versements desdites sûretés et l'évacuation requise pour ce motif.

Enfin, le titre auquel les autres parties à la procédure que le locataire occupent les locaux loués, en particulier D______ et F______ Sàrl, n'est pas clair non plus, étant relevé que selon la requête en évacuation, seule la sous-location à E______ a été autorisée par les appelants.

Au vu de ce qui précède la situation tant de fait que de droit ne peut être qualifiée de prouvée ou non litigieuse respectivement claire. C'est dès lors à bon droit que le Tribunal a déclaré irrecevable la requête en évacuation déposée par les appelants. Le jugement attaqué sera confirmé.

3. A teneur de l'art. 22 al. 1 LaCC, il n'est pas prélevé de frais dans les causes soumises à la juridiction des baux et loyers (ATF 139 III 182 consid. 2.6).

* * * * *



PAR CES MOTIFS,
La Chambre des baux et loyers :

A la forme :

Déclare recevable l'appel interjeté le 2 décembre 2022 par B______ et A______ contre le jugement JTBL/842/2022 rendu le 3 novembre 2022 par le Tribunal des baux et loyers dans la cause C/11349/2022.

Au fond :

Confirme ce jugement.

Dit que la procédure est gratuite.

Déboute les parties de toutes autres conclusions.

Siégeant :

Madame Nathalie LANDRY-BARTHE, présidente; Madame Sylvie DROIN, Monsieur Laurent RIEBEN, juges; Madame Maïté VALENTE, greffière.

 

La présidente :

Nathalie LANDRY-BARTHE

 

La greffière :

Maïté VALENTE

 

 

 

 

Indication des voies de recours :

 

Conformément aux art. 72 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification avec expédition complète (art. 100 al. 1 LTF) par-devant le Tribunal fédéral par la voie du recours en matière civile.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14.

 

Valeur litigieuse des conclusions pécuniaires au sens de la LTF supérieure ou égale à 15'000 fr.