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Décisions | Chambre des baux et loyers

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C/19588/2019

ACJC/1330/2022 du 10.10.2022 sur JTBL/1065/2021 ( OBL ) , JUGE

Normes : CO.269d; OBLF.19; CO.269a; OBLF.14
En fait
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

C/19588/2019 ACJC/1330/2022

ARRÊT

DE LA COUR DE JUSTICE

Chambre des baux et loyers

du LUNDI 10 OCTOBRE 2022

 

Entre

Madame A______, domiciliée ______[GE], appelante d'un jugement rendu par le Tribunal des baux et loyers le 20 décembre 2021, représentée par l'ASLOCA, rue du Lac 12, case postale 6150, 1211 Genève 6, en les bureaux de laquelle elle fait élection de domicile,

et

B______ SA, sise ______[ZH], intimée, comparant d'abord par Me Jacques BERTA, avocat, puis par Me Emmanuelle GUIGUET-BERTHOUZOZ, avocate, rue du Général-Dufour 11, 1204 Genève, en l'étude de laquelle elle fait élection de domicile.

 

 


EN FAIT

A. Par jugement JTBL/1065/2021 du 20 décembre 2021, communiqué aux parties par pli du 22 décembre 2021, le Tribunal des baux et loyers a fixé à 15'195 fr., charges non comprises, dès le 1er décembre 2019, le loyer annuel de l'appartement de quatre pièces loué par A______ au rez-de-chaussée de l'immeuble sis rue 1______ 23 à Genève (ch. 1 du dispositif), a débouté les parties de toutes autres conclusions (ch. 2) et a dit que la procédure était gratuite (ch. 3).

B. a. Par acte expédié le 31 janvier 2022 au greffe de la Cour de justice, A______ (ci-après également : la locataire) forme appel contre ce jugement, dont elle sollicite l'annulation.

Elle conclut à la fixation à 12'455 fr. par an du montant du loyer, charges non comprises, dès le 1er décembre 2019.

b. Dans sa réponse du 4 mars 2022, B______ SA (ci-après également : la bailleresse) conclut au rejet de l'appel et à la confirmation du jugement entrepris.

c. A______ n'ayant pas répliqué, les parties ont été avisées le 14 avril 2022 par le greffe de la Cour de ce que la cause était gardée à juger.

C. Il résulte du dossier les faits pertinents suivants :

a. B______ SA est propriétaire de quatre immeubles sis rue 1______ 23 à 29 à Genève, construits entre 1978 et 1980 et composés de 113 appartements (485 pièces), représentant une surface totale de 8'896 m2.

b. Depuis le 22 janvier 1997, A______ est locataire d'un appartement de quatre pièces, d'une superficie d'environ 82 m2, au rez-de-chaussée de l'immeuble sis rue 1______ 23.

Le bail a été conclu pour une durée indéterminée, dès le 1er mars 1997, résiliable pour la fin d'un mois - 31 décembre excepté -, moyennant un préavis de 3 mois.

Le loyer annuel a été fixé à 10'188 fr., charges en 1'260 fr. et frais accessoires en 2'880 fr. en sus, dès le 1er mai 2011, le taux hypothécaire se situant à 2,75% et l'Indice suisse des prix à la consommation (ci-après : ISPC) à 161,0 points.

c. L'état locatif annuel des immeubles n° 23 à 29 rue 1______ s'élevait à 1'508'184 fr. au 1er septembre 2014.

d. Par courrier du 2 septembre 2014, la bailleresse a informé la locataire qu'elle allait entreprendre des travaux dans l'immeuble, afin d'améliorer le bilan énergétique et le confort des locataires. Les travaux devaient porter sur le remplacement des fenêtres, des stores et des tentes solaires, des isolations complémentaires, ainsi que sur l'assainissement des façades et des toitures. Dans les appartements, la bailleresse allait procéder à la réfection complète des installations sanitaires, de la ventilation des salles de bains, des WC et des cuisines.

e. Le 20 novembre 2015, l'Office des autorisations de construire a délivré à la bailleresse une autorisation de construire 2______. L'instance LDTR a émis un préavis favorable pour autant que le loyer des appartements n'excède pas, après travaux, 1'915'386 fr. l'an, pour une durée de cinq ans à dater de la remise en location après la fin des travaux.

f. Le 24 novembre 2015, la bailleresse a organisé une séance visant à informer les locataires des immeubles sis rue 1______ 23 à 29. Un document énumérant les travaux qui seraient réalisés a été présenté aux locataires par rétroprojection. Les intervenants ont expliqué le projet aux locataires, soit la durée du chantier, son impact sur les locataires et les adaptations de loyer après les travaux. Les locataires ont pu poser des questions.

g. Par courrier du 4 décembre 2015, la bailleresse a informé la locataire du déroulement des travaux et précisé que le loyer mensuel net ne pourrait pas excéder 1'255 fr. pendant la période de blocage des loyers après travaux, sous réserve du décompte final.

h. Les travaux ont débuté à mi-janvier 2016 et se sont terminés à la fin de l'année 2017 pour un coût total de 20'105'908 fr. 63 TTC pour les quatre immeubles selon le décompte final établi par C______ SA le 27 décembre 2018.

i. Par avis de majoration du 24 juillet 2019, la bailleresse a porté le loyer annuel de l'appartement de la locataire de 10'188 fr. à 15'192 fr., charges et frais accessoires non compris, dès le 1er décembre 2019.

L'avis de majoration était motivé comme suit :

« Ajustement taux de référence de 2,75% du 02.12.2010 à 1,5% du 04.06.2019 CHF -110.70 / Compensation renchérissement de 161.0 pt au 30.11.2010 à 160.9 pt au 30.06.2019 CHF -0.20 / Augmentation générale des coûts du 31.12.2009 compensée jusqu'au 31.12.2018 CHF 76.40.

Travaux à plus-value selon l'article 269 a) CO + autorisation D.U. du 05.11.2015 n° APA 3______. Appartement : remplacement : cuisine / salle de bain / WC / conduites sanitaires et ventilation / portes palières / peintures (améliorations phoniques et sécuritaires) / tableaux électriques (augmentation de l'ampérage) : installation : électroménager dans la cuisine Immeuble : remplacement des vitrages et des stores, pose de panneaux solaires CHF 452.-. »

j. Pour calculer la hausse de loyer, la bailleresse a déduit du coût des travaux de 20'105'908 fr. 63 les postes suivants, ramenant à 19'508'899 fr. le coût total des travaux considérés : l'assurance pour les travaux en cours en 10'742 fr. 60
(CFC 4______), les honoraires de D______ en 530'200 fr. (CFC 5______), les dédommagements accordés au concierge en 4'170 fr. (CFC 4562.3), le bouquet de chantier en 33'897 fr. (CFC 6______) et la mise en valeur / mise sur le marché en 18'000 fr. (CFC 7______).

k. Par requête du 28 août 2019, déclarée non conciliée à l'audience du 4 février 2020 devant la Commission de conciliation en matière de baux et loyers, la locataire a contesté la hausse de loyer.

l. Par requête en validation de la hausse de loyer déposée le 4 mars 2020 devant le Tribunal, la bailleresse a conclu à la fixation du loyer annuel de l'appartement à 15'192 fr., charges non comprises, dès le 1er décembre 2019.

Elle a produit un tableau établi par elle-même, intitulé « répercussion du coût des travaux sur les loyers », et exposé que le coût des travaux en 19'508'899 fr. se composait des travaux standards en 16'421'671 fr. 50, des travaux énergétiques purs en 1'319'925 fr., de la part perdue des travaux énergétiques en 1'549'675 fr. et des indemnités locataires en 217'627 fr. 50.

Ce tableau mentionne comme frais « divers » 418 fr. relatifs à la location d'une camionnette (n° 8______), 412 fr. facturés par E______ et les SIG (n° 9______), 60'741 fr. pour la location de toilettes (n° 10______), 2'946 fr. concernant des honoraires d'ingénieurs en substances toxiques (n° 11______), 8'244 fr. facturés par F______ et G______ SA (n° 12______) et 148'388 fr. concernant la gestion des déchets (n° 13______).

m. Dans sa réponse du 24 août 2020, la locataire a conclu à ce que la bailleresse soit déboutée de toutes ses conclusions en augmentation de loyer.

Elle a soutenu que seuls les travaux expressément mentionnés dans l'avis de majoration pouvaient être pris en considération pour déterminer la hausse de loyer possible. Elle a contesté que le loyer soit adapté du fait de la hausse des charges d'exploitation.

n. Lors de l'audience du 9 février 2021 devant le Tribunal, H______, responsable de la gestion de l'immeuble concerné au sein de la régie, a déclaré que les travaux énergétiques avaient été répercutés à 100% sur les loyers et les travaux standards à 70% avec une durée d'amortissement de 20 ans.

A l'issue de l'audience des débats du 29 juin 2021, la locataire a persisté à solliciter une inspection locale. La bailleresse s'en est rapportée à justice.

o. Par ordonnance de preuves complémentaires du 1er juillet 2021, le Tribunal a rejeté, par appréciation anticipée des preuves, la demande d'inspection locale de la locataire et a clos les débats principaux.

p. Les parties ont persisté dans leurs conclusions à l'audience de plaidoiries finales du 19 octobre 2021 et la cause a été gardée à juger à l'issue de l'audience.

EN DROIT

1.             1.1 L'appel est recevable contre les décisions finales et les décisions incidentes de première instance (art. 308 al. 1 let. a CPC). Dans les affaires patrimoniales, l'appel est recevable si la valeur litigieuse au dernier état des conclusions est de 10'000 fr. au moins (art. 308 al. 2 CPC).

Selon la jurisprudence constante du Tribunal fédéral, les contestations portant sur l'usage d'une chose louée sont de nature pécuniaire (arrêt du Tribunal fédéral 4A_388/2016 du 15 mars 2017 consid. 1).

La valeur litigieuse est déterminée par les conclusions restées litigieuses devant l'autorité précédente (art. 91 al. 1 CPC); si la durée de prestations périodiques est indéterminée, le montant annuel est multiplié par vingt (art. 92 al. 2 CPC). La valeur litigieuse correspond à la différence entre l'augmentation proposée et le montant accepté par le locataire par mois, annualisée et capitalisée sur vingt ans (arrêt du Tribunal fédéral 4A_484/2011 du 2 novembre 2011 consid. 1).

1.2 En l'espèce, la valeur litigieuse s'élève à 54'800 fr. ((15'195 fr. – 12'455 fr.) x 20 ans). Elle est donc supérieure à 10'000 fr.

La voie de l'appel est ainsi ouverte.

1.3 Selon l'art. 311 al. 1 et 2 CPC, l'appel, écrit et motivé, est introduit auprès de l'instance d'appel dans les 30 jours à compter de la notification de la décision, laquelle doit être jointe au dossier.

L'appel a été interjeté dans les délais et suivant la forme prescrits par la loi (art. 130, 131, 145 al. 1 let. c et 311 al. 1 CPC). Il est ainsi recevable.

1.4 La Cour revoit la cause avec un plein pouvoir d'examen (art. 310 CPC; Hohl, Procédure civile, tome II, 2ème éd., 2010, n. 2314 et 2416; Rétornaz in : Procédure civile suisse, Les grands thèmes pour les praticiens, Neuchâtel, 2010, p. 349 ss, n. 121).

2. L'appelante fait grief au Tribunal d'avoir violé les art. 269d CO et 19 al. 1 let. a ch. 4 OBLF, en retenant la totalité des travaux pour calculer l'augmentation de loyer et pas seulement les travaux énoncés expressément dans la formule officielle.

2.1 Selon l'art. 269d al. 1 CO, le bailleur peut en tout temps majorer le loyer pour le prochain terme de résiliation. L'avis de majoration du loyer, avec indication des motifs, doit parvenir au locataire dix jours au moins avant le début du délai de résiliation et être effectué au moyen d'une formule agréée par le canton.

La majoration de loyer est nulle lorsqu'elle n'est pas notifiée au moyen de la formule officielle, que les motifs ne sont pas indiqués ou qu'elle est assortie d'une résiliation ou d'une menace de résiliation (art. 269d al. 2 CO).

L'art. 19 OBLF exige que la formule destinée à communiquer au locataire la hausse de loyer contienne le montant de l'ancien loyer et l'ancien état des charges (al. 1 let. a ch. 1), le montant du nouveau loyer et le nouvel état des charges (al. 1 let. a ch. 2), la date d'entrée en vigueur de la hausse (al. 1 let. a ch. 3), les motifs précis de la hausse; lorsque la hausse repose sur plusieurs motifs, les montants correspondant à chacun d'entre eux sont à détailler (al. 1 let. a ch. 4), les conditions légales dans lesquelles le locataire peut contester le bien-fondé de la prétention (al. 1 let. c ch. 1) ainsi que la liste des autorités de conciliation existant dans le canton et leur compétence à raison du lieu (al. 1 let. c ch. 2).

Pour des travaux à plus-value, le Tribunal fédéral a admis que la motivation « assainissement des façades et des toits plats » était suffisante; eu égard à d'autres circonstances connues du locataire - en particulier deux courriers d'information - cette motivation se référait également à l'assainissement de l'enveloppe du bâtiment, y compris les travaux d'isolation thermique qui en découlaient (changement des fenêtres, stores, marquises et rebords de fenêtres) qui n'étaient pas mentionnés en tant que tels dans la formule (arrêt du Tribunal fédéral 4C.328/2005 du 9 décembre 2005 consid. 2.3 et 2.4). Il a également considéré que la motivation « Investissement à plus-value suite à une rénovation totale » était suffisante, car selon le principe de la confiance le locataire pouvait clairement savoir au vu des circonstances quels travaux la hausse de loyer litigieuse était destinée à compenser (ATF 142 III 375 consid. 3.3.1 = JdT 2019 II 358).

2.2 En l'espèce, les premiers juges ont retenu que l'avis de majoration indiquait le motif de la hausse de loyer, soit des travaux à plus-value au sens de
l'art. 269a CO, dont les principaux étaient expressément énumérés sur l'avis.

En raison du fait que l'appelante avait eu la possibilité d'assister à une séance d'information et qu'elle avait reçu deux courriers d'information sur les travaux à réaliser et le montant maximum du loyer après travaux sous réserve du décompte final, ils ont considéré que l'avis de majoration remplissait les exigences de motivation sur l'ensemble des travaux concernés.

La position du Tribunal sur ce point ne prête pas le flanc à la critique. Les courriers susmentionnés et ladite séance d'information, lors de laquelle l'appelante a eu la possibilité de poser des questions, doivent effectivement être pris en considération dans le cas d'espèce pour déterminer la nature et l'étendue des travaux. Les indications figurant dans l'avis de majoration permettaient par ailleurs à l'appelante d'apprécier la nature et l'ampleur des travaux de manière suffisamment précise.

La totalité des travaux retenus par le Tribunal doit être prise en considération pour calculer la hausse possible du loyer de l'appelante en raison des travaux, de sorte que l'appel est infondé sur ce point.

3. L'appelante fait grief aux premiers juges d'avoir mal apprécié les faits et violé l'art. 269a let. b CO, en retenant dans le calcul de la hausse du loyer les différentes rubriques intitulées « Divers » en raison de l'imprécision de ce terme.

3.1 Sont réputées prestations supplémentaires du bailleur au sens de l'art. 269a let. b CO les investissements qui aboutissent à des améliorations créant des plus-values, l'agrandissement de la chose louée ainsi que les prestations accessoires supplémentaires. En règle générale, les frais causés par d'importantes réparations sont considérés, à raison de 50 à 70%, comme des investissements créant des plus-values (art. 14 al. 1 OBLF).

Seules les « importantes rénovations » sont visées par l'art. 14 al. 1 in fine OBLF. Il doit s'agir de travaux extraordinaires, dépassant manifestement l'entretien normal, concernant simultanément plusieurs parties essentielles de l'immeuble et d'un coût élevé (au regard de l'état locatif) (ATF 118 II 415 consid. 3a). Les travaux qui ne correspondent qu'à l'entretien différé, et ne comportent aucun élément de plus-value ne peuvent pas être considérés comme de « grandes réparations »; à ce titre, ils ne justifient aucune majoration de loyer (ACJC/1545/2015 du 14 décembre 2015).

3.2 En l'espèce, les premiers juges ont retenu à raison tous les frais compris dans les postes « Divers » pris en compte par l'intimée dans le calcul de la hausse du loyer.

La procédure a permis d'établir que ces frais se rapportent à la gestion des déchets, aux honoraires d'ingénieurs en substances toxiques, à la location d'une camionnette et de toilettes et aux frais facturés par F______, G______ SA, E______ et les SIG.

A l'instar du Tribunal, il y a lieu de retenir que ces frais, considérés à 50%, sont inhérents à des grandes réparations au sens de l'art. 14 al. 1 in fine OBLF, même si tous les postes des factures ne renvoient pas forcément à des installations à plus-value, de sorte qu'ils ne sauraient être retranchés.

Au vu de ce qui précède, ce grief de l'appelante sera rejeté.

4. L'appelante fait grief au Tribunal d'avoir violé l'art. 269a let. b CO en lien avec l'intérêt du capital, ayant retenu le taux hypothécaire concerné majoré de 2% au lieu de 0,5%.

4.1 Aux termes de l'art. 14 al. 4 OBLF, les hausses de loyer fondées sur des investissements créant des plus-values et sur des améliorations énergétiques sont réputées non abusives lorsqu'elles ne servent qu'à couvrir équitablement les frais d'intérêts, d'amortissement et d'entretien résultant de l'investissement.

Le juge fera notamment appel à l'expérience de la vie pour fixer tant la durée d'amortissement que le taux d'intérêt (ATF 118 II 415 consid. 3c).

Selon une jurisprudence établie du Tribunal fédéral, le taux de rendement admissible était, en règle générale, égal à l'intérêt hypothécaire de premier rang majoré de 1/2% (ATF 118 II 415 consid. 3c/aa et les références citées, voir également ATF 141 III 245 consid. 6.5). Ce même taux d'intérêt était applicable au taux de rendement admissible suite à des travaux à plus-value (ATF 118 II 415 consid. 3c/aa; CONOD, Rendement net art. 269 CO; réévaluation des fonds propres; taux de rendement des fonds propres; arrêt du Tribunal fédéral 4A_554/2019; Newsletter Bail.ch décembre 2020, p. 7).

Dans le cadre d'un revirement de jurisprudence relatif à la fixation d'un loyer initial, le Tribunal fédéral a estimé que le taux de rendement des fonds propres admissible était équivalent au taux hypothécaire de référence augmenté de 2% (ATF 147 III 14 consid. 8.4), dans la mesure où et jusqu'à ce que le taux hypothécaire ne dépasse pas 2%.

La jurisprudence ne précise pas si la nouvelle règle énoncée serait également applicable au calcul du rendement admissible dans le cadre de travaux à plus-value évoqués précédemment (ATF 147 III 14 consid. 8.4). La doctrine est partagée sur la question : Conod considère qu'aucune raison ne justifie l'existence de taux de rendement admissibles différents dans le cadre de calculs de rendement net et de travaux à plus-value (CONOD, op. cit., p. 7). STASTNY et MIETRECHTSPRAXIS considèrent que le taux majoré de 2% déterminé par le Tribunal fédéral dans un cas particulier ne peut s'appliquer aux prestations supplémentaires du bailleur. En effet, une longue période d'amortissement doit être prise en compte et, en cas de baisse du taux de référence, par exemple si le taux hypothécaire atteint 2%, aucun mécanisme ne permettrait une réadaptation du taux, fixé par une jurisprudence rendue dans un cas particulier et en lien avec un contexte défini (Mietrechtspraxis / mp / flash, 7/2020, p. 3; STASTNY, in Plaidoyer 1/2021, p. 26 s.). De plus, les montants visés par l'ATF 147 III 14 consistent en des fonds propres, ce qui n'est pas forcément le cas de ceux finançant les prestations supplémentaires du bailleur (STASTNY, op. cit., p. 26 s.). Enfin, LACHAT et BOHNET retiennent le taux hypothécaire du marché majoré de 0.5%, mais soulèvent la question d'une majoration à 2% lorsque le taux hypothécaire de référence est inférieur à 2% (LACHAT/BOHNET, CR CO I- n. 13 ad art. 269a CO, note 52).

Il sied de noter que le Tribunal fédéral a précisé que le montant des fonds propres composant les coûts d'investissement (coûts de revient) peut varier avec le temps. Ce poste, qui inclut le prix d'acquisition de l'immeuble, augmente lorsque le bailleur finance lui-même des travaux à plus-value (ATF 141 III 245 consid. 6.5; 123 III 171 consid. 6a; 122 III 257 consid. 3a).

La jurisprudence relative au taux applicable et que le Tribunal fédéral a modifiée datait de 1986 (ATF 112 II 149). Il s'agissait alors de déterminer quel était le rendement admissible au regard des seuls fonds propres investis dans l'immeuble par le propriétaire. Le Tribunal fédéral avait retenu qu'il convenait que le loyer fixé couvre les charges et procure un rendement convenable au capital propre investi, le rendement net de ce capital ne devant pas se révéler excessif (ATF 112 II 149 consid. 2a et les références citées). La logique en était que le taux admissible corresponde au revenu de placements de capitaux comparables à l'investissement immobilier, une faible majoration pouvant être admise au regard du caractère de la législation, celle-ci se limitant à sanctionner les abus (ATF 112 II 149 consid. 2b et les références citées).

La jurisprudence déterminant le taux applicable en matière de prestations supplémentaires du bailleur est postérieure à celle qui précède (ATF 118 II 415) et se fonde notamment sur deux arrêts (ATF 111 II 383110 II 410), antérieurs à la jurisprudence relative au rendement admissible des fonds propres, sans aucune référence à l'arrêt ATF 112 II 149. De même, l'arrêt ATF 147 III 14 ne se réfère pas aux jurisprudences relatives aux prestations supplémentaires du bailleur (ATF 118 II 415111 II 383110 II 410). Ces éléments permettent de penser que les raisonnements diffèrent selon qu'il s'agisse du rendement des fonds propres ou des prestations supplémentaires du bailleur, bien que le taux admis ait été jusqu'ici identique dans les deux situations. En d'autres termes, l'unicité du taux appliqué précédemment dans diverses situations ne signifie pas, comme cela ressort de ce qui précède, que la logique et les motifs déterminant ledit taux sont identiques. Dans cette optique, l'arrêt ATF 147 III 14 ne pouvait pas avoir vocation à émettre une règle générale s'appliquant à l'ensemble des taux admissibles, mais uniquement au rendement admissible en matière de fonds propres dans le cadre de la fixation du loyer. En l'absence d'une volonté claire du Tribunal fédéral de modifier le taux applicable dans d'autres situations, il convient de considérer que le revirement de jurisprudence du 26 octobre 2020 (ATF 147 III 14) ne porte que sur la question du rendement admissible des fonds propres.

Au surplus, les arguments à l'appui de cette position avancés par la doctrine et détaillés précédemment emportent la conviction. En effet, outre l'absence de motifs à une interprétation par principe extensive de la nouvelle jurisprudence du Tribunal fédéral, l'absence de clarté quant aux fonds visés (fonds propres ou non) ou encore l'existence d'une longue période d'amortissement possible comme c'est le cas des prestations supplémentaires du bailleur plaident pour l'application des jurisprudences topiques qui n'ont pas été remises en cause.

Il convient donc d'appliquer ce taux en vigueur majoré de 0,5% (ACJC/34/2022 du 17 janvier 2022 consid. 3).

4.2 En l'espèce, c'est à tort que le Tribunal a majoré le taux d'intérêt hypothécaire en vigueur au moment de la notification de la hausse de loyer de 2%. La majoration à appliquer devait s'élever à 0,5% conformément à la jurisprudence rappelée ci-avant. Le jugement entrepris sera modifié sur ce point.

Le calcul de la hausse, qui peut être répercutée sur le loyer de l'appelante, sera calculé ci-après sur la base d'un taux d'intérêt hypothécaire en vigueur au moment de la notification de 1,5% majoré de 0,5%, soit 2% au total (infra consid. 7).

5. L'appelante reproche aux premiers juges d'avoir compensé la hausse annuelle résultant des travaux à plus-value avec la baisse mensuelle, et non annuelle, de loyer à considérer sur la base de la baisse du taux hypothécaire.

5.1 Le Conseil fédéral a décrété qu'une variation à la hausse ou à la baisse du taux d'intérêt hypothécaire donne droit, en règle générale, à une modification du loyer (art. 13 al. 1 OBLF; LACHAT, Le bail à loyer, Lausanne 2019, p. 587s).

5.2 En l'espèce, le Tribunal a retenu un montant mensuel de 110 fr. 70 relatif à la baisse du taux hypothécaire visant à compenser le montant de la hausse des travaux à plus-value, sans l'annualiser. Le grief de l'appelante est donc fondé et c'est un montant annuel corrigé de 1'328 fr. 40 que la Cour considérera dans le calcul de la hausse de loyer ci-après (infra consid. 7).

6. L'appelante fait grief aux premiers juges d'avoir violé l'art. 269a let. b CO et mal apprécié les faits, ayant retenu qu'elle n'avait pas contesté la majoration du loyer sur la base de la hausse des coûts et que l'intimée avait allégué des faits à ce sujet et démontré les éléments fondant cette hausse.

6.1 Le bailleur qui se prévaut d'une augmentation de ses charges, soit pour obtenir une majoration de loyer, soit pour s'opposer à une demande de baisse, doit produire les pièces comptables en sa possession (art. 160 al. 1 let. b CPC,
art. 20 OBLF) (LACHAT, op. cit., p. 601).

6.2 En l'espèce, l'appelante s'est opposée devant le Tribunal à la majoration du loyer sur la base de la hausse des coûts. De plus, l'intimée n'a pas allégué de faits, ni produit de pièces à ce sujet dans la procédure, de sorte qu'elle n'a pas établi les éléments fondant cette hausse.

Il en découle que la hausse des coûts requise par l'intimée ne peut pas être retenue dans le calcul de la hausse de loyer ci-après (infra consid. 7).

7. Au vu de ce qui précède, la hausse de loyer doit se calculer de la manière suivante :

Intérêt du capital : 10'060'643 fr. 76 x 2% / 2 = 100'606 fr. 45

Amortissement : 10'060'643 fr. 76 / 25 = 402'425 fr. 75

Entretien à venir : (100'606 fr. 45 + 402'425 fr. 75) x 10% = 50'303 fr. 20

Total : 553'335 fr. (arrondi)

En appliquant la méthode fondée sur la surface de l'immeuble, non contestée pas les parties, la hausse admissible s'élève à 62 fr. 20 par m2 (553'335 fr. / 8'896 m2).

Appliquée à l'appartement de l'appelante, dont la surface est de 82 m2, il en résulte une hausse de loyer de 5'100 fr. 40.

Conformément à ce qui précède, il y a lieu de déduire un montant de 1'328 fr. 40 correspondant à la diminution du taux hypothécaire à considérer et de 0 fr. 20 du fait de la baisse de l'ISPC.

La hausse annuelle s'élève donc à 3'772 fr. (arrondi) portant le loyer à 13'960 fr. (10'188 fr. + 3'772 fr.). Le jugement entrepris sera par conséquent modifié en ce sens.

8. A teneur de l'art. 22 al. 1 LaCC, il n'est pas prélevé de frais dans les causes soumises à la juridiction des baux et loyers, étant rappelé que l'art. 116 al. 1 CPC autorise les cantons à prévoir des dispenses de frais dans d'autres litiges que ceux visés à l'art. 114 CPC (ATF 139 III 182 consid. 2.6).

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PAR CES MOTIFS,
La Chambre des baux et loyers :

A la forme :

Déclare recevable l'appel interjeté le 31 janvier 2022 par A______ contre le jugement JTBL/1065/2021 rendu le 20 décembre 2021 par le Tribunal des baux et loyers dans la cause C/19588/2019.

Au fond :

Annule le chiffre 1 du dispositif de ce jugement.

Cela fait et statuant à nouveau :

Fixe à 13'960 fr., charges non comprises, dès le 1er décembre 2019, le loyer annuel de l'appartement de quatre pièces loué par A______ au rez-de-chaussée de l'immeuble sis rue 1______ 23 à Genève.

Dit que la procédure est gratuite.

Déboute les parties de toutes autres conclusions.

Siégeant :

Madame Nathalie LANDRY-BARTHE, présidente; Madame Sylvie DROIN et Monsieur Laurent RIEBEN, juges; Madame Zoé SEILER et Monsieur Nicolas DAUDIN, juges assesseurs; Madame Maïté VALENTE, greffière.

La présidente :

Nathalie LANDRY-BARTHE

 

La greffière :

Maïté VALENTE

 

 

Indication des voies de recours :

 

Conformément aux art. 72 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF;RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification avec expédition complète (art. 100 al. 1 LTF) par-devant le Tribunal fédéral par la voie du recours en matière civile.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14.

 

Valeur litigieuse des conclusions pécuniaires au sens de la LTF supérieure ou égale à 15'000 fr. cf. consid. 1.2.